biologie au quotidien Ann Biol Clin 2010 ; 68 (3) : 355-61 Méningites tuberculeuses : difficultés diagnostiques et thérapeutiques Tuberculous meningitis: diagnosis and therapeutic difficulties Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Frédéric Janvier1,2 Audrey Mérens1 Michel Fabre3 Hervé Delacour1,2 Christophe Pelletier4 Charles Soler3 Christophe Rapp2,5 Jean-Didier Cavallo1,2 1 Service de biologie médicale, Hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint Mandé <[email protected]> 2 Ecole du Val-de-Grâce, Paris 3 Service de biologie médicale, Hôpital d’instruction des armées Percy, Clamart 4 Service de réanimation, Hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint Mandé 6 Service des maladies infectieuses et tropicales, Hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint Mandé doi: 10.1684/abc.2010.0438 Article reçu le 13 novembre 2009, accepté le 11 décembre 2009 Résumé. En 2010, la tberculose demeure un problème de santé publique avec 9,2 millions de nouveaux cas et 1,7 million de décès par an dans le monde. La localisation méningée des infections à Mycobacterium du complexe tuberculosis est rare (0,5 à 1 % des cas), mais son pronostic est sévère. Tout retard diagnostique est source d’échec thérapeutique et de séquelles graves. Malgré les techniques actuelles de biologie moléculaire, le diagnostic étiologique reste un défi pour le biologiste. Nous rapportons deux observations de méningites tuberculeuses avec des présentations cliniques et biologiques différentes, illustrant les difficultés diagnostiques et thérapeutiques. Le premier cas retrace une co-infection tuberculose-virus de l’immnunodéficience humaine (VIH) et le deuxième une méningite tuberculeuse avec une souche multirésistante. Dans les deux cas, l’évolution a été péjorative avec lésions neurologiques majeures et décès. Les moyens diagnostiques à la disposition du biologiste sont exposés dans cet article. Mots clés : tuberculose méningée, diagnostic, traitement Abstract. Tuberculosis remains a public-health problem in 2010 with 9 millions cases and 1,7 million deaths worldwide each year. Tuberculosis meningitis is rare (0.5 to 1%) but is associated with high mortality and disability among survivors. An early starting of treatment is crucial. Despite molecular biology methods, microbiological diagnosis remains a challenge for the biologist. We report here 2 cases of tuberculous meningitis with different clinical and biological presentations, which underline diagnosis and therapeutic difficulties encountered in the management of this disease. The first one occurred in an HIV infected patient and the second one was caused by a multidrugresistant strain. Clinical issues were severe with important neurological residual disability and death. Biological methods available for tuberculous meningitis diagnosis are exposed. Key words: tuberculosis, meningitis, diagnosis, treatment En 2010, la tuberculose demeure un problème de santé publique avec 9,2 millions de nouveaux cas et 1,7 million de décès par an dans le monde. Cette maladie bactérienne, endémique dans les pays en développement fortement touchés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), n’épargne pas la France avec environ 5 500 cas déclarés par an, soit une incidence globale de 8,9 cas pour 100 000 habitants [1]. Il existe de fortes disparités Ann Biol Clin, vol. 68, no 3, mai-juin 2010 avec des incidences élevées chez les migrants et les personnes résidant en Ile de France ou en Guyane. L’infection, causée par une mycobactérie du complexe tuberculosis, touche tous les organes richement vascularisés et principalement les poumons, le foie, la rate, les reins et les méninges. L’atteinte du système nerveux central (SNC) est une des expressions les plus sévères de la maladie pour laquelle le retard diagnostique est 355 biologie au quotidien Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. source d’échec thérapeutique et de séquelles graves. En France, les formes méningées n’ont représenté que 85 cas en 2007, soit 1,5 % [1]. Du fait de leur rareté, de leur insidiosité et de leur polymorphisme clinique, le diagnostic de certitude demeure