En 2003, les dépenses de communication des annonceurs ont baissé dans la presse (- 1,32 %), dans l'affichage
(- 2,79 %) et dans le cinéma (- 13 %), selon les chiffres de France Pub repris par l'Association des agences de
conseil et de communication (AACC). Si les dépenses totales se sont maintenues (29,7 milliards d'euros, soit
une hausse de 1,58 %), c'est principalement le "hors-média", (annuaires, marketing direct, événementiel, etc.)
qui en a bénéficié (+ 2,79 %). La progression de la marge brute des agences s'est tassée en 2003, mais les
dépenses de communication sont bien reparties au premier semestre 2004, toujours selon l'AACC. La
situation n'est donc pas catastrophique.
"PEUR DE SE PLANTER"
Un malaise règne pourtant. "Le métier a beaucoup évolué, explique Lucas Mongiello, directeur de création
d'OgilvyOne. Avant, c'était un travail d'amateur, très agréable et libre. Aujourd'hui, c'est beaucoup,
beaucoup plus rationnel. Le spectre des contraintes est bien plus vaste. Et comme les actionnaires des
agences demandent 12 ou 15 % de rentabilité par an, la pression devient très forte." La génération au pouvoir
dans les agences, souvent autodidacte, évoque aussi la mentalité "particulière" des jeunes, désormais issus
d'écoles de marketing. "Tout se joue au niveau des individus, et ce qui règne, c'est la peur de se planter,
déplore Lucas Mongiello. Un chef de produit ne veut donc appliquer que des recettes connues et faire
endosser les responsabilités par des tiers à toutes les étapes."
Dans cet arsenal technique, les PDG d'agences décrient notamment les tests, généralisés avant et après la
production d'une campagne et menés par des sociétés d'études extérieures spécialisées. "J'en veux
spécialement aux tests qualitatifs, explique Hervé Riffault, directeur de création chez Young & Rubicam. On
confronte un projet de campagne élaboré pendant des mois à un panel d'amateurs qui mangent des
sandwichs en disant ce qui leur passe par la tête. Il y a des méthodes fumeuses, presque aussi fiables que de
lire dans les tripes d'un cochon."
Les patrons des grandes agences déplorent qu'il n'y ait pas assez de "magie", d'"aspérités", de "prise de
risque" et trop de "médiocrité", de "vulgarité" et d'"ennui". Ne voulant pas verser dans le mythe du "bon vieux
temps", ils affirment aussi que le niveau moyen des campagnes n'était pas meilleur il y a dix ou vingt ans. Et
qu'il est encore possible de faire des publicités très créatives, leurs agences étant spécialistes de ce genre
d'"exploits".
ENCOMBREMENT PUBLICITAIRE
Au-delà du blues des créatifs confrontés aux dures lois de la rationalisation, pointe le risque que l'ennui gagne
le consommateur. Et que celui-ci finisse par rejeter la publicité en général et les marques qu'elle vend. Cet été,
l'AACC a créé des commissions afin d'améliorer l'image des publicitaires. Christian Liabastre, PDG de Young &
Rubicam et ancien annonceur lui-même, est chargé de faire passer le message auprès des clients des agences :
"Le sacrifice de la qualité est un risque pour tous. Si on tire trop sur les coûts, on peut finir par décevoir.
C'est déjà le cas."
Contre le "court-termisme" dicté par les résultats financiers trimestriels, Christian Liabastre promeut l'idée
d'un "new deal" entre agences et annonceurs, qui doit être rédigé pour la fin de l'année. Les négociations en
cours avec l'Union des annonceurs (UDA) visent à trouver des manières de mieux rémunérer les agences, à
ordonner les règles des compétitions pour gagner des budgets, à impliquer les annonceurs dans la production
des campagnes et à transmettre la culture du métier aux jeunes chefs de produits et chefs de pub.
Si le problème est aigu, c'est aussi que les budgets consacrés au marketing, à la communication et à la
publicité ne cessent de croître. Il en résulte notamment un "encombrement publicitaire" et un "rendement
décroissant", ainsi que le rappelait Bernard Petit, président du chapitre français de l'International Advertising
Agency, dans son intervention au cours de la dernière Semaine de la publicité, fin 2003 : "Il est de plus en plus
difficile d'émerger pour un annonceur. Par ailleurs, les coûts d'achat d'espace sont en hausse permanente, en
liaison avec la fragmentation des médias. (...) Certains annonceurs doutent de plus en plus de l'efficacité des
moyens traditionnels de publicité par manque d'instruments de mesure du retour sur investissement."
PRODUITS SANS MARQUE
Les publicitaires sont engagés dans une course à l'espace et cherchent sans cesse de nouveaux canaux de
diffusion, au risque de devenir de plus en plus intrusif. "L'autre jour, j'ai reçu un SMS promotionnel sur mon
téléphone, ce que je trouve moi-même insupportable !", avoue Pascal Grégoire.
Pour Christian Liabastre, le risque des dérives ne réside pas tant dans le rejet tel que l'expriment les antipubs
que dans un désamour plus profond des consommateurs : "Pour la première fois, les produits sans marque
représentent 20 à 25 % du marché et on n'est qu'au tout début du cycle. Quelque part, une partie croissante
de la population comprend moins bien la valeur des marques." Pour se différencier dans un monde où les
avantages comparatifs réels sont de plus en plus fugaces, les entreprises sont sorties du champ commercial et
tiennent un discours de plus en plus social, voire politique.
"Les marques sont un peu les nouvelles églises, car il n'y a plus de religions ni de politiques. Mais elles jouent
ce rôle avec une compétence tellement moindre qu'on en rougit, résume, provocateur, Gabriel Gauthier,
fondateur de l'agence Leg. Personnellement, je leur déconseille d'aller sur ce terrain, où elles ne sont pas
légitimes. Que les commerçants fassent du commerce..." Pourtant, les plus grandes marques ont depuis
longtemps affiché leur credo : la santé pour Danone, la créativité pour Apple, le dépassement de soi pour Nike,