mai 2011 - 8 e - n° 665 Point Gamma 21 mai 2011 REVUE MENSUELLE DE L’ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES ET DIPLÔMÉS DE L’ÉCOLE DOSSiER L’assurance Face aux risques nouveaux ➔ Grands risques et nouveaux risques ➔ Le rôle irremplaçable de l’assurance-vie ➔ Les nouvelles règles de la solvabilité Focus L E S D E U X A N S D U G R O U P E X - A C H AT S JR couverture_665_ok.indd 1 27/04/11 15:07:34 P.2-3 Sommaire 28/04/11 18:37 Page 2 Sommaire GRAND ANGLE mai 2011 – n° 665 L’assurance face aux risques nouveaux 5 > Éditorial de Robert Leblanc (76) Métiers à risques 7 > Résumé des articles 8 > Grands risques et nouveaux risques par Daniel Zajdenweber 12 > Trente ans d’assurance des catastrophes naturelles par Thierry Masquelier (68) et Pierre Michel (88) 16 > L’assurance-crédit contre le risque d’impayés par Michel Mollard (83) 20 > Repenser l’assurance de responsabilité médicale après la crise par Nicolas Gombault 24 > Un rôle sociétal : alerter, favoriser, accompagner par Jacques de Peretti (80) 28 > Le rôle irremplaçable de l’assurance-vie par André Renaudin (76) 32 > Assurance-vie : innover face aux contraintes par Jean-Pierre Wiedmer (79) et Auriane Maigné 36 > Distribution : une exception française durable ? par Nicolas Moreau (85) 40 > Créer un cadre d’indemnisation pour les accidents corporels par Guillaume Rosenwald (85) 42 > Les nouvelles règles de la solvabilité POUR EN par Jean-Marie Levaux (64) SAVOIR + Rendez vous sur le site de La Jaune et la Rouge pour accéder aux informations complémentaires, réagir sur les forums et consulter les numéros déjà parus. http://www.lajauneetlarouge.com Courriel : [email protected] P.2-3 Sommaire 29/04/11 11:24 Page 3 EXPRESSIONS POINT DE VUE 50 > Il faut continuer à exiger des rentabilités de 15 % par Jean Estin 52 > Maurice Allais et la physique : « Un parcours atypique de physicien » par Gérard Pilé (41) AU COURRIER 55 > Les valeurs alsaciennes par Régis Bello (65) FORUM SOCIAL 70 > Développer l’emploi des plus de cinquante ans : un choix politique par Jean-Marc Coursin LIBRES PROPOS 72 > Développement durable ou dérive court termiste ? par Jean-Pierre Castel (68) ARTS, LETTRES ET SCIENCES 56 > Musique en images par Marc Darmon (83) Bridge par Gaston Méjane (62) 57 > Discographie par Jean Salmona (56) Récréations scientifiques par Jean Moreau de Saint-Martin (56) 58 > Solutions du bridge et des récréations scientifiques 59 > Livres P OINT G AMMA 61 > Rendez-vous au Point Gamma le 21 mai par l’équipe du Point Gamma de la promotion 2009, avec l’aide de quelques anciens nostalgiques FOCUS Les deux ans du groupe X-Achats 74 > François Renard (77), président du groupe X-Achats « Les achats mènent au fond des choses » propos recueillis par Jean-Marc Chabanas (58) VIE DES ENTREPRISES 81 > Dossier spécial réalisé par FFE pour le service commercial de La Jaune et la Rouge Revue mensuelle de l’Association des anciens élèves et diplômés de l’École polytechnique DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Christian GERONDEAU (57) RÉDACTION EN CHEF : Jean-Marc CHABANAS (58), Hubert JACQUET (64) ASSISTANTE : Françoise BOURRIGAULT CORRECTRICE : Catherine AUGÉ ÉDITEUR : Association des anciens élèves et diplômés de l’École polytechnique 5, rue Descartes, 75005 Paris Tél. : 01.56.81.11.00 Courriel : [email protected] Fax : 01.56.81.11.01 COMITÉ ÉDITORIAL : Christian MARBACH (56), président, Pierre LASZLO, Philippe ALQUIER (E.P.), JEAN DESCHARD (E.P.), Gérard PILÉ (41), Maurice BERNARD (48), Jean DUQUESNE (52), Michel HENRY (53), Michel GÉRARD (55), Charles-Henri PIN (56), Jacques-Charles FLANDIN (59), Jacques PARENT (61), François Xavier MARTIN (63), Gérard BLANC (68), Alexandre MOATTI (78), Jean-Philippe PAPILLON (90) RÉDACTION DE LA JAUNE ET LA ROUGE : 5, rue Descartes, 75005 Paris Tél. : 01.56.81.11.13 Courriel : [email protected] WEBMESTRE : Jean-Pierre HENRY (64) [email protected] ABONNEMENTS, ANNUAIRE, COTISATIONS : Tél. : 01.56.81.11.05 ou 01.56.81.11.15 [email protected] COMMUNICATION : Régine LOMBARD [email protected] ANNONCES IMMOBILIÈRES : Tél. : 01.56.81.11.11 – Fax : 01.56.81.11.01 BUREAU DES CARRIÈRES : Tél. : 01.56.81.11.14 – Fax : 01.56.81.11.03 TARIFS 2011 : Prix du numéro : 8 euros Abonnements : 10 numéros par an, 40 euros Promos 2000 à 2003 : 30 euros Promos postérieures : 01.56.81.11.15 PUBLICITÉ : FFE, 18, avenue Parmentier – BP 169 75523 Paris Cedex 11 Tél. : 01.53.36.20.40 CONCEPTION, RÉALISATION : KEY GRAPHIC IMPRESSION : GROUPE MAURY IMPRIMEUR COMMISSION PARITAIRE n° 0114 G 84221 ISSN n° 0021-5554 TIRAGE : 13 800 exemplaires N ° 665 – MAI 2011 EN COUVERTURE : TSUNAMI, JAPON, JANVIER 2011 © HO NEW / REUTERS PAG E 99 P.5 Editorial Leblanc 22/04/11 17:19 Page 5 ÉDITORIAL D.R. par Robert Leblanc (76), président-directeur général d’AON France Métiers à risques le corps de contrôle des assurances et l’actuariat, conduisent naturellement beaucoup de polytechniciens dans l’assurance. Mais il existe une troisième filière, peut-être la plus importante : celle du hasard. Quand j’ai rejoint le secteur des assurances et que j’ai eu l’occasion de raconter mon parcours aux assureurs que je rejoignais, je finissais mon histoire en observant que je devenais donc assureur par hasard ; et la plupart me répondaient : « Mais nous sommes tous assureurs par hasard ! » D EUX FILIÈRES, L’assurance est rarement un choix précoce de ceux qui y viennent et son image à l’extérieur reste un peu grise. Pourtant l’assurance offre des perspectives passionnantes à tous ceux qui ont fait le pas. Elle couvre tous les sujets de société : des retraites à la santé, en passant par les catastrophes naturelles, les accidents de voitures, la responsabilité environnementale, la responsabilité médicale, le risque décès des emprunteurs ou encore les pertes d’exploitation consécutives à un bris de machine. Les sociétés d’assurances peuvent être par actions ou à forme mutuelle. Les institutions de prévoyance paritaires et les mutuelles santé de la mutualité de 1945 complètent le paysage français, avec leurs spécificités. Mais il n’y a pas que les porteurs de risques. La profession du courtage, mal connue, est pourtant nécessaire dans la maîtrise des risques des entreprises : grâce à des professionnels aussi qualifiés que ceux des compagnies, ils peuvent mettre en œuvre avec succès des schémas de rétention et de transfert de risques adaptés à la complexité des entreprises. Les courtiers ont d’ailleurs un champ d’action aussi vaste que celui des assureurs : assurance-vie et non-vie, appelée généralement IARD (pour Incendies, accidents, risques divers), au service des particuliers et des entreprises. Nos métiers sont nombreux et variés. Ils attireront sans nul doute les jeunes talents dont l’Assurance a besoin et qui y trouveront beaucoup de joie. ■ LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 5 P.7 Résumés 22/04/11 17:10 Page 7 DES ARTICLES L’assurance face aux risques nouveaux DOSSIER COORDONNÉ PAR ROBERT LEBLANC (76) Grands risques et nouveaux risques par Daniel Zajdenweber p. 8 La croissance économique et démographique a pour conséquence directe une montée de la sinistralité, en particulier dans les cas de catastrophes naturelles ou d’origine anthropique. Elle crée de nouveaux besoins d’assurance pour faire face aux risques émergents. La demande va donc croître, mais pour y répondre les assureurs devront trouver des fonds propres, faute de quoi les États auront à intervenir. Trente ans d’assurance des catastrophes naturelles par Thierry Masquelier (68) et Pierre Michel (88) p. 12 L’assurance des catastrophes naturelles existe depuis trente ans. Le régime n’a connu de modifications législatives que sur des détails. Les principes sont restés inchangés depuis l’origine. C’est la preuve qu’ils sont globalement appréciés des Français. Cependant, ce régime peut être amélioré, notamment en vue de le rendre encore plus incitatif à la prévention. L’assurance-crédit contre le risque d’impayés par Michel Mollard (83) p. 16 Les impayés peuvent gravement obérer la rentabilité des entreprises, voire les mettre en péril. L’assurance-crédit protège les entreprises à la fois par un mécanisme de mutualisation classique qui répartit les pertes entre clients et par une baisse des sinistres due à une meilleure gestion des risques. Avec la mondialisation des échanges et le durcissement des critères de solvabilité, cette activité est promise à un fort développement. Repenser l’assurance de responsabilité médicale après la crise par Nicolas Gombault p. 20 L’assurance de la responsabilité médicale représente un marché étroit et à haut risque, sujet à des revirements de jurisprudence dont il est difficile d’évaluer à l’avance les impacts. La crise de 2002 subsiste pour certains praticiens, en particulier les obstétriciens, du fait de l’intensité de certains sinistres. Une réforme est à nouveau attendue. Un rôle sociétal : alerter, favoriser, accompagner par Jacques de Peretti (80) p. 24 L’assureur dommages a pour mission d’indemniser des individus ou des groupes d’individus qui subissent un dommage et qui s’associent pour mutualiser leur risque. Par son expérience acquise avec sa mission d’indemnisation, l’assureur peut alerter. Par son savoir-faire dans le domaine de la prévention, l’assureur peut favoriser les comportements responsables. Par sa capacité à prendre des risques, l’assureur peut accompagner l’innovation. Un des arts que doit maîtriser l’assureur va être de combiner en permanence dans son action l’ensemble de ces trois leviers. La société a, chaque jour, plus besoin de lui. Le rôle irremplaçable de l’assurance-vie par André Renaudin (76) p. 28 Depuis 1970, l’assurance-vie connaît une croissance continue et forte. La raison est que cet instrument s’est bien adapté aux besoins des Français et à ceux de l’économie en général. Cette croissance devrait naturellement se poursuivre pour répondre aux nouvelles demandes de protection, en particulier celles liées à la démographie ou à l’évolution des comptes sociaux. Encore faut-il que l’activité puisse évoluer dans un cadre réglementaire clair et pérenne. GRAND ANGLE RÉSUMÉ Assurance-vie : innover face aux contraintes par Jean-Pierre Wiedmer (79) et Auriane Maigné p. 32 Placement très prisé des Français, l’assurance-vie a connu un regain d‘intérêt avec les contrats multisupports. Mais les obligations nouvelles qui pèsent sur les compagnies, tant en matière prudentielle qu’en matière d’information des clients, risquent d’obérer les rendements. Les assureurs sont donc amenés à innover pour répondre à ces nouveaux défis, en particulier dans le domaine des compléments de retraite. Distribution : une exception française durable ? par Nicolas Moreau (85) p. 36 Après le premier «big bang» des années soixante, avec l’arrivée des mutuelles sans intermédiaires sur les assurances dommages du particulier, puis celui des années quatre-vingt, correspondant à l’entrée des banquiers sur l’assurance-vie, les parts de marché des différents « modes de distribution » apparaissent stables depuis quinze ans. Cette stabilité intègre des tendances structurelles de déformations, liées à l’évolution des modes de consommation et à la convergence des activités des secteurs financiers, déformations qui se construisent sur les évolutions des technologies de l’information. Créer un cadre d’indemnisation pour les accidents corporels par Guillaume Rosenwald (85) p. 40 Si les dispositifs français d’indemnisation des victimes d’accidents corporels sont parmi les plus complets au monde, leur hétérogénéité est source de distorsions importantes. D’importants progrès sont possibles, pour autant que le cadre législatif et réglementaire soit harmonisé et modernisé. Un véritable pilotage des mécanismes d’indemnisation permettrait de réaliser des améliorations profitables à tous, à l’instar de ce qui existe en matière des accidents de la route. Les nouvelles règles de la solvabilité par Jean-Marie Levaux (64) p. 45 La directive Solvabilité II définit les nouvelles règles en matière de solvabilité des entreprises d’assurances et de réassurances européennes. Elle doit conduire à un renforcement de la maîtrise des risques de la part des entreprises et à une surveillance prudentielle efficace de la part des autorités de contrôle. LA JAUNE ET LA ROUGE • AVRIL 2011 7 P.8 Zajdenweber 22/04/11 18:24 Page 8 GRAND ANGLE L’ASSURANCE PAR DANIEL ZAJDENWEBER professeur émérite, université Paris-OuestNanterre-La Défense Grands risques et nouveaux risques La croissance économique et démographique a pour conséquence directe une montée de la sinistralité, en particulier dans les cas de catastrophes naturelles ou d’origine anthropique. Elle crée de nouveaux besoins d’assurance pour faire face aux risques émergents. La demande va donc croître, mais pour y répondre les assureurs devront trouver des fonds propres, faute de quoi les États auront à intervenir. REPÈRES Pour les assureurs, le XXI e siècle est mal parti Les tendances croissantes des montants des sinistres et de leurs fréquences, extrapolées et publiées par les deux plus grands réassureurs mondiaux, Swiss Re et Munich Re, semblent annoncer une croissance des sinistres extrêmes qui, couplée aux débats scientifiques actuels sur l’éventuel réchauffement climatique global à venir, laisse présager un futur apocalyptique. Quant à l’émergence de nouveaux risques sur la santé des populations, par exemple les éventuelles pathologies liées aux manipulations génétiques ou à l’usage intensif des téléphones portables, elle contribue à noircir encore plus les spéculations sur les risques attendus à plus ou moins long terme. AIG La crise dite des subprimes à partir de 2008 a non seulement réduit les valeurs des placements des assureurs, mais aussi révélé le dévoiement d’un grand assureur en quasifaillite (AIG), qui pratiquait une activité bancaire en dehors du cadre réglementaire « Bâle II », autrement dit sans avoir les capitaux propres ni les provisions suffisants. (Chili en 2010, Japon en mars 2011), les tsunamis (Sumatra en 2004 et à nouveau le Japon en mars 2011), les volcans (Islande en 2010), les tempêtes (Klaus en 2009), les submersions des côtes (Xynthia en 2010) ; les risques industriels aux impacts urbains ou environnementaux dramatiques, qu’ils soient dus à la maladresse des opérateurs avec les explosions d’usines chimiques (AZF à Toulouse en 2001) et de plateformes pétrolières (BP dans le golfe du Mexique en 2010) ou dus à une cause naturelle (les centrales nucléaires au Japon après le séisme et le tsunami de mars 2011) ; les risques politiques ou sociaux avec les attentats meurtriers et destructeurs (World Trade Center en 2001) et la récurrence des actes de piraterie maritime (Somalie) ; les risques financiers enfin. Croissance et concentration ■ Pour les assureurs, le vingt et unième siècle est mal parti. Sa première décennie (2001 à 2011) a vu se réaliser un grand nombre de sinistres majeurs, qui ont aussi été des records historiques en termes de pertes économiques et de nombre de victimes. Toutes les branches de l’assurance ont été affectées. Les risques naturels avec les cyclones (Katrina en 2005), les nombreuses inondations (2005 en Europe centrale, Draguignan en 2010), les tremblements de terre de magnitude extrême 8 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 Toutefois, ce tableau inquiétant de l’état du monde ne signifie pas que les phénomènes naturels sont devenus plus fréquents et plus intenses. Comme l’analyse historique des catastrophes naturelles nous le montre, l’incontestable aggravation des montants des sinistres extrêmes et leur apparente plus grande fréquence sont surtout dues à la croissance économique et à la concentration géographique des populations et des richesses exposées aux risques naturels. P.8 Zajdenweber 22/04/11 18:24 Page 9 Catastrophes naturelles La tempête Xynthia, fin février 2010, couplée à un fort coefficient de marée, comme en Hollande en 1953, qui submergea une partie des côtes vendéennes et coûta la vie à 53 personnes, illustre de façon caricaturale l’impact de la croissance économique et de la concentration des populations sur les montants des dommages. S’il n’y avait pas eu urbanisation récente des zones côtières, parfois situées au-dessous du niveau de la mer, les dommages auraient été négligeables. Or, les historiens 1 ont montré que, depuis le Moyen Âge, la Vendée a connu un grand nombre de tempêtes équivalentes à Xynthia et a aussi subi le passage de plusieurs tsunamis, un phénomène moins connu parce que rare mais encore plus dangereux que les tempêtes en raison de son imprévisibilité. Ce qui a trompé les édiles locaux, qui ont autorisé les lotissements dans des zones susceptibles d’être submergées, c’est la relative absence de tempêtes semblables au cours des cent dernières années, qui a fait perdre la mémoire des tempêtes extrêmes. Fréquence triplée REUTERS L’histoire récente des 96 catastrophes climatiques aux États-Unis entre 1980 et 2009, recensées par la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), montre en outre que si la croissance économique et la concen- Inondation en Vendée après la tempête Xynthia le 28 février 2010. GRAND ANGLE À l’inverse, la relative rareté de certains sinistres d’origine industrielle, comme ceux liés à l’industrie électronucléaire, ne signifie pas que ces risques sont entièrement maîtrisés. Un rappel sur les paradoxes des risques extrêmes nous montre qu’il convient de rester vigilant et de renforcer la prévention car, à long terme, la valeur moyenne de ces sinistres industriels ne peut que croître. Percolation On veut traverser un gué sans se mouiller, en sautant de rocher en rocher. Si le nombre de rochers est faible, cette traversée peut être impossible : la probabilité de traversée à sec est nulle. Lorsque le nombre de rochers augmente, il est possible qu’un chemin tortueux à sec apparaisse, d’où une faible probabilité de passage. Passé une certaine densité de rochers, un très grand nombre de chemins sont utilisables, d’où une quasi-certitude de pouvoir traverser à sec. L’augmentation brutale et importante de cette probabilité constitue le seuil de percolation. Dans le contexte des catastrophes climatiques, dès que la taille et la concentration des populations et des richesses dépassent un certain niveau, dénommé seuil de percolation, la probabilité des sinistres augmente fortement, voire tend vers un. tration géographique sont les causes de l’aggravation des dommages, elles sont aussi les causes de l’augmentation de la fréquence des catastrophes2. En effet, entre 1980 et 1990 inclus, il y eut chaque année, en moyenne, 1,27 catastrophe climatique qui a coûté plus d’un milliard de dollars. Depuis 1991 la fréquence annuelle de ces catastrophes climatiques a plus que triplé : 4,55. Facteur aggravant, alors qu’entre 1980 et 1990 quatre années n’avaient pas connu de catastrophes climatiques, depuis 1991 toutes les années sans exception en ont subi au moins deux, souvent quatre, voire six comme en 2006 et en 2009 ou huit comme en 1998 et même neuf comme en 2008. Cette forte augmentation de la fréquence des sinistres ne résulte pas d’une modification brutale du climat des États-Unis à partir de 1991, qui serait passée inaperçue des climatologistes et des environnementalistes, mais d’un effet non-linéaire de la croissance économique et de la concentration des populations. Il semble qu’à partir des années 1990 la densité de la population et des richesses exposées aux événements climatiques ait franchi un seuil critique, au-delà duquel il y a une probabilité proche de un, pour que des sinistres majeurs se réalisent chaque année, alors qu’avant 1991 la probabilité de ces sinistres était très inférieure à un. D’où la forte augmentation du nombre de catastrophes, à climat inchangé. Depuis le Moyen Âge, la Vendée a connu un grand nombre de tempêtes équivalentes à Xynthia ➤ LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 9 P.8 Zajdenweber 27/04/11 15:26 Page 10 GRAND ANGLE L’ASSURANCE ➤ Urbanisation Circonstance aggravante, la taille des villes ou agglomérations renforce les effets destructeurs des catastrophes naturelles. Dans le cas des cyclones frappant la côte Atlantique des États-Unis, une étude historique et statistique, couvrant la période 1925-1995, a révélé un effet d’échelle très sensible, résumé dans le tableau ci-dessous 3. Il s’agit des montants médians des dommages, normalisés en dollars constants, en population et en richesse économique constantes, rapportés au nombre d’habitants, figurant en colonne, ventilés par classe de cyclones selon l’échelle de SaffirSimpson, figurant en ligne. Le nombre de cyclones depuis 1925 figure entre parenthèses. Tous les montants sont calculés en millions de dollars de 1995. L’ouragan Andrew (1992) a été classé dans la catégorie 4 alors que le cyclone Katrina (2005) serait classé dans la catégorie 5. Les données sur Katrina ont été calculées par nous et conduisent aujourd’hui à porter le montant des dommages à 135 milliards de dollars au lieu des 110 milliards de dollars inscrits dans le tableau. Facteurs combinés Il faut s’attendre à des sinistres extrêmes encore plus coûteux dans le futur Les dommages médians croissent fortement avec l’intensité des cyclones, un résultat attendu, mais ils augmentent aussi avec le nombre d’habitants. La combinaison de ces deux facteurs met en évidence une relation plus que proportionnelle entre la taille des villes et les montants des dommages. Puisqu’elle va toujours de pair avec une urbanisation croissante, la croissance économique aggrave donc la sinistralité. Il faut donc s’attendre à des sinistres extrêmes encore plus coûteux dans le futur, même si le climat reste inchangé. Évidemment, si le réchauffement climatique global devait se réaliser et qu’il entraîne une augmentation du nombre de cyclones, comme le NOMBRE D’HABITANTS Saffir-Simpson Moins de 250 000 1 16 (21) 17 (15) 2 140 (10) 158 (7) 3 1 108 (13) 2 050 (12) 4 2 105 (2) 8 224 (4) 5 5 973 (2) D’après R. A. Pielke et C. W. Landsea (1998). 