Le terme de chair essaie ainsi de penser le fait et l’essence comme
intimement imbriqués. Or cela n’est possible que si on s’attache à saisir le
fait et l’essence à partir d’un système diacritique universel, c’est-à-dire à
partir d’un monde de variation et de différenciation où les essences ne sont
pas données de manière positive.
Mais tout cela implique de ce fait de penser pour la philosophie un
nouveau langage et le terme de chair est un des termes fondamentaux de ce
nouveau langage. Les notions habituelles de la philosophie classique
doivent être remplacées. Les termes de concept, d’idée, d’esprit, de
représentation doivent être remplacés parce qu’ils entendent que l’être n’est
finalement qu’un être objet donné de façon positive. Or c’est là ce que
Merleau-Ponty ne peut accepter. L’être n’est pas posé devant moi comme
un objet. Il m’entoure. Cela signifie qu’il y a toujours de l’excédent. On ne
saisit jamais une totalité seulement. On saisit quelque chose (donc une
généralité) qui se détache dans cette totalité toujours ouverte. Il n’y a en un
sens que le monde sensible, mais ce monde sensible est traversé par le non
sensible. Cela implique de reconfigurer le langage pour rendre compte de
l’ontologie. C’est ce que Merleau-Ponty s’emploie à faire en utilisant les
termes de « dimensions », « articulation », « niveau », « charnière »,
« pivot », « articulation ». Ces termes permettent de penser l’entrelacs, le
chiasme qui est notre relation fondamentale au monde.
Si on s’interroge donc pour demander si la notion de chair
fonctionne comme une métaphore, on est amené à dire qu’il n’y a pas à
proprement parler de ressemblance et de transposition du sensible vers le
non-sensible qui apparaît avec la notion de chair. Mais cela ne signifie pas
que le langage de Merleau-Ponty n’est pas un langage métaphorique. Il est
sans doute métaphorique en ce sens qu’il montre « une innovation
sémantique ». Le terme de chair est en rupture avec la métaphysique
classique. Mais cette rupture est celle pour reprendre l’expression de
Merleau-Ponty lui-même celle de la « déformation cohérente ». Ce qu’il
s’agit de faire en philosophie pour Merleau-Ponty, c’est en fin de compte ce
qu’il s’est agit de faire en peinture pour Cézanne : reprendre la peinture à
son début pour y créer de nouvelles dimensions expressives. Pour Merleau-
Ponty, il ne s’agit pas de rompre avec la philosophie, il s’agit d’en proposer
un langage qui soit apte à rendre compte de l’être.
De ce fait, il n’est sans doute pas faux de dire que c’est le
mouvement métaphorique qui définit l’être pour Merleau-Ponty. Toutefois
on peut comprendre qu’il n’ait pas accepté de définir son langage de
métaphorique. Il s’agit en réalité plutôt que d’une métaphore de reconfigurer
le langage philosophique dans son ensemble. Cela n’est en définitive