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XVème Conférence Internationale de Management Stratégique, Annecy / Genève 13-16 Juin 2006
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Coopération interentreprises, système d’information et
renouvellement de l’attention organisationnelle
Inter-firm cooperation, information systems and the
renewal of organizational attention
Serge AMABILE
Maître de Conférences en Sciences de Gestion
Chercheur au GREQAM (UMR CNRS) - Université P. Cézanne
Responsable de l’option système d'information du MASTER Recherche du GREFI
15 Allée Forbin - 13627 Aix-en-Provence Cedex
Martine GADILLE
GREDEG (UMR CNRS, Nice)
250 rue A. Einstein, Sophia Antipolis
06560 Valbonne
Serge Amabile est Maître de Conférences en Sciences de Gestion à l’Université Paul Cézanne d’Aix-
Marseille, membre du GREQAM (UMR CNRS). Responsable de la coordination des enseignements
en gestion du MASTER Miage et de l’option système d'information du Master Recherche du GREFI,
il enseigne la stratégie et les systèmes d'information dans les organisations. Ses recherches portent
principalement sur le Management des Technologies de l’Information et sur l’ingénierie des systèmes
de veille stratégique ; sur ces thèmes, il est auteur de plusieurs publications dans des revues telles que
Systèmes d’Information et Management, Finance-Contrôle-Stratégie,Revue Internationale des PME
et Sciences de la Société.
Martine Gadille est chargée de recherche en Economie et Gestion au CNRS (GREDEG, Université
de Nice-Sophia Antipolis). Ses recherches portent sur les processus de diffusion et d’appropriation des
technologies de l’information et de la communication dans une perspective de théorie des
organisations et de comparaisons internationales. Les principales revues qui ont supporté ses
publications sont : Revue Française de Gestion, Finance-Contrôle-Stratégie, Réseaux, Revue
Internationale des PME, Economie Appliquée.
Résumé
En mobilisant les notions « d’attention » et « d’apprentissages », le projet de cet article est de
comprendre comment, à partir de la création commune d’un système informatisé d’échanges
de données, des mutuelles d’assurance automobile ont construit un « réseau d’attention
interorganisationnel », support d’échanges d’informations et de connaissances. Nous
montrons, en particulier, que ce réseau est à la fois inscrit dans un processus historique de
coopération entre ces mutuelles et résulte d’apprentissages liés à la mise en commun du
système d’échanges de données.
Mots clés : coopération, attention, système d'information, réseau, apprentissages
Abstract
Relying on the notions of “attention” and “learning”, the main purpose of this paper is to
understand how a cooperation process initialized through an electronic data interchange
system turned out into an “inter-organizational attention network”. We show that this
attention network is both based on a historical process of cooperation and results from
organizational learning supported by a collective management of the data exchange system.
Key words: cooperation, attention, information system, network, learning
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Introduction
Reconnaissant l’intérêt de la coopération interorganisationnelle dans la construction
d’avantages concurrentiels, de nombreuses recherches en sciences de gestion ainsi qu’en
économie industrielle, s’efforcent de conceptualiser les relations de coopération entre
différentes entreprises. De façon consensuelle, ces recherches mettent en évidence la nature
particulière et distinctive du phénomène de coopération interentreprises. Elles invitent à
penser l’organisation industrielle comme une diversité de formes organisationnelles
auxquelles appartiennent le marché et l’organisation hiérarchique (Richardson, 1972). Ainsi,
l’approche par les coûts de transaction, mobilisée en économie et en gestion, propose de
théoriser l’entreprise coopérant selon une conception contractuelle de l’organisation des
activités productives. Elle permet de comprendre pourquoi, dans une logique de réduction des
coûts de transaction, la coopération peut être plus intéressante que la non coopération (par
exemple, partager les coûts d’une structure d’embauche ou des coûts - en partie
irrécouvrables - d’une prise de risque en recherche et développement). Se distinguant de cette
approche, d’autres travaux inscrivent la coopération dans un cadre d’analyse accordant la
primauté à la division du travail entre organisations et au besoin de coordonner leurs activités
(Ravix, 1996). Un troisième courant s’intéresse plus à la coopération comme mise en commun
de compétences, de savoirs et d’informations. Dans ce type de processus, il s’agit de travailler
ensemble à la réalisation de quelque chose qui n’est pas complètement prédéterminé ou
prédéfini (de Bandt, 1996). C’est au cœur de ce courant que la coopération peut être vue
comme une forme d’apprentissage collectif, permettant de transformer les savoirs internes et
les processus de décision dans les organisations concernées. Dans ce cas, la coopération est
constitutive d’une fonction organique commune à celles-ci, transformant les capacités
cognitives et stratégiques de leurs acteurs. Cette forme de coopération peut jouer directement
sur les capacités d’adaptation des entreprises à travers le processus de prise de décision
stratégique. Nous proposons donc de montrer comment un dispositif de mutualisation d’un
système d'information (SI) peut être à la source d’apprentissages collectifs constitutifs d’un
réseau d’attention interorganisationnel, lui-même susceptible de renforcer la coopération
initiale.
