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Dossier
Pub et antipub : les ambiguïtés d'un combat
Dossier publié le 10.09.04
ux yeux de ses détracteurs, la publicité véhicule des valeurs - le capitalisme, la mondialisation - qui sont
autant de repoussoirs. Les publicitaires, eux, mettent l'accent sur l'imprégnation de la rhétorique
publicitaire dans les champs du politique ou des médias. La publicité serait-elle le révélateur d'un malaise
moral ?
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La pub entre rentabilité et vague à l'âme
Publié le 08.09.04 | 16h26
Comment va la pub ? La réponse est contrastée. D'une auscultation sur le strict plan financier, il ressort que sa
santé se maintient, et que le secteur s'en sort même plutôt mieux que d'autres, dans un contexte général
morose : légère hausse (1,58 %) des dépenses totales des annonceurs en 2003, en dépit d'une franche baisse
de la pub dans la presse, l'affichage et le cinéma. Il est vrai que ce secteur est très vulnérable au climat
économique, les dépenses de communication étant souvent celles que les gestionnaires coupent en premier.
Pourtant, depuis 1992, les dépenses totales des annonceurs en France ont progressé de près de 30 %, passant
de 20, 2 milliards d'euros à 29,7 en 2003.
Sourd cependant, au-delà des chiffres, un vague à l'âme, un malaise en prise directe avec les humeurs
d'une société de consommation de masse, en partie désireuse d'acheter autre chose, autrement. La
publicité continue à séduire voire à fasciner mais elle est entrée dans un cycle qu'elle a déjà connu dans
les années 1930 et 1960 : le phénomène attraction-répulsion.
[-] fermer "L'émergence des anti-pub"
L'émergence des anti-pub
Publié le 15.03.05 | 17h49
"C'est trop de mauvaise pub qui tue la pub" : Rémi Babinet, président de l'agence BETC Euro RSCG et des
Clubs des directeurs artistiques, n'est pas le seul à le déplorer, amèrement. Comme lui, nombre de
publicitaires pointent du doigt les nouvelles pressions économiques qu'ils subissent, peu susceptibles de
favoriser originalité et prise de risque dans la création : exigence de rentabilité accrue de la part des
actionnaires, souci unique des annonceurs de vendre plus, peur de sortir des sentiers battus et des recettes
connues. De l'autre côté, les consommateurs, eux, sont de plus en plus sensibles à des valeurs - de l'éthique à
l'écologie - et s'inquiètent d'une surconsommation a priori aux antipodes des soucis des annonceurs.
Autant de nouveaux terreaux sur lesquels capitalisent les "antipubs", mouvance très composite. Les pionniers,
Yvan Gradis en tête, sont aujourd'hui rejoints par des "Casseurs de pub" aux opérations plus spectaculaires.
Les barbouillages de pub organisés ça et là, en "commando" suscitent la sympathie d'un nombre grandissant
de consommateurs excédés. Très médiatisées, ces actions ont mis au jour une nouvelle forme de contestation
qui retourne contre la pub les armes qu'elle emploie. Mais ce mouvement est traversé d'ambiguïtés, sur sa
finalité même : lutter contre la publicité, modifier les habitudes de consommation, voire parfois transformer
la société elle-même. A leurs yeux, la publicité fait figure de symbole et de symptôme, comme le souligne
l'article "Le credo antipub : une fin en soi ou un moyen ?)
[-] fermer "Politique, médias et internet, nouveaux champs de la pub"
Politique, médias et internet, nouveaux champs de la pub
Publié le 15.03.05 | 17h55
Il est vrai que dans le même temps, le discours publicitaire, avec ses formules-chocs, ses raccourcis, ses
accroches, a envahi d'autres champs de la communication, du politique aux médias, audiovisuels autant
qu'écrits. Les publicitaires eux-mêmes déplorent cette contagion de la forme surtout, aux dépens du fond,
comme nous le confie Rémi Babinet.
Dans ses aspects les plus intrusifs et envahissants, la pub a débarqué en force sur Internet, au grand dam de
ses pionniers. Il y aurait dorénavant à travers le monde autant de courriers "normaux" en circulation que de
"spams", ces messages non sollicités et souvent publicitaires qui inondent, en toute illégalité, l'aire privée que
constituent les boîtes à lettres des internautes. Eux-mêmes piégés par des envois involontaires de spams
autogénérés par leur machine "violée". Infatigable récupérateur, le capitalisme a fait de la lutte antispam une
activité lucrative, en attendant que la loi tente de s'en mêler efficacement, un jour peut-être.