10 Moins de 1 million LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 – prédisent certains climatologues, cette aggravation tendancielle de la sinistralité serait encore plus marquée. Origine technologique Les catastrophes d’origine technologique constituent une catégorie « fourre-tout » qui contient les catastrophes dues aux explosions d’usines chimiques et de centrales nucléaires, auxquelles on peut joindre les ruptures de barrages et tous les sinistres à développement long engendrés par l’usage ou la consommation de substances dangereuses pour la santé comme l’amiante, les médicaments (Thalidomide et Distilbène), les rayonnements ionisants, voire pour certains auteurs, les ondes électromagnétiques. Le très grand nombre et la variété des événements dangereux et les montants potentiellement illimités des dommages qu’ils peuvent engendrer, tant en nombre de victimes qu’en pertes économiques, ont suscité de nombreuses réactions politiques ou consuméristes. Comme pour les catastrophes d’origine naturelle, les scénarios apocalyptiques se sont d’autant plus multipliés que certains risques ne sont pas assurables car ils dépassent les capacités des assureurs et que des doutes subsistent quant à la capacité des États à faire face aux conséquences de ces catastrophes, d’où une angoisse diffuse dans les populations exposées. Valeurs extrêmes L’exemple de l’explosion de Tchernobyl en avril 1986 est à bien des égards le modèle de tous les scénarios de catastrophes technologiques, dont celle que le Japon subit actuellement avec ses centrales nucléaires exposées aux risques telluriques (séismes et tsunamis). Tout d’abord les dommages. Ils ont été gigantesques tant sur le plan matériel que pour l’environnement. Bien que non évalués par les autorités, ils ont contraint les populations à être évacuées de façon définitive (43000 habiPlus de 1 million tants à Pripiat, la ville 232 (9) voisine) et il est fort 1 380 (12) probable que l’État soviétique, déjà affai2 118 (15) bli, subit à cette occa22 886 (4) sion un échec majeur 110 000 (1) qui a contribué à sa disparition quelques P.8 Zajdenweber 27/04/11 15:26 Page 11 tiplié par dix, le risque moyen est multiplié par trois, alors que dans les statistiques « standard », en vertu de la loi des grands nombres, l’augmentation du nombre d’usines fait converger la moyenne vers une valeur fixe indépendante du nombre d’usines. Autrement dit, dans la mesure où la croissance économique nécessite de plus en plus de centrales nucléaires pour satisfaire les besoins en énergie et dans la mesure où les progrès de la médecine vont de pair avec la mise au point de nouvelles molécules, il faut s’attendre à ce que les catastrophes d’origine technologique soient plus nombreuses et plus coûteuses, sauf à mettre en place des politiques de prévention et de précaution, elles aussi de plus en plus coûteuses. Outils adaptés Augmenter les fonds propres Pour évaluer les risques liés à l’industrie électronucléaire, plus généralement toutes les industries susceptibles de subir des sinistres dont la distribution n’a pas de moyenne, parce que les rares valeurs extrêmes des dommages sont très éloignées des nombreuses valeurs faibles, il faut utiliser des outils statistiques particuliers où les valeurs moyennes ne sont pas constantes. Elles croissent lentement avec le nombre de centrales en exploitation ou avec le nombre de molécules nouvelles mises sur le marché 4. Par exemple, si le nombre de centrales dans le monde est mul- Pour les assureurs, la croissance des dommages extrêmes, d’origine naturelle ou technologique, et l’augmentation actuelle de leur fréquence sont d’abord les conséquences de la croissance économique. Comme la croissance économique favorise la demande d’assurance, le niveau d’activité de cette branche est donc appelé à croître. Mais les capacités des assureurs doivent être adéquates. Elles devront donc augmenter. Si, comme on peut le craindre, la rentabilité des placements financiers venait à baisser durablement ou être plus volatile, comme on peut l’observer depuis la crise des subprimes, les assureurs devront faire appel à leurs actionnaires ou à leurs adhérents s’il s’agit des sociétés mutuelles. Répondrontils aux appels de fonds ? Si la réponse est oui, alors il n’y aura pas de crise de l’assurance confrontée à l’élévation tendancielle des risques. Si la réponse est non, une crise majeure de l’offre est à craindre, qui contraindra les assureurs publics et les États à se substituer à un secteur privé trop peu capitalisé. ■ Statistiques à réévaluer L’évaluation des dommages moyens par les méthodes statistiques habituelles (total des dommages divisé par le nombre de centrales en activité, avec pondération pour tenir compte des puissances installées et du nombre d’heures d’activité) sous-évalue les risques réels qu’il faut réévaluer dès la survenue d’un accident majeur. En effet, une succession de nombreux incidents bénins peut donner l’apparence d’une valeur moyenne très faible que le moindre accident grave suffit à multiplier par un facteur disproportionné. En conséquence, évaluer le risque moyen dans l’industrie électronucléaire civile à partir des événements réalisés dans le passé n’apporte aucune information utile. Il faut intégrer les informations contenues dans ce que le jargon statistique on appelle la « queue de distribution » qui regroupe les valeurs extrêmes peu fréquentes. GRAND ANGLE années après. Ensuite, la distribution statistique des dommages dus aux accidents dans les usines électronucléaires est caractéristique des distributions sans valeur moyenne : les «petits» accidents, que les ingénieurs nomment parfois «incidents», sont nombreux. Leurs conséquences sont minimes, elles ne vont pas au-delà de l’arrêt temporaire de l’exploitation. En revanche, quelques rares événements sont très coûteux car entraînant l’arrêt prolongé de l’installation puis sa reconstruction, comme la centrale de Three Mile Island (Pennsylvanie) en 1979, qui manqua de peu d’être le Tchernobyl américain. Ils peuvent aller jusqu’au déclassement définitif de l’installation endommagée, comme cela sera vraisemblablement le cas au Japon. Les assureurs devront faire appel à leurs actionnaires ou à leurs adhérents 1. Emmanuel Garnier et Frédéric Surville, La tempête Xynthia face à l’histoire. Submersions et tsunamis sur les littoraux français du Moyen Âge à nos jours, Le Croît vif, Éditions Charentaises, Saintes, 2010. 2. Daniel Zajdenweber, Économie des extrêmes. Krachs, catastrophes, inégalités, Flammarion, Paris, 2009. 3. Roger A. Pielke Jr et Christopher W. Landsea (1998), « Normalized Hurricane Damages in the United States (1925-1995) », Weather and Forecasting, 13, p. 621-631. 4. Daniel Zajdenweber (2009), op.cit. LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 11 P.12 Masquelier et Michel 20/04/11 9:03 Page 12 GRAND ANGLE L’ASSURANCE PAR THIERRY MASQUELIER (68) président de la CCR (Caisse centrale de réassurance) Trente ans d’assurance des catastrophes naturelles ET PIERRE MICHEL (88) directeur général adjoint de la CCR (Caisse centrale de réassurance) Le législateur n’a pas dressé de liste exhaustive des périls couverts L’assurance des catastrophes naturelles existe depuis trente ans. Le régime n’a connu de modifications législatives que sur des détails. Les principes sont restés inchangés depuis l’origine. C’est la preuve qu’ils sont globalement appréciés des Français. Cependant, ce régime peut être amélioré, notamment en vue de le rendre encore plus incitatif à la prévention. ■ Le régime de catastrophe naturelle couvre les immeubles et meubles assurés contre les dommages d’incendie ou tout autre type de dommages comme, par exemple, le vol ou le dégât des eaux. La couverture suit la garantie de base du contrat, c’est-à-dire le plus souvent la garantie incendie, et concerne donc généralement : les habitations et leur contenu; les installations industrielles ou commerciales et leur contenu ; les bâtiments appartenant aux collectivités locales et leur contenu ; les bâtiments agricoles (y compris les récoltes, machines ou animaux se trouvant à l’intérieur des bâtiments). Sont également couverts les véhicules, de même que les accessoires et équipements automobiles si leur couverture est prévue dans le contrat de base. Des inondations aux ouragans L’énumération des périls comprend : les inondations ou coulées de boue ; les séismes ; les mouvements de terrain ; la sécheresse, que l’on désigne par « les mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols » ; les raz-de-marée ; les ouragans dans les DOM. À noter que le législateur n’a pas dressé de liste exhaustive. La loi se lit comme suit : «Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles […] les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause détermi- 12 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 REPÈRES À la suite d’importantes inondations fin 1981 dans les vallées de la Saône et du Rhône et dans le sud-ouest de la France, le législateur introduisit le régime des catastrophes naturelles par la loi du 13 juillet 1982. Toute indemnisation au titre de ce régime est subordonnée à deux conditions préalables : l’état de catastrophe naturelle doit avoir été constaté par un arrêté interministériel ; les biens sinistrés doivent être couverts par un contrat d’assurance « dommages aux biens ». Bien entendu, un lien de causalité doit exister entre la catastrophe constatée par l’arrêté et les dommages subis par l’assuré. nante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises. » (article L125-1 du Code des assurances). Par agent naturel, il faut entendre un phénomène inanimé : ainsi, par exemple, les dégâts causés par des termites ne seraient pas couverts. Le coût des dommages directs La garantie couvre le coût des dommages matériels directs à concurrence de leur valeur fixée au contrat. De même, la garantie des pertes d’exploitation est couverte si elle figure dans le contrat du risque industriel. Par contre ne sont pas couverts les dommages immatériels non consécutifs, c’est-à-dire, par exemple, le contenu d’un réfrigérateur dans une maison qui n’est pas atteinte physiquement par l’inondation mais dont l’alimentation électrique a été interrompue du fait de l’inondation. La franchise est fixée par la réglementation. Elle est, pour l’essentiel : pour les biens à usage d’habitation et pour les véhicules, de 380 euros, sauf pour la sécheresse, pour laquelle elle est de 1 520 euros : pour les biens à usage professionnel, de 10 % des dommages avec un P.12 Masquelier et Michel 20/04/11 9:03 Page 13 Le régime des tempêtes Le système présente une autre particularité : le législateur a mis en place, pour les tempêtes, un régime distinct de celui des catastrophes naturelles. Si celui-ci passe aussi par l’obligation faite aux assureurs d’inclure la garantie dans les polices de dommages aux biens, il fonctionne d’une manière spécifique qui, notamment, ne repose pas sur le mécanisme des arrêtés interministériels. Toutefois, la loi du 13 décembre 2000 « d’orientation pour l’outre-mer» dispose que «les effets du vent dû à un événement cyclonique pour lequel les vents maximaux de surface enregistrés ou estimés sur la zone sinistrée ont atteint ou dépassé 145 km/h en moyenne sur dix minu- Les exclusions Relevons que le régime des catastrophes naturelles ne couvre pas les dommages immatériels, sauf la perte d’exploitation ; ne couvre pas les dommages corporels ; ne couvre pas davantage les dommages aux productions agricoles, comme les cultures ou les élevages hors des bâtiments ; ne concerne que des biens pour lesquels une personne, physique ou morale, a volontairement choisi de souscrire une police d’assurance de dommages ; ne fonctionne pas en présence d’un événement d’origine non naturelle, par exemple, une catastrophe technologique ou un acte de terrorisme ; ne joue qu’en présence d’un événement répondant aux critères légaux et administratifs de la catastrophe naturelle. GRAND ANGLE minimum de 1 140 euros, sauf pour la sécheresse, pour laquelle le minimum est de 3050 euros. Toutefois, quand le contrat prévoit une franchise plus élevée, c’est celle-ci qui s’applique. Les franchises sont, dans certains cas, affectées d’un coefficient multiplicateur. Ainsi, dans les communes qui n’ont pas de Plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN), elles sont doublées à la troisième constatation d’un même péril dans un délai de cinq ans. Elles peuvent être triplées ou quadruplées lors d’une quatrième ou cinquième constatation, toujours dans les cinq ans. Ce dispositif de modulation des franchises a pour objet d’inciter à la prévention les communes particulièrement exposées à certains périls naturels. La tarification Le tarif est également imposé par la réglementation. Pour l’essentiel, la tarification est de : 12 % des primes ou cotisations afférentes aux contrats de base pour les biens d’habitation ou à usage professionnel ; 6 % des primes ou cotisations vol et incendie pour les véhicules ou, à défaut, 0,5 % de la prime ou cotisation dommages. tes ou 215 km/h en rafales » sortent du régime spécifique tempête pour retomber dans le régime des catastrophes naturelles. Conséquence? Pour une tempête, comme, par exemple, Xynthia, les dommages causés par le vent sont bien couverts par les assureurs, mais en dehors du régime des catastrophes naturelles, tandis que les dommages dus aux inondations entrent dans le régime. Les conditions de déclenchement de l’indemnisation et les franchises sont donc différentes selon la cause des dommages. La procédure d’indemnisation Lorsque survient une catastrophe naturelle dans une commune, le maire formule une demande auprès du préfet de son département, qui établit un dossier aussi complet que possible, en principe dans le mois de la survenance de la catastrophe. Le dossier est transmis à une commission interministérielle nationale, qui émet un avis sur l’existence ou l’absence de catastrophe naturelle au sens de la loi. La commission estime, d’une façon générale, qu’il y a catastrophe naturelle au sens de la loi lorsque le phénomène se reproduit avec une fréquence inférieure, en probabilité, à une fois tous les dix ans. L’avis est concrétisé par un arrêté interministériel publié au Journal officiel. L’assuré doit déclarer à son assureur tout sinistre susceptible de faire jouer la garantie dès qu’il en a connaissance, et au plus tard dans les dix jours (trente jours pour la perte d’exploitation) suivant la parution de l’arrêté interministériel au Journal officiel. Ensuite, la procédure d’indemnisation sera semblable à toute autre procédure d’indemnisation. L’assuré envoie à l’assureur un état estimatif des dégâts. L’assureur enverra un expert évaluer ceux-ci s’il l’estime utile. Il fera Le tarif est également imposé par la réglementation LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 13 P.12 Masquelier et Michel 20/04/11 9:03 Page 14 GRAND ANGLE L’ASSURANCE La réassurance Les grandes catastrophes naturelles (comme la tempête Xynthia le 27 février 2010 ou les inondations du Var le 15 juin) entraînent une multiplicité de dossiers de sinistres qui sont susceptibles, par leur agrégation, de porter atteinte au résultat d’un assureur ou, pire, à ses fonds propres. Aussi les assureurs n’ont-ils accepté de couvrir les catastrophes naturelles que sous la condition qu’ils puissent se réassurer. Le législateur a, par conséquent, autorisé la Caisse centrale de réassurance (CCR), société anonyme détenue à 100 % par l’État, à offrir une telle réassurance avec la garantie que l’État interviendrait si les ressources propres du régime s’avéraient insuffisantes. La CCR propose, pour l’essentiel, une réassurance à la fois proportionnelle (traité dit en quote-part) et non proportionnelle (traité dit en stop loss). Notons que l’assureur n’est pas obligé de se réassurer ou qu’il peut se réassurer auprès d’autres réassureurs. Certains, parce que leurs garanties catastrophes naturelles ne forment qu’une faible partie de leur chiffre d’affaires, ne se réassurent pas. Les réassureurs, y compris la CCR, sont libres de tarifer leurs couvertures à l’égard des assureurs : les pourcentages de surprime réglementée mentionnés plus haut ne s’imposent qu’aux polices d’assurance, pas aux traités de réassurance. une proposition de règlement, en principe dans les trois mois de l’envoi par l’assuré de l’état estimatif des dégâts ou, à défaut, versera une provision dans les deux mois. La prévention La prévention s’exerce essentiellement par les Plans de prévention des risques naturels La prévention s’exerce essentiellement par les Plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN). Quelque 12000 PPRN, dont plus de 7 500 sont déjà approuvés, sont en œuvre ou en cours d’élaboration. Rapportés à environ 36 000 communes, dont un grand nombre n’est pas exposé de façon significative aux périls naturels, ces Plans représentent un premier résultat louable. Mais on peut certainement faire mieux. Sans porter atteinte à la solidarité, qui est l’un des fondements du régime, une piste semble être de moduler la prime en fonction de l’exposition par commune ou par risque, dans un premier temps pour les risques professionnels (et éventuellement dans un second temps pour les risques de particuliers). On pourrait aussi vouloir pénaliser les constructions qui ne seraient pas conformes à leur permis de construire ou pour lesquelles les mesures de prévention prévues au PPRN ne seraient pas respectées, etc. Il s’agit là de pistes de réflexion. La modélisation Quelle méthodologie faut-il suivre lorsque l’on cherche à estimer l’impact des événements naturels extrêmes ? Outre la collecte de données, on doit s’engager dans une démarche de modélisation, la simple exploitation statis14 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 tique des observations ne pouvant suffire. Pour commencer, on recherchera des descriptions aussi complètes que possible des événements historiques. On tentera de les traduire en coûts actuels, ce qui suppose de tenir compte non seulement de l’inflation, mais aussi de l’accroissement des richesses et plus précisément de leur accumulation dans des zones exposées (par exemple, le Bassin parisien est plus particulièrement exposé aux crues de la Seine, la région PACA aux crues torrentielles et aux séismes, et ainsi de suite). Le (ré)assureur s’intéressera non seulement à la hausse du niveau général des prix, mais intégrera aussi le fait qu’après un événement catastrophique la pénurie relative de l’offre de matériaux et de main-d’œuvre pour la reconstruction des sites endommagés provoque des effets de « surinflation » temporaire particulièrement prononcés, facilement audelà de 20 à 30 %. Il complétera son analyse en tenant compte des évolutions du taux de pénétration de l’assurance et des conditions des polices : franchises, limites de garantie, couverture des préjudices immatériels comme la perte d’exploitation, etc. Il chiffrera les effets systémiques tels que : le fonctionnement en réseau des agents économiques, reposant sur les flux tendus et augmentant leur interdépendance ; les progrès des matériaux et normes de construction ; le développement des mesures de prévention (pour bien faire, il faut tenir compte de leur application effective ou non sur le territoire considéré). 