Joseph Schumpeter, Théorie de l'évolution économique, Paris: Dalloz, 1999, p.106-136 & 93.
phénomènes significatifs. Pour cette raison encore, il en est de même de la situation qui scientifiquement, est
caractérisée par trois couples d’oppositions qui se correspondent à savoir premièrement, l’opposition de deux
événements réels : tendance à l’équilibre d’une part, modification ou changement spontané des données de l’activité
économique par l’économie, d’autre part deuxièmement, l’opposition de deux appareils théoriques statique et
dynamique11 troisièmement l’opposition de deux types d’attitude nous pouvons nous les représenter dans la réalité,
comme deux types d’agents économiques des exploitants purs et simples et des entrepreneurs. Pour cette raison il faut
entendre la meilleure méthode » comme étant la théorie la « plus avantageuse parmi les méthodes éprouvées
expérimentalement et habituelles », mais non comme la « meilleure des méthodes possibles à chaque fois »; si l’on ne
fait pas cette réserve, les choses ne vont plus; précisément les problèmes qui s’expliquent à partir de notre conception
restent irrésolus; pour cette raison correspond seule aux faits la conception selon laquelle les nouvelles combinaisons
apparaissent en principe à côté des anciennes, et non selon laquelle les vieilles combinaisons, en se transformant, en
deviennent automatiquement de nouvelles : on peut bien faire cette supposition, comme on a logiquement Je droit de
faire toute supposition; on saisit même par là beaucoup de choses avec exactitude, mais non pas celles qui expliquent
le profit, l’intérêt, les crises, l’essor et la dépression dans le monde capitaliste et bien d’autres phénomènes.
Précisons encore la spécificité de notre conduite et de notre type, Le plus petit acte qu’accomplit quotidiennement un
homme, implique un travail intellectuel quantitativement immense : non seulement il faudrait que chaque écolier et
chaque maître de cet enfant soit un géant de l’esprit dépassant toute mesure humaine, s’il créait pour soi par un acte
individuel, conscient, systématique ce qu’il sait et ce qu’il utilise; mais il faudrait encore que chaque homme soit un
géant par son intelligence pénétrante des conditions de la vie sociale et par sa volonté, pour traverser seulement sa vie
quotidienne, s’il lui fallait chaque fois acquérir par un travail intellectuel les petits actes dont elle est faite, et leur donner
une forme dans un acte créateur. Ceci ne vaut pas seulement pour la connaissance et l’activité dans les limites des
fonctions générales de la vie individuelle et sociale, et pour les principes qui, relevant de la pensée, du cœur, de l’action,
dominent cette activité, et sont les fruits d’efforts millénaires. Ceci vaut encore pour les produits de temps plus courts et
au fait qu’une différence importante en théorie subsiste entre les deux « objets)) et qu’un seul des objets est décrit dans la théorie habituelle. De plus la conduite dont il est question est,
par elle-même, une autre manière d’agir, elle exige des qualités autres et non pas seulement différentes en degré — le parcours du circuit qui se réalise selon la voie normale — et cela
apparaîtra encore plus nettement — c’est ce parcours qui est conforme, par sa nature, à la manière traditionnelle de voir.
Ces qualités sont sans doute réparties dans une population ethniquement homogène, comme les autres qualités le sont, par exemple les qualités corporelles ; bref la courbe de leur
répartition a une ordonnée très dense, de part et d’autre de laquelle on peut ordonner symétriquement les individus, qui, sous ce rapport, sont au-dessus et au-dessous de la moyenne
ainsi on a progressivement toujours moins d’individus à rattacher aux mesures qui s’élèvent au-dessus ou tombent au-dessous de la moyenne. De même nous pouvons admettre que
tout homme bien portant peut chanter, s’il le veut. Peut-être une moitié des individus d’un groupe ethniquement homogène en possède-t-il la capacité dans une mesure moyenne, un
quart dans une mesure progressivement toujours moindre, et disons un quart dans une mesure qui dépasse la moyenne; dans ce quart, à travers une série de capacités vocales toujours
croissantes et un nombre toujours dégressif de personnes possédant ces qualités, nous arrivons finalement aux Carusos. C’est seulement dans ce dernier quart que la capacité vocale
est remarquable, c’est seulement chez les artistes supérieurs qu’elle devient un signe caractéristique de la personne: nous ne parlons pas de la profession, qui exige, elle aussi, un
minimum de capacité. Ainsi bien que, pour ainsi dire, tous les hommes puissent chanter, la capacité de chanter n’en est pas moins une qualité distinctive et l’attribut d’une minorité ; elle
ne constitue pas précisément un type d’homme, parce que cette qualité, à l’opposé de celle que nous envisageons déteint relativement peu sur l’ensemble de la personnalité.
Faisons l’application de cela un quart de la population est si pauvre de qualités, disons pour l’instant, d’initiative économique que cela se répercute dans de I indigence de l’ensemble de
la personnalité morale; dans les moindres affaires de la vie privée ou de la vie professionnelle où ce facteur entre en ligne, le rôle joué par lui est pitoyable Nous connaissons ce type
d’hommes et nous savons que beaucoup des plus braves employés qui se distinguent par leur fidélité au devoir, leur compétence, leur exactitude appartiennent à cette catégorie.
