Menace » chinoise ou déclin de l`occident - famille-ignatienne

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Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Décembre 2011 – n° 4156
International
Président de CEC Consulting.
LioneL Vairon
«Menace» chinoise
ou déclin de loccident?
LChine doit-elle nous «inquiéter» ? Son émergence
est sans conteste le phénomène central dans les rela-
tions internationales au esiècle. Les bouleverse-
ments profonds qu’elle ne cesse dentraîner au l des mois et
des années tant sur le plan politique quéconomique laissent
planer lombre dune transformation radicale de lordre inter-
national tel quil a été construit après la Seconde Guerre mon-
diale, un ordre dabord bipolaire jusquà leondrement de
l’Union Soviétique, puis unipolaire depuis vingt ans. La pers-
pective dun monde multipolaire tel que la Chine semble le
souhaiter ouvre des perspectives inconnues et par conséquent
potentiellement dangereuses. Face à un aaiblissement stra-
tégique de la puissance américaine consécutif à léchec des
stratégies menées en Afghanistan et en Irak, où il est désor-
mais évident que le Nation building est un échec et que les
interventions militaires nont conduit quà une déstabilisa-
tion encore plus grande des régions concernées, et aux révoltes
arabes dont les principaux acteurs semblent surtout vouloir
s’aranchir de la domination américaine, les autres puis-
sances et les regroupements de nations semblent s’orienter
davantage vers une bunkérisation de leurs espaces stratégiques
que vers une poursuite de la globalisation et de louverture
prêchée par la philosophie libérale. Le réexe sécuritaire est
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à lœuvre, celui qui conduit à soupçonner les étrangers de
tous les maux de la nation, à limiter sinon mettre un terme
aux mouvements de population, à se surarmer face à des
menaces réelles, exagérées voire imaginaires. Dans un mou-
vement de déance à légard du Sud, l’Union Européenne
accepte que le rideau de missiles du bouclier américain, for-
mellement dirigé contre l’Iran et la Corée du Nord, s’installe
dans le Sud de l’Espagne, tourné face à la Méditerranée…
Cette politique sécuritaire pose un grave dé : une sécurité
accrue dun État ou bien dun groupe d’États naaiblit-elle
pas la sécurité des autres ?
Chine et États-Unis : deux modèles
Telle est aujourdhui la question posée à propos de la Chine
et qui sous-tend le mythe tenace de la menace chinoise.
Largement encerclée par les forces américaines, dans le
Pacique, dans l’Océan Indien et en Asie centrale, face à un
discours le plus souvent hostile de la part de Washington et à
une stratégie dalliances avec les États de sa périphérie (Inde,
Vietnam, Japon,etc.), la Chine accentue sa modernisation
militaire et renforce ses capacités daction dans un rayon de
plus en plus étendu au-delà de sa périphérie immédiate. Cette
puissance militaire croissante, qui ambitionne de repousser
dans le Pacique au-delà de Guam la otte américaine pour
«libérer» la côte orientale des pressions américaines, est-elle
in ne défensive ou oensive ? S’agit-il eectivement pour
Beijing de réduire les moyens de pression militaire des États-
Unis ou bien de préparer une nouvelle étape de la globalisa-
tion de ses forces an de jouer un rôle croissant sur le plan
stratégique dans de nouvelles régions éloignées de ses
rivages ? La réponse relève naturellement non seulement de
lanalyse stratégique mais aussi et surtout dun postulat idéo-
logique : il est communément admis, en dépit de ses nom-
breux détracteurs, que la puissance américaine est
bienveillante et qu’elle ne cherche quà servir les intérêts de
lensemble de la communauté internationale. Le sénateur
américain Joe Biden déclarait ainsi récemment : «Comme je
lai dit aux dirigeants et au peuple chinois, lAmérique est une
puissance pacique et le restera1.» Ce point de vue idéolo-
gique repose sur le mythe dune nation américaine démocra-
tique, libérale et aspirant à convaincre le reste de la planète de
1. «China’s Rise isn’t our
Demise», NYT, 7 sep-
tembre 2011.
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lexemplarité de son modèle politique, économique et social,
et ce pour le bien du plus grand nombre.
Face à ce mythe soigneusement entretenu malgré les
guerres dinvasion et le mensonge érigé en règle de gouverne-
ment par certaines administrations, notamment celle de
Bush Jr, la Chine, ociellement communiste, ne peut être
que lenvers de ce tableau idyllique, une puissance négative
ne cherchant à conquérir la planète que dans son intérêt
propre sans considération pour celui des autres nations et
véhiculant un modèle politique, économique et social inquié-
tant et foncièrement inégalitaire. Lanalyse approfondie des
réalités de ces deux «modèles», qui révèle de nombreuses
approximations dans la présentation faite de la situation de la
Chine, incite à nuancer les critiques pour tenir compte des
réalités objectives et des contraintes spéciques à un pays de
cette dimension. L’idée selon laquelle une sorte de période de
grâce pourrait être concédée à la Chine dans cette phase de
développement, qui tiendrait des acquis incontestables de ces
trente dernières années dans tous les domaines, y compris
politique, ne réussit pas à atténuer limpact du discours
dominant sur la «menace chinoise». Le discours persistant
chez de nombreux auteurs européens et américains ar-
mant la soif de «revanche» de la Chine2, sa volonté de res-
taurer sa grandeur impériale passée, par la force si nécessaire,
le caractère naturellement sournois du discours chinois qui
ne cesserait dévoquer la paix que pour mieux préparer la
guerre, contribue à accroître dans lopinion publique le senti-
ment de danger face à la montée en puissance de la Chine. En
fait, nous sommes confrontés à la n dune séquence histo-
rique durant laquelle l’Occident a fait gure de centre orga-
nisateur du monde, comme le souligne Jean-Claude
Guillebaud3, et dont la perspective, compte tenu de lincom-
préhension générale vis-à-vis de la Chine, ne cesse de faire
croître une sourde angoisse parmi les opinions publiques
occidentales.