20/04/11 9:04 Page 15 GRAND ANGLE Une évaluation à partir des catastrophes historiques est insuffisante : il faut s’attacher à caractériser les événements considérés comme possibles aujourd’hui, qu’ils aient ou non été observés, ainsi que la distribution de leur probabilité de survenance. Bref, même du point de vue partiel de l’assurance, que l’on peut penser bien circonscrit, quantifiable et fondé sur des séries statistiques longues, l’estimation du coût potentiel des catastrophes extrêmes est entachée d’incertitudes majeures. D.R. P.12 Masquelier et Michel D.R. La Faute-sur-Mer. Inondations en Vendée le 1er mars 2010. Un rôle central Quelques chiffres en France Les tempêtes historiquement violentes, Lothar et Martin, qui ont soufflé sur l’ouest de l’Europe du 25 au 28 décembre 1999, auront coûté aux seuls assureurs et réassureurs, au titre des dommages en France, de l’ordre de 8,5 milliards d’euros actuels. Un tremblement de terre de grande amplitude dans la région de Nice pourrait entraîner un préjudice économique de l’ordre de 10 milliards d’euros. Le coût économique d’une crue centennale de la Seine, survenant aujourd’hui, est estimé, selon les experts, dans une fourchette de 5 à 10 milliards d’euros. Mettons ce chiffre en perspective : une période de récurrence de cent ans est très loin de caractériser l’événement le plus grave pouvant survenir. Concédons néanmoins que, s’agissant des périodes de retour élevées, il devient difficile de dire où la probabilité de survenance se situe précisément. En d’autres termes, pour un coût donné, on ne sait pas réellement si la période de retour est plutôt de cent ans, deux cent cinquante ans voire cinq cents ans. Les (ré)assureurs recueillent des données et disposent de ressources, ce qui leur confère un rôle central dans la modélisation des catastrophes naturelles sous l’angle bien particulier du coût des dommages assurés (qui ne forme évidemment pas la vision complète des phénomènes). L’assurance des catastrophes naturelles existe maintenant depuis bientôt trente ans. Pratiquement, le régime n’a connu, au cours de ces trente années, de modifications législatives que sur des détails. Les principes sont restés inchangés depuis l’origine. C’est la preuve qu’ils sont globalement appréciés des Français. Cependant, ce régime peut être amélioré, notamment en vue de le rendre encore plus incitatif à la prévention. Il s’agirait d’introduire une certaine modulation de la prime en fonction de l’exposition au risque, de traiter différemment la sécheresse sur les bâtiments récents, etc. Diverses mesures en matière de respect des règles de construction, de Plan de prévoyance des risques naturels, de permis de construire seraient envisagées. L’année du trentième anniversaire sera-t-elle celle de la réforme ? ■ L’estimation du coût potentiel des catastrophes extrêmes est entachée d’incertitudes majeures LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 15 P.16 Mollard 22/04/11 18:35 Page 16 GRAND ANGLE L’ASSURANCE PAR MICHEL MOLLARD (83) membre du directoire, Groupe Euler Hermes L’assurance-crédit contre le risque d’impayés Les impayés peuvent gravement obérer la rentabilité des entreprises, voire les mettre en péril. L’assurance-crédit protège les entreprises à la fois par un mécanisme de mutualisation classique qui répartit les pertes entre clients et par une baisse des sinistres due à une meilleure gestion des risques. Avec la mondialisation des échanges et le durcissement des critères de solvabilité, cette activité est promise à un fort développement. REPÈRES Les principaux banquiers des entreprises sont les entreprises elles-mêmes En France, le montant du crédit interentreprises peut être estimé à 700 milliards d’euros. Le crédit clients représente en moyenne 20 % du bilan des entreprises, chiffre élevé non pas du fait d’une faible proportion des fonds propres des entreprises françaises (sujet qui n’est plus vraiment d’actualité contrairement à la situation des années 1990) mais du fait d’une relative faible part de la dette financière dans les bilans des entreprises. Délais de paiement L’affirmation fera peut-être sourire mais c’est une réalité : les principaux banquiers des entreprises sont… les entreprises elles-mêmes. La très grande majorité des relations commerciales entre entreprises dans le monde (relations B to B, business to business) ne s’effectuent en effet pas au comptant mais voient les fournisseurs consentir des délais de paiement à leurs clients (mécanisme dit d’open account). Les délais de paiement varient selon les pays, entre une trentaine de jours aux États-Unis jusqu’à un an ou presque dans certains pays d’Europe du Sud. Il en résulte ce que l’on appelle le crédit interentreprises, qui a deux composantes selon le point de vue que l’on 16 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 adopte. Le crédit clients (asset receivables en anglais, A/R) correspond au crédit accordé par un fournisseur à ses clients. Au bilan, il figure alors à l’actif et se traduit par un besoin de financement pour le fournisseur. La dette fournisseurs (asset payables en anglais, A/P) correspond à la dette due par le client à ses fournisseurs. Au bilan, elle figure au passif et s’analyse comme un financement du client par ses fournisseurs. La somme des crédits clients est égale à la somme des dettes fournisseurs et elle est égale au montant du crédit interentreprises. Celui-ci s’élève à environ 25 000 Md€ dans le monde (soit environ la moitié du PIB mondial). Deux grands paradoxes Ces éléments posés, on voit tout de suite émerger deux grands paradoxes. Le premier est lié au fait que la plupart des entreprises actives dans le B to B se retrouvent dans une position de banquier, alors que ce n’est en rien leur métier et qu’elles n’en mesurent pas toujours les risques. Ces derniers sont loin d’être négligeables : on estime en effet qu’une faillite d’une entreprise sur quatre dans le monde est provoquée par l’insolvabilité d’un de ses clients. C’est le fameux effet domino : du fait du poids du poste clients dans le bilan, le non-paiement Crédits non encadrés Comment ne pas être étonné que l’activité de crédit soit strictement encadrée lorsqu’il s’agit de financement bancaire (Bâle II aujourd’hui, Bâle III demain) mais extrêmement peu lorsqu’il s’agit d’opérations commerciales, seules les normes comptables IFRS exigeant des entreprises et filiales d’entreprises cotées qu’elles indiquent dans leur rapport annuel la manière dont elles gèrent leur poste clients et le risque qu’il représente ? P.16 Mollard 22/04/11 18:35 Page 17 Se prémunir des faillites L’origine de l’assurance-crédit remonte au dix-huitième siècle. En France, c’est dans les années 1830, précisément en 1839, qu’un économiste italien, Bonajuto Paris Sanguinetti, adresse un projet aux présidents des Chambres de commerce françaises recommandant d’établir « en France une Compagnie d’assurances mutuelles contre les faillites ». Toutefois, l’assurance-crédit, comme ailleurs dans les principaux pays européens (Allemagne, RoyaumeUni, Italie…), n’y prospère véritablement qu’à l’issue de la Première Guerre mondiale. Avec le recul du temps, deux raisons essentielles ont poussé au développement de cette activité. La première, de bon sens, tient tout simplement à la volonté des entreprises de protéger un élément clé de leur actif. C’est une approche assurantielle classique. La seconde, plus subtile, relève de la question de savoir s’il est plus efficace pour une entreprise de disposer en interne d’une équipe de gestion du risque de crédit ou d’externaliser cette fonction. Il ne s’agit pas là d’un débat entre assurance et auto-assurance mais de bien autre chose. La décision de consentir un crédit ou non à un client nécessite en effet tout d’abord d’investir dans une ressource rare et coûteuse à obtenir si elle est pertinente : l’information sur ce client. Mutualisation des coûts Cette information pertinente, l’entreprise a le choix entre l’acquérir elle-même ou à recourir à un assureur-crédit. Si elle fait le choix de l’acquérir elle-même, elle s’expose à des coûts fixes (chaque fois qu’elle acquiert un nouveau client) et récurrents (pour entretenir la qualité de sa base de données) très conséquents. GRAND ANGLE de certaines créances peut largement dépasser le résultat d’une entreprise et entraîner à son tour son dépôt de bilan. Le second paradoxe est lié au fait qu’il ne viendrait à l’idée d’aucune entreprise bien gérée de ne pas assurer ses principaux actifs mais qu’il en va différemment lorsqu’il s’agit du poste clients qui peut représenter jusqu’à 40 % de l’actif d’une entreprise œuvrant dans le B to B. Or un nombre non négligeable d’entreprises, surtout les plus petites d’entre elles, continuent aujourd’hui de ne pas se protéger contre le défaut de leurs clients, l’assurance contre ce type de risque n’étant en rien obligatoire. Information pertinente Par information pertinente, il ne faut pas entendre une information que tout le monde peut trouver sur Internet, à faible valeur ajoutée, ou les derniers états financiers qui peuvent ne refléter en rien la situation actuelle réelle d’une entreprise, tout particulièrement en période de retournement de cycle, mais au contraire une information parfaitement à jour, à forte valeur ajoutée car connue d’un faible nombre d’intervenants. L’assureur-crédit, a contrario, a la faculté de mutualiser le coût d’acquisition de cette information sur l’ensemble des assurés qui portent des risques sur ce client. Il peut donc faire diminuer ce coût ou, à coût égal, améliorer considérablement la qualité de l’information. De fait, les assureurs-crédits disposent certainement des meilleures bases de données et des plus complètes au monde sur les entreprises. Ce coût considérable que représente l’acquisition d’informations pertinentes explique également pourquoi le secteur s’est concentré comme il l’a fait ces dernières années. Transparence Une troisième raison émerge aujourd’hui qui pousse puissamment de plus en plus d’entreprises, notamment les plus grands groupes internationaux, à recourir à une assurancecrédit : les exigences croissantes en matière de gouvernance. Combien de dirigeants sont en effet incapables de mentionner les plus grands risques clients portés par leur entreprise. À leur décharge, la complexité des liens capitalistiques et financiers unissant certaines de leurs contreparties ne cesse de croître. Comment se faire une idée du soutien réel Les assureurscrédits disposent des meilleures bases de données sur les entreprises Fonds propres Si une entreprise ne transfère pas son risque à un tiers, elle doit en théorie mobiliser des fonds propres pour couvrir celui-ci. Là aussi, il est évident que moins de fonds propres devront être mobilisés si les risques sont mutualisés chez un assureur que s’ils restent au sein de l’entreprise. LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 17 P.16 Mollard 22/04/11 18:35 Page 18 GRAND ANGLE L’ASSURANCE apporté par une maison mère à l’une de ses filiales quand les cas d’abandon pur et simple se multiplient de la part de très grands groupes ? Comment estimer le risque porté sur une filiale européenne d’une entreprise américaine en difficulté? Comment y voir clair dans les accords de cash pooling ? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre sans des investigations très complexes. Prévention des risques L’assuré peut éviter une grande partie des sinistres qu’il aurait eu à assumer L’assurance-crédit est un type d’assurance original dans la mesure où elle intervient pour couvrir le risque de défaut des clients moins par un mécanisme assurantiel pur que par un mécanisme de prévention. Couvrir le risque de manière purement assurantielle, sans prévention, coûterait en effet trop cher aux entreprises. Celles-ci devraient en effet payer une prime au moins égale au taux de défaillance moyen des entreprises. Cela représenterait une ponction considérable sur leur taux de marge que l’on peut estimer en moyenne à un quart mais qui dans certains cas pourrait atteindre, voire dépasser les 100 %. Le mécanisme de prévention repose sur des contacts fréquents, qui peuvent être quotidiens, entre l’assureur-crédit et l’assuré. Chaque fois que ce dernier contracte avec un nouveau client ou développe son activité avec un client existant, il discute avec son assureur-crédit des garanties dont il peut disposer. De son côté, l’assureur informe régulièrement son assuré de l’évolution de la situation de ses clients, notamment s’agissant de leur solvabilité. Lorsque pour un débiteur donné celle- Effets induits Les échanges entre assureur et assuré, qui s’apparentent à ceux existant au sein de l’entreprise entre la direction financière et la direction commerciale, présentent un caractère éminemment vertueux, quoiqu’ils ne soient pas toujours aisés : ils poussent en effet l’entreprise à développer une clientèle profitable. Rien n’est en effet plus inefficace pour une entreprise que de pousser ses forces de vente sur des marchés qui n’existeront plus demain, rien n’est plus efficace que de développer des relations d’affaires avec des clients à potentiel. 18 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 Un exemple concret En décembre 2009, l’entreprise A n’est pas assurée. Elle a 10 000 clients et réalise un CA de 870 M€. Cinq défauts de paiement de respectivement 1,45 M€, 0,98 M€, 0,53 M€, 0,82 M€ et 0,57 M€ ont marqué l’année pour un total de 4,35 M€ (0,5 % du CA). Si elle avait été assurée, elle n’aurait subi des pertes que dans le dernier cas et son loss ratio aurait été ramené à 0,07 %. En décembre 2010, elle est assurée. Avec 10 700 clients, elle réalise un CA de 915 M€. Grâce à son assurance son loss ratio s’établit à 0,07 %. Elle paie une prime égale à 0,2 % de son CA. Le gain net pour elle est égal à 4,35 M€ – (0,2 % + 0,07 %) x 915 M€, soit 1,88 M€. ci est menacée à court terme, ou que la prime payée par l’assuré n’est plus compatible avec le risque pris, l’assureur peut décider d’une réduction, voire d’une annulation des garanties sur ce débiteur. Cette réduction ou cette annulation ne prennent évidemment effet que pour les factures futures et avec un préavis minimum qui varie selon les pays. L’assuré peut ainsi éviter une grande partie des sinistres qu’il aurait eu à assumer. Si l’assureur n’est pas en mesure d’assurer une prévention adéquate des sinistres, il indemnise alors son assuré et procède la plupart du temps pour son compte au recouvrement des créances. Prévoir les crises Une des particularités de l’assurance-crédit est de se situer en amont des cycles économiques et, plus généralement, de servir de révélateur des tendances économiques de fond. Cela est dû tout d’abord au fait qu’avant de ne pas payer son banquier et risquer ainsi de mettre en péril son financement, une entreprise qui connaît des difficultés a tendance à commencer à ne pas rembourser ses fournisseurs, ou, à tout le moins, certains d’entre eux. De par les obligations contractuelles de ses assurés, l’assureur-crédit est le réceptacle naturel de ces informations relatives à l’allongement des délais de paiement qui annonce des difficultés à venir. Plus généralement, l’assureur-crédit couvrant l’intégralité du poste clients de ses assurés, P.16 Mollard 22/04/11 18:35 Page 19 Dès le milieu de l’année 2007 aux États-Unis et dès le début de 2008 en France (c’est-à-dire plusieurs mois avant la chute de Lehman Brothers), il a été possible de discerner les signes avant-coureurs clairs d’une crise de très grande ampleur : les délais de paiement s’allongeaient, les défauts croissaient d’une manière qui ne pouvait pas tromper. il perçoit aussi clairement l’évolution des stratégies des entreprises, notamment en matière de développement international. De par la richesse et la profondeur de ses bases de données sur les entreprises, il est également capable, en les consolidant, d’anticiper les grands mouvements de plaques tectoniques de l’économie mondiale. De ce point de vue, force est de constater la montée en puissance fulgurante, beaucoup plus rapide que ce que beaucoup pensent encore, de grands groupes industriels et financiers dans les pays désormais émergés d’Asie et d’Amérique latine. Bâle III Un autre facteur joue en faveur du développement du crédit interentreprises : le renforcement de la réglementation bancaire. Bâle III notamment ne devrait en rien faciliter le financement des entreprises. Or celles-ci ont des besoins de financement pour se développer. Le capital est cher et donc le crédit interentreprises, qui l’est moins et n’est d’ailleurs pas toujours facturé à son juste prix, ne peut que se développer. Des besoins au niveau mondial Avec la croissance des échanges internationaux qui progressent en moyenne à un rythme double du PIB mondial, le crédit interentreprises ne cesse de croître. Par ailleurs, on observe très clairement en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient une montée en puissance du mécanisme d’open account, moins lourd et d’un coût plus faible que d’autres moyens de financement comme la lettre de crédit. GRAND ANGLE Anticipation Est-ce une bonne chose ou une mauvaise chose ? C’est avant tout une réalité. Le crédit interentreprises existe partout dans le monde. Des tentatives existent pour le réguler mais qui connaissent des fortunes diverses. Ainsi en a-t-il été en France de la loi LME sur la réduction des délais de paiement qui partait d’un souhait louable. Ce qui joue en soi n’est en effet pas seulement le délai de paiement lui-même mais l’effet net entre délais fournisseurs et délais clients. Cela signifie que toute régulation peut ultimement s’analyser comme un transfert de trésorerie de certaines entreprises ou certains secteurs d’activité à d’autres, sujet dont on mesure la sensibilité. Cette montée en puissance du crédit interentreprises entraîne à sa suite celle de l’assurance-crédit, non seulement parce que le volume du crédit interentreprises croît mais aussi parce que les risques dont il est porteur évoluent. Quelle entreprise européenne peut ainsi affirmer qu’elle connaît parfaitement ses contreparties russes, chinoises, indiennes ou brésiliennes ? Qu’elle maîtrise parfaitement le droit des faillites dans les grandes économies émergées qui constituent désormais le moteur de la croissance mondial ? Mais là n’est finalement pas l’essentiel. Le développement économique s’est toujours accompagné de risques et c’est bien ainsi. Il faut seulement savoir les reconnaître et les maîtriser. ■ Domination française Le marché mondial de l’assurance-crédit représente environ 5 milliards d’euros de primes et s’organise autour de trois grands acteurs mondiaux : Euler Hermes, Coface et Atradius. Alors qu’on ne cesse de dire que la France n’est pas un pays suffisamment exportateur, force est de constater que les deux premiers parmi ces trois acteurs mondiaux sont français : Euler Hermes et Coface. Cette remarquable spécificité trouve son origine essentiellement dans la manière dont ces groupes ont su tirer parti de la mondialisation dans les années 1990 en bâtissant des leaders mondiaux à partir des leaders français. Le développement économique s’est toujours accompagné de risques LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 19 P.20 Gombault 22/04/11 19:21 Page 20 GRAND ANGLE L’ASSURANCE PAR NICOLAS GOMBAULT directeur général du Sou MédicalGroupe MACSF Repenser l’assurance de responsabilité médicale après la crise L’assurance de la responsabilité médicale représente un marché étroit et à haut risque, sujet à des revirements de jurisprudence dont il est difficile d’évaluer à l’avance les impacts. La crise de 2002 subsiste pour certains praticiens, en particulier les obstétriciens, du fait de l’intensité de certains sinistres. Une réforme est à nouveau attendue. Disparités On constate ainsi de très fortes disparités entre les médecins face à l’exposition au risque médico-légal. Ainsi, dans l’année, pratiquement un chirurgien sur deux en moyenne voit sa responsabilité recherchée alors qu’au cours de la même période un médecin généraliste sur cent sera mis en cause. Sur ces bases, on peut calculer qu’un chirurgien exerçant trente-cinq ans dans sa carrière serait mis en cause 16 fois. Un marché à hauts risques La sinistralité des professionnels de santé a très fortement augmenté Comme tout risque, le risque de la responsabilité médicale s’apprécie à la fois en fréquence et en intensité. Il n’existe pas de statistiques nationales pour le mesurer mais les statistiques du Sou Médical et de la MACSF sont suffisamment significatives pour nous permettre des constats utiles. La sinistralité des professionnels de santé a très fortement augmenté REPÈRES Le marché de l’assurance de la responsabilité médicale est un micromarché. Il apparaît extrêmement étroit tout d’abord s’agissant du panel d’acteurs opérants puisque, au fil du temps, le nombre de sociétés d’assurances acceptant de garantir la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements s’est réduit comme peau de chagrin et aujourd’hui cinq sociétés d’assurances se partagent plus de 95 % de ce marché. Il s’agit en second lieu d’un marché extrêmement étroit eu égard au montant des primes encaissées. Le chiffre d’affaires global de cette branche était évalué à seulement 428 millions d’euros en 2008. C’est dire que les capacités d’indemnisation des assureurs sont limitées. 