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activité lucrative, en attendant que la loi tente de s'en mêler efficacement, un jour peut-être.
Martine Jacot
[-] fermer "Perspectives : nouveaux canaux, nouvelles morales "
Perspectives : nouveaux canaux, nouvelles morales
Publié le 10.09.04 | 18h04
Pub et antipubs ont beaucoup en commun. Rapides, efficaces, pas chères et très spectaculaires, les actions de
barbouillage menées dans le métro parisien fin 2003 ont des allures de leçon de "streetmarketing" (marketing
de rue). Les publicitaires ne s'y sont pas trompés, qui ont contacté des membres actifs du mouvement pour
apprendre d'eux, proposant rencontres informelles ou participations à débat. Parmi eux, le parrain Jacques
Séguéla, Philippe Lentschener, PDG de l'agence Saatchi & Saatchi, ou encore Frank Tapiro, président
d'Hémisphère Droit. Leurs demandes ont été rejetées par les antipubs.
Plus que de la révolte, on sent poindre une forme de jalousie dans la profession, qui a sûrement fourni
quelques-uns de ses membres aux commandos. Contrairement aux publicitaires, les "barbouilleurs" sont
libres de s'affranchir des contraintes comme les tests marketing et le "politiquement correct". Dans la
publicité, les règles, légales ou sociales, se durcissent contre de nombreux comportements "amoraux" :
sexisme, pollution, atteinte à l'enfance, comportements dégradants pour la personne humaine, vitesse
automobile, contribution à l'obésité, etc. Ces thèmes porteurs sont parfois utilisés par les antipubs, dans des
opérations comme le prix Femino de La Meute, les autocollants contre les 4 × 4 ou l'opération "La Rentrée
sans marques".
ACTEUR PLUTÔT QU'OTAGE
Une autre tendance est l'offensive contre les canaux de publicité les plus intrusifs : affichage, spams sur
Internet, prospectus dans les boîtes aux lettres, voire SMS. "On ne peut pas les zapper", résume le président
de Paysages de France, qui a parlé à des afficheurs inquiets pour leur métier. "Je pense que la pub à gros
sabots va reculer", ajoute Pierre-Jean Delahousse. D'autres militants rêvent d'un système de publicitésla
demande", avec des informations transparentes, notamment écologiques, accessibles à toutes les entreprises,
et non aux seuls annonceurs mastodontes. Des sortes d'annuaires publics consultables volontairement, à
l'image des bornes interactives un temps installées près de Rennes.
Dans ce sens, les publicitaires réfléchissent à de "nouveaux territoires", à des relations plus participatives. Il
faut passer du "spectateur otage au spectateur acteur", c'est-à-dire "récompenser" au lieu d'"évangéliser",
"tirer" au lieu de "pousser" et chercher "la gloire du moment" et non plus la notoriété, a conseillé Bernard
Petit, représentant français de l'International Advertising Association, lors de la dernière Semaine de la
publicité, en novembre 2003.
UN PARFUM DE "SPIRITUALITE"
Les canaux de la séduction de demain sont sûrement "hors-média" : le sponsoring de communautés, de sites
personnels sur Internet, les actions éclair et ludiques de type "flashmobs" (attroupements éclair), les spots-
cultes que les ados se passent de façon virale. "La meilleure pub, c'est le bouche-à-oreille", rappelle un
militant. Les agences peinent encore face au nombre croissant de métiers spécialisés nécessaires.
Derrière ces évolutions semble s'affirmer chaque jour un peu plus l'individu. Un métis, consommateur-roi,
travailleur indépendant et citoyen autonome. Il flotte un parfum de "spiritualité" dans l'air, sensible dans la
"simplicité volontaire" que prônent de nombreux antipubs, comme arme d'autodéfense contre la
surconsommation. Quelle différence entre un directeur d'agence de publicité indépendante qui refuse de
manipuler les enfants et un intermittent de la téléréalité qui bombe les affiches pour faire venir le Grand Soir ?
Tous disent souffrir d'une forme de pression de l'argent. Et tous parlent d'éthique, de morale personnelle. A
croire que dormir la conscience tranquille est aussi ardu que de changer le monde.