un défi pour le biologiste et le clinicien. Dans cet article, nous illustrerons ces difficultés à travers deux cas de méningites tuberculeuses et nous évaluerons les moyens diagnostiques disponibles pour le clinicien et le biologiste en 2009. Première observation Madame D., âgée de 36 ans, d’origine camerounaise, sans antécédent, réside en France depuis 2 ans. Elle est rapatriée du Cameroun, où elle était en voyage, pour un coma fébrile d’installation progressive. À l’admission, elle présente un score de Glasgow à 10, une raideur de la nuque, des pupilles réactives, symétriques et une hyperthermie à 38 °C. Les examens cardiovasculaire, pulmonaire, digestif ne sont pas contributifs et il n’existe pas de purpura. Les bilans hématologique et biochimique objectivent une lymphopénie (0,79 G/L) et un état inflammatoire (CRP : 60 mg/L). La recherche de Plasmodium (frottis sanguin, goutte épaisse, technique immunochromatographique) est négative. La ponction lombaire réalisée en urgence met en évidence un liquide céphalorachidien (LCR) trouble, hypercelluaire (1 750/mm3) avec une formule panachée (66 % de lymphocytes et 34 % de polynucléaires neutrophiles [PNN]), une hyperprotéinorachie (7,2 g/L), une hypoglycorachie (2,3 mmol/L) pour une glycémie (7,2 mmol/L) et une hypochlorurorachie (102 mmol/L). Les examens directs après coloration de Gram et à l’encre de Chine sont négatifs. La recherche de virus Herpes Simplex (HSV) de type 1 et 2 par PCR en temps réel est négative (LC HSV 1/2 Qual Kit®, Roche) ; la sérologie VIH est positive. L’IRM cérébrale montre une prise de contraste leptoméningée associée à une hydrocéphalie majeure sans lésion focale intracérébrale. Chez cette patiente infectée par le VIH, originaire d’Afrique subsaharienne, la découverte d’une méningite à formule panachée nous incite à rechercher une méningoencéphalite tuberculeuse. L’examen direct prolongé (30 minutes) après coloration de Ziehl-Neelsen révèle la présence de très rares bacilles acido-alcoolo résistants (BAAR) (1 pour 100 champs). L’adénosine désaminase (ADA) est élevée : 30 U/L (N < 1,5 U/L). La PCR en temps réel sur LCR est positive et confirme l’appartenance au complexe tuberculosis (Artus® Mycobac. diff. LC PCR kit). Les cultures sur milieu de Löwenstein-Jensen (positives à J25) ont permis d’identifier Mycobacterium africanum. L’antibiogramme retrouve une souche sensible aux antituberculeux de première ligne. 356 Il s’agit donc d’une méningoencéphalite tuberculeuse révélatrice d’une infection par le VIH au stade C3 (sida), avec des lymphocytes T CD4+ à 68/mm3. La charge virale VIH-1 sérique est mesurée à 22 400 copies/mL (4,35 log 10). En dépit de l’instauration d’une quadrithérapie antituberculeuse par isoniazide (INH), rifampicine (RMP), éthambutol (EMB) et pyrazinamide (PZA) associée à une trithérapie antirétrovirale (emtricitabine, ténofovir, éfavirenz) bien conduite, l’évolution à 1 an est péjorative avec la persistance d’une tétraparésie, d’une hydrocéphalie nécessitant une dérivation, d’un état pauci-relationnel et de complications liées à l’alitement prolongé. La patiente décède un an et demi plus tard de sepsis. Seconde observation Monsieur K., âgé de 32 ans, originaire du Mali et résidant en France depuis 1999, consulte pour des céphalées frontooccipitales, une insomnie et de la fièvre, évoluant depuis 7 jours. Il ne rapporte aucun antécédent médical particulier. L’examen clinique retrouve une fièvre associée à une agitation et une désorientation temporospatiale. Il n’y a pas de raideur méningée ni de signes neurologiques focaux. Le reste de l’examen clinique est sans particularité. Sur le plan biologique, on note une hyponatrémie (127 mmol/L). L’examen du LCR révèle une hypercellularité avec une formule panachée à prédominance lymphocytaire (610 éléments/mm3, 77 % de lymphocytes, 23 % de PNN), une hyperprotéinorachie (1,81 g/L), une hypoglycorachie (1,4 mmol/L pour une glycémie à 2,2 mmol/L) et une hypochlorurorachie (112 mmol/L). L’examen direct des colorations de Gram, à l’auramine et de Ziehl-Neelsen est négatif ainsi que les PCR « mycobactéries » (Artus® Mycobac. diff. LC PCR kit). L’apparition de convulsions