20 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 entre les années 1990 à 2000 et depuis 2001 et 2002, le nombre des réclamations semble se stabiliser. En revanche, celles formulées à l’encontre des établissements, et notamment des établissements publics, continuent de croître fortement. S’agissant des praticiens libéraux, la fréquence des déclarations connaît des différences on ne peut plus significatives selon les spécialités exercées. Réclamations en hausse Il est fort probable que l’on connaisse à l’avenir une augmentation des réclamations formulées à l’encontre des professionnels de santé – toutes spécialités confondues – et des établissements de soins. De nombreux facteurs permettent d’avancer ces prévisions pessimistes : multiplication des campagnes de dépistage, technicité et sophistication des actes qui accroissent les risques, progrès médicaux médiatiquement exposés qui accentuent les exigences des patients et rendent inacceptables les échecs, développement d’une médecine de l’ultime qui étend son champ d’action aux âges et états pathologiques les plus P.20 Gombault 22/04/11 19:21 Page 21 GRAND ANGLE fragiles, taux d’innovation bien supérieur à celui des industries ultra-sûres comme l’aviation, carences d’organisation, possibilité d’intenter des recours sans bourse délier (création des commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux). Séries noires La difficulté à trouver des assureurs acceptant de couvrir la responsabilité médicale s’est considérablement accrue du fait de l’apparition d’accidents sériels (sida, hépatite C, infection nosocomiale, accident de radiothérapie). Inflation des indemnisations Le sort réservé par les magistrats aux instances engagées par les patients a connu lui aussi une évolution extrêmement péjorative pour les assureurs. Si l’on reprend les dossiers du Sou Médical et de la MACSF dans lesquels sont intervenues des décisions de justice civile entre les années 1980 à 1984, on constate que 33 % de ces décisions au fond débouchaient sur une condamnation prononcée par les magistrats. Aujourd’hui, ce pourcentage est de l’ordre de 68 %. L’intensité des dossiers a par ailleurs subi récemment une inflation considérable. Le coût moyen du dossier indemnisé par le Sou Médical et la MACSF était de l’ordre de 120 000 euros en 2002; ce coût moyen est passé à 256000 euros à partir de 2007 soit une augmentation supérieure à 100 % en cinq ans. De multiples facteurs sont susceptibles d’expliquer cette tendance et notamment le recours à la nomenclature Dintilhac (qui a augmenté les préjudices indemnisables), ou l’inflation tout à fait particulière de certains postes comme celui de la tierce personne. Au total, le nombre des indemnisations lourdes ne cesse de croître et l’ensemble des spécialités est concerné. L’intensité la plus importante se retrouve cependant dans les dossiers d’obstétrique pour lesquels les progrès réalisés en matière de réanimation néonatale ne permettent malheureusement pas de revenir sur les effets d’une anoxie mais permettent en revanche la survie de grands encéphalopathes profonds. Une offre raréfiée La raréfaction de l’offre des assureurs en matière de responsabilité médicale peut s’expliquer par quatre facteurs : l’évolution de la jurisprudence, l’augmentation de la fréquence des sinistres, l’augmentation du coût moyen des sinistres, le fait que la problématique de la réparation de l’aléa médical n’est résolue que de façon récente et partielle. En matière d’évolution jurisprudentielle, il ne nous semble pas exagéré de faire valoir que le droit de la responsabilité médicale s’est mué en droit de l’indemnisation des victimes. Cette évolution, dont l’objectif évident est d’aboutir à une meilleure indemnisation des victimes, est très pernicieuse pour les assureurs parce qu’elle met à mal toutes leurs prévisions actuarielles : le propre de la jurisprudence est en effet d’être rétroactive ; ainsi, une modification de jurisprudence favorable aux malades va s’appliquer immédiatement à l’ensemble des sinistres en cours, obligeant l’assureur à revoir en totalité son provisionnement alors que ce risque n’avait pas été pris en compte au moment où la prime a été réglée. Précisément, en matière de responsabilité médicale, les revirements de jurisprudence sont constants. Nomenclature Dintilhac Assurance en crise En 2005, la Chancellerie a confié à un groupe de travail piloté par un haut magistrat, Jean-Pierre Dintilhac, la définition d’une nomenclature des préjudices corporels. Ainsi a été créée une liste exhaustive des postes de préjudice dont une victime peut demander réparation. Bien qu’elle n’ait qu’un caractère de recommandation, cette liste constitue une référence majeure. La crise de l’assurance de la responsabilité médicale a ainsi touché son paroxysme depuis la fin de l’année 2002, date à laquelle, de façon paradoxale, le législateur a décidé de rendre obligatoire cette assurance, précisément à un moment où de nombreuses sociétés d’assurances et notamment étrangères se sont retirées du marché, créant ainsi le risque de voir certains établissements ou certains professionnels de santé sans garantie d’assurance. Le droit de la responsabilité médicale s’est mué en droit de l’indemnisation des victimes ➤ LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 21 P.20 Gombault 22/04/11 19:21 Page 22 GRAND ANGLE L’ASSURANCE ➤ Le législateur a tenté d’enrayer cette crise en réaffirmant, sauf exception, le principe d’une responsabilité fondée sur la faute (article L 1142-1 du Code de la santé publique). En revanche, le législateur a décidé de faire peser sur les établissements de santé une obligation de sécurité de résultat en matière d’infection nosocomiale, alors que ce régime pesait auparavant à la fois sur les établissements privés et les praticiens à la suite d’une jurisprudence de la Cour de cassation du 29 juin 1999. L’arrêt tient son nom de Nicolas Perruche né gravement handicapé car sa mère, qui avait contracté la rubéole pendant sa grossesse, n’a pas avorté en raison d’une erreur de diagnostic. Cet arrêt de la Cour de cassation consacrait le droit pour un enfant né handicapé à être indemnisé de son propre préjudice. Une indemnisation à la charge de la solidarité nationale Par la loi du 30 décembre 2002, le législateur a décidé de modifier ce régime d’indemnisation des infections nosocomiales en prévoyant que pour celles qui entraînent les préjudices les plus graves (taux d’AIPP supérieur à 25 % et décès), l’indemnisation était à la charge de la solidarité nationale, l’ONIAM disposant alors d’un recours subrogatoire contre le responsable basé sur la faute. Il n’en demeure pas moins que la grande majorité des infections nosocomiales entraîne des préjudices en deçà de ces seuils et que dès lors elles demeurent à la charge des assureurs d’établissements de santé. Une évolution juridique pour le diagnostic anténatal Les assureurs Le législateur du 4 mars 2002 a par ailleurs entendu revenir sur les effets de la jurisprune pouvaient dence Perruche en matière de diagnostic antéfaire face aux condamnations prononcées sur la base de la Prescription à dix ans jurisprudence La loi du 4 mars 2002 a décidé d’unifier Perruche la prescription des actions en prévoyant que les actions se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage. Pour les assureurs de praticiens ou d’établissements privés, cette modification n’a nullement modifié de façon significative l’approche du risque. En effet, la réduction de trente à dix ans du délai de prescription est contrebalancée par le point de départ du délai de dix ans qui est la consolidation du dommage du demandeur ; par ailleurs, la très grande majorité des mises en cause de responsabilité intervenant dans les cinq ans de l’acte médical, la réduction de trente à dix ans n’a eu en tout état de cause qu’un effet très relatif. 22 Arrêt Perruche LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 natal et posé des règles essentielles et dérogatoires en ce domaine compte tenu des incidences éthiques, sociales et économiques de cette problématique de la responsabilité en matière de diagnostic anténatal. Une seule chose était certaine en la matière, les assureurs ne pouvaient faire face aux condamnations susceptibles d’être prononcées sur la base de la jurisprudence Perruche compte tenu de leur coût et du nombre d’événements susceptibles d’être en cause. Une évolution jurisprudentielle essentielle est intervenue au sujet de ce texte, initiée tout d’abord par deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 6 octobre 2005 puis par trois arrêts de la Cour de cassation du 24 juin 2006. Puis, par une décision du 8 juillet 2008, la Cour de cassation a décidé de maintenir les effets de la jurisprudence Perruche à toute manifestation d’un dommage constaté avant l’intervention de la loi du 4 mars 2002, et ce, quelle que soit la date à laquelle les parents de l’enfant né avec un handicap avaient intenté leur action en justice. La rétroactivité jugée contraire à la Constitution Enfin, dans la mesure où ce texte n’avait pas été soumis au Conseil constitutionnel, ce dispositif a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité tranchée par le Conseil constitutionnel le 11 juin 2010, qui a validé le dispositif mis en place par l’article 1er de la loi du 4 mars 2002. En revanche, le caractère rétroactif de la loi a été jugé contraire à la Constitution ; la loi avait en effet prévu que le nouveau dispositif devait s’appliquer à toutes les instances en cours dans lesquelles il n’avait pas été sta- P.20 Gombault 22/04/11 19:21 Page 23 Le Conseil constitutionnel a motivé sa décision du 11 juin 2010 en considérant que l’exigence d’une faute caractérisée comme condition de reconnaissance de responsabilité en matière de diagnostic anténatal se justifiait par les difficultés inhérentes au diagnostic anténatal ; et que la limitation des préjudices indemnisables (impossibilité pour les parents de solliciter la réparation du préjudice résultant des charges particulières, découlant tout au long de la vie de l’enfant de son handicap, lesquelles relèvent de la solidarité nationale) ne revêt pas un caractère disproportionné au regard des buts poursuivis ; le législateur a fondé son choix sur des considérations éthiques et sociales ainsi que sur des motifs d’ordre financier qui relèvent de son pouvoir d’appréciation. tué irrévocablement sur le principe de l’indemnisation; le Conseil constitutionnel a considéré qu’il ne pouvait être porté atteinte aux droits acquis et a déclaré contraire à la Constitution cette rétroactivité. Une obligation d’assurance pour les professionnels de santé Les professionnels de santé exerçant à titre libéral ainsi que les établissements de santé sont tenus de souscrire une assurance de responsabilité professionnelle au terme de la loi du 4 mars 2002. Le manquement à cette obligation d’assurance est pénalement sanctionné. Les sociétés d’assurances sont tenues de proposer aux professionnels de santé des garanties dont les montants ne peuvent être inférieurs à 3 millions d’euros par sinistre et à 10 millions d’euros par année d’assurance. Ces montants peuvent s’avérer insuffisants eu égard à l’intensité de certains sinistres, raison pour laquelle les praticiens ont intérêt à souscrire des contrats prévoyant des garanties supérieures. Sur la base de la réclamation et non du fait générateur Le contrat d’assurance de responsabilité médicale doit depuis la loi du 30 décembre 2002 être libellé, au niveau de la garantie dans le temps, sur la base de la réclamation et non plus, comme l’exigeait la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, sur la base du GRAND ANGLE Motivations fait générateur. Des tempéraments ont toutefois été apportés à ce principe, la loi ayant prévu une garantie subséquente de cinq ans s’appliquant après toute résiliation ainsi qu’une garantie subséquente de dix s’appliquant aux contrats souscrits par les professionnels de santé en cas de cessation d’activité ou de décès. Un dispositif insuffisant toujours à la recherche de solutions La crise qui subsiste en matière d’assurance de responsabilité médicale ne concerne qu’un nombre relativement faible de praticiens soumis à un haut risque. C’est bien entendu le cas principalement des obstétriciens libéraux. Des condamnations d’un montant totalement insupportable pour ces praticiens peuvent en effet demeurer à leur charge. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2010 a tenté de régler les problèmes posés par ce qu’il est convenu d’appeler « les trous de garantie » par son article 44. Ce texte apparaît toutefois totalement insuffisant, que ce soit au niveau de l’expiration des garanties (réclamation intervenant après la garantie subséquente et notamment celle de dix ans liée au décès ou la cessation d’activité du praticien) qu’au niveau de l’épuisement des garanties (indemnisation supérieure aux montants de garantie prévus). La loi de financement de la Sécurité sociale de 2011 a à nouveau mis en lumière les insuffisances du dispositif de protection des praticiens sans y apporter de solution. Une mission a été confiée à G. Johanet pour dégager des pistes de solution. Sinistres en hausse Des sinistres pouvant dépasser 7 millions d’euros, même s’ils sont exceptionnels, sont constatés. Dans la mesure où la consolidation des enfants atteints d’un grave handicap n’intervient qu’à l’âge de 18 ans, les montants d’indemnisation sont difficilement prévisibles. La crise ne concerne qu’un nombre relativement faible de praticiens soumis à un haut risque Seule une meilleure mutualisation du risque ou un écrêtement des sinistres les plus lourds permettrait de trouver une réponse à ce délicat problème. ■ LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 23 P.24 de Peretti 20/04/11 9:05 Page 24 GRAND ANGLE L’ASSURANCE PAR JACQUES DE PERETTI (80) directeur général d’Axa Un rôle sociétal : alerter, favoriser, accompagner L’assureur dommages a pour mission d’indemniser des individus ou des groupes d’individus qui subissent un dommage et qui s’associent pour mutualiser leur risque. Par son expérience acquise avec sa mission d’indemnisation, l’assureur peut alerter. Par son savoir-faire dans le domaine de la prévention, l’assureur peut favoriser les comportements responsables. Par sa capacité à prendre des risques, l’assureur peut accompagner l’innovation. Un des arts que doit maîtriser l’assureur va être de combiner en permanence dans son action l’ensemble de ces trois leviers. La société a, chaque jour, plus besoin de lui. Événements climatiques, effets migratoires et démographiques justifient l’évolution observée ■ Le métier de l’assureur consiste notamment à analyser les sinistres survenus dans le passé, pour en tirer des tendances et des évolutions pour l’avenir. C’est un travail de cette nature qui a été réalisé en 2008 à l’échelon professionnel au sujet des événements climatiques dans le but d’estimer leur impact sur l’assurance dommages. ALERTER La Fédération française des sociétés d’assurances a tout d’abord analysé la sinistralité survenue entre 1997 et 2007 en matière d’inondation, de sécheresse et de tempête. Ensuite, elle s’est intéressée à l‘évolution de la population française, sa démographie, ses flux migratoires, sa composition et sa richesse en la projetant sur les vingt prochaines années. Elle a alors complété ses recherches par des hypothèses en matière d’évolution des fréquences de survenance des événements climatiques aussi bien de faible ampleur que d’intensité exceptionnelle. Les résultats sont édifiants. La charge des sinistres observée sur les vingt dernières années est de 30 milliards d’euros, la charge des sinistres estimée sur les vingt prochaines années est, elle, de 60 milliards d’euros. Ces chiffres sont d’autant plus surprenants, qu’ils intègrent, sur la période passée, Lothar et Martin, événements climatiques qualifiés de centenaires. Deux facteurs essentiels viennent justifier cette évolution. Pour moitié, la hausse des fréquences des événements climatiques, pour une autre moitié les effets migratoires et démographiques de notre pays. REPÈRES Des professions ou des corps de métier se sont unis autour d’un même besoin. Les premiers ont été les armateurs anglais qui voulaient protéger leurs navires et leurs biens ; les villes qui, pour se développer, offraient aux commerçants participant à leurs foires locales des garanties à la fois financières et de protection physique. C’est ainsi qu’une ville comme Troyes connut un gigantesque essor à la Renaissance. Ces assurances ont permis à des entrepreneurs de prendre des risques et de développer leurs entreprises, à des régions de créer de l’activité et plus généralement à l’économie de se développer. L’assurance a évolué et innové en fonction des grands événements qui ont pu toucher l’homme. La naissance des premières sociétés d’assurances contre l’incendie est directement la conséquence du grand incendie de Londres qui détruisit 13 200 bâtiments en 1666. Cet incendie provoqua, à l’époque, la prise de conscience que les fléaux nécessitent la mise en place de mécanismes de solidarité. La première société d’assurance incendie, la Friendly Society Office, est ainsi née en 1684 (la première société vie n’apparaissant que beaucoup plus tard en 1762). 24 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 P.24 de Peretti 20/04/11 9:05 Page 25 climatiques que subit un grand nombre de nos concitoyens. Les assureurs ont aujourd’hui conscience de cette évolution, liée au climat. Ils doivent la partager avec l’ensemble des acteurs. Un électrochoc FAVORISER Cette étude est la première du genre réalisée dans notre pays. Des météorologues, des économistes ont pu se pencher sur ces résultats, et ont conclu qu’ils n’étaient pas incohérents, bien au contraire. Les pouvoirs publics ont tendance à réagir sous la pression de l’événement et non sur la base d’anticipations ou d’études a priori. Mais, les événements de 2009 et 2010 ont été un électrochoc pour nos parlementaires. Les travaux des assureurs sont venus alors éclairer le sujet sur le long terme. Ils ont contribué à alimenter le débat, poser des données objectives. Et comme les assureurs sont plutôt considérés comme des gens sérieux, ils ont pu être écoutés. Forts de ce travail d’alerte, les assureurs peuvent faire des préconisations. Le rapport de la FFSA met en avant des propositions, comme l’accélération de la mise en place des Plans de prévention des risques inondations, l’exigence de fondations adaptées à la nature des sols, pour les nouvelles constructions, la réalisation d’une cartographie complète et à jour des risques inondations. Comme les assureurs ont permis la création de l’assurance incendie suite au grand incendie de Londres, les assureurs doivent aujourd’hui réagir et faire réagir au fléau des événements Cent mille logements en zones inondables Sur des sujets qui touchent une grande partie de la population, qui génèrent tous les ans de très nombreuses victimes, il est important que les assureurs alertent les pouvoirs publics, les collectivités, et les aident à appréhender une politique de prévention efficace dans le domaine. Tout cela en respectant bien la mission de chacun et en rappelant que l’assureur a un rôle d’indemnisation et non de financement de la prévention. Une étude récente du Commissariat général au développement durable révèle que 100 000 logements ont été construits en zones inondables entre 1999 et 2006, ce n’est pas sans conséquence. GRAND ANGLE Cette étude est basée sur l’idée que rien ne change par ailleurs, que les habitations ne seront pas plus résistantes aux vents qu’aujourd’hui ou que les constructions sur les zones argileuses ne seront pas plus renforcées qu’aujourd’hui. La prévention des risques fait progresser la société, nous venons de l’évoquer. Il faut favoriser les comportements responsables. Les assureurs, en favorisant les bonnes pratiques liées à la prévention et la protection des biens et des individus, entrent dans le champ comportemental de leurs clients. Ils ont acquis un réel savoir en technique de prévention. Ils mènent des actions effectives pour que les mesures de préventions soient réalisées. Agir pour la protection des biens En matière de protection des biens, le fait de ne pas accepter un risque, parce qu’il n’est pas protégé, rend obligatoire la mise en œuvre de mesures de protection. Ainsi, si un individu ne trouve pas d’assurance contre le vol, il sait qu’en installant une porte de qualité, un système d’alarme efficace, voire un coffre-fort, il pourra s’assurer. En protégeant son bien, et en réduisant la facilité pour un cambrioleur d’accéder à son logement, il adopte un comportement responsable, et décourage les éventuels voleurs. Le principe est identique avec l’assurance incendie pour les entreprises dont les activités à risque nécessitent une installation de