Alexandre Piquard
[-] fermer "Les grands de la pub face à leur malaise "
Les grands de la pub face à leur malaise
Publié le 08.09.04
"Le mouvement antipub est un épiphénomène, et les Français aiment toujours la publicité." Voilà en
substance ce qu'affirment les patrons des grandes agences de la place de Paris, visées indirectement par les
actions spectaculaires de recouvrement d'affiches menées fin 2003 dans le métro. Une récente étude
Ipsos/AFI indique d'ailleurs que, sur 19 108 campagnes, tous médias confondus, 68 % sont "appréciées" par
les sondés. Pour Pascal Grégoire, PDG de l'agence CLM/BBDO, qui cite cette enquête, il n'en demeure pas
moins que "la crise est là. Il ne faut pas se voiler la face. Depuis trois ans, la situation économique n'est pas
florissante et ce métier, comme d'autres, a des difficultés".
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En 2003, les dépenses de communication des annonceurs ont baissé dans la presse (- 1,32 %), dans l'affichage
(- 2,79 %) et dans le cinéma (- 13 %), selon les chiffres de France Pub repris par l'Association des agences de
conseil et de communication (AACC). Si les dépenses totales se sont maintenues (29,7 milliards d'euros, soit
une hausse de 1,58 %), c'est principalement le "hors-média", (annuaires, marketing direct, événementiel, etc.)
qui en a bénéficié (+ 2,79 %). La progression de la marge brute des agences s'est tassée en 2003, mais les
dépenses de communication sont bien reparties au premier semestre 2004, toujours selon l'AACC. La
situation n'est donc pas catastrophique.
"PEUR DE SE PLANTER"
Un malaise règne pourtant. "Le métier a beaucoup évolué, explique Lucas Mongiello, directeur de création
d'OgilvyOne. Avant, c'était un travail d'amateur, très agréable et libre. Aujourd'hui, c'est beaucoup,
beaucoup plus rationnel. Le spectre des contraintes est bien plus vaste. Et comme les actionnaires des
agences demandent 12 ou 15 % de rentabilité par an, la pression devient très forte." La génération au pouvoir
dans les agences, souvent autodidacte, évoque aussi la mentalité "particulière" des jeunes, désormais issus
d'écoles de marketing. "Tout se joue au niveau des individus, et ce qui règne, c'est la peur de se planter,
déplore Lucas Mongiello. Un chef de produit ne veut donc appliquer que des recettes connues et faire
endosser les responsabilités par des tiers à toutes les étapes."
Dans cet arsenal technique, les PDG d'agences décrient notamment les tests, généralisés avant et après la
production d'une campagne et menés par des sociétés d'études extérieures spécialisées. "J'en veux
spécialement aux tests qualitatifs, explique Hervé Riffault, directeur de création chez Young & Rubicam. On
confronte un projet de campagne élaboré pendant des mois à un panel d'amateurs qui mangent des
sandwichs en disant ce qui leur passe par la tête. Il y a des méthodes fumeuses, presque aussi fiables que de
lire dans les tripes d'un cochon."
Les patrons des grandes agences déplorent qu'il n'y ait pas assez de "magie", d'"aspérités", de "prise de
risque" et trop de "médiocrité", de "vulgarité" et d'"ennui". Ne voulant pas verser dans le mythe du "bon vieux
temps", ils affirment aussi que le niveau moyen des campagnes n'était pas meilleur il y a dix ou vingt ans. Et
qu'il est encore possible de faire des publicités très créatives, leurs agences étant spécialistes de ce genre
d'"exploits".
ENCOMBREMENT PUBLICITAIRE
Au-delà du blues des créatifs confrontés aux dures lois de la rationalisation, pointe le risque que l'ennui gagne
le consommateur. Et que celui-ci finisse par rejeter la publicité en général et les marques qu'elle vend. Cet été,
l'AACC a créé des commissions afin d'améliorer l'image des publicitaires. Christian Liabastre, PDG de Young &
Rubicam et ancien annonceur lui-même, est chargé de faire passer le message auprès des clients des agences :
"Le sacrifice de la qualité est un risque pour tous. Si on tire trop sur les coûts, on peut finir par décevoir.
C'est déjà le cas."
Contre le "court-termisme" dicté par les résultats financiers trimestriels, Christian Liabastre promeut l'idée
d'un "new deal" entre agences et annonceurs, qui doit être rédigé pour la fin de l'année. Les négociations en
cours avec l'Union des annonceurs (UDA) visent à trouver des manières de mieux rémunérer les agences, à
ordonner les règles des compétitions pour gagner des budgets, à impliquer les annonceurs dans la production
des campagnes et à transmettre la culture du métier aux jeunes chefs de produits et chefs de pub.
