effet n`a jamais été francaise, mais sous régime espagnol, elle a

40 MME. ELODIE JOURDAIN
effet n'a jamais été francaise, mais sous régime espagnol, elle a
accueilli, a deux reprises au moins, des colons francais venus des
lies voisines et ils y ont transporté, avec leur langue, celle de leurs
esclaves emigres avec eux, Ie créole. C'est dans ces iles, actuelle-
ment anglaises, qu'on peut retrouver, sous sa forme du xvmème
siècle, ce qu'elles appellent encore en francais Ie „patois".
Du point de vue linguistique Ie créole n'est pas un patois",
mais un sabir, quelque chose comme Ie „pidgin-english", Ie
„papiamento" ou Ie „taki-taki" mais ce sabir présente, dans les
différentes aires oü il est parlé, des ressemblances si frappantes
qu'il est assez facile d'établir les lois phonétiques auxquelles il a
obéi, comme la syntaxe qu'il
s'est
créée. Ces recherches ont fait
l'objet d'une these de doctorat ès lettres que nous avons présen-
e a la Sorbonne en Janvier 1945, sous les titres suivants: „Du
francais aux parlers Creoles" pour la these principale et ,,Le vo-
cabulaire créole de la Martinique" pour la these complémentaire.
Pour donner une idee de notre travail a ceux qui nous feront
l'honneur de nous lire, il nous est agréable d'en detacher quelques
passages pour les présenter aux lecteurs néerlandais. Nous avons
choisi ces passages dans Ie chapitre consacré au Verbe parce qu'il
nous a paru que la conjugaison créole étant tres particulièrement
éloignée du francais nous aurions plus de chance d'intéresser Ie
lecteur.
ORIGINE DES VERBES
Tout d'abord voyons l'origine de ces formes verbales in variables. On
peut lesramenera quatreou cinq types:
Le mot exprimant l'action ou l'état peut être:
.
l'infinitif ou le participe d'un verbe francais:
(a) verbes en <r
(6) verbes francais du 2ème ou du 3ème groupe, en tr, en oi>, en re
.
Un participe francais masculin ou féminin
.
Une flexion plus ou moins déformée d'un temps personnel
.
Un nom, une locution d'origine francaise ou un adjectif
.
Une formation créole par composition ou derivation selon les procé-
s francais.
r <y£e (le plus frequent de beaucoup)
(a) Le verbe est issu soit d'un
infinitif,
soit d'un participe francais
du premier groupe. Exemples:
Palé = Parier / Maché = Marcher / Dansé = Danser / Pleuré =
Pleurer / Gade = Garder et regarder / Entre = Entrer / Tremble =
Trembler / Poté = Porter et apporter / Mangé = Manger / Tiré =
Tirer et retirer / Planté = Planter / Coupé = Couper / Focé = Forcer,
se forcer, s'efforcer / Allé = Aller / Néyé = se noyer et noyer / Sauvé =
LE VERBE EN CREOLE MARTINIQUAIS 41
Sauver, et se sauver / Lagué = Lacher, laisser aller, larguer, terme de
marine / Vale = Avaler / Tranglé = S'étrangler et étrangler / Touffé =
s'étouffer et étouffer / Vlopé = Envelopper, etc. etc.
(6) Verbes issus du 2ème et du 3ème groupes francais. Pour les verbes
en> on pourrait se demander aussi si Ton a affaire a un participe passé
(par exemple fini pour finir) si l'usage phonétique qui fait disparattre 1>
final n'était une regie absolue. Cette prononciation courante en France
au xvir siècle se maintient encore dans certains pays pour les infinitifs
en «> (Berry, Normandie par exemple). Etant donné qu'on ne peut son-
ger a un participe pour les verbes en re du 3ème groupe (lire = li et non
lu, coudre = coude et non cousu, etc) nous inclinons a croire que pour
tous ces verbes, l'origine est un infinitif francais.