justifie la mise sous ventilation mécanique associée à un traitement probabiliste par aciclovir. L’IRM cérébrale confirme la présence de multiples lésions punctiformes corticales et sous-corticales se rehaussant en T1 après injection de gadolinium. La PCR à la recherche des virus HSV1 et HSV2 est négative. Le bilan d’extension révèle un infiltrat micronodulaire et des nodules excavés sur le scanner thoracique. La sérologie VIH est négative. L’ADA dans le LCR est élevée : 11 UI/L, ainsi que la concentration de l’interféron gamma 4,1 UI/mL (N < 0,35, QuantiFERON-TB Gold In Tube®). L’ensemble de ces données est fortement évocateur d’infection tuberculeuse et motive la mise en place rapide d’une quadrithérapie anti-tuberculeuse. Les cultures se positivent au 30e jour (6 colonies/tube). Les techniques de biologie moléculaire confirment la présence de Mycobacterium du complexe tuberculosis Ann Biol Clin, vol. 68, no 3, mai-juin 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Difficultés diagnostiques et thérapeutiques des méningites tuberculeuses (AccuProbe®, Gen-probe, bioMérieux). L’analyse des mutations des gènes rpoB et katG (Genotype MTDRplus®, Hain-diagnostika) permet de classer cette souche en multirésistante (résistance RMP et INH). Le schéma thérapeutique est alors modifié avec un arrêt de l’INH et de la RMP. Le PZA est poursuivi en association avec la lévofloxacine, l’éthionamide, le linézolide et l’amikacine. L’évolution initiale du patient est marquée par la persistance d’un syndrome confusionnel, d’une comitialité, de troubles de déglutition et de lésions nodulaires sur l’IRM cérébrale. Le patient décède au 3e mois dans les suites d’une hémorragie cérébrale. Le point de vue du biologiste Le diagnostic de tuberculose neuroméningée (TNM) est complexe et le biologiste joue un rôle central dans la confirmation diagnostique et dans l’adaptation du protocole thérapeutique. Diagnostic initial La ponction lombaire est l’examen de choix qui permettra la réalisation d’examens cytologiques, bactériologiques et biochimiques. L’examen initial du LCR retrouve classiquement un liquide hypercellulaire (300 éléments/mm3) à prédominance lymphocytaire (lymphocytes 64 %, polynucléaires 36 %) [2], une hypoglycorachie (< glycémie/2), une hypochlorurorachie (< 110 mmol/L) et une protéinorachie supérieure à 1,0 g/L, comme observée chez ces deux patients (tableau 1). L’examen direct du LCR à la recherche de BAAR s’effectue en deux étapes avec une coloration à l’auramine, puis pour les lames positives, avec une coloration de ZiehlNeelsen. La coloration à l’auramine nécessite un microscope à fluorescence mais la lecture est plus aisée, plus rapide et plus sensible qu’une coloration classique. Le seuil de sensibilité microscopique est estimé à 104 BAAR/mL [3]. Cet examen direct est une méthode rapidement disponible, mais sa sensibilité est faible, comme pour l’ensemble des liquides de ponction. Elle varie de 10 à 91 % selon le volume de LCR prélevé et la durée de l’examen microscopique (tableau 2). Les sensibilités les plus élevées rapportées dans la littérature sont obtenues après centrifugation de volumes de LCR très importants (6 à 20 mL), rarement disponibles en pratique, et après un examen direct de 30 minutes [4]. Ce volume de LCR nous semble même impossible à obtenir en pratique courante. Cependant, un des rôles du biologiste est de préciser au clinicien la nécessité d’un volume de LCR correct. Afin de pouvoir pratiquer les examens cytologiques, biochimiques, l’ensemencement bactériologique de Ann Biol Clin, vol. 68, no 3, mai-juin 2010 Tableau 1. Données biologiques comparatives des patients et de la littérature [2]. Leucocytes (G/L) – PNN (%) – lymphocytes (%) Natrémie (mmol/L) CRP (mg/L) LCR – cellularité (/mm3) – lymphocytes (%) – polynucléaires neutrophiles (%) – glycorachie (mmol/L) – chlorurorachie (mmol/L) – protéinorachie (g/L) – adénosine désaminase (U/L) Interféron gamma (UI/L) Sérologie VIH Diagnostic moléculaire – sur LCR (AMTD® Gen-probe, Artus® Mycobac. diff. LC PCR kit) – identification Antibiogramme – biologie moléculaire (Genotype MTDR plus®, HAIN-diagnostika) – phénotypique Patient