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Ceci s’inscrit dans un mouvement général de recours au marché pour la quasi-totalité des
composantes de la couverture sociale, en opposition donc aux conceptions plus
universalistes qui étaient celles de la période des trente glorieuses et qui se matérialisaient
dans des systèmes beveridgiens ou bismarckiens.
La politique économique connaît une transformation équivalente en réponse aux demandes
de la finance. D’un côté, la mobilité internationale du capital limite singulièrement la
possibilité de taxation, ce qui reporte la charge fiscale sur les salariés et éventuellement le
capital immobilier irréversiblement lié au territoire national. D’un autre côté, le banquier
central voit son rôle significativement, si ce n’est totalement, redéfini. Il n’a plus seulement à
optimiser la fixation du taux d’intérêt en fonction de difficiles arbitrages entre inflation et
chômage car il a aussi la fonction de veiller à la stabilité financière. Soit qu’il évite la
formation de bulles spéculatives par une hausse préventive du taux d’intérêt, soit qu’il joue le
rôle de prêteur en dernier ressort face à un effondrement financier qui menace la viabilité
même d’une économie marchande. Cette hypothèse avancée par des experts de la politique
monétaire américaine (Blinder, 1997), longtemps ignorée par les macroéconomistes du
monde académique prend tout son sens dans la crise actuelle des produits dérivés du marché
immobilier américain.
L’ampleur de ces transformations observées, surtout aux États-Unis, rend vraisemblable
l’existence d’un régime d’accumulation tiré par la finance. Encore faut-il vérifier que les divers
effets de la financiarisation définissent un régime viable, c’est-à-dire susceptible de répondre tant
à des chocs exogènes qu’au profil de l’accumulation au cours du cycle. C’est pourquoi une
formalisation est nécessaire afin de vérifier à quelles conditions un tel régime peut s’établir
(Boyer, 2000a). Par rapport à la complexité des relations mise en évidence par la figure 1, la
formalisation exige une simplification drastique (figure 2).
La variable centrale n’est autre que le cours boursier puisque c’est l’entité qu’observent
simultanément les entreprises dans leur choix de mode de gouvernance et leurs décisions
d’investissement, les salariés dans la gestion de leur épargne et leurs décisions d’endettement,
mais aussi le banquier central dont la fonction est d’éviter l’entrée dans une zone d’instabilité.
En opposition avec le modèle fordiste, la consommation des ménages dépend étroitement de la
richesse financière qui elle-même permet d’accéder au crédit alors même que stagnerait le salaire
réel. Dans ce modèle, une autorité salariale peut impliquer une croissance des profits telle
que l’augmentation des cours boursiers justifie un essor de la consommation des ménages.
On se trouve donc aux antipodes du modèle Kaleckien ou Kaldorien à deux propensions à
épargner respectivement à partir des salaires ou des profits.
Enfin, la norme de rentabilité demandée par la communauté financière est un élément
essentiel du volume et de l’orientation de l’investissement des entreprises non financières. Les
effets d’accélération sont présentsbien sûr, mais ils ne sont plus dominants comme c’était le
cas dans le modèle fordien. Plus généralement, le principe de la valeur actionnariale, invoqué
par les financiers, détermine nombre de choix en matière d’organisation interne de la firme et
de stratégie (Boyer, 2005 ; Ertuk &al., 2008).
Il faut souligner combien, a priori, ce régime économique est paradoxal : alors que dans le
fordisme c’est la logique de la création de valeur ajoutée qui domine, dans le modèle financiarisé
c’est l’anticipation de la richesse future, telle que mesurée par la bourse, qui déclenche le
processus de production. Les anticipations et la confiance en la finance sont donc déterminantes