Nous aurons done:
Court = Courir / Senti = Sentir / Vivi = Venir / Pati = Partir
Menti = Mentir / Fini = Finir / Cuilli = Cueillir / Bouilli = Bouillir /
Pourri = Pourrir / Langui = Languir / Soti = Sortir / Guéri = Guérir /
Blanchi = Blanchir / Jauni = Jaunir / Souffri = Souffrir ') / Consenti
= Consentir, etc.
Ouè = Voir / Doué = Devoir / Recuvouè = Recevoir / Couè = Croi-
re / Bouè = Boire').
Di = Dire / Fai = Faire / Plai = Plaire / Condui = Conduire / Fri =
Frire / Suffi = Suffire.
Bat' = Battre / Debat' = Débattre et se débattre / Coud' = Coudre /
Parait' = Paraitre / Disparait' = Disparaitre / Permet' = Permettre.
Ren' (dre) (ran) = Rendre / Fen'(dre) (fan) = Frendre / Pen'(dre)
(pan) = Pendre / Appren'(dre) (apran) = Apprendre / Suspen'(dre)
(suspan) = Suspendre").
Join'(dre) (jwên) = joindre / Fon'(dre) (fön) = Fondre / Pon'(dre)
(pön) = pondre / Répon'(dre) (répön) = répondre.
Toutes ces formes semblent done bien être a l'origine des infinitifs.
Formes empruntées a des participes.
Mó < mort = Mourir / Assise = s'Asseoir / Défaite = Défaire / Cuite
= cuire/Ouvè < ouvert = Ouvrir/Couvè < couvert = couvrir / Décou-
vè < découvert = Découvrir / Souffè < souffert = Souffrir, etc. etc.
) On emploie égalementia forme: souffè < souffert, voir plus loin.
) Tous ces verbes en oir (ou oire) se prononcent régulièrement comme
au xvue siècle, ouè, comme encore actuellement a la Martinique toutes
les finales en ot> (Ex: noir = nouè), mais devoir se dit: doué; peut-être
l'origine du mot est-elle ,,devez".
*) Prendre fait exception a cette série en an' = endre, il se dit pran
(pra) de l'impératif plus frequent probablement = „Prends cela".
Nous avons adopté Ie tilde pour noter la nasalisation de la voyelle,
l'n devenu final, par suite de la chute de la dernière syllabe, s'articule
avec la voyelle nasale.
42 MME. ELODIE JOURDAIN
Formes empruntées
&
d'autres flexions du verbe.
Pran < prends = prendre / Baüle ou ba < bailler = donner) / Peu
< je peux, tu peux, il peut, = Pouvoir / Lé (autrefois vlé) < voulez =
Vouloir / Vau < je vaux, tu vaux, il vaut = Valoir.
Le verbe „savoir" offre une particularité, il se dit „save" reduction
probable de „savez" qu'on retrouve a la Guadeloupe dans d'anciennes
chansons, et il possède une forme réduite qui sert assez fréquemment
d'auxiliaire: „sa" dans le sens de „possibilité".
Nous voyons apparaltre comme verbes des locutions franchises complè-
tement déformées, dont on reconnatt a peine les elements, des noms et
des adjectifs.
Le verbe „tenir" par exemple se dit „quimbé" (kêbé) qui n'est autre
que tiens ben!
De même „foucamp" < je fous le camp, est devenu une forme verba-
le.
Ex.: moin ka foucamp, ou ka foucamp, etc. = je pars, tu pars.
„Se taire" se dit: Péla < paix la! ou même P^tout court. Ex.: Veux-
tu te taire
?
= Ou lé bien péla!
Préférer se dit: sumié < c'est mieux. (En Haiti c'est l'adverbe „plu-
tót" > pito, qui remplace le verbe „préférer" et le verbe „se taire" est
également: ,,pé").
S'agenouiller = ajounou < a genoux.