Si le problème est aigu, c'est aussi que les budgets consacrés au marketing, à la communication et à la
publicité ne cessent de croître. Il en résulte notamment un "encombrement publicitaire" et un "rendement
décroissant", ainsi que le rappelait Bernard Petit, président du chapitre français de l'International Advertising
Agency, dans son intervention au cours de la dernière Semaine de la publicité, fin 2003 : "Il est de plus en plus
difficile d'émerger pour un annonceur. Par ailleurs, les coûts d'achat d'espace sont en hausse permanente, en
liaison avec la fragmentation des médias. (...) Certains annonceurs doutent de plus en plus de l'efficacité des
moyens traditionnels de publicité par manque d'instruments de mesure du retour sur investissement."
PRODUITS SANS MARQUE
Les publicitaires sont engagés dans une course à l'espace et cherchent sans cesse de nouveaux canaux de
diffusion, au risque de devenir de plus en plus intrusif. "L'autre jour, j'ai reçu un SMS promotionnel sur mon
téléphone, ce que je trouve moi-même insupportable !", avoue Pascal Grégoire.
Pour Christian Liabastre, le risque des dérives ne réside pas tant dans le rejet tel que l'expriment les antipubs
que dans un désamour plus profond des consommateurs : "Pour la première fois, les produits sans marque
représentent 20 à 25 % du marché et on n'est qu'au tout début du cycle. Quelque part, une partie croissante
de la population comprend moins bien la valeur des marques." Pour se différencier dans un monde où les
avantages comparatifs réels sont de plus en plus fugaces, les entreprises sont sorties du champ commercial et
tiennent un discours de plus en plus social, voire politique.
"Les marques sont un peu les nouvelles églises, car il n'y a plus de religions ni de politiques. Mais elles jouent
ce rôle avec une compétence tellement moindre qu'on en rougit, résume, provocateur, Gabriel Gauthier,
fondateur de l'agence Leg. Personnellement, je leur déconseille d'aller sur ce terrain, où elles ne sont pas
légitimes. Que les commerçants fassent du commerce..." Pourtant, les plus grandes marques ont depuis
longtemps affiché leur credo : la santé pour Danone, la créativité pour Apple, le dépassement de soi pour Nike,
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le développement durable pour EDF, le "mieux consommer" pour Carrefour... Face à un consommateur-
citoyen dont tous disent qu'il est bien moins crédule qu'avant, le seul moyen de garder sa crédibilité serait de
mettre la réalité de son produit et de son entreprise en phase avec les valeurs prônées. Ou l'inverse.
"MERCENAIRES À LA MORALE ÉLASTIQUE "
Un autre facteur complique ce défi : la place de plus en plus centrale des valeurs "éthiques" dans le discours
social, telles que défense de l'environnement, tolérance, solidarité, commerce équitable, protection de
l'enfance, refus du sexisme, de la "malbouffe", de la surconsommation, des comportements inciviques, etc. Les
publicitaires le savent, eux qui ont récemment été pointés du doigt pour leur rôle dans la hausse de l'obésité
chez les enfants. "Faire une pub qui dit aux enfants que le petit gâteau Untel, on peut en manger autant
qu'on veut, ce n'est pas innocent, estime Hervé Riffault, de Young & Rubicam. Il y a une responsabilité du
publicitaire qui participe à la vente de produits qui ne sont pas bons."
Joseph Besnainou, le directeur général du Bureau de vérification de la publicité (BVP), note une évolution :
"L'augmentation des demandes de conseil en amont de la part des agences est monstrueuse." Une
augmentation de 24 % à la fin d'août, par rapport à 2003, qui avait déjà vu une hausse des requêtes auprès de
l'organe d'"autodiscipline" du secteur, de la part d'agences soucieuses d'éviter les risques de rejet ou
d'illégalité. "L'autre grosse originalité, souligne Joseph Besnainou, c'est qu'avant les lettres de plainte qui
nous parvenaient concernaient une campagne précise. Maintenant, le message est plutôt 'La pub nous
emmerde', même si ces critiques restent très marginales." Le BVP reçoit environ cent plaintes par mois.