n˚ 1 5 570 89 4 130 60 Patient n˚ 2 7 480 75 15 127 <5 [2] (n = 143) 9 800 80 Nd 135 Nd 1 750 66 3 610 77 23 300 64 36 2,03 102 7,2 30 1,4 112 1,81 11 1,54 85-120 1,91 Nd Nd 4,1 Positive VIH-1 Négative Positif Négatif M. africanum M. tuberculosis Absence de mutation Mutations rpoB et katG Multisensible Résistant INH, RMP Nd Nd Nd Nd Tableau 2. Sensibilité et spécificité des différentes techniques diagnostiques de tuberculose sur le liquide céphalorachidien. Sensibilité Examen direct (Ziehl-Neelsen) 6 mL, 30 minutes de lecture 10-20 mL, 30 minutes de lecture Culture (Lowenstein-Jensen) Biologie moléculaire Gene-Probe AMTD Roche Amplicor MTB PCR PCR IS 6110 PCR nichée MPB 64 PCR nichée quantitative Adénosine désaminase (7 U/L) 58 % 91 % 71 % 94 % 60 % 76 – 98 % 53 – 70 % 56 % 83 % Spécificité Référence [15] [4] 100 % [15] 99 % 100 % 89 – 100 % 88 – 100 % 100 % 83 % [3] [3] [7, 8] [9, 10] [11] [13] base, l’examen direct à la recherche de BAAR sur le volume le plus important possible, l’ensemencement sur milieux solides Lowenstein Jensen et sur milieu liquide, le dosage de l’ADA et effectuer les PCR nécessaires (myco357 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. biologie au quotidien bactéries, HSV 1 et 2 +/- entérovirus), nous évaluons ce volume à 2,8 à 3 mL soit un total de 90 à 100 gouttes. Un volume de LCR insuffisant est un problème classique en laboratoire dans ce contexte. Dans certains laboratoires, des méthodes commerciales d’amplification génique sont réalisées sur le LCR et ce même en cas d’examen direct négatif. Ces techniques utilisent : – une réaction de PCR d’un fragment du gène codant l’ARN 16S de M. tuberculosis (Amplicor Mycobacterium Test®, Roche Diagnostic System) ; – une PCR en temps réel ciblant des séquences des complexes tuberculosis et avium (Artus® Mycobac. diff. LC PCR kit) ; – une amplification transcriptionelle spécifique de l’ARN 16S suivie d’une hybridation (AMTD®, Gen-Probe bioMérieux) ; – une méthode d’amplification-ligation (LCx MTB®, Abbott) ; – une méthode d’amplification par déplacement de brin (BD Probe Tec®, Becton Dickinson). Ces techniques ne sont pas validées pour le LCR et exposent à des faux négatifs en présence d’inhibiteur, d’un faible volume ou d’un faible nombre de BAAR. Une méta-analyse a estimé leur sensibilité à environ 56 % et leur spécificité à 98 %, leur conférant ainsi un rôle de confirmation et ne permettant en aucun cas l’exclusion de tuberculose [5]. Les sensibilités obtenues pour les techniques de biologie moléculaire diffèrent également selon que les échantillons biologiques sont positifs ou négatifs à l’examen microscopique : près de 100 % de sensibilité pour les échantillons avec examen direct positif et 60 % pour les échantillons avec examen direct négatif [6]. Nos observations sont en accord avec ces données, avec une PCR positive sur LCR uniquement chez la patiente avec examen direct positif. D’autres techniques de biologie moléculaire existent : – PCR de la séquence d’insertion IS 6110, qui est une séquence répétée uniquement retrouvée chez les mycobactéries du complexe tuberculosis [7, 8] ; – PCR nichée de la région MPB64, région codant pour une protéine retrouvée chez les mycobactéries du complexe tuberculosis [9, 10] ; – PCR nichée quantitative en temps réel, méthode complexe, longue et peu sensible (56 %) [11] ; – PCR de la région codant de l’ARN 16S ribosomal suivi d’un séquençage. Ces dernières PCR ont une assez bonne spécificité (89100 %), mais présentent des sensibilités très variables d’une technique à l’autre : 76 à 98 % pour la PCR IS 6110 [7, 8], 53 à 91 % pour la PCR nichée MPB64 [9]. L’utilisation de ces techniques est prometteuse, mais ne 358 remplace pas à l’heure actuelle l’examen microscopique. Le biologiste doit donc informer le clinicien sur la faible valeur prédictive négative de ces techniques : une amplification négative n’exclut pas une infection. À côté de ces techniques visant à mettre directement en évidence le bacille ou son génome, il existe actuellement des techniques complémentaires étayant la suspicion de tuberculose. La mesure d’activité de l’adénosine désaminase (ADA) dans le LCR est