PSYCHIATRIE DE L`ENFANT ET DE L`ADOLESCENT, EN

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PSYCHIATRIE DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT, EN FRANCE,
VUE DES ETATS-UNIS
J. Martin MALDONADO-DURÁN*, Linda HELMIG**
Les remarques qui suivent ne proviennent pas d'une expérience clinique directe, mais
d’un regard de l’étranger au contact d’un certain nombre de cliniciens et de
professeurs français de pédopsychiatrie, et de la connaissance de la littérature
correspondante éditée tant en français qu’en anglais.
Elles concernent la nature des contributions de langue française à la pédopsychiatrie,
vue des Etats-Unis par des psychiatres cliniciens, et elles soulignent certaines
différences entre les traditions et les pratiques aux USA et ce que nous voyons de
France et d'autres pays de langue française.
L’impact des contributions francophones en pédopsychiatrie.
Aux Etats-Unis, quelques publications de pédopsychiatrie en langue française (La
Psychiatrie de l'Enfant, Pédiatrie,Devenir, ou le journal francophone Prisme édité à
Montréal, Hôpital Ste Justine) ont un impact limité, sauf de la part d’auteurs qui
publient aussi en anglais (Colette Chiland, Bertrand Cramer, Antoine Guedeney,
Serge Lebovici, etc.). Même si elles étaient disponibles dans les bibliothèques
médicales, elles n’auraient qu’un impact limité auprès des professionnels, car ceux-ci
sont souvent peu familiarisés avec la langue française.
En effet, la lecture des articles consacrés à la pédopsychiatrie dans les journaux
disponibles aux Etats-Unis fait apparaître une très nette prédominance des références
de langue anglaise. Il s’avère que les auteurs américains ont accès à ces articles écrits
en anglais, et qu’ils les citent prioritairement comme si les autres travaux n’avaient
que peu de valeur. Un certain nombre de journaux scientifiques, notamment dans les
pays scandinaves et en Israël, sont édités en anglais ce qui leur assure un plus grand
impact et un lectorat plus large.
Le prééminence de l'anglais est également constatée dans de nombreuses conférences
internationales, où la traduction simultanée n'est plus proposée : l’anglais est devenu
langue officielle (alors que ce n’était pas le cas il y a encore dix ans) et la lingua
franca ces dernières années, dans de nombreuses disciplines.
Il s’avère que les publications en pédopsychiatrie de langue française ont toujours
beaucoup d’impact dans plusieurs pays européens, en Afrique et, dans une moindre
mesure, en Amérique Latine. De plus, elles sont traduites dans d'autres langues. Par
exemple, plusieurs auteurs francophones sont bien connus en Amérique Latine grâce
aux traductions en espagnol, tels le Traité de Psychiatrie de l’enfant et
l'adolescent, de S. Lebovici, R. Diatkine et M. Soulé [18] ou leManuel de psychiatrie
de l’enfant de J. de Ajuriaguerra [1], et les travaux de F. Dolto sont connus depuis
longtemps au Mexique ou en Argentine. Or, autrefois, la plupart des textes médicaux
étaient édités en français, et les médecins recherchaient les sources françaises pour
étudier dans la plupart des champs de la médecine, y compris la psychiatrie. Les
manuels français d'anatomie, de physiologie, de pédiatrie, de médecine interne, etc.
étaient très influents en Amérique Latine, comme aussi les méthodes d'abord du
diagnostic et de traitement des patients. Depuis trente ou quarante ans, les choses ont
changé considérablement : les sources les plus influentes sont maintenant en anglais et
viennent essentiellement des Etats-Unis, mais aussi du Royaume-Uni.
La psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, il existe plusieurs journaux traitant de la psychiatrie de l'enfant et de
l'adolescent ou de la santé mentale (Journal of the American Academy of Child and
Adolescent Psychiatry, Archives of General Psychiatry, American Journal of
Psychiatry, par exemple) qui tendent à privilégier les études et les articles sur les
sujets suivants : neurochimie, neuro-imagerie, effets des médicaments, génétique et
repères biochimiques des troubles, ainsi que quelques travaux épidémiologiques.
