Séminaire CDC – TDTE n°13 Le rôle de l`épargne retraite dans le

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Séminaire CDC – TDTE n°13
Le rôle de l’épargne retraite dans le financement de l’économie
Jeudi 10 octobre 2013
Intervenants :
Jérôme Glachant, Professeur d’économie à l’Université d’Evry et chercheur associé à la Chaire
Transitions démographiques
Thomas Weitzenblum, Professeur d’économie à l’Université de Lille2 et chercheur associé à la
Chaire Transitions démographiques
L’épargne retraite représente une solution pour atténuer le pension gap. Encore faut-il qu’elle
soit recyclée sur des placements à long terme par des institutions dont c’est la vocation. Les
deux obstacles sont le comportement des ménages qui privilégient l’immobilier et la liquidité et
une architecture défectueuse du financement à long terme. A les surmonter, l’épargne retraite
pourrait être dirigée vers l’économie réelle et profiter à la croissance.
Jérôme Glachant
L’OCDE mène un travail de suivi sur les retraites et fonds de pension. Avec, en abscisse, les
actifs des fonds de pension comme des investisseurs institutionnels et, en ordonnée, le taux de
remplacement du système public, la conclusion est la suivante : dans les pays où les fonds de
pensions sont développés, comme aux Pays-Bas, le taux de remplacement public est faible. En
revanche, dans ceux où, comme pour la Grèce, ce taux est généreux, les fonds de pension sont
inexistants ou presque. La France, toujours selon l’OCDE, a un taux de remplacement de 50%,
légèrement au-dessus de la moyenne, sans disposer de fonds de pension, ce qui est inquiétant pour
l’avenir du système. Le débat n’est pas ici de voir comment remédier à cette absence, mais de cerner
le lien possible entre la formation d’une épargne retraite nécessaire et le financement de l’économie à
long terme dont dépend la croissance.
Le pire est devant nous. Le ratio pension moyenne sur salaire moyen, selon le scénario du
COR, va passer de 50% en 2010 à 40% en 2050 dans un régime de statut quo. L’incapacité patente
du système actuel par répartition à maintenir un taux correct suppose de trouver 2,5% de PIB en plus.
Dans une perspective microéconomique, les ménages ne sont capables de pallier par leur épargne
qu’à la moitié de ces 2,5%.
Une autre question est de savoir si ce patrimoine supplémentaire est à même de favoriser la
croissance économique, ce qui dépend de la manière dont cette épargne est recyclée dans l’économie
réelle. Autrement dit, le taux de remplacement baissant, peut-on élaborer un système par
capitalisation plus favorable à la croissance et qui génère les points de PIB nécessaires pour régler les
pensions des plus âgés ?
Le rôle de l’épargne retraite dans le financement de l’économie – Note de synthèse n°11 - Séminaire CDC – TDTE n°13 / Saison 2 –
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Thomas Weitzenblum
Il faut distinguer, dans le volume global d’épargne, ce qui relève de la vraie épargne retraite.
Le contexte est connu. Le vieillissement de la population a engendré des réformes qui ont revu à la
baisse la générosité des systèmes publics par répartition. La question est de savoir dans quelle mesure
les ménages prennent le relais et pourquoi ils ne le font pas parfaitement.
Le point de départ est le suivant : les pensions versées par les régimes obligatoires en baisse,
on assiste à une bascule d’un système à prestations définies vers un système à cotisations définies,
avec une incitation fiscale destinée à développer un système de retraite facultatif. D’où une
dichotomie entre le caractère volontaire ou obligatoire de l’épargne retraite par capitalisation. On
peut ainsi distinguer trois grands ensembles : le premier, où le financement de la retraite par
l’épargne est obligatoire et majoritaire (Pays-Bas, Australie) ; le second, où le financement par
capitalisation est facultatif, mais où une majorité d’agents le choisissent (Royaume-Uni, Etats-Unis) ;
le troisième, enfin, qui regroupe des pays comme la France qui ne disposent pas de système par
capitalisation obligatoire et où le volontariat est faible. Or, selon les graphiques de l’OCDE, il reste à
financer le pension gap, ce qui ne peut être le fait que des agents. D’où les questions suivantes :
l’environnement changeant incite-t-il les ménages à épargner ou non ? Sur quel support cette épargne
se porte-t-elle ? Les incitations sont-elles efficaces ? Quels sont les biais comportementaux et quels
dispositifs mettre en place pour en limiter la portée ?