une méthode simple et peu coûteuse, permettant de conforter le clinicien dans la prise en charge précoce des infections tuberculeuses du système nerveux central (SNC). L’ADA est une enzyme ubiquitaire nécessaire à la prolifération et à la différenciation lymphocytaire. Elle est très largement retrouvée dans les lymphocytes T activés lors d’un processus infectieux à médiation cellulaire, ce qui explique l’augmentation de son activité dans les liquides de ponction infectés par une mycobactérie. Cette analyse ne doit être réalisée qu’après avoir éliminé une méningite purulente ou opportuniste (cryptococcose, toxoplasmose) qui sont des causes d’augmentation de l’ADA [12]. Après revue de la littérature, un seuil entre 5 et 9 UI/L permet d’obtenir une sensibilité entre 57 et 92 %. Une valeur de 7 UI/L semble être le meilleur compromis sensibilité/spécificité (82 %/ 83 %) [13]. Le dosage sérique de l’interféron gamma par technique Elisa ou Elispot peut également être utilisé dans ce contexte (QuantiFERON-TB Gold In Tube®, T-SPOT.TB®). Une des indications validée en France est « l’aide au diagnostic de formes extrapulmonaires de tuberculose maladie ». Cette technique reste cependant limitée aux patients de plus de 15 ans non immunodéprimés [14]. Sa place chez le sujet VIH reste à définir. Culture, identification et antibiogramme La culture sur milieu solide de Löwenstein-Jensen demeure le « gold standard », avec une sensibilité de 71 % pour le LCR [15], mais doit être impérativement associée à une culture en milieu liquide. La culture en milieu liquide présente de nombreux avantages : – une précocité de positivité (gain de 1 à 2 semaines en fonction de l’inoculum bactérien) ; – une lecture automatisée ; – la possibilité d’hybridation moléculaire et bientôt de diagnostic antigénique (SD Bioline® TB Ag MPT 64, SD) à partir de ce milieu ; – la réalisation d’antibiogramme en milieu liquide. L’ensemble des étapes d’identification et d’antibiogramme s’effectue en laboratoire de microbiologie avec un niveau sécurité L3. L’identification de Mycobacterium tuberculosis repose sur l’aspect macroscopique des colonies sur milieu solide (aspect rugueux, blanchâtre), sur les caractères biochimiAnn Biol Clin, vol. 68, no 3, mai-juin 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Difficultés diagnostiques et thérapeutiques des méningites tuberculeuses ques (accumulation de niacine, catalase thermosensible, nitrate réductase) et surtout sur les techniques d’hybridation moléculaire. Ces dernières réalisées à partir de milieu solide ou liquide, utilisent soit le principe d’hybridation ARN/ ADN dont le gène cible est l’ARN 16S (AccuProbe®, Gen-probe, bioMérieux), sans étape d’amplification préalable et avec une lecture par chimiluminescence, soit le principe d’hybridation ADN/ADN ciblant la région intergénique 16S-23S (InnoLiPA®, Innogenetics) ou le gène gyr B (Genotype Mycobacterium®, Hain-diagnostika). Ces deux dernières méthodes nécessitent une amplification préalable et une lecture de bandes spécificiques sur nitrocellulose. Les autres méthodes d’identifications génotypiques disponibles reposent sur la détection du gène mpt40, de régions de délétions (RD1, 4 ou 9), de séquences répétées (IS 6110), sur la détection de mutations des gènes pncA et oxyR, sur l’analyse du polymorphisme de restriction du gène hsp65 ou sur le séquençage des gènes codant hsp65 ou l’ARN 16S. L’antibiogramme utilisant la méthode des proportions reste la méthode de référence. Il permet de caractériser l’antibiotype bactérien 3 à 6 semaines après la positivité de la primoculture. L’antibiogramme en milieu liquide permet de raccourcir ce délai de réponse à 1 à 2 semaines, mais aussi d’élargir la gamme des antibiotiques testés avec notamment des molécules de deuxième intention en cas de souches résistantes. Enfin, des méthodes d’hybridation (Genotype MTDRplus®, Hain-diagnostika) qui mettent en évidence des mutations conférant une résistance à la rifampicine (gène rpoB) ou à l’isoniazide (katG et/ou inh A) peuvent être réalisées parallèlement à l’antibiogramme ou parfois directement sur le prélèvement si celui-ci est pluribacillaire, et permettent