sprinklers. L’assureur, en réduisant le risque d’incendie, réduit par là même le nombre de décès accidentels par le feu. Les assureurs ont ainsi contribué à la création de matériaux résistant mieux au feu, à l’eau. Ils ont favorisé la pose d’une installation électrique protégée. Tout cela dans le but de réduire la sinistralité et donc les accidents. Améliorer la conduite automobile Les assureurs mènent des actions effectives pour que les mesures de prévention soient prises En matière de conduite automobile, le «bonusmalus » a un effet sur le comportement des conducteurs. L’automobile est aujourd’hui indispensable pour un grand nombre d’entre nous. Mais sans assurance, ce véhicule n’est plus utilisable. Le conducteur doit donc garder son assurance et en limiter le coût. Il sait qu’en ayant un accident il risque justement de perdre son assurance ou de devoir payer une coti- LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 25 P.24 de Peretti 20/04/11 9:05 Page 26 GRAND ANGLE L’ASSURANCE Dix ans de responsabilité En assurance construction, le fait de devoir engager sa responsabilité sur dix ans a nécessité le développement d’une compétence par l’assureur qui s’est traduite par une évolution des matériaux ou des modes de construction. La certification a progressé en faveur d’une meilleure protection et d’une plus grande sécurité pour les consommateurs. sation beaucoup plus élevée. Le bonus-malus a un effet tout aussi dissuasif sur la prise de risque en automobile que les radars sur la vitesse. On peut penser que le nombre de blessés et de morts sur les routes serait bien plus important si l’assurance n’avait pas cet effet dissuasif. En même temps, dans la perception des assurés, avoir un « bonus 50 » est synonyme de qualité du conducteur. « Je suis un bon conducteur et mon assurance le confirme. » Inciter à la responsabilité environnementale Par une incitation sur le prix, l’automobiliste peut modifier sa conduite 26 En matière d’environnement, les assureurs peuvent également inciter les particuliers comme les entreprises à mettre en place des comportements favorables au développement durable. Proposer une garantie de responsabilité environnementale aux entreprises qui managent leurs risques environnementaux, qui choisissent la voie de la certification, va dans ce sens. Bon nombre d’assureurs proposent des tarifs préférentiels pour les véhicules électriques ou hybrides. D’autres assureurs utilisent l’évolution de la consommation de carburant d’une entreprise pour fixer une réduction possible de la cotisation d’une flotte. Il ne s’agit pas là d’un simple artifice marketing, mais de la prise en compte d’un comportement responsable. Les assureurs, qui proposent aujourd’hui ces offres, font le pari qu’un comportement favorable au développement durable permet de réduire la sinistralité et donc la prime. Avoir une conduite écoresponsable nécessite de conduire avec fluidité, souplesse, anticipation, autant de facteurs qui doivent permettre de réduire la sinistralité. Par une incitation sur le prix, l’automobiliste peut modifier sa conduite, réduire sa consommation énergétique, émettre moins de gaz à effet de serre et voir sa sinistralité diminuer. LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 Réduire les effets des catastrophes naturelles En matière de catastrophes naturelles, la prévention pourrait permettre qu’un événement ne se transforme pas en catastrophe. La prévention ne pourra pas supprimer l’aléa, mais pourra en réduire les effets. Si une inondation a lieu, mais qu’aucune victime n’est à déplorer et que les dégâts matériels sont réduits, la prévention a atteint son objectif. Cette prévention passe par la responsabilisation. Si le régime français des catastrophes naturelles dispose de nombreux atouts, à commencer par celui de la solidarité, il présente l’inconvénient d’être déresponsabilisant. Au lendemain de la tempête Xynthia, il était intéressant d’observer la réaction des médias qui semblaient surpris que les assureurs accordent des garanties à des habitations se trouvant dans des zones inondables. Mais comment est-ce possible ? Les assureurs sont-ils devenus fous? Est-ce bien raisonnable de proposer une assurance dans de tels cas, c’est pousse-au-crime ? Pourquoi les assureurs ne jouent-ils pas leur rôle de censeur ? Des sanctions inefficaces La prévention nécessite souvent des investissements et, toujours, de faire changer les comportements. Côté investissements, les marges de manœuvre budgétaires de l’État, des collectivités locales, des communes sont très limitées. Concrètement, qu’est-ce qui va inciter un maire à arbitrer un budget en faveur de la prévention ? Va-t-il préférer construire un gymnase ou des buses d’évacuation dont personne n’est sûr qu’elles serviront dans l’année ? Pas de politique de prévention Lors des récentes inondations du Var, trois villes (Roquebrune, Fréjus et Draguignan) ont été une nouvelle fois touchées alors qu’elles ont connu respectivement 16, 12 et 7 arrêtés de catastrophes naturelles. Comme si personne ne pouvait rien faire, comme si nous étions inefficaces et dépassés par de tels événements. Les parlementaires soulignent, dans leurs rapports de mission de l’été 2010, l’absence de politique de prévention en France et en font leur cheval de bataille. P.24 de Peretti 20/04/11 9:05 Page 27 L’effet franchise ayant montré ses limites, il faut maintenant s’intéresser à l’effet prime. En matière de catastrophes naturelles, le tarif est unique, tout le monde paie 12 % de sa cotisation pour financer cette garantie. Cela concerne aussi bien l’entreprise que le particulier, l’habitant du 5e étage d’un immeuble que le propriétaire d’une maison d’un niveau en bord de mer. Le régime des catastrophes naturelles a pensé à promouvoir la prévention en proposant un système basé sur la sanction. Les franchises appliquées sont proportionnelles aux sinistres déjà survenus. Ce régime de sanctions n’intervenant qu’a posteriori n’est en pratique pas efficace, au contraire, il vient s’ajouter à la détresse des victimes de ces événements en les pénalisant une nouvelle fois. Responsabiliser Afin de passer à une ère de responsabilisation, les assureurs pourraient disposer, en habitation, de taux différenciés selon que la localisation du bien est dans une zone risquée ou non, et que des moyens de prévention sont mis en place par la commune ou non. Afin de préserver la solidarité du régime, les pouvoirs publics pourraient construire un «zonier» officiel qui s’appliquerait à tous et qui pourrait évoluer dans le temps. Les acteurs économiques locaux verraient leurs investissements officiellement reconnus et récompensés par l’assureur. Les habitants d’une commune connaîtraient de façon très officielle et transparente ce qui est réalisé par leurs élus pour les protéger des risques climatiques. D’une action utile, mais invisible, l’assureur permettrait de passer à une action utile, reconnue et visible. La solidarité du régime serait renforcée, la responsabilisation serait introduite. Des mesures simples Pour les grandes entreprises, l’assureur pourrait aller encore plus loin et personnaliser son approche. Celles qui ont cette démarche de prévention verraient alors un impact immédiat sur la prime d’assurance. Il est bon de rappeler que des mesures simples pourraient permettre d’éviter les effets constatés aujourd’hui par la sécheresse. Cela passe par l’obligation GRAND ANGLE Prime ou franchise de réaliser des études de sol dans les zones argileuses et la mise en œuvre de fondations adaptées à la nature du sol. ACCOMPAGNER L’INNOVATION Par nature, l’innovation est porteuse de risques. De la même façon, ne pas innover est également porteur de risques. Sans vouloir débattre de la notion de progrès, il est un fait qu’une entreprise qui n’innove pas est vouée à disparaître. Cela s’adresse à tous les industriels et, bien entendu, assureurs. Dès lors, il faut nous poser la question de savoir si l’assurance est un frein au développement technique ou un accompagnateur. Il s’agit d’un vrai dilemme pour notre profession et cela à plusieurs titres. Accompagner l’innovation peut vouloir dire travailler sans historique. Dès lors, il faut effectuer un travail de sélection, d’évaluation, de pesée des risques pour assurer ces nouvelles activités. Accompagner l’innovation, c’est permettre le développement de produits qui pourront se montrer nocifs dans le temps. Ne pas accompagner l’innovation, c’est la freiner, c’est rendre impossible la commercialisation de procédés ou de nouveaux produits. C’est aussi ne pas s’intéresser à une opportunité de business. L’assureur est devenu un élément indispensable du bon fonctionnement de la société, tant au niveau économique que sociétal. Il joue un rôle éminemment important pour les personnes et les biens. À l’avenir, il devra exercer ce rôle avec plus encore de responsabilité, tant la société a, chaque jour, plus besoin de lui. ■ OGM et produits verts Passer à une action utile, reconnue et visible L’assurance des OGM est un exemple significatif. Aujourd’hui, les études réalisées sur l’impact des OGM sur la santé publique ne sont pas toutes unanimes. Leurs résultats dépendent souvent de leur commanditaire. Dans ce cas, les assureurs ont exprimé leur volonté de ne pas offrir de garantie de responsabilité civile. À l’inverse, dans le cadre de l’économie verte, les assureurs ont choisi d’accompagner le mouvement de développement, en proposant des garanties en relation avec les énergies renouvelables, en acceptant un processus allégé et accéléré de certification des produits verts. LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 27 P.28 Renaudin 22/04/11 19:33 Page 28 GRAND ANGLE L’ASSURANCE PAR ANDRÉ RENAUDIN (76) Le rôle irremplaçable de l’assurance-vie directeur général d'AG2R La Mondiale et Prémalliance Depuis 1970, l’assurance-vie connaît une croissance continue et forte. La raison est que cet instrument s’est bien adapté aux besoins des Français et à ceux de l’économie en général. Cette croissance devrait naturellement se poursuivre pour répondre aux nouvelles demandes de protection, en particulier celles liées à la démographie ou à l’évolution des comptes sociaux. Encore faut-il que l’activité puisse évoluer dans un cadre réglementaire clair et pérenne. Cette croissance confirme le rôle irremplaçable de l’assurancevie ■ Il y a une dizaine d’années, alors que j’étais délégué général du Groupement des assurances de personnes à la Fédération française des sociétés d’assurances, j’ai eu l’idée de faire établir le graphe de l’évolution des cotisations en assurances de personnes depuis l’après-guerre. Surprise : il s’agit d’une exponentielle, perturbée seulement par des aléas conjoncturels, hélas de plus en plus fréquents. Cette croissance confirme le rôle irremplaçable de l’assurance-vie pour nos concitoyens et pour notre pays. Comment en sommes-nous arrivés là ? Cotisations en assurance-vie (affaires directes, France) 160 140 120 100 80 60 40 20 0 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 Source : FFSA (2010, estimation). 28 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 L’assurance-vie moderne en France est née en 1787. Elle est issue de la création, autorisée par édit de Louis XVI (on dirait aujourd’hui « agréée par décision de l’Autorité de contrôle prudentiel »), de la Compagnie royale d’assurance sur la vie humaine. Aujourd’hui, l’encours des provisions d’assurance-vie dépasse 1 300 milliards d’euros, dont 210 milliards pour les supports en unités de compte : ces supports UC pèsent presque autant que l’ensemble des actions OPCVM détenues en direct par les épargnants français et deux fois plus que les actions cotées détenues par ces mêmes Français. Une définition très moderne En France, l’histoire de l’assurance-vie commence avec la création de la Compagnie royale d’assurance sur la vie humaine, à l’instigation d’Étienne Clavière, banquier genevois qui deviendra le premier ministre des Finances de la République, emporté pendant la Terreur. Précurseur de génie, il nous laisse une belle définition de l’assurance-vie, d’une modernité extraordinaire : « On entend par assurance sur la vie, un contrat en vertu duquel des assu- Au service de l’intérêt général Md€ 1950 REPÈRES 2000 2005 2010 L’approche d’Étienne Clavière était autant sociale qu’économique. Pour lui l’objet de l’assurancevie est d’intérêt général : « Faire servir l’inégale durée de la vie humaine, et l’intérêt de l’argent, à fonder des ressources pour l’âge avancé ou, après la mort, en faveur des survivants, tel est en peu de mots le but de toutes les sortes d’assurances sur la vie. Leur utilité générale n’est pas douteuse. Dans tout pays où l’on s’occupe du bonheur des individus, on a mis au rang des bienfaiteurs de la société les hommes qui ont inventé ces assurances. » P.28 Renaudin 22/04/11 19:33 Page 29 Renaissance La Compagnie royale ne survit pas à la Révolution, et il faut attendre le Second Empire pour que l’assurance-vie renaisse de ses cendres. Elle a failli connaître une seconde mort, emportée par l’inflation pendant la dernière guerre. Pour résumer le sentiment de nos compatriotes, un capital garanti qui permettait l’acquisition d’une voiture en 1940 ne représentait guère plus que la valeur des pneus en 1945. Échaudés, les Français se sont détournés de l’assurance-vie pendant une génération, concrètement donc jusqu’en 1970. Nous revoilà à notre exponentielle : 1970 est le zéro des abscisses, le moment du décollage. Outre le facteur «d’oubli générationnel», il me semble qu’il y a une autre explication fondamentale à ce retour vers l’assurancevie : des solutions avaient été trouvées au dilemme du taux technique et de l’inflation. En effet, s’il est clair que le taux d’intérêt garanti a priori par les assureurs-vie doit être plafonné à un niveau assez bas pour être tenable viagèrement, c’est-à-dire potentiellement pendant des dizaines d’années 2, il est non moins clair qu’une rémunération de l’épargne de 3,5 % lorsque les rendements obligataires bruts dépassent 10 % laisse a posteriori un sentiment de désenchantement ; et il s’agit là d’un euphémisme lorsque l’on cumule l’écart sur dix ans ou plus. Décollage L’assurance-vie a vraiment décollé avec le développement des premiers contrats à versements libres. C’est à cette époque que les associations d’épargnants sont créées : Amphitéa, partenaire d’AG2R La Mondiale (1974), Afer (1976, partenaire d’Aviva), Agipi (1976, partenaire d’Axa). GRAND ANGLE reurs reçoivent annuellement, pendant un nombre d’années limité, ou une fois pour toutes, une certaine somme, à condition de payer, à la mort d’une ou de plusieurs personnes désignées dans le contrat 1, un capital quelconque, ou une rente annuelle sur la tête d’une ou de plusieurs personnes pareillement désignées dans le contrat. » Au-delà du fondement de mon métier, sa vison du rôle de l’assurance dans la société guide ma vie professionnelle. Nouveaux supports Si les contrats en unités de compte, à capital variable mobilier ou immobilier, ont été autorisés en 1969 par circulaire de la Direction des assurances (sans base légale avant 1985), c’est le développement des marchés boursiers et immobiliers durant les années quatre-vingt qui générera une forte croissance de ces contrats. Il est frappant de constater la stabilité des stocks de ces contrats même en cas de tempête boursière : seuls les flux sont concernés. Participation aux excédents La solution a consisté tout d’abord dans le mécanisme de la « participation aux excédents », rendu obligatoire par la loi n° 66-935 du 17 décembre 1966 grâce à l’idée féconde d’une redistribution de 90% des résultats techniques et 85 % des résultats financiers des entreprises d’assurance-vie. Ce principe permet aux rendements des contrats d’assurancevie de s’ajuster à l’environnement financier. Il permet également la mutualisation au sein de la collectivité des assurés. Encore faut-il jouer le jeu de l’équitable mutualisation intergénérationnelle. Bancassurance Avec les deux chocs pétroliers des années soixante-dix, l’inflation et les taux d’intérêts bruts sont au plus haut. Les banquiers sentent que la collecte de l’épargne longue passera par l’assurance-vie : ils créent, souvent en partenariat avec des assureurs, des filiales dédiées à partir du milieu des années quatre-vingt. Si Sogecap (1963, Société Générale) ou Cardif (1973, Paribas) sont précurseurs, Prédica créée en 1986 par le Crédit Agricole connaît un essor fulgurant. La connaissance des flux de trésorerie de leurs clients donne à ces sociétés un net avantage pour collecter, aujourd’hui, plus de la moitié des cotisations d’assurance-vie en France. Ces filiales permettent également aux banquiers de commercialiser les assurances emprunteurs qu’ils peuvent proposer en même temps que les crédits à l’habitat ou à la consommation. Les Français se sont détournés de l’assurance-vie pendant une génération jusqu’en 1970 Aversion au risque Avec une culture financière largement influencée par l’existence de produits de court terme parfois fortement rémunérés, sans fiscalité et LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 29 P.28 Renaudin 22/04/11 19:33 Page 30 GRAND ANGLE L’ASSURANCE sans risque comme le livret A, les épargnants français sont toutefois largement réfractaires au risque. L’assurance-vie, par son offre permettant d’associer à des supports euros aux supports en unités de compte, réussit à développer une part d’actifs à risques dans le patrimoine des ménages. Désormais, les cotisations d’assurance-vie représentent un peu moins de 150 milliards d’euros. Il s’agit à 84 % d’assurance en cas de vie que l’on pourrait qualifier à but d’épargne car non spécifiquement logée dans un dispositif retraite. Toutefois, les enquêtes de la FFSA montrent que l’objectif principal des assurés détenant ce type de contrat est de préparer leur retraite. Les cotisations en assurance retraite représentent environ 9% de l’ensemble. Ces contrats sont soit souscrits individuellement (PERP, contrats Madelin pour les travailleurs non salariés), soit sous forme collective (contrats à cotisations définies, à prestations définies, retraite-chapeau, PERE). Un produit sans égal L’objectif principal des assurés est de préparer leur retraite L’assurance-vie est donc un produit en forte croissance. Rien que sur les dix dernières années, les encours ont été multipliés par deux, soit 7,4 % de progression en moyenne annuelle. Selon toute vraisemblance, cette progression devrait continuer. Mieux encore, en 2010 comme en 2009, l’assurance-vie a représenté plus de 100 % du flux de placements financiers, l’ensemble des autres placements étant globalement en décollecte, soit en raison des risques trop importants (actions, Assurance décès L’assurance en cas de décès représente 7 % des cotisations totales. On y trouve ici les contrats « vie entière », qui permettent le versement d’un capital ou d’une rente à une personne désignée lors du décès de l’assuré quelle qu’en soit la date, ou les contrats « temporaires » qui ne permettent ces versements que si le décès se situe sur une période définie à l’avance (comme pour les assurances emprunteurs ou les rentes éducation). On notera que l’assurance-vie est un outil idéal pour organiser sa succession, permettant ainsi des ajustements par rapport aux dispositions successorales, en faveur d’un parent handicapé, des petits-enfants... 30 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 obligations, OPCVM), soit de par leur trop faible rentabilité (livrets A, sicav monétaires, comptes à terme). Ainsi, l’assurance-vie apparaît comme le seul réel vecteur de placement financier et il n’existe pas d’alternative véritable pour les épargnants. Financer l’économie Avec son développement, l’assurance-vie permet de financer durablement l’économie de notre pays. L’assureur-vie est en effet un investisseur institutionnel de premier plan, capable de recueillir et de mobiliser une épargne longue et stable. Aussi l’assurance-vie, comme l’assurance non-vie, en particulier dans la conjoncture que nous avons connue avec la crise financière, participe de façon significative au financement de la dette de l’État. Au-delà de l’importance de ce financement, les placements de l’assurance concernent d’abord les entreprises : les titres d’entreprises, actions et obligations confondues, représentent en valeur de marché plus de la moitié des actifs des sociétés d’assurances. 