7 / L’espace
Les didascalies concernant l’espace de la scène sont minimalistes : « Route à la campagne. Avec
arbre. » (p.11). On est dehors, dans un no man’s land.
Il y a toutefois un autre espace dans En attendant Godot, très intéressant : c’est le hors-scène…
Sur cette route déserte, Vladimir et Estragon font le guet, ouvrant à l’imaginaire un autre espace.
De même, lorsque Pozzo et Lucky sortent de scène, seul le bruit permet d’imaginer la chute
clownesque de Lucky hors-scène : « Bruit de Lucky qui tombe » (p.68).
8 / Pièce comique, pièce tragique
« Parce que c’est affreux, c’est également drôle », Alain Badiou, Beckett, l’increvable désir
L’humour est très présent dans En attendant Godot.
Comique de situation avec la parodie de la relation maître-esclave hégélienne.
Comique des gestes, comique burlesque : le chapeau, les chaussures, la corde qui casse, les
chutes… Très forte inuence de Keaton, Chaplin et du duo Laurel et Hardy. Dans En attendant
Godot, la paire est dupliquée avec Didi / Gogo et Lucky / Pozzo.
Humour verbal dévastateur : jeux de mots, coq à l’âne, citations approximatives (p.102). Humour
poétique proche de celui d’Henri Michaux.
Jeux avec le public, théâtre mis en abyme… « Tout le monde me regarde ? » (p.48), « On se
croirait au spectacle. » (p.56).
Pièce tragique aussi, qui parle de la misère de l’homme, ses maladies, sa solitude, ses angoisses
existentielles.
En attendant Godot met en scène des personnages misérables qui attendent désespérément
quelqu’un et babillent pour avoir le sentiment d’exister, c’est le degré zéro de la condition humaine
et de la communication. Il ne se passe rien, ou presque rien. Et l’acte II est une reduplication de
l’acte I en pire.
Il y a un sens métaphysique à cette attente. D’ailleurs, la pièce est truffée de réexions métaphy-
siques et de références à la Bible (Abel, Job, Jésus, Saint Sauveur…). Et dans Godot, il y a « God »,
Dieu en anglais.
… Quoique… Beckett a été très clair : Godot n’est pas God. Mais dénégation ou provocation ?
De l’espoir quand même ?
« - Vladimir : Nous sommes contents.
- Estragon : Nous sommes contents. (Silence) Qu’est-ce qu’on fait maintenant qu’on est content ?
- Vladimir : On attend Godot.
- Estragon : C’est vrai. » (p.101)
« Vladimir : Il est vrai qu’en pesant, les bras croisés, pour le pour et le contre, nous faisons également
honneur à notre condition. (…) Que faisons-nous ici, voilà ce qu’il faut se demander. Nous avons la
chance de le savoir. Oui, dans cette immense confusion, une chose est claire : nous attendons que
Godot vienne. » (p.134)
En attendant Godot parle aussi de notre inextinguible capacité humaine à espérer. C’est la position
de Pierre Chabert, spécialiste de l’œuvre de Beckett : « Peu avant de mourir, Beckett m’a dit, alors
que je partais en Espagne, combien il trouvait magnique le double sens du mot « espérer », attendre
et espérer. On s’est trop focalisé sur le fait que Godot ne vient pas et sur ce qu’il représenterait, alors
que l’important réside dans la persistance de l’espoir qui fait que les personnages ne bougent pas et
continuent d’attendre. »