ACB
SAISON
2012
2013
scène nationale bar-le-duc
le Théâtre, 20 rue Theuriet
réservation : 03 29 79 73 47
dossier pédagogique / Théâtre
Jeudi 11 avril - 20h30
EN ATTENDANT GODOT
de Samuel Beckett mise en scène Bernard Lévy compagnie Lire aux éclats
© Philippe Delacroix
Nathalie HAMEN
Professeur de Lettres
Collège Theuriet
BAR LE DUC
EN ATTENDANT GODOT
Jeudi 11 avril - 20h30
compagnie Lire aux éclats
de Samuel Beckett
mise en scène Bernard Lévy
avec Gilles Arbona, Thierry Bosc, Georges Ser, Patrick Zimmermann et un enfant
chorégraphie Jean-Claude Gallota
asistant à la mise en scène Jean-Luc Vincent
décros Giulio Lichtner
lumières Christian Pinaud
son Marco Bretonnière
Production déléguée en 2009 mc2 grenoble, coproduction mc2 grenoble, compagnie lire aux éclats, le parvis - scène natio-
nale de tarbes, co-réalistion ate théâtre louis-jouvet, production délége pour la reprise scène nationale de sénart.
« On trouve toujours quelque chose, hein, Didi,
pour nous donner l’impression d’exister ? » (p.117)
Caspar David Friedrich, Deux hommes près de la mer au lever de la lune, 1817
Les références paginales sont celles des éditions de minuit, seul éditeur de Beckett en France.
1 / Présentation de la pièce
En attendant Godot (1953) est une pièce de théâtre de Samuel Beckett en deux actes qui a été
écrite en français par ce romancier et dramaturge irlandais.
L’acte I met en scène, dans un décor lugubre qu’ « égaie » un arbre sans feuille, deux clo-
chards, Vladimir et Estragon, qui bavardent de tout et de rien en attendant la venue d’un énig-
matique Monsieur Godot. Arrivent Lucky et son esclave Pozzo, tenu en laisse et maltraité par
son maître. Après cette diversion, le dialogue des deux compères reprend. Un garçon vient leur
transmettre un message de Godot : « il ne viendra pas ce soir mais sûrement demain » (p.85).
Didi et Gogo « ne bougent pas ».
L’acte II se passe le lendemain. L’arbre a quelques feuilles. Cette journée est une réplique
dégradée de la précédente. Didi et Gogo sont beaucoup plus inquiets et maladroits. Lucky est
muet, Pozzo est aveugle. Les quatre personnages trébuchent, accablés de misère et d’ennui.
Le garçon réapparaît et annonce que Godot ne viendra pas aujourd’hui mais sûrement demain.
Didi et Gogo « ne bougent pas ».
2 / Sources, génèse de la pièce
« J’ai commencé d’écrire En attendant Godot pour me détendre, pour fuir l’horrible prose que
j’écrivais à l’époque. » (Beckett) Faire du théâtre, écrire En attendant Godot est un « divertisse-
ment » par rapport à l’écriture de sa trilogie romanesque Molloy (1951), Malone meurt (1952),
L’innommable (1953).
Un des points de départ de cette pièce est le tableau de Caspar David Friedrich (romantique
allemand), Deux hommes près de la mer au lever de la lune (1817).
A avoir à l’esprit : Beckett était un musicien et mélomane, d’où l’importance du « matériau so-
nore », le phrasé, les reprises, les silences. Joël Jouanneau parle de cette « musique impéra-
tive, essentielle » chez Beckett.
3 / Sujet de la pièce
En attendant Godot est un questionnement sur la condition de l’homme et son immense dif-
culté à être et à communiquer. Beckett y met en jeu les thèmes existentiels du temps, de la
solitude, de l’attente, de la déchéance, de la mort. C’est affreux et drôle à la fois.
Anouilh résumait ainsi la pièce : « Les Pensées de Pascal jouées par les Fratellini ».
Robbe-Gillet a dit dans Critique n°69 (1953) : « C’est peu dire qu’il ne se passe rien. (…) Ici,
c’est moins que rien , (…) comme si nous assistions à une espèce de regression au-delà du
rien. »
La première parole de la pièce est : « Rien à faire », incipit très emblématique…
Bernard Lévy, le metteur en scène, parle quant à lui d’une succession de « sketches métaphy-
siques ».
Beckett disait avec ironie : « Godot est un western endiablé » !
4 / Le titre
Le titre de la pièce, En attendant Godot, augure déjà sur le contenu et propose trois pistes signi-
antes :
- celle du temps : L’attente, cette durée de temps sans mesure
- celle du sens : Quel sens donner à cette attente ? Qui est Godot ? Vers une interprétation mé-
taphysique ?
- celle du jeu : En grammaire, le titre est un gérondif, qui laisse la phrase en suspens. En atten-
dant Godot, qu’est-ce qu’on fait ? Comment meubler ce temps ? Comment se « divertir » ? A quoi
on joue « en attendant » ?
« - Estragon : Quel est mon rôle là-dedans ?
- Vladimir : Quel rôle ? » (p.28,29)
5 / Formidable entreprise de subversion de toute une tradition théâtrale
Mise à mal du personnage
Qui est-il ? Le personnge est un corps inrme, qui souffre (mal aux pieds, problème de prostate,
cécité, mutisme, problème d’équilibre…). Beckett privilégie l’afrmation des besoins organiques
au détriment de la dimension psychologique du personnage qu’il abandonne.
