COMPTES RENDUS 447
moral, mais inclut un savoir-faire technique, dans lequel le dialogue, la propagande ne
sont pas absents, particulièrement dans les périodes difficiles. Car la société, comme
l’écrit J. Krynen, n’est pas muette. Elle a de nombreux interprètes dans les suppliques,
les doléances continues des différents corps, des ordres. Au cœur de cet échange roi-sujet,
on trouve un esprit communautaire dont les composantes métaphoriques sont bien
connues par les travaux des historiens de langue anglaise, E. H. Kantorowicz et A. W.
Lewis!: le corps politique du roi, par exemple, à la fois archétype de la complexité de la
société et image des hiérarchies naturelles et de leur fonction. Mais également, le lien
entre les idées religieuses issues du Grand Schisme d’Occident (un parlement pour
l’Église – un simple clerc vaut un cardinal) et les positions des juristes et intellectuels
du XIVe siècle, a pour fondement essentiel Aristote et sa métaphysique du social qui fait
éclater le carcan d’une conception biblique et augustinienne de l’autorité. Jacques
Krynen, dans des pages très neuves et éclairantes, montre l’emprunt d’un vocabulaire que
l’on s’étonne de trouver en ces temps!: l’universitas civium, le populus, la communi-
catio civilis, le civis même.
Ces néologismes nombreux tirés de la Politique et de l’Éthique ont-ils eu un impact
sur le vocabulaire législatif, administratif, judiciaire!? Ce serait très intéressant de le vé-
rifier. Le sens du mot «!citoyen!», il est vrai, ne laisse toutefois pas penser à autre
chose que des «!gens sages, d’expérience!» et non à l’ensemble du peuple.
Ainsi, les intellectuels de la fin de la période médiévale, s’ils ne contestent pas les
structures sociales, les hiérarchies, entendent en corriger les défauts, les réformer. Ils ont
de nombreuses occasions de montrer qu’ils sont les porte-parole les plus influents des
intérêts de la communauté, surtout en temps de crises, comme ceux de l’Université de
Paris, durant les premières années du XVe siècle. On est ainsi en présence du véritable
avènement des «!publicistes!» et d’une littérature de droit public et politique qui connaît
un fulgurant essor dès les premières traductions des œuvres du Stagirite. Elles entraînent
une large adhésion à une conception naturaliste de la politique (Nicolas Oresme), pour-
tant bien peu utilisable par les clercs et peu applicable à l’autorité et au fonctionnement
de l’Église. Désormais commence une compétition de longue durée entre le clan des ju-
ristes et celui des philosophes, comme conseillers du Prince et qui est déterminante dans
la réflexion sur la couronne. Celle-ci est de moins en moins désignée comme le simple
emblème du Pouvoir, mais elle exprime un véritable «!transfert de la puissance dans
l’immuable, dans l’intemporel!». Cette abstraction décisive occupe une place fondamen-
tale dans la doctrine monarchique et accompagne des recherches de nature juridique pour
garantir l’État et sa continuité.
Enfin, c’est sur un substrat idéologique éthico-religieux (le ministère des rois parti-
cipe à l’œuvre rédemptrice du Christ), encore dominant au XIIIe siècle, que prend corps,
à côté de la conception aristotélicienne de l’État comme nécessité!naturelle et aussi
corrélativement à ce que, depuis Lagarde, on appelle la naissance de l’esprit laïque, une
sursacralisation du pouvoir royal. Le rex christianissimus des thuriféraires royaux est,
selon J. Krynen, un dogme officiel dès le XIVe siècle. Cette «!particularisation!» du
sacré, en même temps qu’elle donne des moyens politiques exceptionnels, fait de la reli-
gion et de l’Église un instrument de l’action royale et oriente incontestablement, sinon
la pratique, du moins l’idéologie officielle vers un absolutisme très précoce. Cette affir-
mation, très étayée, dans son contenu, sa problématique, et a contrario les dénonciations
et résistances (parfois convulsives comme au XVe siècle) dénonçant la potestas absoluta