Décarboner l`économie : le dire, le faire ou le subir

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 Le 10 novembre 2011 Décarboner l'économie : le dire, le faire ou le subir ?
d’après la conférence de Jean-Marc Jancovici, ingénieur consultant, spécialiste des questions
climatiques et énergétiques.
Décarboner l'économie, c'est faire de l'économie sans carbone, autrement dit sans énergie fossile.
Un peu de physique...
Qu'est-ce que l'énergie ? L'énergie est la grandeur physique qui permet de caractériser l’état de
changement d’un système. Elle entre en jeu dans les modifications de température, de vitesse, de
forme, de composition chimique...
Comme utiliser de l'énergie est par définition modifier l'environnement, il n'existe aucune énergie
sale ou propre dans l'absolu. Tant pour les avantages que pour les inconvénients, tout est affaire
d'ordre de grandeur.
Dans un système clos comme celui de la société des hommes, l’énergie se conserve (première loi
de thermodynamique). On ne peut ni créer, ni détruire de l'énergie. L'homme peut juste exploiter
de l'énergie existante déjà ailleurs. Une des conséquences de cette loi est qu'une "source"
d'énergie dans la nature doit pouvoir fournir plus de kWh que l'énergie nécessaire pour y accéder.
Un peu d'histoire...
Comparons l'énergie produite par un être humain et l'énergie que nous avons pris l'habitude de
consommer dans nos sociétés occidentales. En « faisant » 3 000 mètres de dénivelé dans une
journée, les jambes d'un humain fournissent 0,5 kWh d'énergie mécanique. Payé au smic, cela
reviendrait à 200 € le kWh mécanique. Alors que 1 litre d'essence fournit aujourd'hui 10 kWh
d'énergie mécanique pour 0,20 €.
1 kWh mécanique de moteur coûte donc de 1 000 à 10 000 fois moins cher que 1 kWh de
travailleur humain payé au smic.
L'histoire du monde industriel du XIXe et XXe siècle est liée au fait que la nature a mis
gratuitement à notre disposition des énergies (gaz, charbon et pétrole). Celles-ci ont fourni de la
puissance mécanique à un prix ridiculement bas par rapport à ce qui était disponible auparavant.
L’abondance d'énergie qu'ont connue le XIXe et le XXe siècle a permis l’évolution de la structure
des métiers (moins de paysans), l'industrialisation, la hausse du pouvoir d'achat, la concentration
urbaine, la tertiarisation des emplois et la mondialisation.
JM Jancovici : Décarboner l'économie Page 1 Un peu d'économie...
Les élèves apprennent que la production est fonction du capital et du travail. Or, aujourd’hui, nous
avons trop de travail (les chômeurs) et trop de capital (bulle spéculative) et néanmoins le PIB ne
décolle pas. Ce système, en omettant la composante ressources d’énergies, est complètement
faux. En fait, notre système économique n'est rien d'autre qu'un système à transformer des
ressources, naturelles et gratuites, en des objets qui, eux, ont un prix.
C'est le grand paradoxe de nos économies, quand on paye un objet, on paye tout sauf l'objet !
Ainsi, quand nous croyons acheter un verre, nous payons en réalité la succession des revenus
des gens qui ont contribué à sa fabrication en partant de ressources gratuites. Nous payons le
travail humain qui correspond à l’extraction du sable d’une carrière, le salaire des gens qui ont
construit et exploitent le four, etc… On ne paye pas le verre en lui-même qui est constitué
d'atomes et de molécules donnés gratuitement par la nature.
La croissance économique dépend de l'énergie. S'il y a moins d'énergie en volume, il y a moins de
PIB. La crise que nous traversons l'illustre bien : il peut y avoir du capital et des travailleurs
formés, s'il manque l'énergie, il ne se passe rien.
La pêche peut constituer un exemple : personne n'a payé pour qu'il y ait des poissons au fond de
l'océan. C'est gratuit ! Pour pêcher, le pêcheur a besoin de 2 choses : la présence de poisson
dans la mer et du diesel pour son bateau. Si demain, il n'y a plus de carburant, il n'y a plus de
poissons non plus sur les étals. De même, notre pêcheur peut avoir de gros bateaux et tout le
carburant qu'il faut, s'il n'y a plus de poissons dans la mer, il n'y a plus de production de poissons.
Le PIB de la pêche dépend donc de 2 facteurs a-économiques : les réserves de poissons et
d'énergie.