Quelques chiffres sont à rappeler sur l’épargne retraite en France, en prenant en compte
l’assurance vie, même si ce support concerne la protection contre les risques en général, les
complémentaires qui sont à cotisations définies comme à prestations définies concernant tous types
de travailleurs. La première totalise 1 400 milliards d’euros en encours, soit 70% du PIB annuel, un
montant énorme dont on peut penser qu’une partie est destinée à la retraite, soit, selon sondages, 25 à
30%, une tendance qui tend à s’accroître. Pour les vrais supports d’épargne retraite, qui représentent
un montant dérisoire par rapport à l’assurance vie, ils sont à considérer soit dans un cadre individuel,
la plupart à système de cotisations définies (PERP, PREFON..), soit dans un cadre collectif (les
indépendants, les professions agricoles…) avec un dernier né, très souple pour le salarié comme pour
l’employeur, le Perco. Ainsi, si le régime de Base totalise 251 milliards d’euros, les régimes
supplémentaires n’atteignent que 10 milliards, soit 4%.
Sur les comportements, une « étude patrimoine » basée sur trois enquêtes dans le temps,
permet de mettre en évidence les effets de cycles de vie par cohortes sur 10 ans. Les cohortes des
plus jeunes, au cours du temps et à un âge donné, tendent à détenir de manière plus sensible au moins
un des trois produits retraite proposés, ce qui est positif mais peut-être sans avenir. En considérant
l’épargne globale, à un âge donné, les ménages ont des difficultés à épargner davantage et
« surpondèrent » le critère de retraite. Ce qui ne peut résoudre le pension gap.
Sur l’incitation à l’épargne, comment réagissent les ménages dans un contexte où leur
pension, dans le système obligatoire, est plus faible ? Les études existent, notamment celle,
fondatrice, de Felstein, ou celle d’Attanazio. Selon celles-ci, à mettre en relation les ménages de
différents pays avec des systèmes de retraite eux aussi différents, il y a, selon la générosité de ces
derniers, une grande hétérogénéité dans les comportements. Les personnes ayant une plus forte
propension à épargner réagissent plus vite si le système est moins généreux. Elles tentent alors un
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effet de déplacement et d’éviction. Comment stimuler davantage les ménages en mettant en place des
mécanismes d’incitation ?
Les incitations sont de plusieurs ordres. La pure exemption fiscale est à citer en premier lieu.
On parle souvent d’EET pour exprimer « exempter, exempter, taxer », le premier terme
correspondant au versement, le deuxième aux intérêts et le troisième, le cas le plus fréquent, à la
taxation, s’il y en a une, quand on retire des fonds, soit sous la forme de capital ou de rentes. L’autre
incitation est l’abondement de l’employeur. Aux Etats-Unis, sur les comptes individuels, l’IRA,
contrat individuel, donne lieu à une exemption fiscale, ce qui représente une incitation faible. Pour
les fameux 401 (k), plans facultatifs hébergés par les employeurs, une étude souligne qu’ils n’ont
guère de succès, les ménages les plus riches n’y voyant guère d’intérêt. Or, la généralisation serait
erronée dans la mesure où d’autres études montrent des résultats différents. Le 401 (K) a pris la place
de l’IRA aux Etats-Unis car il permet l’abondement de l’employeur.