Récemment, plusieurs journaux ont publié des descriptions basées sur du matériel
clinique, des cas atypiques ou donnant des éclairages particuliers, mais de façon très
brève.
La teneur générale des journaux les plus influents est en faveur d’une tendance «
homogénéisante » se rapportant à des groupes de patients (parfois très nombreux), et
orientée vers des paramètres empiriques et numériques. Dans l'ensemble normalisé de
mesures où la préférence va aux outils de validation des diagnostics et de test des
traitements, priorité est généralement donnée aux nombres, aux paramètres
statistiques et à l'empirisme [9] car, dans de nombreux champs de la médecine, y
compris la psychiatrie, il y a un grand intérêt pour les approches « basées sur la
preuve » (evidence-based medecine).
Que peut offrir la pédopsychiatrie francophone ?
Nous pensons que, pour faire connaître notre discipline, il faut continuer à publier des
articles de neurochimie, de psychopharmacologie, des études de neuro-imagerie et des
résultats biologiques en général. Une approche empirique et « homogénéisante » est
nécessaire pour compiler les informations sur de nombreux patients et pour
comprendre le début des troubles, l’évolution clinique et la réponse au traitement. En
outre, les outils diagnostiques « basés sur la preuve » et les approches de traitements
biologiques sont nécessaires et bienvenus. En effet, cette tendance est de plus en plus
fréquente dans beaucoup des pays, y compris en France. Cependant, il y aurait danger
à ce que cette démarche devienne exclusive de toute autre pour étudier le cas des
enfants, leur douleur morale, les familles. Nous pensons que ces travaux contribueront
à développer la discipline psychiatrique mais que d'autres points de vue sont
également nécessaires.
Ce qui apparaît comme « science pure » peut présenter plusieurs inconvénients,
notamment en pédopsychiatrie où elle est beaucoup pratiquée. Par exemple, la façon
actuelle d'étudier les troubles cognitifs et comportementaux peut être facilement «
débordée » pour catégoriser les patients ou pour cadrer la prise en charge financière
du diagnostic et du traitement. Aux USA, des limites -directement empruntées à la
production dans l’industrie- sont souvent appliquées à la pratique de la psychiatrie.
Par exemple, le clinicien qui passe le moins de temps pour diagnostiquer ou pour
traiter des patients est déclaré comme le plus «productif ». La durée d’hospitalisation
(toujours très bréve) d’un adolescent suicidaire est calculée en se basant sur des
statistiques ; sinon, le cas est considéré comme « sortant » de la normalité. Le
psychiatre qui garde un patient « un certain temps », peut être considéré comme un
dépensier excessif. Il s’agit là d’exemples tendant à limiter la pratique de la médecine
et de la pédopsychiatrie, et à contraindre à un ensemble de procédures normalisées et
de techniques uniformément applicables à tous les patients.
Dans ce contexte, nous voyons ce que l'approche traditionnelle des cliniciens français
(et d'autres pays) peut offrir à notre discipline. Nous nous proposons d’en souligner
quelques caractéristiques.
L'importance de la phénoménologie et de l'expérience personnelle.
A la suite de nos échanges avec nos collègues francophones, de leurs présentations
scientifiques et de leurs publications, nous constatons que les cliniciens s’intéressent
beaucoup à l'expérience du patient, de ses problèmes et de sa vie intérieure comme
sujet (qu’il s’agisse d’un enfant ou, même, d’un enfant en bas âge).
Traditionnellement, les cliniciens français ont fourni des observations de cas très
détaillées avec le compte rendu de leur évolution, de leurs perceptions et émotions
personnelles, comme en témoignent maintes vignettes cliniques.