18 % de l’encours en valeur de marché, soit un peu moins de 300 milliards d’euros, sont directement ou indirectement investis en actions. Le développement de l’assurance-vie et des contrats en unités de compte ces dernières années a largement contribué à cette orientation. Quant au financement des entreprises par la souscription d’obligations, il s’avère essentiel lorsqu’il devient difficile de lever des capitaux sur le marché actions, comme ce fut le cas récemment. L’assurance-vie, dont les actifs représentent 90% des actifs des sociétés d’assurances, présente donc un intérêt économique et social irremplaçable. Encore faut-il qu’elle conserve les moyens de jouer ce rôle moteur. Menaces et risques Appréhendée dans sa dimension contractuelle, l’assurance-vie protège et fortifie le patrimoine. Elle permet aux assurés de jouir de la plus grande sécurité. La robustesse du secteur lors de la crise majeure que nous venons de traverser en constitue une illustration remarquablement tangible. Cela étant, le succès de l’assurance repose sur la confiance et la confiance se nourrit de stabilité. À cet égard, une menace majeure réside dans l’insécurité 22/04/11 19:33 Page 31 De nouvelles opportunités Pour autant, l’optimisme doit être de rigueur. En effet, le marché de l’assurance-vie demeure extrêmement porteur. L’évolution de la démographie et la dégradation des comptes sociaux rendront de plus en plus nécessaire le recours à l’assurance privée, collective ou individuelle, Gestion à long terme À la lecture de l’histoire récente, l’assureur-vie ne devra jamais perdre de vue que la dimension financière de son métier constitue un moyen et en aucune façon une fin en soi, et que la recherche d’une rentabilité à court terme est parfois difficilement compatible avec la gestion de produits de long terme. Plus généralement, il devra constamment s’appuyer sur ses fondamentaux, en veillant, entre autres, à ne pas réduire l’assurance à un simple produit d’épargne. Par ailleurs, la réforme « Solvabilité II » devrait conduire à une meilleure prise en compte des risques pris par l’assureur. GRAND ANGLE fiscale et juridique qui pèse régulièrement sur le secteur. L’assurance-vie, comme l’ensemble de la profession, a besoin d’évoluer dans un cadre réglementaire clair et pérenne. Ce préalable étant posé, il faudra également veiller à toujours rechercher le juste équilibre entre le niveau nécessaire de réglementation et la part laissée à la liberté d’entreprendre, condition nécessaire à l’innovation. En d’autres termes, pour que l’assurance-vie puisse demeurer le meilleur instrument de protection et de développement du patrimoine, pour qu’elle puisse toujours mieux répondre aux attentes des assurés, il conviendra d’opérer les bons arbitrages entre les besoins de l’économie et les intérêts des assurés. De ce point de vue, la réforme annoncée de la fiscalité du patrimoine pour 2011 devrait nous éclairer sur les intentions des Pouvoirs publics. Parallèlement aux menaces exogènes qui pèsent sur lui, l’assureur-vie aura aussi tout intérêt à se protéger contre lui-même, en évitant de devenir à son tour créateur de ses propres risques. D.R. P.28 Renaudin en complément des régimes obligatoires de protection sociale. Risques nouveaux, besoin de couverture accru et attentes nouvelles permettront à l’assurance-vie de pleinement remplir sa fonction d’utilité sociale. La perte d’autonomie en constitue une parfaite illustration. Sans chercher à entrer dans le débat relatif à son mode de financement (publicprivé), il semble évident que l’assurance-vie aura tout son rôle à jouer, en complément de la solidarité nationale. En même temps, cela induit des responsabilités supplémentaires à la charge de l’assureur vie, en particulier celle de ne pas décevoir. En ce sens, les assureurs vie devront faire preuve de toujours plus de pédagogie et la réforme portant sur le devoir d’information et de conseil doit être ainsi considérée non pas comme une menace mais comme une opportunité. Cette pédagogie renforcée participera d’une meilleure compréhension et d’une meilleure maîtrise de produits souvent complexes, permettant du même coup à l’assuré de mieux arbitrer entre ses préoccupations de court, moyen et long terme, voire de privilégier des choix de long terme. ■ 1. S’il n’existe pas de définition «civile» de l’assurancevie, une très bonne est fournie par l’instruction fiscale n° 5 du 7 janvier 2000 (BOI 7 K-1-00) : « L'assurance sur la vie est une convention aux termes de laquelle une personne (l’assureur) s’oblige envers une autre (le souscripteur) pendant une durée déterminée (la durée du contrat) moyennant une prestation unique ou périodique (la prime), à verser au contractant lui-même ou à un tiers désigné ou déterminable (le bénéficiaire) un capital ou une rente, sous certaines éventualités dépendant de la vie ou de la mort d’une personne désignée (l’assuré).» 2. L’âge moyen de souscription d’un contrat d’assurance en cas de vie est de 51 ans selon une enquête de la FFSA et la durée de vie résiduelle à cet âge est encore de 32 ans. Le marché de l’assurancevie demeure extrêmement porteur LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 31 P.32 Wiedmer et Maigné 20/04/11 9:09 Page 32 GRAND ANGLE L’ASSURANCE PAR JEAN-PIERRE WIEDMER (79) président, HSBC Assurances Assurance-vie : innover face aux contraintes ET AURIANE MAIGNÉ chargée des relations publiques, HSBC Assurances La popularité de l’assurancevie vient de la diversité des investissements qu’elle permet Placement très prisé des Français, l’assurance-vie a connu un regain d‘intérêt avec les contrats multisupports. Mais les obligations nouvelles qui pèsent sur les compagnies, tant en matière prudentielle qu’en matière d’information des clients, risquent d’obérer les rendements. Les assureurs sont donc amenés à innover pour répondre à ces nouveaux défis, en particulier dans le domaine des compléments de retraite. ■ Les contrats multisupports, qui sont aujourd’hui légion et qui proposent aux assurés de répartir leur investissement entre un fonds euros et de multiples supports en unités de compte, offrent un bon compromis entre sécurité, risque et performance. Les assureurs ont ainsi trouvé le parfait relais de croissance et de rentabilité pour gérer les contraintes actifpassif et la lente érosion des taux d’intérêt. Les bancassureurs sont d’ailleurs les plus fervents soutiens des unités de compte qui leur ont permis de créer un produit financier performant en faisant le meilleur usage possible des synergies entre leurs filiales d’asset management, d’assurance, et leur réseau de distribution. REPÈRES 1 300 milliards d’euros. C’est le total des sommes que les Français ont décidé, à ce jour, de confier à leur placement préféré. Premier vecteur de l’épargne longue, l’assurance-vie a donné la preuve de sa résistance dans un contexte de crise financière où elle a fait figure de valeur refuge pour des épargnants guidés par leur besoin de sécurité. 42 % des ménages possèdent au moins une assurance-vie, produit qui offre un cadre fiscalement attractif, un rendement intéressant et la possibilité de sécuriser, au moins en partie, leur épargne. Levier fiscal Du côté de la fiscalité, l’année 2010 a été particulièrement agitée en matière de réflexion fiscale mais cela n’a donné lieu qu’à des réformes limitant légèrement le statut privilégié de l’assurance-vie (les prélèvements sociaux par exemple). Pour autant il ne faut pas croire que la fiscalité ne contribuerait qu’à réduire les avantages dont jouit l’assurance-vie. Une réflexion est d’ailleurs en train d’être menée sur la façon dont, par le biais de la fiscalité, on peut encourager la détention de contrats en actions. Ces mesures d’incitation viendraient Diversifier les placements Un autre atout, et pas des moindres, qui explique la popularité de l’assurance-vie, est la diversité des investissements qu’elle permet. Actions, obligations, immobilier ou liquidités, l’allocation des actifs est à la fois simple et souple pour qui s’y connaît un peu. Et si on n’y connaît rien ? Les modes de gestion définis par les assureurs permettent désormais aux conseillers d’orienter leurs clients vers les supports ou les options de gestion les mieux adaptés, en fonction de leurs connaissances financières, de leur horizon de placement et de leur niveau d’aversion au risque. 32 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 Nuances Si la situation actuelle de l’assurance-vie en France peut paraître idyllique de prime abord, il faut toutefois y mettre quelques nuances. L’environnement très favorable dans lequel s’est jusqu’à présent épanouie l’assurance-vie est maintenant sous pression, puisque les régulateurs européens et les autorités économiques françaises ont récemment initié des réformes réglementaires et fiscales qui vont transformer le paysage de l’assurancevie en France. P.32 Wiedmer et Maigné 20/04/11 9:09 Page 33 À la fin des années quatre-vingt-dix, l’inclusion d’une part en actions dans les contrats d’assurance-vie a rencontré un très vif succès et considérablement contribué à booster l’épargne longue. Ce succès a cependant été rapidement freiné par le krach boursier de 20012002, et plus encore par l’explosion de la bulle financière en 2008. Depuis, les épargnants se laissent en grande majorité séduire par les sirènes du fonds euros et de son capital garanti. Et c’est compréhensible (les supports euros drainent 87 % de la collecte). pallier la forte désaffection observée sur les actions, liée à l’instabilité des marchés financiers. Ce phénomène, qui semble s’estomper en 2010 (+10 % de collecte depuis janvier), doit cependant être surveillé attentivement puisque les remous des marchés sont loin d’être la seule explication au recul des unités de compte. Contraintes prudentielles L’horizon des marchés financiers est également assombri par la perspective de la réglementation Solvabilité II, qui s’imposera aux assureurs dès 2012. Avec une volonté annoncée de mieux parer aux risques financiers, les régulateurs européens formalisent actuellement cette réforme qui vise à mettre en adéquation le niveau des fonds propres des compagnies d’assurances avec le niveau d’exposition au risque de leurs activités. La première conséquence en est que la politique d’allocation d’actifs se verra profondément modifiée à la lumière des nouvelles dispositions. C’est donc en fonc- Solvabilité II Le véritable changement introduit par Solvabilité II réside dans le fait que les stratégies d’allocation d’actifs seront dirigées non plus uniquement dans une logique d’optimisation de la performance mais également dans une logique d’optimisation des fonds propres. Si à ce stade les dispositions définitives ne sont pas encore connues, il faut être conscient du fait que des exigences en fonds propres trop importantes, ou trop volatiles, pourraient inciter les assureurs à désinvestir des actions, chères en fonds propres car risquées. GRAND ANGLE Succès mitigé tion des nouvelles contraintes en fonds propres que celle-ci sera optimisée. Il appartiendra à chaque assureur d’appliquer les normes apportées par Solvabilité II en fonction de la capacité de couverture dont il dispose déjà et de la capacité d’absorption de son passif. La question qui se pose alors aux assureurs est de savoir de quelle manière ils vont pouvoir atteindre un niveau de performance acceptable, avec une prise de risque acceptable elle aussi. La solution pourrait être d’attirer les assurés vers des produits de long terme, avec des garanties non pas à tout moment mais à des moments donnés de la vie du contrat, fixés au préalable. En tarifant un produit sur le long terme, l’assureur sera ainsi à même de mieux absorber les variations du portefeuille. Érosion des rendements La nouvelle donne réglementaire pose aussi la question de la performance pour les assurés. Si ces derniers peuvent se réjouir des normes de sécurité accrues, il n’en reste pas moins que d’importantes répercussions dans les rendements servis en fin d’année sont à prévoir. Stratégies d’investissement prudentes et forte baisse des taux des obligations d’État contribuent à une lente érosion des rendements. Nouveaux acteurs La situation est d’autant plus difficile à vivre que les acteurs de l’assurance-vie se multiplient à cause du mouvement de concentration qui s’opère dans le secteur bancaire. Les distributeurs par Internet, les Conseillers en gestion de patrimoine indépendants (CGPI) et les courtiers en tous genres alimentent le jeu de la concurrence entre les acteurs traditionnels du secteur, mais les poussent aussi à renforcer leur réactivité et leur force d’innovation. La concentration du secteur, qui continuera sans doute, peut toutefois être optimisée par la mise en commun des expertises et le développement des synergies au bénéfice du client. Les épargnants se laissent en grande majorité séduire par les sirènes du fonds euros et de son capital garanti Devoir de conseil La multiplication des acteurs sur la scène de l’assurance montre bien toute l’importance que prend le devoir de conseil pour les assureurs, qui doivent donner la preuve qu’un conseil financier, personnalisé et incarné par un expert, est une valeur ajoutée réelle. Les dispositions LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 33 P.32 Wiedmer et Maigné 20/04/11 9:09 Page 34 GRAND ANGLE L’ASSURANCE Concurrence accrue La multiplication des canaux de distribution et la concurrence que certains se livrent sont d’autant plus accentuées par l’ampleur qu’ont prise, depuis les débuts des années 2000, les médias spécialisés. Magazines et sites de comparatifs en ligne sont ainsi devenus pour certains épargnants le principal relais de leur information financière. de la directive MIFID, appliquées depuis novembre 2007, favorisent notamment la protection des investisseurs et renforcent les exigences en matière de devoir de conseil. Ainsi, le profil investisseur, qui doit obligatoirement être défini, permet de situer les connaissances financières, l’horizon de placement, le niveau d’aversion au risque, et favorise donc une meilleure connaissance financière des clients. Une information technique Il faudra éviter de produire une communication qui manquerait de lisibilité Solvabilité II ira aussi dans ce sens puisque les assureurs devront communiquer une stratégie ou un plan d’action à long terme concernant la consommation des fonds propres. Toute la question réside donc dans la façon dont un assureur pourra traduire de façon intelligible pour ses assurés une information à très haute technicité, pour leur permettre d’opérer leurs choix en toute conscience. Puisque cette communication sera de nature à générer des attentes, ou à influer sur les comportements d’investissement des assurés, il faudra à tout prix éviter de produire une communication qui, parce qu’elle manquerait de lisibilité, puisse être discriminante. L’évolution de la réglementation en termes d’information et de devoir de conseil va par- MIFID Cette directive vise à renforcer le cadre législatif communautaire des services d’investissement et des marchés réglementés, de manière à servir davantage deux grands objectifs : d’une part, protéger les investisseurs et préserver l’intégrité du marché, en fixant des exigences harmonisées pour l’activité des intermédiaires agréés ; et, d’autre part, promouvoir l’équité, la transparence, l’efficacité et l’intégration des marchés financiers. 34 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 ticiper à une meilleure maîtrise des produits par les assurés et réduire les risques attachés. Dans un environnement plus concurrentiel et plus réglementé, et sous la pression des tendances démographiques et économiques, la question qui se pose est la façon dont, pour continuer d’attirer les épargnants et maintenir l’assurance-vie dans son statut de placement préféré des Français, les assureurs vont pouvoir innover dans leur offre de produits. Compléments de retraite Il est un aspect de l’assurance-vie qui, à la lumière des évolutions récentes qui ont marqué notre système de retraite, revêt une importance toute particulière. Face aux limites prévisibles du système par répartition et à l’allongement de l’espérance de vie des individus, commence à émerger l’idée que le financement des vieux jours relève de la responsabilité individuelle. Les Français ont pris conscience qu’ils sont désormais responsables de leur confort financier à la retraite, et ils considèrent davantage les pensions publiques comme un soutien que comme la source principale de leurs revenus. Flexibilité versus garantie L’approche volontaire est donc assumée mais encore faut-il pouvoir proposer à ces assurés les solutions de placement qui offriront le juste équilibre entre garantie des revenus et flexibilité. Cette dernière notion étant, dans l’imaginaire collectif, en parfaite antinomie avec le système des sorties en rente (un système qui vaut à un produit comme le PERP la réticence des Français, ces derniers étant attachés aux notions de capital et d’héritage), l’assurancevie apparaît comme le placement idéal pour préparer sa retraite. Afin d’encourager cette épargne, il faut travailler à améliorer le fonctionnement du produit et mettre en place des mécanismes qui incitent l’assuré à conserver son placement le plus longtemps possible. Il faudrait bien sûr pour allonger ce délai de détention aligner l’orientation fiscale attachée. Innovations Au rang des innovations, certains produits récents commencent à faire parler d’eux et à séduire le marché français. Ce sont sur ces solutions nouvelles, complémentaires à l’as- P.32 Wiedmer et Maigné 20/04/11 9:09 Page 35 Une majorité de Français souscrit un contrat d’assurance-vie en vue de la retraite. La FFSA a ainsi confirmé dans une étude publiée en juin 2010 que 66 % des détenteurs d’une assurance-vie voient dans leur placement le support privilégié d’une épargne en vue de la retraite, voire de la dépendance. surance-vie, que doit se concentrer l’innovation. Parmi les nouveautés, les variable annuities, qui nous viennent des États-Unis. Quelques assureurs les ont développées cette année. Bien qu’il s’agisse d’un produit assimilé à de la rente, et donc difficile à introduire sur un marché traditionnellement hostile à ce principe, celui-ci présente l’avantage de ne pas aliéner le capital et de garantir, pour toute la vie et à partir d’un moment donné, des revenus dont le montant est connu à l’avance. Ce produit est conseillé en complément de l’assurancevie dont la logique de transmission du patrimoine vient compléter utilement ce produit retraite nouvelle génération. Performance et besoin de sécurité Les variable annuities sont une alternative crédible, mais pas une solution miracle pour autant, car il ne faut pas manquer de considérer le coût pour l’épargnant des garanties offertes par ce produit, et l’effort pédagogique qu’il requiert. Certains contrats d’assurance-vie développent aussi des options financières qui fonctionnent avec un mécanisme de limitation à la baisse des moins-values (mécanisme de stop loss). La multigestion diversifiée est une autre piste à surveiller attentivement. En sélectionnant GRAND ANGLE Épargne-retraite les meilleurs experts d’un marché, d’un pays ou d’un secteur, elle apporte une diversification optimale et une meilleure maîtrise des risques au sein du portefeuille. Il n’y a pas de secret, «performance» continue de rimer avec « actions ». Il appartient dès lors aux assurés d’arbitrer entre leurs aspirations de performance et leur besoin de sécurité. Engagements à long terme Quel que soit le chemin que prenne l’innovation, une caractéristique doit cependant être commune à tous ces produits : un engagement de détention doit être mis en place pour favoriser la gestion financière des assureurs sur le long terme. Il faut noter que, sur la dernière année, nous avons constaté une utilisation détournée de l’assurance-vie comme un placement à court terme. Cela ne peut bien entendu qu’être dommageable à la gestion financière sur le long terme des assureurs. Réintroduire l’horizon de long terme est donc une première chose mais les nouveaux produits se devront d’avoir également une vision plus assurantielle (et moins financière, liée simplement à l’optimisation d’un avantage fiscal) et s’inscrire dans la durée en offrant des horizons plus longs concernant réellement les problématiques de l’assurance : protection en cas de décès, façon de gérer les risques. Long terme Favoriser les placements à long terme passe notamment par des produits qui offrent des garanties non pas à tout moment, mais à des dates spécifiques, définies par l’assuré. Un produit de substitution ou plutôt une déclinaison à notre actuelle assurance-vie, à horizon de détention défini et à long terme, pourrait venir compléter utilement la gamme actuelle proposée pour l’épargne des Français. Il n’y a pas de secret, performance continue de rimer avec actions Contrats à annuités variables Ce sont des placements en unités de compte, assortis de garanties optionnelles permettant de sécuriser les capitaux placés par les assurés. Ils permettent à ceux-ci de recevoir une rente viagère garantie dont le minimum est connu à l’avance. Cette rente n’est versée qu’à partir d’un certain âge. Solvabilité, fiscalité, baisse des rendements : des contraintes qui, à en croire les analystes et les prospectives, ne menacent pas pour autant la popularité du roi des placements. L’assurance-vie a encore de beaux jours devant elle et les assureurs ne manquent pas de ressources pour lui donner un nouvel élan. ■ LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 35 P.36 Moreau 20/04/11 9:11 Page 36 GRAND ANGLE L’ASSURANCE PAR NICOLAS MOREAU (85) directeur général d’Axa France Distribution : une exception française durable? Après le premier « big bang » des années soixante, avec l’arrivée des mutuelles sans intermédiaires sur les assurances dommages du particulier, puis celui des années quatrevingt, correspondant à l’entrée des banquiers sur l’assurance-vie, les parts de marché des différents « modes de distribution » apparaissent stables depuis quinze ans. Cette stabilité intègre des tendances structurelles de déformations, liées à l’évolution des modes de consommation et à la convergence des activités des secteurs financiers, déformations qui se construisent sur les évolutions significatives des technologies de l’information. La bancassurance « à la française » présente de réelles spécificités ■ Dans plusieurs pays d’Europe, à l’exemple de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Espagne, la distribution de l’assurance relève principalement de réseaux « liés » tels que ses propres salariés et les agents généraux. Dans d’autres pays au contraire, comme le RoyaumeUni, la Belgique ou les Pays-Bas, les compagnies d’assurances ont historiquement davantage recours à des réseaux «non liés», et donc principalement au courtage. La France se distingue de ses principaux voisins par la variété de ses modes de distribution d’assurances, avec la cohabitation de modes avec intermédiaires ou sans et, souvent, la coexistence de plusieurs modes pour une même compagnie ou une même marque : agents généraux, généralistes ou spécialisés ; courtiers, allant du « petit courtage » local aux courtiers internationaux ; salariés, dans les réseaux bancaires ou dans les réseaux d’assurances (debout-itinérants ou assis-en agence); vente directe, par téléphone, courrier et désormais par Internet. Les parts de marché relatives de ces différents modes de distribution et leur évolution dans les quarante dernières années sont différentes selon que l’on parle d’assurances dommages ou d’assurances-vie. Elles le sont également que l’on s’intéresse aux clients « particuliers » ou aux clients « entreprises » séparément. Le premier choc, en termes de distribution sur le marché français, a été la conquête par les « mutuelles sans intermédiaires », à compter des années soixante et soixante-dix, de fortes parts de marché en assurances dommages, notamment dans les risques du particulier (environ 40% de part de marché), au détriment REPÈRES Le secteur de l‘assurance emploie 215 000 personnes en France, comprenant 145 000 emplois au sein des compagnies d’assurances (dont environ 20 000 commerciaux itinérants) et 50 000 chez les intermédiaires exerçant cette activité à titre principal (courtiers et agents généraux). 