En première partie, nous précisons la notion d’attention en relation avec les enjeux des SI ;
nous présentons également les raisons pour lesquelles des relations interorganisationnelles
peuvent renouveler, à partir d’apprentissages collectifs, les savoirs et la capacité d’attention
des acteurs concernés. Dans la seconde partie, le cas historique des mutuelles d’assurance
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automobile permet d’illustrer ce modèle théorique en explicitant comment un réseau
d’attention interorganisationnel peut émerger d’un processus coopératif et le renforcer.
1. ATTENTION, COOPERATION ET APPRENTISSAGES COLLECTIFS : ENJEUX
AUTOUR DES SYSTEMES D’INFORMATION
Le problème de la gestion des SI en relation avec la gestion de la capacité d’attention des
acteurs occupe une place importante dans les sciences de Gestion dès lors que l’on s’intéresse
aux processus d’information et de décision (March et Simon, 1991). En relation avec cette
préoccupation, un enjeu fondamental de la coopération entre entreprises, a priori
concurrentes, peut être alors d’inscrire certains processus de décisions stratégiques dans le
partage d’informations comme dans la création de sens autour de ces informations.
Cependant, une telle capacité de coopération n’est pas donnée a priori mais se renforce à
travers des apprentissages collectifs. Nous proposons d’étudier les conditions théoriques de
réalisation de ces derniers.
1.1 SI, ATTENTION ET AMBIGUITE DES APPRENTISSAGES
1.1.1 La notion d’attention pour inscrire les SI dans une rationalité procédurale
Selon Simon (1983), une des tâches essentielles de la science et de la technologie est de
concevoir « des systèmes efficaces de traitement de l’information » supportant la prise de
décision dans les entreprises ou les administrations. Néanmoins, l’efficacité avec laquelle
l’automatisation permettra de traiter des problèmes d’organisation dépendra de la capacité des
hommes à traiter ces problèmes et à prendre des décisions pertinentes (Simon, 1983). Cyert et
March (2001) précise qu’il s’agit d’éviter, surtout dans le cas d’oligopoles, les incertitudes de
la concurrence et des marchés en développant des SI qui substituent aux prévisions la
connaissance directe. Pour ces auteurs, la concurrence imparfaite se caractériserait même par
la possibilité que les firmes s’adaptent en développant des procédures pour partager leurs
informations internes.
Partant de ces prémisses, la notion d’attention telle qu’elle est développée dans les travaux de
Simon (1983) et de March (1991a) apparaît être associée à une hypothèse fondamentale selon
laquelle les systèmes informatiques ne peuvent être des solutions en soi pour orienter de façon
pertinente la prise de décision dans le cadre de l’exercice de rationalités limitées. La quantité
et la qualité de l’information ne sont donc pas des ressources critiques, comparés à l’attention
des acteurs individuels ou collectifs, vue comme un élément structurant la définition de
situations et la prise de décision dans les organisations. Selon Simon, non seulement
l’attention peut être tenue comme le principal goulet d’étranglement de l’activité
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organisationnelle mais, en outre, ce goulet devient de plus en plus étroit à mesure que l’on
s’approche du sommet hiérarchique des organisations. A ce niveau, il devient plus difficile de
« compter sur une capacité de traitement parallèle sans compromettre la fonction de
coordination qui est précisément la fonction première de ces instances » (Simon 1983,
p. 264). En s’adressant aux ingénieurs informaticiens contemporains, fascinés par la
technologie et enclin à penser que la masse d’information collectée pouvait être déterminante
pour la prise de décision, Simon soulignait que la présence d’une masse de données n’était
pas une raison suffisante pour les réunir en un seul système central d’information. Cette
remarque était d’autant plus justifiée que la prise de décision au niveau central pouvait
reposer en majeure partie sur des informations externes, ce qui posait, entre autres choses, le
problème de l’accès à ces informations au moyen des ordinateurs (problème, aujourd’hui
résolu d’un point de vue technique). Par conséquent, l’analyse du système de décision devait
être privilégiée relativement à celle du système d'information.