L'expérience personnelle est analysée soigneusement : si cette tendance peut sembler
naturelle aux cliniciens de langue française, elle peut aussi étonner les psychiatres des
Etats-Unis. Pour beaucoup de psychiatres d'enfants en bas âge aux USA, les troubles «
émotifs » sont la plupart du temps une collection de symptômes (critères
diagnostiques) qui mène à un diagnostic et à une prescription de traitement.
Progressivement, l'intérêt pour la vie intérieure de l’enfant et pour la compréhension
clinique et profonde de sa personnalité est perdu de vue, de même que la souffrance
chez l'enfant et sa famille.
Aux Etats-Unis, beaucoup de psychiatres d’enfants sont formés à l’aide de
programmes de pédopsychiatrie qui tous mettent l’accent sur le diagnostic des
troubles selon des règles « homogénéisantes », comme avec le DSM IV. Ainsi, les
cliniciens ont un intérêt particulier à trouver les « critères diagnostiques » de certains
troubles. Beaucoup de psychiatres d'enfants ne savent pas comment conduire des
entretiens avec les enfants pour évoquer leur expérience intérieure, et ne s’intéressent
qu’aux symptômes, leur sévérité, leur fréquence et leur coexistence avec d'autres
symptômes.
Une fois que le clinicien est assuré du trouble spécifique de son patient, il peut se
rassurer en prescrivant un traitement. Après avoir posé un diagnostic, il peut
facilement ne pas prendre en compte ses propres réactions au patient et à la famille
(ne rien savoir de son contre-transfert, et encore moins l’utiliser dans la
compréhension ou le traitement de l'enfant) car cela ne lui a pas été enseigné. En
revanche, dans la plupart des articles scientifiques francophones, il est fait état des
expériences, des perceptions et des conditions particulières qui ont fait que l'enfant ou
l'adolescent est arrivé à la situation en cours. C'est un aspect des choses qui devrait
être évalué et privilégié, car il n’est pas seulement anecdotique. Les cas cliniques
individuels aident souvent à comprendre de nouveaux phénomènes, de nouvelles
combinaisons, certains pièges de la psychopathologie des patients. Si la psychiatrie ne
se composait que de collections de patients tous « identiques », elle ne pourrait pas
découvrir les nouveaux phénomènes qui ne se dévoilent qu’au cours de l’observation
soigneuse de l’histoire personnelle du patient. Le travail de Lenore Terr en témoigne :
avant ses découvertes, on pensait que les enfants étaient relativement imperméables
aux expériences traumatiques. Ses interviews d’un nombre restreint de patients (par
exemple, les enfants de Chowchilla) [26, 27, 28] en écoutant en détail leurs
expériences personnelles, sans méthodes statistiques, lui ont permis de décrire des
phénomènes post-traumatiques inconnus jusqu’alors.
Perspective psychodynamique et l'Inconscient
Au cours d’une entrevue récente [16], il avait été demandé à Serge Lebovici ce que
signifiait pour lui « être français » et si cela avait des conséquences sur son travail. Il
avait répondu que c’était très important, parce que les Français avaient maintenu
vivant l'esprit de la psychanalyse. La perspective psychodynamique paraît très
importante aux pédopsychiatres francophones alors que, dans de nombreux pays, en
particulier aux USA, elle est de plus en plus rare et parfois même difficile à
comprendre. Il est vrai que, dans le passé, des auteurs ont avancé à ce sujet des
affirmations qui semblaient universelles et applicables à tout patient, mais qui se sont
révélées fausses. Cette approche psychodynamique erronée et trompeuse a été
abandonnée, dans l'intérêt d’un « plus » scientifique et d’une approche empirique.
C'est très dommage. Aux Etats-Unis, certains psychiatres ne traitent les enfants et les
adolescents que de façon réductionniste, comme s’il s’agissait d’une perturbation du
cerveau ou d’un déséquilibre métabolique à corriger avec des médicaments. La
psychiatrie française n'a, elle, pas abandonné l’idée que, sans négliger le rôle des
neurotransmetteurs ni celui du cerveau, l’écoute du sujet lui-même reste primordiale.