Les verbes avoir faim, avoir
soif,
avoir peur, avoir soin, avoir envie de,
qui sont régulièrement: ni faim, ou tini faim, forme ancienne (tenir =
avoir) ni
souèf,
ni peü, ni soin, ni envie, sont bien souvent employés seuls;
„Soin", en particulier s'emploie toujours seul, précédé de la particule qui
exprime le temps.
Par contre: „Prier Dieu" est devenu synonyme de prier, ou du moins
d'adresser des prières a la Divinité. Ex.: Je prierai Dieu pour toi = Moin
ké priédieu bonDieu pouou.
Enfin, on trouve comme formes verbales des adjectifs. Ex.: mole <
mollet; molé an zoeu = faire cuire un oeuf a la coque.
Marron < espagnol: cimarron qui signifie sauvage = s'échapper, se
sauver, s'esquiver. Ex.: je suis pressé, je me sauve = Moin pressé, moin
ka marron.
Pointu = tailler en pointe, mais on dit aussi: pointusté, par deriva-
tion. Ex.: je vais le tailler en pointe = Moin ké pointu y, ou = moin ké
pointusté y.
5^m« /y/>« (Derivation et composition)
Pour créer des verbes nouveaux, le créole emploie les procédés fran-
c,ais de derivation et la composition.
*) L'impératif „baille", devenu verbe,
s'est
reduit actuellement 4
,,ba" qui souvent se nasalise devant le pronom „moin". Ex: donne moi
9a = ba moin 9a.
LE VERBE EN CREOLE MARTINIQUAIS 43
ZVrtvolton
.
Radical verbal + é. Ex.: mettre met, metté; mordre mod, módé.
II°.
Substantifs, adjectifs ou onomatopées + é. Ex.: Le mot ,,lélé",
d'origine africaine, qui désigne Ie fouet ou moussoir local, consistant en
une tige terminée par des branchettes en rayons (disposition propre a
certains arbustes, particulièrement a celui qui s'appelle en créole ,,bois
lélé") a fourni Ie verbe „léler" passé en francais antillais et qui signifie
„faire mousser un liquide". Fifine (tres fine) > fifiné = bruiner.
Mignon > amignonné = apprivoiser par la douceur. „Zonzon", imita-
tion du bruit du moustique ou de la mouche a donné zonzonner (passé
en francais) et qui signifie asticoter, importuner. „Vonvon" imitation du
bruit du bourdon a donné vonvonner = s'agiter sans cesse et bruyam-
ment.
III°.
Radical verbal -f suffixe + é. Ex.: drive < dériver, terme de
marine > drivaillé = errer sans but. Pendre > pendrioché (influence
sans doute par pendeloque).
iv°.
Préfixe + verbe. Ex.: virer dévirer = revenir / grigi (normand
= plisser / dégrigi = déplisser / enfiler = file / défiler = désenfiler.
Pour marquer Ie mouvement on emploie les verbes, „allé" et „vini"
qui indiquent qu'on s'éloigne ou qu'on se rapproche du lieu oil l'on est,
ces verbes remplacent dans certains cas ie préfixe „en" tombe en créoie,
Ex.: mènè-allé = emmener / poté-allé = emporter / chayé-alié = em-
porter, charrier vers / couri-allé = s'en aller en courant / couri-désan =
descendre en courant / couri-monté = monter en courant / mênë-vini =
amener / poté-vini = apporter / couri-vini = venir en courant.
Pour marquer un commencement d'action on empioie ie verbe „pran",
tournure qui correspond au francais ,,se prendre a". Ex.: pran-couri =
se mettre a courir ƒ pran-pleuré = se mettre 4 pleurer / pran-ri = se
mettre a rire.
Pour indiquer la maniere dont on marche on empioie ie verbe marcher
+ un verbe ou + un
adjectif.
Ex.: maché-bouété = boiter / maché-sau-
té = sautiüer / maché-doctè = marcher en docteur, c'est-a-dire d'un
air important.