Mise à mal de l’intrigue
Pas d’intrigue, pas de « progression dramatique », pas de dénouement. Un temps étalé, immo-
bile.
Mise à mal du texte
Pas de continuité logique dans le propos, ressassement, « eflochage » de la parole, bribes, refus
du langage littéraire, trivialité (« Les gens sont des cons » - p.19). Contestation du signiant : les
mots semblent choisis pour leur matériau sonore (voir le monologue délirant de Lucky p. 71 à 75).
Contestation du signié : jeux polysémiques en abondance.
Nouveau statut des didascalies
Réévaluation entre le « dire » et le « faire ». Beckett afrme l’importance du langage du corps
dans des didascalies très fréquentes et parfois très longues (exemple p.33 et 34) et privilégie le
moment (même réduit, minimaliste, entamé) et le jeu théâtral (exemple du chapeau p.121).
Tyrannie de Beckett concernant la mise en scène. Exigence du respect absolu de ce qui est dit
dans les didascalies qui répondent à une nécessité interne fondamentale. Il fait interdire des re-
présentations qui négligent la précision de celles-ci. Aujourd’hui encore, Irène Lindon a la charge
de défendre les didascalies de Beckett concernant la représentation de ses pièces, et interdit
certains partis pris de mise en scène.
6 / Le temps
La réexion sur le temps est au centre de l’œuvre de Beckett. Un temps effrayant, immense, sans
limite, marqué par l’attente, les silences… et quelques feuilles sur l’arbre.
Un temps aboli à cause du néant de l’intrigue et à cause de la répétition des mêmes « actions » de
la première journée (acte I) et de la deuxième journée (acte II) : même attente et même babil de
Didi et Gogo, même apparition clownesque de Lucky et Pozzo, même proposition de suicide par
pendaison, même venue du garçon messager de Godot, mêmes didascalies à la n de chaque
acte : « Ils ne bougent pas ».
Les silences indiqués par les didascalies marquent le temps, sont du temps et arrêtent le temps.
« Beckett a inventé la notion de silence au théâtre, pas de façon psychologique, pour émouvoir,
faire sourire ou pleurer, mais comme un arrêt du temps », note Joël Jouanneau.
7 / L’espace
Les didascalies concernant l’espace de la scène sont minimalistes : « Route à la campagne. Avec
arbre. » (p.11). On est dehors, dans un no man’s land.
Il y a toutefois un autre espace dans En attendant Godot, très intéressant : c’est le hors-scène…
Sur cette route déserte, Vladimir et Estragon font le guet, ouvrant à l’imaginaire un autre espace.
De même, lorsque Pozzo et Lucky sortent de scène, seul le bruit permet d’imaginer la chute
clownesque de Lucky hors-scène : « Bruit de Lucky qui tombe » (p.68).
8 / Pièce comique, pièce tragique
« Parce que c’est affreux, c’est également drôle », Alain Badiou, Beckett, l’increvable désir
L’humour est très présent dans En attendant Godot.
Comique de situation avec la parodie de la relation maître-esclave hégélienne.
Comique des gestes, comique burlesque : le chapeau, les chaussures, la corde qui casse, les
chutes… Très forte inuence de Keaton, Chaplin et du duo Laurel et Hardy. Dans En attendant
Godot, la paire est dupliquée avec Didi / Gogo et Lucky / Pozzo.
Humour verbal dévastateur : jeux de mots, coq à l’âne, citations approximatives (p.102). Humour
poétique proche de celui d’Henri Michaux.
Jeux avec le public, théâtre mis en abyme… « Tout le monde me regarde ? » (p.48), « On se
croirait au spectacle. » (p.56).
Pièce tragique aussi, qui parle de la misère de l’homme, ses maladies, sa solitude, ses angoisses
existentielles.
En attendant Godot met en scène des personnages misérables qui attendent désespérément
quelqu’un et babillent pour avoir le sentiment d’exister, c’est le degré zéro de la condition humaine
et de la communication. Il ne se passe rien, ou presque rien. Et l’acte II est une reduplication de
l’acte I en pire.
Il y a un sens métaphysique à cette attente. D’ailleurs, la pièce est truffée de réexions métaphy-
siques et de références à la Bible (Abel, Job, Jésus, Saint Sauveur…). Et dans Godot, il y a « God »,
Dieu en anglais.
… Quoique… Beckett a été très clair : Godot n’est pas God. Mais dénégation ou provocation ?
De l’espoir quand même ?
« - Vladimir : Nous sommes contents.
- Estragon : Nous sommes contents. (Silence) Qu’est-ce qu’on fait maintenant qu’on est content ?
- Vladimir : On attend Godot.
- Estragon : C’est vrai. » (p.101)
« Vladimir : Il est vrai qu’en pesant, les bras croisés, pour le pour et le contre, nous faisons également
honneur à notre condition. (…) Que faisons-nous ici, voilà ce qu’il faut se demander. Nous avons la
chance de le savoir. Oui, dans cette immense confusion, une chose est claire : nous attendons que
Godot vienne. » (p.134)
En attendant Godot parle aussi de notre inextinguible capacité humaine à esrer. C’est la position
de Pierre Chabert, spécialiste de l’œuvre de Beckett : « Peu avant de mourir, Beckett m’a dit, alors
que je partais en Espagne, combien il trouvait magnique le double sens du mot « esrer », attendre
et espérer. On s’est trop focalisé sur le fait que Godot ne vient pas et sur ce qu’il représenterait, alors
que l’important réside dans la persistance de l’espoir qui fait que les personnages ne bougent pas et
continuent d’attendre. »
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