Dans les centres d’étude où la psychiatrie psychodynamique a été abandonnée, les
collègues ne savent plus traiter que les symptômes (pas le sujet) et avec des outils très
limités, sans aucune formation à la psychothérapie ou, à peine, aux approches
psychologiques.
Si certaines affirmations faites autrefois par des psychanalystes à propos de l’autisme,
des troubles psychosomatiques, du rôle de la mère dans les troubles mentaux chez
l’enfant, étaient fausses, on ne peut pour autant rejeter toutes les conceptions
psychodynamiques, tels les mécanismes de défense des enfants (même ceux en très
bas âge) [6], le concept du conflit interne cause de la souffrance, l'importance de
l’attachement [2, 3, 11, 20, 22, 29] qui aident à comprendre les enfants et leurs
familles. Les thèmes de la transmission transgénérationable non résolue [14], les
interactions fantasmatiques [13, 15] et l'importance des premières expériences de la
vie [12, 24, 25] sont extrêmement importantes pour la compréhension et le travail
clinique avec les enfants et leurs familles. Ces concepts sont peu à peu écartés, jamais
enseignés ni utilisés dans les programmes de formation en pédopsychiatrie. C’est le
travail clinique et les articles de nombreux auteurs, dont beaucoup sont Français, qui
maintiennent ces thèmes vivants et favorisent le développement de notre discipline.
Santé publique et perspectives sociales
Il semble qu’en France comme dans d’autres pays européens, la pédopsychiatrie est
encore pratiquée dans le secteur public, ou dans des centres financés en partie par des
fonds privés à but non lucratif. En conséquence, l'impact des contraintes économiques
sur cette partie de la médecine a été moins négatif et moins grave qu’aux Etats-Unis
où la psychiatrie de l'enfant en secteur public est limitée à la recherche permanente
des interventions les plus économiques, les plus brèves et les plus efficaces possibles.
La pédopsychiatrie de consultation-liaison est laminée par les pressions économiques,
ce qui, la plupart du temps, la contraint à ne recevoir les patients qu’en état de crise,
sans possibilité de collaboration avec d'autres spécialités médicales.
Le financement de la pédopsychiatrie provient, pour une large part, de fonds fournis
par des compagnies d'assurance privées, qui imposent les pratiques, telle la nécessité «
de justifier » un diagnostic à partir des comportements observables et des plaintes du
patient, avec l’obligation d’interventions thérapeutiques très brèves et d’objectifs
comportementaux clairs et mesurables. La plupart du temps, les pédopsychiatres ne
voient les patients que lorsqu'ils manifestent des troubles graves, soit à un niveau
secondaire ou tertiaire des soins cliniques. En raison de ces contraintes économiques,
il n’y a que très peu d’actions de prévention, de promotion de la santé mentale ou la
détection précoce. Beaucoup d'enfants ne sont pas assurés et n'ont donc aucun accès
aux services de santé [7, 23]. Aussi lorsqu’ils ont des comportements violents ou une
conduite asociale, ils sont traités par la justice plutôt qu’en médecine, ce qui entraîne
la plupart du temps sanctions et emprisonnement, et non des projets de réadaptation
[10].
En bref, il semble que la pédopsychiatrie a su, en France, maintenir le « luxe » que
représente le respect de l'individu, de la famille, du droit à la santé, et de l'engagement
du système social à prendre en charge ses citoyens les plus vulnérables. Peut-être estce une spécificité culturelle de la France et d'autres pays européens favorisant
l’attention portée au contexte social et culturel des enfants ? [21]. Les auteurs
francophones ne s’intéressent pas au patient pris isolément, mais le resituent dans son
milieu social et culturel.