Les biais comportementaux des ménages ne correspondent pas à la parfaite rationalité. Ainsi,
les ménages souscrivent plus facilement si peu de fonds leur sont proposés. Un choix plus important
rime avec une moindre fiabilité. Il y a là une sorte de paternalisme car peu de ménages ont des
connaissances en la matière, excepté les plus riches. Ces biais de comportements relève de l’inertie
et de la procrastination. Le premier est d’avoir des difficultés à faire des choix, ce contre quoi sont
élaborés les plans 401 (k). Le second est de remettre au lendemain ce qu’on ne veut pas faire
aujourd’hui.
Quelques règles simples peuvent retourner la situation, comme l’enrôlement par défaut. Une
case à cocher plutôt qu’un long formulaire permet de lutter contre l’inertie des ménages à épargner
davantage. Quitte à mettre en place un système par capitalisation, un certain paternalisme, déjà à
l’œuvre dans le système par répartition, peut s’avérer utile, les incitations se montrant insuffisantes à
stimuler une « épargne forcée ». Des procédures de souscription par défaut peuvent se montrer
intéressantes.
Jérôme Glachant
L’épargne représente une réponse au vieillissement et aux insuffisances du système de
retraite. Le pari macroéconomique est que cette épargne supplémentaire puisse être utilisée avec
intelligence pour servir les pensions. Au regard, d’un côté, du taux de rendement de cette épargne
(capacité du capital à créer des richesses) et, de l’autre, du taux de croissance de l’économie, existe-til des opportunités d’investissement dans l’économie réelle ? A contrario, le taux de rendement
public restant faible et sans véritable investissement, au risque de lui léguant de la dette publique par
exemple, cette épargne ne va-t-elle pas engendrer une instabilité financière ?
Le système financier a un biais de court terme, sorte de gare de triage qui recycle les besoins
et capacités de financement des personnes en faisant correspondre risques et échéances. Les ménages
ont aujourd’hui des besoins d’épargne à long terme, tout comme les entreprises ou l’Etat, des besoins
d’emprunts et de placements. Olivier Wyman en arrive à dire que, dans l’idéal, les ménages aux
capacités de financement à long terme répondent aux besoins, à long terme eux aussi, des entreprises.
Ainsi, à laisser faire, les besoins s’ajustent relativement bien. La réalité est tout autre. Il y a là un
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dysfonctionnement, un décalage de maturité entre les besoins de placements à long terme des
ménages, actifs susceptibles de répondre au passif de long terme des entreprises, et le recyclage de
cette épargne dans du court terme. Manque de capitaux à long terme, excès de capitaux à court
terme : ce constat vaut pour tous les pays du monde. Le système financier opère, en effet, de la
transformation d’échéance, ce qui est mauvais pour la croissance sur la durée et la gestion des
risques.
Les conséquences de ce décalage sont nombreuses : mauvaise allocation du capital et des
risques dans l’économie, faible rendement de l’épargne des ménages, cherté du capital pour les
entreprises, risques plus grands au sein du système financier. Un décalage que Wiman chiffre 0,75%
de croissance en moins. Or, ce système est condamné à terme, système néanmoins favorisé par la
préférence des ménages pour la liquidité et par la manière dont est recyclée cette épargne. Les
incitations comme la fiscalité sont-elles assez bien conçues pour favoriser l’épargne financière ?
Bénéficiant d’une fiscalité avantageuse, l’immobilier représente le placement privilégié des Français,
un actif non financier qui s’élève à 65% de l’actif total.
Il faut rappeler que les produits financiers sont des biens de confiance. Dans ce cadre, les
établissements peuvent se livrer à une concurrence perverse pour séduire les épargnants, exploiter
l’hétérogénéité des ménages en flattant leur « court-termisme », proposer des produits compliqués en
lieu et place de produits simples. Cette attitude est coûteuse en termes d’adossement d’actifs ; elle
engendre une déception qui éloigne les ménages du marché. Les intermédiaires, les fonds de pensions
et les compagnies d’assurances ne sont peut-être pas les mieux placés pour faire du crédit aux
entreprises… Un rééquilibrage est à faire en faveur d’une division adaptée du travail dans le secteur
financier.