Une puissance militaire responsable
Ce concept même de «menace» correspond à une réalité très
oue. Le dé posé par la puissance chinoise aux autres
acteurs de la société internationale est de trois ordres : mili-
2. Politique du chaos,
Thérèse Delpech, La
République des idées, p.53.
3. Le commencement d’un
monde, Jean-Claude
Guillebaud, Éd. du Seuil,
2008.
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taire, économique et politique. Sur le plan militaire, la Chine
ne peut raisonnablement être considérée comme une menace
au plan international, en dépit de la croissance constante de
son budget militaire depuis trente ans. Le découplage de ses
forces avec les États-Unis est de lordre dun à dix et si ses
dépenses militaires ne sont plus négligeables, ses capacités
réelles demeurent très limitées, en particulier en matière de
projection. Les opérations auxquelles nous avons assisté
depuis un an au large des côtes somaliennes contre la pirate-
rie ou bien en Libye pour lévacuation de 36 000 de ses res-
sortissants dans ce pays sont tout à fait marginales, même si
elles indiquent une tendance, et ne constituent en rien des
prouesses militaires. Il s’agissait plutôt dans le premier cas de
franchir un nouveau pas en s’armant comme une puis-
sance responsable aux côtés des autres nations engagées dans
la lutte contre la piraterie maritime, dautant que les bateaux
chinois eux-mêmes étaient visés par ces actions de piraterie,
et dans le second cas de prouver à lopinion publique chinoise
que le gouvernement était solidaire à légard de ses ressortis-
sants dispersés sur la planète et qu’il était capable de les
secourir autant que de besoin, même dans des contrées très
éloignées. Cette dernière opération a toutefois eu pour eet
de provoquer un débat intense sur cette relation entre les
citoyens chinois expatriés et leur gouvernement et sur le coût
que représenterait pour la Chine une multiplication dinter-
ventions de ce type compte tenu du nombre croissant de
Chinois expatrs.
Du côté dit occidental, la perception de cette menace
sur le plan militaire est assez sensiblement diérente. En
eet, les Européens se sentent beaucoup moins concernés par
cette augmentation du potentiel militaire chinois dans la
mesure où ils sont très largement absents du continent asia-
tique, à lexception notoire de lAfghanistan depuis 2011,
mais de manière transitoire. Les États-Unis à lopposé voient
émerger une rivale très sérieuse pour leur domination straté-
gique de lAsie océanique et leurs positions menacées à terme.
Les militaires chinois ne font pas mystère de leurs ambitions
de retirer aux forces américaines le contrôle du détroit de
Taiwan, des mers de Chine orientale et méridionale, voire de
locéan Indien. Les côtes orientales de la Chine, le long des-
quelles est implanté environ 70% de son potentiel industriel,
se situent à portée de missiles de la otte américaine et les
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principales grandes villes du pays également. La réaction
violente de la Chine en juillet 2010 lorsque les États-Unis,
dans le cadre des exercices militaires avec la Corée du Sud,
ont fait entrer dans la zone le porte-avions Georges
Washington, à quelques centaines de kilomètres seulement
de la capitale Beijing, a conrmé sa sensibilité extrême face à
la présence militaire américaine dans le Pacique occidental.
Avec cette volonté désormais achée à travers diverses décla-
rations dociers supérieurs chinois de développer des capa-
cités propres de projection, la Chine entend non seulement
assumer davantage de responsabilités en matière sécuritaire
à légard de la communauté internationale, mais aussi et sans
doute surtout obtenir des autres puissances, et en premier
lieu des États-Unis, le respect auquel elle estime avoir droit.
Cette aspiration ne se traduit pas pour autant par une aug-
mentation du risque de conit ouvert. Il est même vraisem-
blable que cette puissance nouvelle conduise à écarter le
risque de conit avec les États-Unis. Mais le danger nest que
déplacé à un niveau régional, local.
En réalité, tout comme pendant la Guerre froide, les
risques de conit ouvert proviennent essentiellement des
zones périphériques et non des relations directes entre
grandes puissances. Le conit nest pas prédéterminé mais
contrairement à lidée dominante, il devrait plutôt trouver sa
source dans lincapacité de lunique superpuissance à accep-
ter lémergence de puissances concurrentes qu’à une poli-
tique délibérément agressive de la Chine. La diculté
centrale réside dans la conception de sécurité : lamélioration
de la sécurité des uns accroît-elle linsécurité des autres ? Les
États-Unis vont se trouver contraints de faire des choix dans
leur stratégie de grande puissance et de distinguer claire-
ment les axes prioritaires des axes secondaires et adapter en
conséquence leur politique extérieure.
Un acteur économique incontournable
Cette rupture stratégique, qui devrait conduire les dirigeants
américains à une révision de leurs ambitions traditionnelle-
ment expansionnistes, repose sur un vecteur central : léco-
nomie. La prospérité économique des États-Unis et de
l’Europe après la Seconde guerre mondiale leur a permis de
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