UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE III Centre d’Étude de la Langue et des Littératures Françaises THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : Littérature française Présentée et soutenue par : Amélie de CHAISEMARTIN le : 2 décembre 2016 Créer des types. La caractérisation des personnages dans les romans de la seconde génération romantique en France (1830-1848). POSITION DE THÈSE Sous la direction de : M. Bernard VOUILLOUX – Professeur, Université Paris-Sorbonne Membres du jury : M. Jean-Baptiste AMADIEU – Chargé de recherche, CNRS Mme Ségolène LE MEN – Professeur, Université Paris-Ouest Nanterre La Défense M. Bertrand MARCHAL – Professeur, Université Paris-Sorbonne Mme Nathalie PREISS – Professeur, Université de Reims Champagne-Ardenne 1 Dans un article de la Revue de Paris de 1830 intitulé « Des types en littérature », Charles Nodier affirme que la création d’un type littéraire original, comme celle de don Quichotte par Cervantès ou celle de Tartuffe par Molière, est le sceau du génie. L’une des caractéristiques essentielles de la révolution romantique en France est en effet le refus de l’imitation du type du « beau idéal » néoclassique et le désir de création de types singuliers et originaux. L’expression la plus célèbre de cette revendication est la préface de Cromwell de Victor Hugo dans laquelle l’écrivain montre que la répétition du même type du « beau idéal » est une entrave à l’originalité du génie créateur. Ce génie peut en revanche s’exprimer dans la création de types grotesques originaux, à la manière de Cervantès ou de Shakespeare. D’autres romanciers de la seconde génération romantique expriment au même moment le désir de création de types nouveaux. Alfred de Vigny, dans la préface de 1827 de Cinq-Mars, écrit que l’art du romancier consiste à créer des types originaux et non à copier des modèles de personnages existant. Dans la préface de 1832 d’Indiana, George Sand affirme que ses personnages sont des types issus de son imagination. Dans l’avant-propos de La Comédie humaine de 1842, Balzac s’oppose à l’imitation du modèle des vierges de Raphaël et souligne, comme Hugo, la nécessité de consentir à peindre la laideur et le vice pour créer des types véritablement nouveaux. Cette génération d’écrivains nés autour de 1800 se donne ainsi pour but de créer des types littéraires inédits. Ce désir de renouveler les personnages littéraires apparaît déjà dans les écrits de la génération précédente, celle de Chateaubriand et de madame de Staël. Ces deux auteurs emploient cependant encore le terme de « caractère » pour désigner leurs personnages littéraires et maintiennent la nécessité de se conformer à un « beau idéal » unique. L’emploi du mot « type » pour désigner un personnage littéraire n’apparaît sous la plume des romanciers et des critiques qu’à la fin des années 1820 et ne sera mentionné par le dictionnaire qu’en 1856, dans le Dictionnaire universel de la langue française de Louis Bescherelle. Le but de notre thèse est de comprendre la signification de ce nouveau mot d’ordre romantique des romanciers de la monarchie de Juillet : « Créer des types ». Nous avons pour ce faire étudié un vaste corpus de romans de la monarchie de Juillet ainsi que les préfaces, essais critiques et écrits intimes de leurs auteurs. Le roman de notre corpus publié le plus tôt est Cinq-Mars d’Alfred de Vigny, publié en 1827. Cet ouvrage est capital pour notre travail car Vigny donne l’une des premières définitions du type littéraire dans sa préface. Nous avons également étudié, du même auteur, le roman Stello ou les Diables bleus, publié en 1832, dans lequel apparaît le type si populaire de Chatterton. Notre corpus comprend ensuite les romans de Stendhal, Le Rouge et le Noir, La Chartreuse de 2 Parme et Lucien Leuwen ainsi que ses Chroniques italiennes. Stendhal, l’aîné des romanciers de notre corpus, situé à mi-chemin entre la première et la seconde génération romantiques, n’emploie pas le terme de « type » pour désigner ses personnages mais il participe pleinement à la réflexion de son temps sur la nécessité de renouveler les personnages de romans et Balzac, dans l’article qu’il a consacré à La Chartreuse de Parme, désigne ses personnages comme des « types ». En plus des romans de Stendhal et de Vigny nous avons étudié de nombreux romans de George Sand, Indiana, Lélia, Valentine, Consuelo, La Comtesse de Rudolstadt, Le Compagnon du tour de France, Mauprat, André et Spiridion, et une trentaine de romans et nouvelles de Balzac. Nous avons eu soin de choisir, pour ces deux auteurs prolifiques, des œuvres publiées autant au début qu’à la fin de la monarchie de Juillet. Notre corpus comprend également à la fois Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, publié au début de la monarchie de Juillet et Les Misérables, publié en 1862. Nous avons inclus Les Misérables dans notre corpus car la genèse de ce roman a commencé pendant la monarchie de Juillet et il nous a semblé important de confronter les types de Notre-Dame de Paris avec ceux des Misérables. Nous avons aussi analysé les types des romans-feuilletons les plus célèbres de l’époque, ceux des Trois Mousquetaires, de Vingt ans après et du Comte de Monte-Cristo de Dumas et ceux des trois premières parties des Mystères de Paris d’Eugène Sue. Notre étude prend également en compte le seul récit de Musset de la période, les Confessions d’un enfant du siècle et le roman de Gautier Mademoiselle de Maupin ainsi que