Critiqués, les patrons d'agences se voient comme des boucs émissaires de maux de la société qu'ils
reconnaissent par ailleurs. Ils disent ne pas voir d'alternative politique globale, les "systèmes sans
concurrence" ayant échoué. Et peuvent pourtant se déclarer en attente vis-à-vis du politique, qu'il s'agisse de
réguler par la loi les secteurs problématiques comme l'industrie des sucreries ou de trouver des solutions au
"problème majeur" de la surconsommation. Pour surmonter ces affres, tous parlent d'éthique personnelle,
d'honnêteté, de sincérité, d'une forme de pouvoir de dire non. Incarner ce sens des responsabilités au
quotidien est pourtant difficile, l'autodiscipline une pratique exigeante. "Globalement, les créatifs sont des
mercenaires à la morale élastique", sourit Hervé Riffault, de Young & Rubicam.
VICTOIRES DES ANTISPOTS
Si les publicitaires étaient prêts à vendre n'importe quoi, ils ne reculeraient pas devant le paradoxe d'une
publicité contre la consommation. Au contraire, ils y verraient une valeur d'avenir. En 2003, les
professionnels français qui attribuent le prestigieux prix Effie ont tenu à récompenser deux de ces "antispots" :
L'Ascenseur, de l'agence Australie, qui a trouvé l'accroche "Les antibiotiques, c'est pas automatique", pour la
Caisse nationale d'assurance-maladie, et Révélation, le spot annonçant les produits toxiques contenus dans
les cigarettes, réalisé par BETC Euro RSCG pour l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé
(Inpes). Pour avoir généré 1 million d'appels en quelques jours sur le numéro vert annoncé, ce film a été
honoré du Grand Prix et du prix Communication d'intérêt général.
Purement symbolique, ce type de publicité est appelé à se développer. Le 30 juillet 2004, les parlementaires
français ont adopté le projet de loi relatif à la politique de santé publique. Le texte oblige les producteurs de
boissons sucrées et de confiseries à faire figurer un message sanitaire dans leurs spots télévisés ou à être taxés
à hauteur de 1,5 %, et non 5 % comme prévu initialement. Cet argent sera reversé à l'Inpes pour financer des
messages de sensibilisation et de prévention. "On appuie à la fois sur le frein et sur l'accélérateur", sourit
Hervé Riffault. Il n'y a pas que des mauvaises nouvelles.
Alexandre Piquard
[-] fermer "Philippe Breton (sociologue) : "Il faut appeler à une moralisation de la publicité" "
Philippe Breton (sociologue) : "Il faut appeler à une moralisation
de la publicité"
Publié le 09.09.04
Chercheur au laboratoire de sociologie de la culture européenne du CNRS de Strasbourg,
Philippe Breton enseigne la communication et l'histoire des techniques à l'université Paris-I-
Sorbonne et à l'université Marc-Bloch de Strasbourg. Il a notamment écrit (pour les éditions
La Découverte) "La Parole manipulée" (1997), "L'Eloge de la parole" (2003) et "Argumenter
en situation difficile" (2004).
Quelle est la spécificité du discours publicitaire ?
C'est un discours qui cherche à convaincre, tout comme le discours politique, par exemple. Mais le discours
publicitaire cherche à convaincre pour vendre.
Un des reproches les plus couramment adressés au discours publicitaire est qu'il est
manipulateur. Qu'en pensez-vous ?
Je suis gêné car cela globalise le discours publicitaire. Or la publicité est un monde très varié, qui utilise
différents types de procédés. Il y a deux grandes familles : l'argumentation, qui consiste à mettre en avant les
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différents types de procédés. Il y a deux grandes familles : l'argumentation, qui consiste à mettre en avant les
qualités d'un produit. Ce type de discours respecte l'auditoire et donne des raisons d'acheter un produit. Par
ailleurs, il y a les techniques de manipulation , qui contraignent l'auditoire. Je pense que la deuxième famille
est la plus importante. Mais je m'inscris en faux contre l'idée de dire que la publicité manipule par essence.
La distinction entre argumentation et manipulation n'est-elle pas trop théorique ? Comment
distinguer les deux procédés dans la masse publicitaire ?
Il y a manipulation quand la publicité ne contient aucun argument mais simplement une association à un
stimulus positif, par exemple érotique ou séducteur. C'est le paradigme "Lajaunie", dont la pub vendait des
cachous avec une dame et une attitude, sans un mot de discours. Ce n'est pas pareil que de vendre une voiture
familiale en disant qu'elle contient beaucoup de place, un grand coffre et des tiroirs. Les distinguer n'est pas si
complexe. Il y a une zone grise mais pour beaucoup de publicités, c'est simple.