En general, pour exprimer une action complexe Ie créoie forme des
verbes composes. Ex.: semblé-contré (se rassembler et se rencontrer) =
état d'une foute sans ordre. Tombé-levé = se relever vite d'un malheur,
ne pas se laisser abattre •),-Viré-gadé = regarder autour de soi. Coupé-
assoce (ou associé) = s'associer scienneiiement, allusion a une coutume
ancienne encore vivante vers 1890, 1900 et qu'on affectait de suivre par
piaisanterie: les contractants se donnaient ia main et ie témoin les-
parait en faisant ie geste de „couper" d'un revers de main ieurs mains
jointes.
*) Ce nom a été donné a une plante de ia familie descactées dont une
feuille séparée de la tige et tombée par terre pousse presque invariabSe-
ment.
44 MME. ELODIE JOURDAIN
NATURE DU VERBE
En nous placant au point de vue du sujet du verbe, nous considérons
en francais les verbes ,,impersonnels" et les verbes ordinaires. En nous
placant au point de vue de l'objet du verbe nous considérons des verbes
„transitifs" et des verbes „intransitifs".
Suivant que Ie sujet accomplit ,,1'action" ou la subit, nous distinguons
une „voix active" et une „voix passive" et, enfin, nous classons a part
les verbes „pronominaux" qui se conjuguent avec Ie même pronom
employé comme „sujet" et comme „objet".
Que reste-t-il de tout cela en créole
?
I. LES VERBES IMPERSONNELS
Certains verbes impersonnels désignant des phénomènes de la nature
n'wristen* pas d /a A/aWinigMe, Tels sont: il pleut, il tonne, il bruine *).
On les remplace par des periphrases avec un sujet. Ex.: La plie ka
tombe (la pluie tombe). Tonné ka roulé (Ie tonnerre roule). La plie ka
fifine, (la pluie fifine, c'est-a-dire tombe finement).
Les expressions toutes faites oü entre Ie verbe „faire" telles que: il fait
beau, il fait froid, il fait chaud, il fait gris, etc., existent et sont employ-
ees sans pronom avec l'auxiliaire de temps qui convient. Ex.: Ka fait
beautemps jodi = il fait beau temps aujourd'hui. Té ka fait fouet' hiè =
il faisait froid hier. Ké fait chaud mois prochain = il fera chaud Ie mois
prochain.
Les locutions oü entrent Ie verbe avoir et Ie verbe falloir existent éga-
lement.
.
Mais „avoir" qui n'existe pas en tant que mot et qui est remplacé
par n» < tenir, autrefois tini, s'emploie a l'indicatif sans auxiliaire, a
ï'imparfait avec Ie seul auxiliaire té = était. Ex.: Dans l'écurie il y a
trois chevaux = dans lécurie ni trois chouvals.
Il y a deux heures que je t'appelle = = ni deuzeü moin ka crié. Il y
avait une fois une maman qui avait sept enfants = Té ni an fois an
maman qui té ni sept yiches. (Voir tableau 2 de la conjugaison.)
.
Pour „falloir", on pourrait distinguer deux états du point de vue
chronologique.
a) Fok = „il faut que" est ancien et courant
6) Fallé = il fallait que. Faudra et faudré = „il faudra que" et „il
faudrait que" sont plus rares et probablement d'introduction plus tardi-
ve.
Ex: II faut faire cela tout de suite = Fok fait ca tout suite (tousuite).
Il ne fallait pas dire cela = Fallé pas di 9a. II faudra couper eet arbre =
Faudra coupé pied bois a. Il faudrait courir pour arriver a temps = Fau-
dré couri pou rivé a temps.
Il est a remarquer que ces expressions toutes faites s'emploient seules,
c'est-a-dire sans Ie secours des auxiliaires habituels de temps.
La cons/rucfion »m/>wsonnW/e
La tournure francaise qui consiste a construire „impersonnellement"
un verbe ordinaire, telle par exemple: II est arrive aujourd'hui une
M Et bien entendu, „il gele", „il neige", qui expriment des choses
inconnues.
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