De tels propos restent d’actualité tout comme la notion d’attention qui a permis à ses auteurs
de signifier que la prise de décision pertinente résulte d’une construction sociale de la capacité
des acteurs à sélectionner et traiter l’information quel que soit le système informatique à
l’œuvre.
Nous proposons d’expliciter plus finement ce point de vue dans les paragraphes suivants.
1.1.2 Attention organisationnelle, capacités cognitives et division du travail
L’étude des mécanismes, qui influenceraient l’orientation de l’attention et les décisions d’une
unité organisationnelle subalterne, semble pertinente dans la mesure où elle semble applicable
à n’importe quel niveau hiérarchique de l’organisation (March et Simon, 1991). Ces
mécanismes sont au nombre de trois. En les évoquant, nous expliciterons comment ils
participent au renforcement ou à la construction de l’attention dans les organisations.
Tout d’abord, le processus de cognition et les affects des individus conduiraient à un
renforcement entre des perceptions initiales liées aux connaissances déjà acquises et une
rationalisation sélective des informations collectées et reçues. Ce processus engendrerait une
inclination des individus à s’arrêter aux objets qui cadrent avec leur schéma de référence et
leurs préférences.
Ensuite, un renforcement mutuel des attentions individuelles s’opérerait au niveau de l’unité
organisationnelle ou du groupe professionnel, à travers la communication dans l’unité ou le
groupe. Par conséquent, les connaissances des individus résulteraient aussi de rationalisations
sélectives déjà effectuées par d’autres collègues et transmises par les canaux de
communication sociale. March et Simon parlent ainsi d’identifications organisationnelles et
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professionnelles qui semblent être les plus significatives dans les grandes organisations. La
notion de « foyers d’attention différenciés» souligne la tendance des acteurs d’un service, se
concentrant sur leur mission, à développer une attention en priorité liée à la résolution de
problèmes propres au service. Cependant, nous pouvons concevoir que ces attentions, pouvant
se révéler en contradiction avec les objectifs globaux de l'organisation, puissent aussi
contribuer au renouvellement et à la diversité de la capacité d’attention globale de
l'organisation.
Enfin, ces auteurs postulent que la construction de l’attention est intrinsèquement liée à la
forme de division du travail et de spécialisation des tâches à l’œuvre. Ce troisième mécanisme
est fondamental. Tandis que les deux précédents expliquaient seulement le renforcement de
l’attention dans un sens donné, celui-ci permet aussi de comprendre comment se construit une
définition de situation particulière dans des espaces spécifiques. La division du travail et la
spécialisation conduisent à créer des objectifs différenciés autour desquels vont s’établir les
capacités d’attention des acteurs constituant ainsi des « foyers d’attention » diversifiés dans
l’organisation. En ce sens, « chacun voit une portion différente du monde » écriront Dearborn
et Simon (1958).
D’autres auteurs précisent que la définition de la situation et l’orientation de l’attention de
l'organisation prend simultanément appuie sur la construction des acteurs à travers une
division du travail et des relations sociales dépassant le niveau de l’entreprise (Maurice et al.,
1980 ; Gadille, 2005). Ce mécanisme implique que les organisations puissent être tenues pour
des systèmes susceptibles, selon le type de division du travail et de représentations,
d’uniformiser la capacité d’attention des acteurs ou des groupes d’acteurs par construction des
identités professionnelles et par contraintes hiérarchiques. Bettis et Prahalad (1994, p. 7)
écriront ainsi que « l’attention organisationnelle est focalisée sur les informations pertinentes
par rapport à la logique dominante. Pour une large part, les autres informations sont
ignorées ». Une telle organisation, en réduisant la diversité des attentions, peut favoriser, par
un champ d’attention restreint à celui de la coalition dominante dans l'organisation, les
processus d’exploitation au détriment des processus d’exploration. Un tel déséquilibre peut
nuire aux capacités d’innovation (March, 1991b).
1.1.3 La relation ambiguë entre attention et apprentissage
La notion d’attention permet de considérer que les préférences qui influencent les décisions,
se développent souvent au cours d’apprentissages et d’actions, voire de rationalisation a
posteriori, au sein des organisations (March, 1994). Cette perspective renvoie à la notion de
« construction d’acteur » en interdépendance avec des processus de socialisation et
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