Quid des travellings sur un beau bébé assis dans la grande voiture, et une jeune maman
souriante en robe à fleurs qui vient déposer un baiser sur son front en gros plan ? Toutes les
pubs d'aujourd'hui n'utilisent-elles pas les deux registres ?
Oui, il y a les deux. Mais je ne suis pas totalement contre l'émotion. Il ne s'agit pas d'opposer raison et
émotion.
Quelle est la spécificité de la manipulation par rapport au recours à l'émotion ?
La manipulation a ses techniques propres. Par exemple, la répétition du même message, 2 500 fois. La
propagande joue sur cette technique très simple. La répétition crée l'évidence. Il y a aussi l'association avec un
stimulus positif, qui déclenche un mécanisme un peu pavlovien, et finit par rendre la chose sympathique, sans
qu'on sache pourquoi. C'est ce qu'on appelle le "plaider hors de la cause", une technique de discours
considérée comme déloyale et antidémocratique dans la Grèce antique, par exemple. La publicité peut
également esthétiser le message. C'est pour cela qu'elle fait appel à beaucoup d'artistes. Cela rend le produit
souhaitable car un plaisir lui est associé. Il y a encore le mensonge, mais c'est encore autre chose
N'est-il pas difficile, dans la pratique, de réguler la publicité à partir de cette distinction
argumentation-manipulation ?
Il peut y avoir une loi, mais il faut avant cela qu'il y ait une norme, à savoir ce que nous sommes prêts à
accepter. Si les gens pensent que la pub manipulatoire est immorale... Mais effectivement, aujourd'hui, il y a
une grande tolérance, voire un désir un peu curieux d'être exposé à des messages manipulateurs. La norme
est le problème essentiel. Une loi prohibant les publicités manipulatoires serait absurde car il n'y a pas
d'assentiment. C'était différent dans le monde grec, qui ne supportait pas la séduction dans le discours. Ils
pensaient : cet orateur se moque de nous.
Cette question est très concrète. Prenez le cas de Benetton, qui vend des vêtements. Une campagne montrait
les fesses d'un homme nu, de dos, avec un tampon "HIV" et, en bas, le logo Benetton. Oliviero Toscani, le
créateur de l'affiche, disait qu'il attirait ainsi l'attention des gens, qui voyaient ensuite le logo Benetton et
pourraient plus tard le reconnaître et le désirer. Une association de malades du sida a porté plainte. Le juge,
dans ses attendus, dit avoir condamné Benetton pour deux raisons : l'offense psychologique envers les
victimes du sida, stigmatisées par l'affiche, mais aussi parce que le message n'avait strictement rien à voir avec
le produit et "plaidait hors de la cause". Ce juge audacieux a tranché, mais il n'a pas fait jurisprudence,
jusqu'à présent.
Pourtant, face à une affiche, ne reste-t-on pas libre de refuser d'acheter ? N'y a-t-il pas une
forme de déterminisme de l'homme derrière la critique de la pub ?
Les publicitaires parlent toujours de liberté. Mais les gens étaient libres en Allemagne de l'Est ! Tous les
grands régimes totalitaires ont tenu grâce à la propagande. A un moment donné, si l'on déploie une grande
masse d'énergie, d'intelligence et d'argent, la propagande exerce une influence. Quand il y a une campagne
très massive, les ventes augmentent directement. Où est la liberté ?
On n'a pas forcé ces gens à aller au supermarché, comme dans les régimes totalitaires qui
remplissaient les stades...
C'est vrai que beaucoup de gens ne regardent pas la publicité. Beaucoup d'autres savent discriminer les
messages manipulatoires. Mais quand il faut que vous achetiez une voiture, vous devenez très sensible aux
pubs sur les voitures.
Les publicitaires disent que les gens ont de plus en plus de discernement, moins de crédulité
et qu'ils décodent très bien les messages...
On les manipule mais ils le savent... c'est contradictoire. Les techniques employées par la pub sont exactement
les mêmes que celles utilisées par les régimes totalitaires, personne ne dit le contraire. Si les gens sont libres,
pourquoi utiliser ces techniques ? Les publicitaires sont gênés car ils savent qu'ils ne font pas quelque chose
de très correct. Ils savent aussi qu'elles sont efficaces et que, s'ils ne mettent pas leurs doigts dans le cerveau
des gens, il n'y a pas de vente.
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