Après avoir souligné ces aspects positifs des contributions d’auteurs et de collègues
francophones, nous voudrions évoquer aussi des aspects plus problématiques.
Récits de cas cliniques
Paradoxalement, ce modèle de prise en charge clinique pose aussi la question de
savoir ce qu’on peut attendre d'une série de monographies ? Si la plupart des articles
se réfèrent à des situations individuelles, comment peut-on extrapoler et généraliser ?
Si on n’accepte pas d’aller au-delà des cas individuels pour étudier et utiliser aussi des
données statistiques (par exemple les symptômes, les troubles psychosociaux, la
qualité de vie, etc...), notre discipline ne pourra pas avancer sur la compréhension de
certaines questions, comme celles de l’âge habituel du début des troubles, de leur
déroulement clinique, des réponses de traitement possibles. De telles études seraient
impossibles si le clinicien devait affronter, avec chaque patient, des phénomènes
chaque fois nouveaux. À notre avis, cette position n’est pas souhaitable. Les données
d’études épidémiologiques ou de groupes de patients aident le clinicien à traiter les
cas individuels, tant dans ses explorations diagnostiques que ses recommandations de
traitement. Bien que chaque patient soit un cas particulier, il peut aussi présenter assez
de similitudes avec d'autres, pour supposer que ceux-ci ont des caractéristiques
communes qu’il est instructif d’étudier.
Le modèle narratif
Beaucoup d'articles sont rédigés sur un modèle narratif et détaillé : aussi sont-ils longs
et parfois ennuyeux. Aux Etats-Unis, comme ailleurs, les cliniciens sont très occupés
et souhaitent des informations brèves leur donnant accès à un maximum
d'informations et de connaissances en un minimum de temps. Par exemple, un modèle
« narratif » qui ne souligne pas les points principaux, n’utilise pas des phrases brèves
et très organisées, peut décourager le lecteur potentiel car celui-ci doit alors investir
un temps précieux pour acquérir une quantité inconnue de connaissance. Aux EtatsUnis, de nombreux journaux imposent à leurs auteurs un modèle particulier d'écriture
(par exemple, American Psychological Association style, Chicago style, etc.) :
concision, phrases courtes et plan strict. Les récits plus traditionnels et les narrations
détaillés ne répondent pas à ces exigences de temps et d’espace (on peut se demander
si le récit détaillé de Freud « L'homme aux rats » aurait jamais pu être édité dans un
journal anglais et y trouver un large impact). En bref, une écriture évocatrice,
élégante, descriptive et détaillée n’est pas pratique pour le clinicien qui veut connaître
rapidement les objectifs et le contenu de l'article avant de se décider à le lire
complètement ou non. À notre avis, il ne faudrait pas que tous les journaux et articles
scientifiques répondent aux mêmes modèles d'écriture et de format, mais ils doivent
être adaptés aux exigences actuelles de concision et de temps.
La connaissance basée sur des cas individuels
La connaissance à partir de cas individuels est une autre possibilité de faiblesse
potentielle : croire qu'on connaît les caractéristiques de certains troubles, à partir
d’une expérience clinique individuelle, telle par exemple la conviction de savoir
pourquoi un patient fait ou sent quelque chose (c’est-à-dire la signification des
symptômes et leur étiologie). En principe, ces hypothèses au sujet d'un patient (ou
d'un ensemble de patients) devraient être des outils temporaires pour un début de
compréhension. Cependant, les hypothèses deviennent facilement des vérités parce
qu'elles donnent l’apparence de certitudes, éliminant l'inconnu et l'ambiguïté.