On ne peut faire de l'économie sans énergie. L'énergie est devenue le premier facteur de
production dans les économies occidentales.
La courbe de l’énergie est directement liée et proportionnelle à celle du PIB : si l’énergie décroît,
celle du PIB décroît également et inversement. Pour savoir ce que va devenir le PIB, il suffit de
regarder du côté de l'énergie. Aussi, les crises économiques que nous connaissons étaient
prévisibles.
La consommation d’énergie
Aujourd'hui, la consommation d'énergie par personne et par an varie entre 10 000 et 100 000 kWh
selon les pays. En France, on consomme par an un peu plus de 40 000 kWh par personne. Cela
revient à dire que chaque Français « possède entre 200 et 300 esclaves » ! Dans les pays
occidentaux, l'énergie a fait du moindre smicard un nabab. Il faut le reconnaître même si
politiquement c'est difficile à admettre...
La quantité d'énergie consommée par personne et par an dans le monde a fortement augmenté
entre le début de la révolution industrielle et 1975. Les différentes énergies ne se sont pas
remplacées mais petit à petit, se sont toutes empilées les unes sur les autres, en fonction de leur
usage.. Le charbon, par exemple, est l'énergie de l'industrialisation. Le pétrole, celle de la mobilité.
Les Trente Glorieuses, période de forte croissance économique après la Seconde Guerre
Mondiale jusqu’au premier choc pétrolier (1945-1975), se caractérisent avant tout par une facilité
d’accès aux énergies fossiles, une forte augmentation de la production et de la consommation
d'énergie.
Les « Trente Piteuses » (1975–2005) marquent le début d’un ralentissement économique mondial,
conséquence des crises pétrolières.
Depuis 2005, la production d'énergie commence à décroître, les années à venir risque d'être les
« Trente Douloureuses » et peut- être devenir les « Trente Désastreuses »……
JM Jancovici : Décarboner l'économie Page 2 Les différentes énergies
En 2010, le pétrole reste l'énergie qui domine le système mondial. Il représente un tiers de
l'énergie primaire : l'énergie primaire est celle que nous trouvons sans transformation dans le
monde qui nous entoure (pétrole brut, charbon, eau en mouvement, atomes, etc.) par opposition à
l'énergie finale qui désigne celle que nous pouvons utiliser pour nos applications, mais que nous
ne trouvons pas telle quelle dans la nature (électricité, essence raffinée, etc.).
75% des énergies primaires sont des énergies fossiles qui en brûlant émettent du CO2.
Il n'y a pas de source naturelle d'électricité, cette dernière est une énergie finale qui s'obtient
après transformation d'autre chose. Elle est donc aussi propre que la manière de la produire. La
voiture électrique n'est pas plus propre qu'une autre. Cela dépendra de la manière dont on a
produit l'électricité.
On parle beaucoup des énergies renouvelables comme l'éolien, le solaire, le bois, la géothermie,
les biocarburants… En fait, elles représentent un pourcentage tellement faible de
l'approvisionnement énergétique mondial qu'elles ne peuvent être une solution. Elles ne vont rien
changer à notre avenir économique et social. De plus, l’augmentation des biocarburants risque de
créer des zones de famine, des conflits, des guerres (le printemps arabe a commencé en Tunisie
par une pénurie de céréales rendant ce pays producteur en pays importateur à prix très élevé).
.
Par ailleurs, le nucléaire ne supprime pas la dépendance, de manière totale, aux combustibles
fossiles.
Aujourd'hui encore, l'essentiel de l'électricité est obtenu à partir de combustibles fossiles avec en
tête le charbon, puis le gaz. Le défi majeur est de convaincre les 8 pays qui possèdent 90% du
charbon mondial de ne pas l'utiliser. Si l'Allemagne vient de décider de sortir du nucléaire, ce n'est
pas pour faire de l'énergie renouvelable ou des économies d'énergie. Elle s'apprête au contraire à
faire du gaz et du charbon.
Les limites du système...
