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ges en URSS, Pour un réalisme socialiste, où, louant ce qu’elle a ‚de génial‘, il
s’approprie la formule par laquelle Staline désigne „les écrivains [comme] les ingé-
nieurs des âmes“ (Aragon 1935: 11). Malgré la variété de la „Querelle“, à laquelle
participent des peintres comme Fernand Léger, André Lhote ou Jean Lurçat et des
écrivains comme René Crevel ou Aragon, qui dans sa contribution recommande
aux artistes le modèle des „ingénieurs de l’âme“ (Klein 2001),4 on peut résumer la
conception du ‚réalisme socialiste‘ par le titre de la grande étude que consacre
Régine Robin à cette notion et son contexte: Le réalisme socialiste. Une esthé-
tique impossible. Robin constate dans son „Introduction“ que „[c]’est un art qui tire
sa finalité de l’idéologie, sans que le texte ait la possibilité de produire du sens et
de le disséminer“ (Robin 1986: 24),5 et c’est cette impossibilité qui mène la majo-
rité des écrivains, après la Deuxième Guerre mondiale, à refuser et à condamner
le réalisme, non seulement en littérature, mais souvent aussi en général.
Dans ce contexte, le Roland Barthes du „théâtre populaire“ fait figure d’excep-
tion. Dans l’article de 1956, „Nouveaux problèmes du réalisme“ (Barthes 1993b),6
il distingue les deux courants que nous venons de mentionner („Le réalisme bour-
geois“; „Le réalisme socialiste“), pour montrer que l’actualité (Aragon, Sartre,
Robbe-Grillet) se caractérise par „le problème de la distance d’accomodation au
réel. A quelle distance l’écrivain doit-il régler son regard sur le réel?“ Revendiquant
un „réalisme final“, qui serait „essentiellement signification“, comme l’aboutisse-
ment du roman réaliste, Barthes envisage un roman (réaliste) qui „réussisse à se
libérer complètement des normes de descriptions bourgeoises, sans pour cela
renoncer à doter de significations justes tous les paliers du réel“ (Barthes 1993b:
551). Mais cette ‚synthèse‘ entre un réalisme ‚socialiste‘ (Aragon), existentialiste
(Sartre) et ‚nouveau‘ (Robbe-Grillet) ne verra pas le jour, et devenant (post-)struc-
turaliste, Barthes changera sa perception du réalisme.
La distance vis-à-vis du ‚réalisme‘, socialiste ou non, caractérise aussi le Nou-
veau Roman, même si Robbe-Grillet termine son article introductif de Pour un
Nouveau Roman, „A quoi servent les théories?“ (1955/1963), par la phrase: „C’est
ce nouveau réalisme [celui „d’une écriture réaliste d’un genre inconnu“] dont le
présent recueil tente de préciser quelques contours“ (Robbe-Grillet 1961: 13).
C’est dans le dernier essai de ce volume, „Du réalisme à la réalité“, que Robbe-
Grillet, tout en admettant avoir été parfois victime, lui aussi, de „l’illusion réaliste“,
définit sa conception de la réalité littéraire: „L’écriture romanesque ne vise pas à
informer, comme le fait la chronologie, le témoignage, ou la relation scientifique,
elle constitue la réalité“. Se référant à Kafka, pour Robbe-Grillet, „La littérature,
d’ailleurs, consisterait toujours, et d’une manière systématique, à parler d’autre
chose. Il y aurait un monde présent et un monde réel; le premier serait seul visible,
le second seul important“ (Robbe-Grillet 1961: 138, 141). Si la littérature constitue
la/sa réalité, si elle ne parle pas du monde présent, mais de son propre monde
réel („Le Monde réel“ étant le titre du cycle romanesque d’Aragon, conçu comme
réalisation d’un ‚réalisme socialiste‘ à la française, qui commence avec Les
Cloches de Bâle, 1934), le titre de cette partie du texte („Du réalisme à la réalité“)