du début à la fi n de la pièce. Le public n’en sait jamais plus que les personnages eux-mêmes, il
est d’ailleurs souvent le dernier à être au courant de ce qu’il se passe réellement sur scène. La
fragmentation temporelle de la pièce (les épisodes du présent s’entremêlent avec ceux du passé, les
courtes scènes et les courtes répliques), le suspense et les changements de points de vue empêchent
le spectateur de maîtriser le récit de façon totalement rationnelle.
La pièce se déroule dans deux endroits différents (un bar et un parc d’attractions), à des temporalités
différentes (le passé et le présent). Pour matérialiser la fragmentation spatiale et temporelle, la
scénographie sera imaginée sur le principe de construction/déconstruction. À mesure que le bar
tombera en miettes, le parc d’attractions prendra forme. Il s’agit ici de faire émerger une image sale,
glauque et fl oue pour montrer avec netteté l’envers du décor du rêve américain et de notre société
qui n’accepte pas les conséquences de ses actes. La désillusion et l’individualisme entrainent les
personnages toujours plus loin dans leur déchéance et leur violence.
Pour mettre en avant l’idée de suspense, le metteur en scène Olivier Lépine, en collaboration avec
la scénographe Karine Mecteau, a imaginé intégrer différents angles de vue cinématographiques
à la scénographie (plongée, contre-plongée). La salle du théâtre Premier Acte étant n’étant pas très
grande, elle permettra de plonger les spectateurs dans un univers intimiste, une sorte de huis clos
où l’on doit s’attendre à tout. Le jeu simple, mais contenu des comédiens ajoutera une couche de
tension nécessaire à l’épanouissement du suspense. Plusieurs effets; ralentis, regards, intrusions de
personnages dans d’autres scènes où ils ne jouent pas, le tout, soutenu par des effets d’éclairage qui
peuvent se rapprocher de l’effet du traveling latéral au cinéma appuie les effets cinématographiques
que nous voulions explorer au théâtre.
L’aspect déconstruit de la chronologie savamment fi celée, crée tour à tour des révélations surprises.
Cette chronologie invite le spectateur à imaginer sa propre narration en parallèle, alors qu’il tente
de remplir les trous que l’histoire lui laisse. Ce type d’évènement théâtral est donc très individuel,
mais également participatif, car il demande un investissement de la part du spectateur qui cherche
à faire des liens avec ce qu’il voit et ce qu’il entend. Ceci peut l’amener à créer une histoire qui lui
ressemble, à laquelle il s’identifi e. Dans ce genre d’univers théâtral, on ne prend pas le spectateur
par la main, on lui propose de vivre sa propre expérience.
Coronado est une pièce de brume, de tension, de surprises. Une pièce qui se laisse comprendre au
même rythme où le cadavre est déterré.
La démarche artistique sera de même, avec une énergie brute et une présence magnétique des
comédiens sur scène, faisant surgir, scène par scène, pelletée de terre après pelletée de terre, les
vérités enfouies de chacun des personnages.