Notre système socio-économique basé sur une énergie abondante se confronte à 2 limites :
1/ une contrainte amont : les ressources
Puisque le stock de départ (des hydrocarbures, minerais...) est donné une fois pour toutes (il faut
en moyenne 45 ans entre une nouvelle découverte et son extraction et les volumes sont limités),
on ne peut avoir une production annuelle qui soit indéfiniment croissante ni même constante. C'est
une loi mathématique, la production de gaz, de pétrole...va passer par un maximum (ou pic) puis
décliner. Or, le pétrole a déjà passé son pic. Et, comme il existe une corrélation entre la
production de pétrole et le PIB, la question n'est plus de savoir comment relancer la croissance
mais comment gérer cette nouvelle situation. Dès 1972, le rapport Meadows concluait que la
recherche d'une croissance économique perpétuelle aboutirait à un effondrement du système
avant la fin du XXIe siècle.
2/ une contrainte aval : le changement climatique
Les énergies fossiles en brûlant envoient du CO2.dans l'atmosphère.
Depuis le début du XIXe, on sait que la température du sol est augmentée par le rôle de
l'atmosphère qui laisse mieux passer le rayonnement solaire que le rayonnement infrarouge émis
par la terre. C'est l'effet de serre. Les principales molécules responsables de cet effet de serre
sont la vapeur d'eau et le gaz carbonique. Toute variation de la quantité de vapeur d'eau et de
CO2.se traduit donc par un changement climatique.
Les émissions de CO2.d'origine humaine étaient pratiquement nulles il y a 2 siècles, aujourd'hui
on tourne autour de 40 milliards de tonnes par an. Or, le CO2.a la propriété d'être un gaz
chimiquement extrêmement inerte. Il n'y a pas de processus d'épuration chimique du CO² dans
l'atmosphère.
JM Jancovici : Décarboner l'économie Page 3 Sur une tonne de CO2 dans l'atmosphère, la moitié est absorbée par les végétaux et les océans
(engendrant une acidification des océans), l'autre moitié reste dans l'atmosphère.
Une hausse de la température planétaire de 5°C en 10 000 ans a provoqué la fin de la dernière
ère glaciaire. Ce qui fait à l'échelle du siècle, 0,05°C par siècle. Une hausse de quelques degrés
de la température en un siècle serait donc un choc massif et ingérable.
Ce que nous avons fait en deux siècles en utilisant les combustibles fossiles, la planète va, de
toutes façons, en porter la marque pendant des milliers d'années.
Il faut d'ici 2050 diviser les émissions mondiales de CO2 par 3. Mathématiquement, cela arrivera
un jour, puisque les énergies fossiles sont des ressources épuisables, mais si on ne fait rien tout
de suite, ces émissions baisseront dans un contexte de récession entraînant faillites et chaos
social.
Le professeur japonais Kaya a montré dans une équation que les émissions de gaz à effet de
serre étaient le produit de 4 termes : le contenu en gaz carbonique de l'énergie, l'intensité
énergétique de l'économie, la production par personne et la population. Si l'on doit diviser les
émissions de gaz à effet de serre par 3, cela signifie pour que l'équation reste vraie, qu'il faut
diviser les autres termes par 3. Comment faire ?
Il faut baisser l'approvisionnement énergétique fossile de 3% par an et augmenter
l'approvisionnement nucléaire et renouvelable de 5% par an.
Il n'y a qu'un moyen pour faire des économies d'énergie, c'est d'en augmenter le prix. La taxation
de l'énergie a des effets extrêmement bénéfiques. Le meilleur service que pourrait nous rendre le
gouvernement pour nous éviter des choses fort désagréables à l'avenir, serait justement de
monter progressivement les prix des énergies non renouvelables par le biais des taxes, pour nous
"déshabituer" progressivement d'un pétrole dont la baisse de la consommation est de toute façon
inscrite dans la géologie, et pour éviter un remplacement par le charbon qui ferait "exploser le
climat".
Nous avons bâti notre société sur un système basé sur une énergie abondante, quasiment
gratuite et nous considérons, à tort, tout cela comme acquis et immuable. Le mariage entre
l’énergie fossile et nous est un mariage Faustien.
Ce n'est pas la technique qui va nous sauver mais l'envie qu'on aura. Si tout n'est pas réparable,
on peut au moins limiter les dégâts. Cela suppose des changements d'habitudes, des efforts, voire
des renoncements. C'est à nous de transformer ce vaste programme en un formidable défi.
« Aucun problème ne résiste à une absence de solution ».
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Bibliographie
Changer le monde, tout un programme ! - Calmann-Lévy - 2011
C'est maintenant ! Trois ans pour sauver le monde - Seuil - 2009
Le changement climatique expliqué à ma fille - Seuil - 2009 JM Jancovici : Décarboner l'économie Page 4 
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