Puis vient la « moitié » de la population, c’est-à-dire les « normaux ». Ceux-ci se révèlent mieux au contact de la réalité que, dans les voies habituellement parcourues, là il ne faut pas
seulement « liquider s, mais aussi « trancher » et « exécuter », Presque tous les hommes d’affaires sont de ce nombre; sans cela ils ne seraient jamais arrivés à leur position; la plupart
représentent même une élite ayant fait ses preuves individuelles ou héréditaires. Un industriel du textile ne suit pas un chemin s nouveau » en se rendant à Liverpool pour une vente
publique de laine, Mais les situations ne se ressemblent pas, et le succès de l’exploitation dépend tellement de l’habileté et de l’initiative montrées lors de l’achat de la laine que l’industrie
textile n’a jusqu’à ce jour donné lieu à aucune formation de trusts comparables a celle de la grande industrie. Ce fait s’explique en partie par ce que les plus aptes n’ont pas renoncé à
profiter de leur propre habileté dans l’achat de la laine.
Montant de là plus haut dans l’échelle, nous arrivons aux personnes qui, dans le quart le plus élevé de la population, forment un type, que caractérise la mesure hors pair de ces qualités
dans la sphère de l’intellect et de la volonté. A l’intérieur de ce type d’hommes, il y a non seulement beaucoup de variétés (le commerçant, l’industriel, le financier), mais encore une
diversité continue dans le degré d’intensité de I’ s initiative ». Dans notre développement nous rencontrons des types d’intensité très variée. Certain peut atteindre à un degré jusqu’ici
inégalé; un autre suivra là où l’a précédé seulement un premier agent économique; un troisième n’y réussit qu’avec un groupe, mais il sera là parmi les premiers. C’est ainsi que le grand
chef politique, de tout temps, a constitué aussi un type, mais non pas un phénomène unique; de là une diversité continue de chefs politiques qui conduit jusqu’à la moyenne et même
jusqu’aux valeurs inférieures. Cependant la « direction’ politique n’est pas une fonction spéciale» mais le chef lui, est quelque chose de particulier et de bien discernable. Ainsi, dans notre
cas, on pose d’abord la question : « Où commence le type que vous affirmez ? ». On déclare ensuite « Mais ce n’est pas un type ». Cette objection n’a vraiment aucun sens,
11 On a reproché à la première édition de définir la « statique n tantôt comme une construction théorique, tantôt comme un tableau de la situation de fait de l’économie. Je crois que le
présent exposé ne peut plus prêter à une telle hésitation. La théorie statique ne présuppose pas une économie stationnaire, bien qu’elle traite aussi des répercussions qu’ont les
modifications des données, li n’y a en soi aucune connexion nécessaire entre une théorie statique et une réalité stationnaire. Cette supposition se recommande à la théorie seulement
dans la mesure où l’on peut exposer de la manière la plus simple les formes fondamentales du cours économique des choses d’après une économie qui reste identique à elle-même.
L’économie stationnaire est un fait incontestable pour d’innombrables milliers d’années et aussi, dans des temps historiques, en bien des lieux durant des siècles. Abstraction faite de
cela, comme Sombart fut le premier à le mettre en évidence, l’économie stationnaire est réalisée en sa tendance dans chaque période de dépression. Cette première construction et ce
dernier fait ne contiennent d’abord, ni 1 un ni l’autre le facteur qui nous intéresse; de plus, la circonstance qui explique ce fait, à savoir la puissance de la voie donnée, fait que cette
construction s’applique relativement très bien à une partie de la réalité et mal à une autre; aussi, dans la première édition, ai-je établi entre les deux dans mon exposé un lien qui trouve là
son fondement, mais qui s’est si peu confirmé que j ‘ai cru devoir désormais l’exclure. Encore une chose la théorie emploie deux manières de voir qui peuvent provoquer des difficultés. Si
l’on veut montrer comment tous les éléments de l’économie nationale conditionnent réciproquement leur équilibre, on considère ce système d’équilibre comme n’existant pas encore et on
le bâtit sous nos yeux ab ovo. Ce n’est pas à dire que l’on explique génériquement sa naissance. La pensée, qui en démonte les pièces, n’élucide que logiquement le problème de son
existence et de son fonctionnement. Ce faisant, on suppose que les expériences et les habitudes des sujets économiques existent déjà. Mais on n’explique pas ainsi comment ces
combinaisons de production se constituent. Si, de plus, on doit examiner deux états d’équilibre voisins, on compare parfois — mais pas toujours — comme dans l’economics of welfare de
Pigou, la « meilleure» combinaison de production du premier état avec la « meilleure » du second état. Ce qui ne veut pas dire nécessairement, mais peut vouloir dire, que les deux
combinaisons au sens actuel diffèrent non seulement par de petites variations de quantités, mais encore par leur principe technique et commercial. Nous n’examinons pas ici la
naissance de la seconde combinaison, ni tous les problèmes qui peuvent s’y rattacher; nous envisageons seulement le fonctionnement de la combinaison qui est déjà — comme toujours
— réalisée. Quoique cette manière de voir soit justifiée et incontestable, elle dépasse notre problème. Si l’on prétendait du même coup qu’elle le résout, ce serait faux.