plusieurs de ses nouvelles. Ce vaste corpus nous permet d’avoir une perspective d’ensemble sur la signification du type romanesque sous la monarchie de Juillet. L’étude des textes critiques et intimes des auteurs ainsi que celle de leurs romans nous a permis de saisir la signification esthétique et morale donnée à cette notion de type littéraire et de distinguer les types romantiques des personnages littéraires classiques. Pour bien comprendre la signification de ce terme de type, nous nous sommes aussi intéressée à son emploi dans le champ des arts visuels de la période. C’est en effet également sous la monarchie de Juillet que le terme de « type » commence à être employé pour désigner des personnages de caricatures de presse ou de livres illustrés. Dans les trois journaux de caricatures les plus importants de la monarchie de Juillet, La Silhouette, La Caricature et Le Charivari, ce mot désigne aussi bien des types individualisés célèbres, comme le bossu Mahieux dessiné par Traviès, le bourgeois Prudhomme de Monnier ou l’escroc Robert Macaire de Daumier, que des types anonymes désignés par un nom commun comme le gamin de Paris. Ségolène Le Men a montré que le terme de type était également devenu, en 1842, un mot spécialisé du champ lexical éditorial. Il désigne alors une gravure hors-texte représentant 3 un personnage en pied, isolé de tout décor. Le recueil de types Les Français peints par euxmêmes édité par Curmer est ainsi illustré à la fois de « vignettes » et de « types », comme l’édition Furne de La Comédie humaine. Les études récentes consacrées au type sous la monarchie de Juillet concernent pour l’essentiel les physiologies, les recueils panoramiques de types comme Les Français peints par eux-mêmes de Curmer, et La Comédie humaine de Balzac. Cette prédilection pour Balzac et pour ces recueils s’explique par la perspective commune de ces études qui s’attachent toutes à montrer les liens entre la description des types dans les ouvrages de la littérature que Benjamin a nommé « panoramique » et les premières enquêtes sociales menées sous la monarchie de Juillet. Les types balzaciens sont en effet essentiellement considérés par la critique récente comme des types représentant une classe sociale. Sans remettre en cause les liens entre La Comédie humaine et les entreprises de classement sociologique contemporaines, notre travail replace dans son contexte artistique proche la création des types balzaciens afin de montrer que le projet du romancier s’inscrit dans le sillage de la révolution esthétique romantique menée par sa génération. Notre thèse considère ainsi les types romanesques de la monarchie de Juillet sous un angle esthétique et non pas seulement sociologique. C’est le projet littéraire et artistique de création de types neufs que nous étudions. L’étude comparée des romans et des arts visuels nous a révélé que la création de types littéraires romantiques nouveaux était étroitement liée à la création de types visuels dans la presse et les livres illustrés. Le type défini par Nodier est en effet, comme il l’écrit dans son article de 1830, un personnage « frappant », au « sceau d’identité reconnaissable », aisément mémorisable par son lecteur. Notre étude de la caractérisation des personnages des romans de la période, caractérisation aussi bien morale que physique, nous a montré que les procédés stylistiques employés par les romanciers étaient très proches de ceux de la caricature. Les romanciers caractérisent en effet leurs personnages selon un art que nous avons appelé un « art de la silhouette ». Ils schématisent les traits de leurs personnages et en exagèrent certaines caractéristiques, comme dans les portraits-charges et les dessins de types de la presse, afin de créer des types cohérents et mémorisables. La caractérisation des personnages des romans de la seconde génération romantique obéit ainsi à l’ambition romantique de créer des types singuliers marquants. Cette ambition nouvelle permet de comprendre la singularité de la poétique descriptive des romans de la monarchie de Juillet. Comme cela a été affirmé au colloque de Nice de 2012 consacré à la poétique descriptive des romans du XIX e siècle organisé par Alice de Georges-Métral, les chercheurs se sont peu intéressés à la poétique 4 descriptive des romans de la première moitié du XIXe siècle et l’un des buts de notre thèse est ainsi de contribuer à combler ce manque. Notre thèse a également pour but de mieux comprendre l’exemplarité du type romantique en la distinguant de la seule exemplarité sociologique. Nous nous sommes ainsi demandé comment ces types romantiques originaux et singuliers pouvaient incarner une idée générale. Notre travail répond à cette question en mettant au jour les liens entre l’écriture romanesque de la première moitié du siècle et celle de l’histoire et en soulignant la proximité de la conception du type fictif de celle du « grand homme » tel qu’il est perçu dans la philosophie de l’histoire contemporaine. De la même manière que la destinée exceptionnelle du grand homme révèle une force à l’œuvre dans l’histoire, la destinée singulière des héros romantiques symbolise les lois de développement d’un idéal passionnel et politique, à la fois individuel et collectif. Notre travail comporte trois parties. Dans la première, intitulée « L’invention des types romantiques », nous rappelons l’histoire de la caractérisation des personnages dans le récit depuis le XVII e siècle jusqu’au début du XIX e siècle et