de rendre un résultat en 24 heures [16]. Le point de vue du clinicien La localisation neuroméningée, de diagnostic difficile et de mauvais pronostic, doit être évoquée sur un faisceau d’arguments épidémiologiques, cliniques, biologiques et radiologiques. Les signes cliniques de tuberculose du SNC sont peu spécifiques et ne permettent pas à eux seuls de porter le diagnostic. Le mode de révélation le plus fréquent est une altération de l’état général accompagné d’un état subfébrile et de céphalées persistantes depuis une dizaine de jours. Les signes neuroméningés sont variables associant ou non un syndrome méningé, une altération de la conscience, des signes basilaires, des convulsions et parfois des signes déficitaires focalisés. Le contexte épidémiologique est ici fondamental et recherchera les facteurs de risque d’infection, à savoir une infection tuberculeuse dans l’entourage, un antécédent personnel de tuberculose, Ann Biol Clin, vol. 68, no 3, mai-juin 2010 la résidence en région francilienne ou guyanaise, un voyage en zone de forte prévalence, une infection VIH associée ou un traitement par corticoïdes, immunodépresseur ou anti-TNF. En l’absence de signes de focalisation, la ponction lombaire doit être réalisée et permet d’éliminer une méningite purulente. Comme nous l’avons vu précédemment, la mise en évidence de BAAR dans le LCR est un élément clé dans la prise en charge, mais est rarement positive. L’hypercellularité avec prédominance de lymphocytes, l’hyperprotéinorachie, l’hypoglycorachie et l’hyponatrémie renforcent la suspicion diagnostique. L’imagerie cérébrale par résonance magnétique retrouve fréquemment une hydrocéphalie, des lésions méningées, souvent de la base du crâne, avec une prise de contraste en T1 après injection de gadolinium, un (ou des) tuberculome(s) et des signes d’hypoxie ou d’infarctus cérébraux avec hypersignal en T2. Le bilan étiologique doit également comporter une imagerie thoracique à la recherche de lésions pulmonaires, présentes dans 50 % des cas, et d’adénopathies profondes, un fond d’œil, une sérologie VIH systématique (après accord du patient), une intradermoréaction à la tuberculine. L’interprétation de cette dernière est souvent difficile, compte tenu de l’absence d’information précise sur l’état de vaccination par le BCG. Chez le patient infecté par le VIH, l’IDR n’a de valeur que si elle est positive avec un seuil à 5 mm. Le dosage de l’interféron γ n’est intéressant que pour rechercher la présence de formes extrapulmonaires chez l’immunocompétent. Notons enfin que la tuberculose demeure la première infection opportuniste du sujet VIH avec des formes multifocales dans 30 % des co-infections VIH-tuberculose. Dans ces deux observations, les patients présentaient un état subfébrile, des céphalées depuis une semaine, associés dans un cas à des troubles de conscience, et dans l’autre à une désorientation temporospatiale puis à des convulsions. Ces tableaux d’encéphalites souvent subaiguës doivent faire évoquer : – chez le sujet de retour d’Afrique subsaharienne, un paludisme ou une tuberculose neuroméningée (TNM) chez le patient VIH ; – chez le migrant, une méningite purulente, une méningoencéphalite herpétique, une listériose chez le sujet VIH, une trypanosomiase et une TNM surtout si le liquide est lymphocytaire, avec hypoglycorachie, hyperprotéinorachie et hypochlorurorachie. Les deux patients ont pu bénéficier d’un traitement antituberculeux précoce. Pour la première patiente, la notion de voyage en Afrique associé une séropositivité VIH a incité à réaliser très précocement la recherche de BAAR 359 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. biologie au quotidien qui s’est avérée positive. Pour le deuxième patient ayant également voyagé en Afrique, l’association d’un examen cytologique et biochimique typique et d’une IRM cérébrale fortement évocatrice ont conduit à instaurer un traitement dans les 24 premières heures. Dans tous les cas, une méningite lymphocytaire ou panachée doit être considérée comme possiblement tuberculeuse. Le contexte épidémiologique, une protéinorachie supérieure à 1 g/L, une hypoglycorachie, la présence radiologique