41 500 intermédiaires d’assurances étaient enregistrées à fin 2009, dont 12 500 agents généraux et 12 000 courtiers. 340 sociétés françaises étaient agréées au 31 décembre 2009, auxquelles s’ajoutent 110 succursales de sociétés étrangères implantées en France. Environ 1 000 sociétés de l’Espace économique européen sont autorisées à exercer en France en LPS (Libre prestation de service). En 2009, le chiffre d’affaires (primes émises) s’est élevé à 200 milliards d’euros, dont 129 en épargneretraite (+ 14% versus 2008), 45 en dommages (+ 1%) et 26 en prévoyance (+ 4%). Les encours gérés en assurance-vie et capitalisation s’élèvent à 1 250 milliards fin 2009, ont progressé de + 10 % durant 2009 et représentent plus de 40 % des placements financiers des ménages. 36 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 P.36 Moreau 20/04/11 9:11 Page 37 La bancassurance n’est pas, à proprement parler, un modèle mondial. L’aspect mondial réside dans le rapprochement entre ces deux métiers du fait de l’interpénétration croissante des métiers financiers. Mais la bancassurance telle que nous la connaissons en France présente certaines spécificités nationales. Partant de la présence en épargne (sous forme de contrats d’assurance-vie), les banquiers ont progressivement étendu leur présence à l’assurance décès, puis à l’assurance dommages (automobile, habitation, etc.) ; en premier lieu auprès de la clientèle de particuliers puis auprès des TNS (commerçants, artisans, professions libérales, etc.) puis des TPE. Cette extension a été souvent construite initialement dans une démarche commerciale « liant » ce contrat d’assurance à l’activité bancaire et notamment à l’octroi d’un crédit (immobilier, consommation et prêt personnel). principalement des agents généraux. Cette conquête s’est cependant arrêtée depuis plus de dix ans. Les intermédiaires restent très largement prédominants dans l’assurance des risques d’entreprises, et notamment les courtiers pour le haut de ce segment. GRAND ANGLE Bancassurance et démarche commerciale tions rencontrées au sein de ces réseaux dans un contexte de fortes concurrences : concentration dans le monde du courtage, restructuration de réseaux d’agents généraux, émergence de nouveaux modes concurrents (direct, grande distribution, constructeurs automobiles, etc.) et impact des nouvelles technologies. Le contre-exemple britannique Au Royaume-Uni, il n’y a quasiment plus d’agents généraux (4 % du dommage) et de forces de vente propres. En assurance-vie, les IFA (Independent Financial Advisors, soit en version française les Conseillers en gestion de patrimoine indépendants «CGPI») détiennent, depuis de longues années, plus de 70 % de part de marché, tant en « individuelles » (clients particuliers) qu’en « collectives » (clients entreprises). Et les banques représentent la quasi-totalité du solde. En dommages, sur les risques d’entreprises, le courtage est prédominant, comme en France, avec 80 % de part de marché. En revanche sur les risques dommages du particulier, les banques, absentes il y a dix ans, ont fortement crû pour représenter désormais plus de 30 % de part de marché. D’un point de vue « réglementaire » en France, deux événements majeurs sont à citer. Le premier est représenté par les accords de 1996 entre la FFSA (Fédération française des sociétés d’as- L’arrivée des banquiers La seconde rupture aura été l’arrivée des guichets des établissements bancaires et financiers, comme premier acteur de la vente en «assurance-vie» dès le début des années quatre-vingt-dix, au détriment des agents généraux et des réseaux salariés. Cette « bancassurance » française est née, au début des années quatre-vingt, de la prise de conscience par les banques du risque de voir l’épargne qu’elles collectaient s’enfuir vers des contrats d’assurance-vie, compte tenu de ses avantages fiscaux, et donc vers d’autres acteurs et d’autres réseaux. En fait on peut aussi considérer que les banquiers ont fait croître le marché de l’assurance épargne vie, tout en laissant aux acteurs historiques leur volume initial d’activités (en euros et non en part de marché). Les parts de marché des différents modes de distribution apparaissent stables depuis plusieurs années. Et ce malgré les fortes évolu- Les agents généraux d’assurances Leurs statuts initiaux ont été adoptés en 1949 en dommages et en 1950 en vie, par le Conseil national des assurances, et homologués alors par décrets. Le nombre d’agents généraux a fortement reculé durant ces dernières années, pour tomber à environ 12 500 à ce jour, soit environ un agent général pour 5 000 habitants. Installés en zones rurales, semi-urbaines et urbaines, ils emploient 34 000 collaborateurs et offrent avec 15 300 points de vente un service de proximité au plus près des assurés. Ils ont « intermédié » 27 milliards d’euros de primes en 2009, pour un chiffre d’affaires moyen (commissions perçues) d’environ 250 000 euros par agent. À titre de comparaison, l’Hexagone comptait 42 000 stations-service en 1980. Fin 2010 l’on n’en dénombre plus que 12 500 (soit le même nombre que les agents généraux d’assurances). En France, des accords fixent les droits et obligations réciproques des agents et des compagnies LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 37 P.36 Moreau 20/04/11 9:11 Page 38 GRAND ANGLE L’ASSURANCE La loi sur l’intermédiation Cette loi fixe les conditions d’accès et d’exercice de cette activité (honorabilité, capacité professionnelle, responsabilité civile professionnelle et capacité financière) ; prévoit l’immatriculation obligatoire des intermédiaires auprès de l’Organisme pour le registre des intermédiaires en assurance (ORIAS) et inclut également de nouvelles exigences en matière d’information du consommateur et de formalisation du conseil fourni. surances) et la FNSAGA (Fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurances, devenue depuis AGEA) mettant fin aux statuts précédents des agents généraux (datant de 1949 et 1950) dans un souci de modernisation économique et d’équilibre des droits et obligations réciproques des agents et des compagnies. Le second est la loi du 15 décembre 2005 entrée en vigueur le 30 avril 2007 et venant transposer la directive européenne sur l’intermédiation en assurance (dite « DIA » du 9 décembre 2002; directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil). Les agents généraux résistent L’assurance ne constitue pas encore un sujet autonome de consultation sur Internet De nombreux oracles ou intervenants évoquaient déjà, dans les années quatre-vingt, la mort lente mais certaine des agents généraux. Certes leur nombre a fortement baissé durant ORIAS L’Organisme pour le registre des intermédiaires en assurance est une association loi 1901 à but non lucratif, dont les statuts sont homologués par arrêté ministériel. Il est administré par des représentants des organisations professionnelles suivantes : Chambre syndicale des courtiers d’assurances (CSCA), Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA), Fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurances (AGEA), Groupement des entreprises mutuelles d’assurances (GEMA). La Fédération bancaire française (FBF) et la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) sont représentées dans la Commission des immatriculations de l’ORIAS. 41 500 intermédiaires étaient immatriculés à l’ORIAS au 31 décembre 2009. 38 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 ces dernières années ; mais force est de constater qu’ils ont su, avec les compagnies, faire évoluer, depuis 1996, leur métier et qu’ils restent encore aujourd’hui des acteurs importants en assurance dommages… même si c’est sans avoir jamais réellement « percé » en assurance de personnes. L’essor des ventes en direct Cependant, au sein de « l’assurance dommages », sur le seul secteur des particuliers, ce sont désormais les ventes par les guichets bancaires et les ventes en direct (Internet) qui apparaissent en croissance de part de marché depuis quelques années, au détriment, semble-t-il, de ces mêmes agents généraux : les « bancassureurs », avec en tête le Crédit Agricole et le Crédit Mutuel, représentaient 12 % de ces activités en 2008 (et probablement plus de 15 % en 2010), doublant leur part de marché en huit ans, alors que les agents généraux perdaient 8 points à 26 %. Les MSI restent stables, à ce stade, avec 40 % de part de marché. L’impact des nouvelles technologies À cette présence croissante des banquiers, ainsi que celle d’autres acteurs comme les constructeurs automobiles, vient s’ajouter l’impact des nouvelles technologies (et donc d’Internet), qui est, comprenons-le bien, protéiforme : la vente en direct (Amaguiz, Direct Assurance, IDMacif, etc.), qui représente des volumes modestes à ce jour mais est en forte croissance ; les comparateurs (Assurland, LeLynx, etc.), pour lesquels la France semble très en retard par rapport au Royaume-Uni par exemple, et qui poussent, en général, le développement des assureurs directs ; le « multiaccès », c’est-à-dire l’appui à la relation client pour toutes les formes de réseaux « traditionnels », et aussi parfois la vente… en gérant les « conflits » potentiels dans le cas de compagnies avec intermédiaires. Il semble effectivement raisonnable de penser que cela puisse faire déformer ce marché déjà très concurrentiel, et par là même, les parts relatives des modes de distribution. Enfin, pour avoir un tableau exhaustif des forces en présence et donc des déformations possibles durant les prochaines années, il convient de compter avec l’arrivée récente de La Banque Postale sur le marché de l’assurance dommages. P.36 Moreau 20/04/11 9:11 Page 39 Amaguiz, filiale de Groupama, après dix-huit mois d’activité, a acquis 100 000 contrats en portefeuille, principalement en assurance habitation, au travers de son site Internet www.amaguiz.com Admiral Group, présent en France via son comparateur LeLynx.fr (et au Royaume-Uni avec www.confused.com) a lancé début 2011 une offre d’assurance automobile en ligne. TF1 se lance aussi avec le comparateur www.automotocompare.fr, pendant que Le Figaro lance son courtier en ligne www.cplus-sur.com Assurland (filiale de Covea, groupe MMA, Maaf, GMF, etc.) reste le premier comparateur d’assurances et revendique 80 % du marché en ligne, devant Kelassur et Hyperassur. De même, en assurance-vie, constituée en très grande majorité (en chiffre d’affaires mais pas nécessairement en rentabilité pour les compagnies) par l’épargne-retraite, ce sont les courtiers spécialisés CGPI qui grignotent des parts de marché dans un marché qui a été fortement perturbé durant ces dernières années par la crise financière et économique d’une part mais aussi par des éléments plus endogènes comme l’externalisation des IRS Une distorsion de concurrence La loi du 22 octobre 2010 sur la régulation bancaire et financière, en attente de ses décrets, et de son article définissant le mandat de l’Intermédiaire en opérations bancaires (« IOB ») pourrait régler l’actuelle distorsion de concurrence. En effet, à ce jour, dans deux agences, l’une bancaire, l’autre d’assurance, arborant sur leur vitrine « banque et assurance » pour la première et « assurance et banque » pour la seconde, le client ne pourra pas effectuer les mêmes transactions : dans l’agence d’assurance, ce client ne pourra effectuer aucune opération bancaire, puisque celles-ci sont à ce jour le « monopole » de personnels employés de banque… alors que, dans celle de banque, l’employé de banque pourra, lui, effectuer toute opération de vente et d’après-vente en assurance. GRAND ANGLE Quelques actualités du Net (Institution de retraite supplémentaire). Il semble cependant peu probable que ces CGPI prennent en France, à court, moyen ou long termes, des parts de marché équivalentes à celles qu’ils ont acquises dans certains marchés anglo-saxons. La présence dominante des « bancassureurs » sur ce secteur en étant la première raison. L’arrivée de nouveaux acteurs La distribution de l’assurance en France nous semble être face à de profondes évolutions stratégiques, reflétant la maturité progressive du secteur sur ces sujets, l’arrivée de nouveaux acteurs potentiels , le pouvoir croissant d’un consommateur de plus en plus informé, mais aussi les impacts multiples des évolutions des technologies de l’information. ■ Les catégories d’assurances Les « assurances dommages », aussi appelées assurances IARD (Incendies, accidents et risques divers) ou assurances de biens et de responsabilité, en anglais P & C (Property & Casualty) ou GI (General Insurance), recouvrent les contrats multirisques en automobile, habitation, commerces, immeuble, mais aussi les contrats monorisques en vol, risques industriels, responsabilité civile, bris de machines, transports, risques agricoles, etc. Les « assurances-vie », plus exactement les assurances de personnes, appelées aussi assurances-vie, épargne, retraite, regroupent les contrats d’épargne et de retraite, ceux de couverture décès, mais aussi ceux de « maladie et dommages corporels » (avec des garanties d’incapacité ou invalidité et des garanties de remboursement de frais de soins). On distingue les contrats dits individuels (le « client » souscrit un contrat – ou adhère – à titre individuel) et ceux dits collectifs (le « client » devient assuré car salarié d’une entreprise ayant souscrit un contrat pour le compte de ses employés). À noter que l’appellation « assurance non-vie » renvoie en général à l’ensemble des activités d’assurance hors les contrats décès, épargne et retraite. L’appellation « prévoyance » regroupe en général les contrats décès, de soins de santé et d’incapacité-invalidité-dépendance. Le pouvoir croissant d’un consommateur de plus en plus informé LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 39 P.40 Rosenwald 22/04/11 19:52 Page 40 PAR GUILLAUME ROSENWALD (85) © MOURAD CHEFAÏ GRAND ANGLE L’ASSURANCE directeur général adjoint du groupe MACIF Créer un cadre d‘indemnisation pour les accidents corporels Si les dispositifs français d’indemnisation des victimes d’accidents corporels sont parmi les plus complets au monde, leur hétérogénéité est source de distorsions importantes. D’importants progrès sont possibles, pour autant que le cadre législatif et réglementaire soit harmonisé et modernisé. Un véritable pilotage des mécanismes d’indemnisation permettrait de réaliser des améliorations profitables à tous, à l’instar de ce qui existe en matière des accidents de la route. REPÈRES C’est en matière d’accidents routiers que le dispositif d’indemnisation est le plus exemplaire : les victimes autres que les conducteurs bénéficient, depuis la loi du 5 juillet 1985 dite « loi Badinter », d’une réparation rapide et complète, dont l’effectivité est garantie par deux mécanismes : l’assurance automobile obligatoire – la réparation pesant sur l’assureur du véhicule impliqué dans l’accident – et le Fonds de garantie automobile (à présent le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages) intervenant lorsque l’automobiliste impliqué est non assuré ou inconnu. Une situation contrastée La prise en charge des accidents corporels est marquée par une très grande hétérogénéité La France a été l’un des pays précurseurs pour la prise en charge des frais de soins et d’hospitalisation. Si le dispositif d’assurance sociale national mis en place en 1945 semble actuellement dans une phase de désengagement, il reste, pour autant, l’un des plus complets au monde. En revanche, la prise en charge des conséquences durables des accidents corporels est marquée par une très grande hétérogénéité. L’accès au droit à réparation, son étendue et les modalités de la réparation dépendent en effet de la nature de l’accident en cause. Pour les accidents du travail, les accidents de la circulation, les attentats ou infractions, les accidents et aléas médicaux, les victimes sont indemnisées grâce à des dispositifs assurantiels privés ou publics ou à des fonds. En revanche les victimes d’autres types d’accidents ne sont indemnisées qu’après identification d’un éventuel responsable et, le plus souvent, décision d’un tribunal consacrant leurs droits à indemnisation. Contrats individuels Par ailleurs les assureurs proposent depuis une soixantaine d’années des contrats individuels ou familiaux couvrant les dommages corporels indépendamment des questions de 40 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 responsabilité. Ces couvertures ne permettent cependant pas une indemnisation intégrale de l’ensemble de la population en cas d’accident corporel. Un grand nombre d’accidentés, faute de responsable identifié et de couverture contractuelle suffisante, sont pris en charge dans leur vie quotidienne au titre de l’aide sociale par les collectivités locales sous la coordination des maisons départementales pour le handicap mises en place par la loi du 11 février 2005. Les coûts de prise en charge de ces victimes sont alors « dilués » entre différents budgets publics et dégagés au fil des ans. Accidents de la vie L’Association française de l’assurance (AFA) estime à fin 2009 que 39,8 millions de personnes sont couvertes par des contrats individuels à fin 2009, soit 60 % de la population. La qualité de ces couvertures s’est très sensiblement accrue depuis une quinzaine d’années avec la proposition de nouveaux contrats barémisés par les mutuelles d’assurances et le lancement de la « Garantie des accidents de la vie ». P.40 Rosenwald 22/04/11 19:52 Page 41 GRAND ANGLE Des progrès possibles Le premier axe de progrès passe par l’augmentation du champ d’une bonne indemnisation pécuniaire se basant sur la responsabilité civile. L’idée est d’étendre ce système très protecteur prévu par la loi Badinter. Elle est bien entendu séduisante, c’est une orientation forte du rapport rédigé en 2005 sous la direction de M. Pierre Catala. Un dispositif généreux Le