JEAN BUGAREL : HISTOIRE du LYCÉE de NEVERS. RECHERCHES, ÉTUDES, DOCUMENTS
leurs missions, était, sans contredit, la contagion des mauvaises lectures. Le nombre des
volumes irréligieux et obscènes qui furent publiés à cette époque est presque incroyable. Dans
le temps même où les ouvriers de l’Évangile jetaient le bon grain dans le champ du père de
famille, l’homme ennemi venait y semer clandestinement l’ivraie. Le mal immense opéré par
cette propagande des mauvais livres était à proprement parler, l’herbe maudite qui si on la
laisse croître, ne tarde pas à étouffer le bon grain. Les prêtres de Saint-Martin le comprirent ;
aussi s’appliquèrent-ils partout à détruire les ouvrages irréligieux et obscènes, et à fonder des
bibliothèques chrétiennes.
Il décrit longuement la tactique de l’abbé Dufêtre qui montre au début une sage réserve,
puis quand l’orateur sentait que les esprit étaient bien disposés … il faisait un appel chaleureux
à la conscience et à la générosité de ses auditeurs, et chacun se rendait avec empressement à
l’invitation du zélé missionnaire. Puis, afin que la réparation fût aussi éclatante que complète,
tous ceux qui se dépouillaient ainsi volontairement de ces volumes dont ils avaient fait naguère
leurs délices, étaient convoqués à un solennel rendez-vous. Au même jour, à la même heure, on
les voyait accourir en foule au lieu où allait être dressée bientôt la croix qui devait perpétuer le
souvenir du « passage de Dieu ». Là, chacun venait déposer aux pieds du missionnaire les livres
destinés aux flammes, comme autrefois on amenait au prêtre les victimes destinées au
sacrifice ; à un signal donné, une torche mettait le feu à ce bûcher maudit et bientôt un incendie
immense annonçait à la multitude que la religion et la morale recevaient, en attendant le jour
du jugement divin, un commencement de satisfaction sur la terre. Le ton de ce passage, écrit
par un contemporain et un acteur de ces événements, montre bien le climat de fanatisme et
d’intolérance, que le clergé de l’époque faisait régner sur tout le pays
Ces « mauvais livres » étaient d’abord ceux des philosophes, Voltaire, Rousseau,
Helvétius, Diderot, d’Holbach, etc. mais pas seulement. D’après une étude statistique, l’abbé de
Salinis,3 estimait qu’entre février 1817 et décembre1824, il avait été publié en France,
1 598 000 volumes de Voltaire complet et 480 000 de Rousseau ; 81 000 volumes d’extraits de
ces auteurs ; 207.900 volumes des principaux écrivains irréligieux du XVIIIe siècle : Helvétius,
Diderot, d’Holbach … ; 128 000 volumes de romans impies, immoraux, obscènes, de Pigault-
Lebrun ; 179 000 volumes d’ouvrages irréligieux spécialement destinés à la jeunesse ; 67 000
volumes de résumés historiques soit au total plus de 2 741 000 volumes condamnés.
Philosophie, romans, histoire, ouvrages polémiques, nous avons là la panoplie complète des
cibles de l’Église. Il est significatif que les résumés historiques sans autre précision, soient
considérés comme irréligieux par définition.
À la tête de l’évêché de Nevers, Mgr Dufêtre fit preuve d’une activité bouillonnante.
Marius Gérin 4 la résume ainsi : L’ardeur qu’il mit aussitôt à tout réorganiser, à faire des
conversions, à fonder des œuvres (orphelinats, refuges, écoles, associations de dames de
charité, bibliothèques chrétiennes, etc. …) contrasta singulièrement avec la débonnaireté de son
prédécesseur, M. Naudo… d’autre part, ses attaques en chaire ou dans ses mandements contre
« l’esprit du siècle », les écrits périodiques, la presse d’opposition étaient de véritables défis à la
liberté de penser et d’écrire.
Un autre aspect de la lutte contre « les mauvais livres » était en effet la diffusion d’une
littérature édifiante et soigneusement contrôlée et expurgée. D’où la création de bibliothèques
chrétiennes. Dès les années 1832-1833 M. Dufêtre remplaça les bûchers de livres par l’Œuvre
des bons livres et la création de bibliothèques. 5 C’est à lui que les éditeurs Ernest et Alfred
Mame doivent leur fortune. En 1833, il leur demanda de seconder ses vues, s’engageant à
recommander partout leurs publications s’ils consentaient à ne publier à l’avenir que des
volumes approuvés par l’archevêque de Tours. Ainsi fut fondée la « Bibliothèque des écoles
chrétiennes »6.
Sur ce point, son vicaire général l’abbé Joseph Gaume agissait dans le même sens en
consacrant tous ses soins à l’éducation. Selon Marius Gérin,7 de style plus ferme et de vues plus
3 Cité par Crosnier, op. cit. p. 34, note 1. D’après Vie de Mgr de Salinis, par M. l’abbé de Ladoue, p. 83.
4 M.G., op. cit. p. 214 et Crosnier, op. cit. p. 34 à 36.
5 M. G., op. cit. p. 213
6 Crosnier, op. cit. p. 163 et suivantes.
7 M.G.,op. cit. p. 217