L’empirisme pratiqué au Royaume-Uni ou aux USA fait que le praticien ne sait pas
pourquoi son patient fait ceci ou cela, ni pourquoi il (ou elle) a tel symptôme. Il ne
peut pas répondre avant d’avoir étudié la question de façon approfondie. En
psychiatrie psychodynamique, les hypothèses sont transformés en vérités depuis
toujours, et ces vérités ne peuvent pas être facilement contredites. Il y a longtemps,
lorsqu’un étudiant en psychanalyse interrogeait un enseignant ou contredisait un
professeur à propos de certaines de ses affirmations, il prenait le risque de se voir
répondre qu’il (ou elle) posait cette question en raison de ses propres conflits
intérieurs, et pas pour des raisons objectives. Encore récemment, on croyait (dans les
groupes psychodynamiques) que les symptômes représentaient des mécanismes de
défense créés par le patient, et que le but du traitement n'était jamais de les éliminer
car cela aurait risqué d’entraîner des difficultés nouvelles. Sans empirisme, la
pédopsychiatrie serait entièrement à la merci des maîtres qui ne pourraient être
interrogés ni contredits puisqu’ils « savent » toujours beaucoup plus que les étudiants.
La contribution de l'enfant à ses problèmes
Nous souhaitons faire une dernière remarque sur la tendance à dire que les difficultés
comportementales d’un enfant découlent des conflits intérieurs de ses parents ou des
interactions pathologiques entre ses parents et lui. Par exemple, aujourd'hui encore
quelques publications en français [8] exposent que le désordre autistique chez l’enfant
est le résultat d'un mécanisme massif de défense provoqué par le rejet maternel. Ceci
résulte de la polarisation vers une pensée étiologique (savoir pourquoi les choses sont
comme elles sont) et aussi de la réduction des difficultés de l’enfant. Au cours de
plusieurs échanges avec des collègues français, nous avons été impressionnés par leur
observation minutieuse de l'ambivalence, de la froideur, ou même du rejet de parents
vis-à-vis de leur enfant, sans sembler envisager que l’enfant joue lui-même un rôle
dans ces interactions pathologiques. Mais un parent n’est-il pas moins emphatique ou
moins patient quand un enfant est très difficile, agressif, provoquant ou inattentif ? La
pensée étiologique obscurcit parfois l'observation [19]. Lorsqu’un parent est moins
sensible à son enfant, cela peut être réciproque : le parent influence son enfant et viceversa. Cependant, une recherche plus complexe de la causalité tiendrait compte des
interactions et du rôle de l'enfant dans cette situation. Etudier le comportement de
l'enfant est intéressant pour comprendre les défis qu’il lance pour se satisfaire, pour se
concentrer, pour avoir des interactions positives, ou pour coopérer avec d'autres.
Lorsque ceci est apprécié exactement, la thérapie peut se consacrer davantage à aider
l’enfant à dépasser certains obstacles (et également aider les parents à participer aux
efforts de leur enfant, sans se sentir culpabilisés).
Une synthèse est-elle possible ?
Nous avons essayé de préciser certains des aspects positifs et des faiblesses des «
écoles » de pédopsychiatrie et des modalités de pratique clinique, dans des pays et des
milieux culturels divers. Une question reste ouverte, celle de savoir si les traditions
peuvent s’enseigner les unes les autres. Nous pensons que oui. Un moyen serait
d’échanger expériences et études, et d’en faire la critique mutuelle. Il est important
que les membres de différentes « écoles » se respectent et évaluent la spécificité et les
aspects positifs d’autres modèles en recherchant des moyens d’études pour remédier à
leurs manques et leurs faiblesses. Les traditions sont très importantes et l’empirisme
d’une école de pensée n’est pas souhaitable, alors même que l’enrichissement mutuel
est possible dans un contexte de partage et d’échanges.
Une autre possibilité serait la publication simultanée de textes bilingues dans des
journaux francophones. Cela permettrait aux collègues des pays anglophones de
connaître d’autres contributions et tendances en pédopsychiatrie. Beaucoup de
psychiatres aux Etats-Unis sont désireux d’en savoir plus sur les différentes approches
de la psychiatrie en France et dans les pays francophones.
J-M. M., L. H.
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