de lésions cérébrales, l’aggravation clinique ou biologique sous traitement d’une méningite supposée herpétique ou listérienne doivent faire débuter un traitement antituberculeux. Ce traitement repose initialement sur une association probabiliste d’antituberculeux diffusant à travers la barrière hématoméningée et actifs sur les bacilles de Koch. L’INH et le PZA diffusent très bien dans le LCR, alors que la RMP et l’EMB ne diffusent qu’au travers de méninges inflammatoires. L’association INH, RMP, EMB et PZA est utilisée aux posologies classiques sur une période de 9 à 12 mois pour les souches multisensibles (2 mois de quadrithérapie et 7 à 10 mois INH+RMP). La possibilité de multirésistance (résistance INH+RMP) doit être évoquée en cas de notion de traitement antérieur inefficace, en cas de contage suspecté avec un patient porteur d’une souche multirésistante ou en cas de séjour dans une zone de multirésistance, surtout en cas de séropositivité VIH [17]. Les méthodes rapides de détection des gènes de résistance et l’antibiogramme ont un rôle fondamental en permettant d’adapter le traitement au plus vite. La multirésistance représente 2,2 % des cas déclarés en France en 2006 [1] et nécessite une thérapeutique adaptée avec utilisation d’au moins trois antituberculeux de 2e ligne. Les molécules disponibles sont les aminoglycosides (amikacine, kanamycine, capréomycine), une fluoroquinolone (moxifloxacine, ofloxacine), le linézolide à demi-dose et parfois des molécules plus anciennes telles que l’éthionamide et la cyclosérine pour une durée de 12 à 18 mois après négativation bactériologique. La moxifloxacine doit être priviligiée du fait de sa très bonne diffusion tissulaire et cellulaire. Dans le cadre de ces infections du SNC, la corticothérapie précoce par dexaméthasone n’a pas fait la preuve d’une diminution de la morbidité, mais elle améliore la survie quelle que soit la gravité initiale du patient [15]. Enfin, pour les patients infectés par le VIH, le traitement antituberculeux semble exposer à des effets indésirables plus fréquents [17], tels que des interactions médicamenteuses avec les antirétroviraux ou des syndromes de restauration immunitaire avec aggravation paradoxale. Le traitement antirétroviral n’est pas une urgence thérapeutique et doit être introduit dans un délai de quatre semaines en prenant garde aux contre-indications telles que l’association entre un antiprotéase et la RMP. 360 Le pronostic des tuberculoses neuroméningées est sévère, avec 15 à 40 % de décès et environ 15 % de complications représentées essentiellement par l’hydrocéphalie et les séquelles cognitives [18]. Des arachnoïdites, comme observée dans le premier cas, se manifestent par une hyperprotéinorachie chronique associée à une paraparésie. Conclusion En 2010, malgré l’apport de techniques nouvelles, la confirmation diagnostique des tuberculoses neuroméningées reste difficile. L’association de différentes techniques (coloration à l’auramine et de Ziehl-Neelsen, cultures sur milieux spécifiques, biologie moléculaire, dosage d’ADA et d’interféron γ) doit être systématique afin d’optimiser le délai diagnostique et la prise en charge thérapeutique. Des tests antigéniques spécifiques devraient être bientôt disponibles et permettront peut-être de faciliter le diagnostic. Les données récentes montrent que la couverture vaccinale des populations à risque est insuffisante, ce qui expose à l’apparition de formes graves dans les années à venir. Conflit d’intérêts : aucun. Références 1. Actualités de la tuberculose. Bull Epidémiol Hebd 2009 ; 12-13 : 105-24. 2. Thwaites GE, Chau TT, Stepnieweska K, Phu NH, Chuong LV, Sinh DX, et al. Diagnosis of adult tuberculous meningitis by use of clinical and laboratory features. Lancet 2002 ; 360 : 1287-92. 3. Rock RB, Olin M, Baker C, Molitor T, Peterson PK. Central nervous system tuberculosis : pathogenesis and clinical aspects. Clin Microb Rev 2008 ; 21 : 243-61. 4. Stewart SM. The bacteriological diagnosis of tuberculosis meningitidis. J Clin Pathol 1953 ; 6 : 241-2. 5. Pai M, Flores LL, Pai N, Hubbard A, Riley LW, Colford JM. 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