nous soulignons l’originalité des types romanesques romantiques à l’égard des modèles précédents. Nous montrons que les types romantiques remettent en cause la rationalité et la vraisemblance classiques pour incarner des passions infinies. Les auteurs romantiques délaissent le canon de la culture classique pour se tourner vers d’autres modèles littéraires, la Bible d’abord, mais aussi Shakespeare, Cervantès, Le Tasse, Dante et la commedia dell’arte. Notre première partie souligne que malgré la prétention à l’originalité des auteurs de la seconde génération romantique, ces nouveaux modèles communs dotent leurs types de caractéristiques similaires. Nous avons ainsi distingué les principaux « patrons » communs des types romanesques de la monarchie de Juillet, à savoir le Christ et le diable, le bandit et la bohémienne, l’enfant ou le fou et la figure de Napoléon. Ces « patrons » appartiennent en propre à l’époque et peuvent ainsi être des outils de reconnaissance du style de cette génération romantique. C’est également dans cette partie que nous étudions la manière dont les écrivains romantiques se réapproprient le type du « beau idéal » néoclassique en le modifiant en profondeur. Dans notre deuxième partie intitulée « L’empreinte du type romantique dans l’imagination », nous étudions les procédés stylistiques de « typification » des personnages romantiques et nous soulignons les liens entre cet « art de la silhouette » et la caricature visuelle contemporaine. Le modèle de la caricature constitue en effet pour les romantiques une alternative expressive au portrait académique accusé de froideur et d’insensibilité. En nous appuyant sur une analyse détaillée des notations descriptives des personnages de notre 5 corpus nous montrons comment les romanciers constituent des silhouettes cohérentes et frappantes de leurs personnages. Cette capacité à s’imprimer dans l’imagination et la mémoire est, pour Champfleury, la caractéristique essentielle de la littérature « réaliste ». Nous montrons ainsi que le type est une notion dans laquelle romantisme et réalisme s’enchevêtrent tout particulièrement. L’expressivité de la caricature ne dépend plus, comme le portrait académique, de l’exactitude de la représentation, mais repose sur l’imagination de l’observateur, qui donne vie et mouvement aux traits schématiques et inachevés du dessin. Cette partie souligne ainsi également la manière dont les descriptions des types sollicitent l’imagination et la participation affective du lecteur par le biais du regard d’un personnageobservateur passionné et imaginatif. Comme dans les spectacles de fantasmagories décrits par Max Milner, le contexte nocturne et énigmatique des descriptions favorise l’investissement de l’imagination et dote les silhouettes d’une puissance d’évocation symbolique. Cet art de la fantasmagorie permet de révéler le fantôme ou l’esprit des personnages décrits ou dessinés, dans les romans comme dans les caricatures. Dans la dernière partie intitulée « L’exemplarité du type romantique : singularité et généralité » nous expliquons quel est cet « esprit » incarné par le type et que révèle de manière symbolique le dessin de sa silhouette. Nous montrons qu’il s’agit à la fois de l’âme individuelle du type, c’est-à-dire, en contexte romantique, de sa vie passionnelle, et de l’idéal politique d’une époque ou de l’ « esprit » d’une nation ou d’une famille dans un temps donné. Nous soulignons les liens entre le type fictif et la conception hégélienne du « grand homme » et démontrons, à partir des romans de notre corpus, que l’aspiration sentimentale des héros est toujours étroitement liée à une aspiration politique. Cette partie explique également les particularités de la forme symbolique que constitue le « type » en le distinguant de l’allégorie classique et en en rappelant la signification théologique. Les types romantiques sont en effet des symboles comparables aux « types » de l’exégèse biblique. Ils annoncent une destinée réalisée ou à venir, et leur existence concrète n’est pas effacée par leur signification. À la différence de l’allégorie classique, ils s’interprètent davantage qu’ils ne se traduisent. Nous étudions enfin dans cette partie les liens entre le type romanesque romantique et les types des physiologies et des Français peints par eux-mêmes. À partir d’une analyse détaillée de la genèse des types des physiologies dans la presse illustrée, dans les textes comme dans les images, nous montrons que le type s’inscrit dans la continuité de l’art du portrait-charge et s’apparente ainsi à une individualité grotesque anonyme. Le type, plus qu’une moyenne sociale, nous semble ainsi avoir d’abord été dans la presse une individualité heroï-comique. Les Français peints par eux-mêmes nous paraît constituer une réponse à la panthéonisation 6 des grands hommes par la panthéonisation parodique des grands petits hommes de la société française. Les types des Français sont ainsi une parodie des grands hommes et des génies célébrés par le romantisme et cette partie met au jour l’influence paradoxale des types romanesques romantiques les plus connus sur les types des Français. L’un des enjeux de cette partie et de notre thèse est de souligner que la peinture des types sociaux entre en continuité avec l’ambition romantique de création de types romanesques singuliers et que le déchiffrement des types sociaux dans la littérature panoramique procède du même élan créateur que l’invention de types romanesques. 7