Les mutations en cours touchent plusieurs acteurs. Les banques, en premier lieu, qui vont
devenir des intermédiaires, ce qui ne leur permet plus de faire autant de transformations. D’où la
montée en puissance des investisseurs institutionnels, des compagnies d’assurance dont la tendance
est à modifier leur stratégie : très actifs auparavant sur les marchés, ces acteurs se tournent vers les
obligations et les placements alternatifs. C’est une évolution fondamentale : les banques réalisant
moins de transformations, ces acteurs institutionnels ont désormais vocation à gérer l’épargne longue.
Du point de vue de l’architecture du financement, les assurances et fonds de pension ont le
devoir de protéger l’épargne de cycle de vie et de le faire en fournissant des revenus à long terme
globalement indexés sur l’inflation. Ce qui répond aux besoins de visibilité et sécurité des ménages
quant à leur placement. Ils doivent aussi s’appuyer sur une certaine viscosité, une prédictibilité du
passif essentielle à maintenir, utiliser cette richesse de long terme sur des actifs de long terme afin de
les retourner ensuite aux ménages, faire des opérations de crédit direct, de refinancement de crédits
immobiliers. Profiter enfin du marché obligataire à long terme et des procédures de garantie. Il est
possible, peu à peu, de rediriger cette épargne à long terme vers des fonds à long terme, comme les
fonds d’infrastructures. Parmi ces institutions ayant atteint une certaine taille, les assurances
françaises sont bien placées. Un dernier point : pour maintenir la viscosité du passif, il faut proposer
des produits plus simples et plus robustes ou, à défaut, mettre en place des schémas d’épargne longue
obligatoire. L’objectif est de capter les 0,75% de croissance perdus dans le régime précédent.
Les politiques publiques sont indispensables si on veut rééquilibrer le système, articuler les
règles prudentielles et comptables (Bâle 3 et Solvablité 2). Il faut aussi que l’Etat se positionne dans
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l’organisation des marchés et élabore des dispositifs en faveur de l’épargne longue des ménages, d’où
la question de la fiscalité.
Débat
Un premier intervenant dément le fait qu’il soit difficile d’isoler ce qui correspond à la retraite
dans l’assurance vie. Ce qui est versé tous les ans après 60 ans s’élève à 80 milliards d’euros et 40
milliards sous forme de versements réguliers. Ce chiffre, comparé aux 6 milliards des vrais produits
retraite, représente cinq fois plus. Les obstacles rencontrés par les produits retraite sont de deux
ordres : ce sont des produits « tunnel », ce que les français n’aiment pas, et leurs rentes sont taxées.
Une seconde intervention rapporte qu’au regard de la situation américaine, la France se porte
bien avec des seniors disposant d’une épargne importante, en particulier immobilière. En effet, les
américains épargnent très peu et partent à la retraite dans des conditions désastreuses. Or la France,
dans l’Europe des 15, est le deuxième pays pour la richesse des retraités.
Un autre intervenant souligne qu’en France le principe que l’épargnant n’est pas un
investisseur avisé est acquis. Les produits retraite proposés servent ainsi d’intermédiation, propose un
choix que n’a pas à faire l’épargnant. D’autre part, il existe une mutualisation du risque puisque le
placement est collectif. Selon cet intervenant, ces deux notions sont essentielles.
Selon un troisième participant, la caractéristique française repose sur l’épargne immobilière.
Or, Il est difficile d’influer sur ce comportement. Ne faut-il pas baisser le coût de l’immobilier, du
foncier, qui est très élevé ? Est-ce là le cœur du problème quand on sait que les Français consomment
25% de leurs avoirs pour leur loyer ou leur prêt immobilier ?
Le dernier intervenant privilégie le comportement des ménages sur l’action des
intermédiaires. Les seniors français épargnent beaucoup, voire trop. Le problème est de savoir ce
qu’ils font de leur épargne. Pour faire baisser le poids de l’immobilier, faut-il taxer les plus values
immobilières, les héritages ? 40% d’actionnaires, au lieu des 15% actuels, représente-t-il une
solution ? Or, avec la crise, les ménages sont devenus très pessimistes.
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