dispositif de la loi Badinter, très protecteur, n’exclue une victime d’accident de la circulation de l’indemnisation qu’en cas de « faute inexcusable » de la victime. Cette notion a été précisée de manière extrêmement restrictive par la jurisprudence qui aboutit quasiment à n’exclure que les victimes ayant volontairement provoqué l’accident. Ce dispositif très généreux pour les victimes s’est avéré efficace, fiable et supportable économiquement par les assurés et leurs assureurs de responsabilité grâce aux progrès de la sécurité routière et à la mutualisation du risque. Un tel dispositif ne peut cependant s’appliquer que lorsque la solvabilité des responsables est garantie par une assurance de responsabilité obligatoire et un fonds de garantie. Cette assurance obligatoire doit être applicable et contrôlable sur l’ensemble du territoire et pour l’ensemble des acteurs même nonrésidents : la loi Badinter est ainsi applicable en France pour l’ensemble des accidents impliquant un véhicule terrestre à moteur car elle profite du système international de la « carte verte» et d’une assurance obligatoire au niveau européen. Transports terrestres Ainsi l’extension de la loi Badinter aux tramways et chemins de fer serait logique et favoriserait une égalité de traitement entre les usagers des voies publiques, l’idée a d’ailleurs été reprise par Monsieur le député Lefrand dans la proposition de loi actuellement en discussion au Parlement. Si cette proposition de loi était adoptée, l’indemnisation plus systématique des victimes provoquerait corrélativement un renchérissement de la charge de responsabilité civile corporelle pour ces transporteurs même si d’ores Impossibilité pratique Une extension de la loi Badinter à d’autres types d’accidents impliquant, par exemple, un bateau à moteur s’avérerait impossible sans un dispositif équivalent à la « carte verte », sauf à contrôler tout bateau à moteur entrant dans les eaux territoriales françaises. et déjà la jurisprudence a considérablement alourdi leur responsabilité à l’égard de leurs passagers victimes. Ce surcoût serait naturellement finalement payé par l’ensemble des usagers. Aller plus loin ? Peut-on imaginer de construire d’autres dispositifs de type Badinter pour des accidents autres que ceux liés aux transports ? La notion « d’implication » du véhicule dans l’accident qui, dans la loi Badinter déclenche l’obligation d’indemnisation à l’égard de la victime et qui, appréciée très largement par les tribunaux, étend de fait la responsabilité du conducteur ou du gardien du véhicule, est difficilement envisageable pour des biens autres que des moyens de transport. Imaginons, par exemple, un tel dispositif concernant les biens immobiliers : l’indemnisation des victimes d’incendie prenant naissance dans le bien serait alors facilitée, accélérée, systématisée. Mais le recours à la notion extensive « d’implication » permettrait de prendre en charge toutes sortes d’accidents même ceux dont l’origine serait étrangère au fait de la chose (par exemple, la personne qui en courant dans le couloir d’un immeuble tombe sur le sol parfaitement entretenu et exempt de vice). La prise en charge de ces accidents par le propriétaire ou le gardien du bien immobi- Un grand nombre d’accidentés sont pris en charge par les collectivités locales Patchwork L’extension à d’autres domaines des principes de la loi Badinter ne ferait qu’augmenter le patchwork actuel de couvertures liées à divers objets. Mais celui-ci comporterait toujours d’innombrables trous. Ce n’est vraisemblablement pas la bonne voie de progrès au-delà des accidents de transport. LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 41 P.40 Rosenwald 27/04/11 15:28 Page 42 GRAND ANGLE L’ASSURANCE lier qui ne pourraient se dégager de leur responsabilité qu’en apportant la preuve quasi impossible d’une « faute inexcusable » serait alors injustifiée et constituerait de fait une atteinte à leur patrimoine. Généraliser les garanties Doit-on organiser la couverture des 40 % de foyers non encore assurés par un contrat accidents corporels ? Une telle généralisation n’a de sens que si elle repositionne clairement la prise en charge des conséquences durables des accidents de la vie courante sur ces garanties. La branche santé de l’assurance-maladie ferait alors l’économie des frais de soins consécutifs à un accident de la vie courante. Les collectivités territoriales feraient l’économie de la prise en charge des handicaps consécutifs aux accidents de la vie courante. Couverture accident universelle Les systèmes d’indemnisation n’encouragent pas l’amélioration de l’état de la victime 42 Une « Couverture accident universelle » construite et financée sur le modèle de la Couverture maladie universelle pourrait permettre de couvrir les quelque quatre millions de bénéficiaires de la CMU. La difficulté principale d’une telle démarche est qu’elle rendrait visible dans le budget de tous les ménages des coûts aujourd’hui dilués entre de multiples organismes et services publics. Accompagner les victimes Le défaut principal des systèmes d’indemnisation des victimes en France est de ne pas encourager l’amélioration de l’état de la victime. D’un point de vue purement financier, la victime ou sa famille a aujourd’hui intérêt à faire constater le pire état physique et psychique pour obtenir la plus forte indemnisation. À l’étranger et particulièrement dans les pays anglo-saxons, on prend en revanche souvent en compte les efforts de la victime pour gagner en autonomie et reconstruire sa vie. Pourtant, à mon avis, l’intérêt des victimes, en termes de qualité de vie, est de reconquérir autant que possible une indépendance suffisante leur permettant d’accomplir ellesmêmes des tâches matérielles, intellectuelles voire de retravailler plutôt que de demeurer à plein-temps dans la dépendance de tierces personnes. LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 Évolutions juridiques Le rapport Catala a identifié les faiblesses du système français d’indemnisation et appelle à une évolution de notre dispositif juridique pour encourager le « dynamisme » des victimes. La proposition de loi Béteille reprend ces principes, mais uniquement pour les dommages matériels sans encore « oser » les avancer pour les dommages à la personne. Motivations Dans les institutions de rééducation, les efforts de réadaptation sont aujourd’hui souvent plus importants et donnent de bien meilleurs résultats lorsque la victime ne bénéficie pas du soutien financier d’un responsable solvable ou d’un assureur capable de payer une assistance humaine importante. Sans rentrer dans les détails d’ordre médicolégal ou juridique, le montant de l’indemnisation à verser à la victime est aujourd’hui apprécié et déterminé à un seul moment, celui de la « consolidation », c’est-à-dire lorsque l’état médical de la victime est considéré comme stable et non susceptible d’évolution. En revanche après «consolidation» de l’état de la victime et fixation du niveau de l’indemnisation encore exclusivement pécuniaire, en capital ou en rente, la proposition de l’assureur du responsable de réparer autrement, par la mise à disposition de services destinés à améliorer la situation de la victime, à la réinsérer socialement et si possible professionnellement, bref à l’aider à l’élaboration de son projet de vie et faciliter sa mise en œuvre, est Reconstruction L’assureur du responsable qui, aujourd’hui, aide la victime dès après l’accident, le fait en dehors de tout cadre réglementaire. Plusieurs compagnies d’assurances françaises et en particulier les grandes mutuelles d’assurances telles que la MACIF prennent cependant l’initiative d’accompagner les victimes dans leur démarche de « reconstruction » en s’appuyant sur des associations et des réseaux d’établissements de réadaptation. Cette pratique extrêmement bénéfique aux victimes est enfin tolérée depuis quelques années. P.40 Rosenwald 22/04/11 19:52 Page 43 Égalité de traitement et sécurité juridique Pour les victimes d’accidents de la circulation, on constate sur une longue période une autorégulation de la charge économique globale. L’effort accompli dans le domaine de la sécurité routière (division par 5 du nombre de décès en quarante ans) a permis une amélioration conséquente de l’indemnisation des victimes pour un coût global constant en termes d’effort pour les ménages. Mais cette évolution est irrégulière dans le temps et varie selon les tribunaux. Les différences de niveau d’indemnisation entre les juridictions créent un important problème d’équité entre victimes, certains préjudices personnels étant indemnisés deux fois plus généreusement dans certaines régions. L’évolution erratique dans le temps crée de plus une incertitude forte pour les assureurs et surtout pour les réassureurs directement concernés par les victimes les plus gravement atteintes. Cette incertitude a un coût finalement payé par l’ensemble des assurés. Référentiels d’indemnisation Le rapport Catala de 2005 comme le Livre blanc de l’AFA sur l’indemnisation des dommages corporels appellent à l’instauration de référentiels d’indemnisation qui permettraient, sans figer définitivement les postes de pré- Primes majorées L’indemnisation d’une victime lourdement blessée se faisant au rythme des évolutions de son état médical et éventuellement des décisions de justice s’étale couramment sur cinq à sept ans. La difficile prédictibilité des conditions d’indemnisation amène les réassureurs à appliquer une prime de risque très importante sur la couverture des accidents corporels. Paradoxalement, en matière d’accidents graves de la circulation, ce n’est pas à l’échelle macroéconomique l’événement luimême qui est incertain mais sa prise en compte par les tribunaux. L’incertitude principale pour les assureurs et réassureurs est juridique. GRAND ANGLE encore considérée comme une ingérence, alors même que ce type de prestations en nature a été conforté par la loi sur le handicap du 11 février 2005. 20 à 30 milliards d’euros L’indemnisation des victimes d’accidents corporels coûte à la société environ 5 milliards d’euros par an pour les accidents de circulation, 7 milliards d’euros par an pour les accidents du travail et une somme inconnue pour les accidents de la vie courante (4 fois plus nombreux que les accidents de la circulation). Au total un ordre de grandeur de 20 à 30 milliards d’euros par an est vraisemblable. judice, d’instaurer une meilleure équité comme une meilleure prédictibilité des indemnisations. Un article de la proposition de loi Lefrand, dans sa version initialement proposée, prévoyait d’instaurer un tel référentiel, il a été rejeté en première lecture par l’Assemblée nationale, apparemment suite à l’intervention d’associations de victimes craignant de figer le droit à indemnisation ou peut-être d’avocats spécialisés pour qui la non-égalité de traitement entre victimes est une condition fort logique de valorisation de leur intervention. Une nécessaire gouvernance Le coût des accidents de circulation est suivi et analysé par la Délégation à la sécurité et à la circulation routières et par les assureurs. Il fait l’objet de nombreuses études françaises et internationales, en particulier de nombreuses études comparatives des systèmes d’indemnisation. Ces nombreux travaux ne servent cependant que peu à éclairer les décisions d’enrichissement de l’indemnisation qui pour la plupart ne sont, de fait, pas prises par le législateur mais par les tribunaux par le moyen de créations de nouveaux préjudices ou de décisions plus généreuses en valeur. Absence de vision Sur l’ensemble du champ des dommages corporels, aucune institution ne suit économiquement la bonne prise en charge des coûts, ni n’analyse l’opportunité d’une évolution des indemnisations. L’amélioration de l’indemnisation des victimes d’accidents corporels nécessite la définition d’une véritable stratégie économique et juridique. La stratégie juridique existe : la dynamique lancée par Robert Badinter en 1985 a créé une véritable école juridique française de l’indem- Certains préjudices sont indemnisés deux fois plus généreusement dans certaines régions LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 43 P.40 Rosenwald 27/04/11 15:28 Page 44 D.R. GRAND ANGLE L’ASSURANCE Il est nécessaire d’engager un débat global avec l’ensemble des acteurs concernés nisation des victimes. Le Rapport Catala de 2005 (ouvrage collectif) propose clairement des voies d’amélioration. Il n’existe en revanche pas de démarche économique globale sur le sujet. Chaque acteur économique ne considère que les coûts qu’il a directement en charge. Il n’est pas certain que l’alignement de l’ensemble des indemnisations des accidents de travail sur l’indemnisation de droit commun constituerait un surcoût global, mais les études réalisées par la Sécurité sociale ne s’intéressent qu’aux coûts directs du régime des accidents du travail. Opportunisme Faute de vision économique globale, il existe encore moins de tactique de déploiement des améliorations proposées par les juristes. Ceuxci, seuls spécialistes en pointe sur le sujet et pour beaucoup d’entre eux véritablement motivés par l’intérêt des victimes, voire par l’intérêt général, ne peuvent que saisir les opportunités d’amélioration lorsqu’elles se présentent. Fausses économies La branche accidents du travail de la Sécurité sociale considère les interventions d’assureurs de responsabilité civile des entreprises dans le cadre de « fautes inexcusables de l’employeur » comme une économie, alors même que la charge, plus importante, revient finalement aux mêmes entreprises cotisantes. 44 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 Ces opportunités sont d’abord jurisprudentielles, un nouveau poste de préjudice est inventé par un tribunal ou une notion comme la faute inexcusable de l’employeur ou la faute du médecin est étendue. Si ces « innovations » ne sont pas remises en cause, elles s’installent rapidement. Si elles provoquent un désordre économique, alors les pouvoirs publics interviennent dans l’urgence, soit en rétablissant par la loi la situation antérieure, soit en inventant une nouvelle source d’indemnisation, en général par la création d’un fonds parapublic supplémentaire ou par l’élargissement du champ d’intervention d’un fonds existant. Les opportunités sont également législatives : des parlementaires ont régulièrement la volonté d’améliorer l’indemnisation des victimes d’accidents corporels, mais faute de stratégie publique globale, ils sont condamnés à agir par microévolutions successives. Livre blanc L’indemnisation des victimes implique de nombreux ministères : Justice, Affaires sociales, Santé, Économie, Transports, Intérieur. Certains de ces ministères sont de plus autorité de tutelle d’intervenants tels que la Sécurité sociale, les assureurs ou les collectivités locales mis en positions antagonistes plus que complémentaires. Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a repris d’un point de vue économique les propositions du Rapport Catala afin de faire des propositions opérationnelles pour uniformiser les niveaux d’indemnisation des victimes d’accidents, quelle que soit la cause de l’accident ; définir les modes de couverture les plus efficaces, individuels ou collectifs; et, enfin, préciser les responsabilités des différents acteurs publics et privés. Les assureurs ont fait des propositions fortes d’évolutions pratiques et juridiques dans le Livre blanc de l’Association française de l’assurance sur l’indemnisation du dommage corporel (avril 2008). Ces propositions n’ont pour le moment provoqué que des réactions d’adhésion ou de rejet partielles de la part des autres acteurs, mais le débat global nécessaire n’a pas encore eu lieu. Il est nécessaire de l’engager avec l’ensemble des acteurs concernés. La proposition de loi Lefrand prévoit la mise en place d’une commission rassemblant ces acteurs, nous pouvons espérer qu’elle sera facteur de progrès. ■ P.45 Levaux 22/04/11 19:57 Page 45 L’ASSURANCE Les nouvelles règles de la solvabilité Actuaire La directive Solvabilité II définit les nouvelles règles en matière de solvabilité des entreprises d’assurances et de réassurances européennes. Elle doit conduire à un renforcement de la maîtrise des risques de la part des entreprises et à une surveillance prudentielle plus efficace de la part des autorités de contrôle. ■ Les risques fondamentaux (souscription, marché, contrepartie notamment) ne sont pas suffisamment pris en compte dans le calcul des exigences actuelles. En outre, le cadre réglementaire existant formule peu d’exigences qualitatives en ce qui concerne la gestion des risques et la gouvernance. La nouvelle directive Solvabilité II vise à faire converger la réglementation et les pratiques de contrôle entre les différents États membres afin d’assurer un niveau similaire de protection des assurés, un traitement équitable des entreprises contrôlées (level playing field) et une meilleure supervision des groupes internationaux. Les principaux enjeux de la réforme sont d’assurer une application harmonisée de la réforme dans tous les pays de l’Union européenne, de renforcer la solvabilité des assureurs, de conduire les entreprises à mieux connaître et gérer leurs risques et de faciliter la supervision de la solvabilité des entreprises par les autorités de contrôle, tout cela afin d’améliorer la protection des assurés. Un calendrier très exigeant Il faut noter qu’il s’agit de la première directive assurance s’inscrivant dans le cadre du processus législatif Lamfalussy. Ce processus consiste en une définition dans la directive de principes-cadres adoptés par le Conseil et le Parlement européens (niveau I). L’interprétation des principes conduisant à préciser les mesures nécessaires à leur application (niveau II) est conduite ensuite par la Commission assistée des États membres. Enfin, les orientations techniques complémentaires (niveau III) sont précisées par le Comité des contrôleurs GRAND ANGLE PAR JEAN-MARIE LEVAUX (64) REPÈRES La directive du 25 novembre 2009, désignée en général sous le terme « Solvabilité II », définit les nouvelles règles en matière de solvabilité des entreprises d’assurances et de réassurances européennes. Cette réforme du cadre réglementaire introduit des modifications profondes par rapport aux règles prudentielles actuelles en matière d’assurances, en mettant davantage l’accent sur la gestion des risques. Même si la réglementation française actuelle s’est révélée robuste, le cadre prudentiel actuel en matière de solvabilité des assurances, « Solvabilité I », n’est pas suffisamment sensible à la discrimination des risques associés à chaque type d’activité. Il comporte peu d’incitations à l’émergence des meilleures pratiques de maîtrise des risques. d’assurances et de pensions professionnelles (CEIOPS en anglais) – dont l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) en France est un membre actif –, puis approuvées par la Commission européenne. L’entrée en vigueur de la directive est prévue pour le 1er janvier 2013, ce qui est un calendrier très exigeant eu égard à l’ampleur de la tâche à accomplir à la fois en matière d’élaboration normative et de mise en œuvre. L’entrée en vigueur de la directive Solvabilité II est prévue pour le 1er janvier 2013 L’évaluation des actifs et des passifs Solvabilité II repose sur trois piliers. Le pilier 1 a pour objectif de définir les normes quantitatives de l’évaluation des actifs et des passifs (dont les provisions techniques, qui représentent les obligations envers les assurés), des fonds propres, des exigences de LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 45 P.45 Levaux 22/04/11 19:57 Page 46 GRAND ANGLE L’ASSURANCE capital, et les règles d’investissement. L’existence de deux niveaux de capital réglementaire est prévue : le capital minimum requis (MCR), défini comme le niveau de capital en dessous duquel une compagnie d’assurances ne peut fonctionner normalement, et le capital de solvabilité requis (SCR), qui représente le capital cible nécessaire pour absorber le choc provoqué par un risque majeur. Le niveau du SCR sera calculé soit à partir d’une formule standard, soit, autre nouveauté introduite par Solvabilité II, par le biais d’un modèle interne sous réserve qu’il ait préalablement été autorisé par l’autorité de contrôle. L’examen et, le cas échéant, l’autorisation des modèles internes nécessiteront du temps et des compétences spécifiques. Mais, un défi supplémentaire résidera dans l’harmonisation au niveau européen clairement affirmée comme un objectif de Solvabilité II. Les autorités de contrôle auront à promouvoir une culture commune pour mettre en place des critères de jugement pleinement partagés et garantir ainsi une égalité de traitement entre les différents organismes d’assurances du marché européen. L’évaluation du suivi des risques L’évaluation interne du risque et de la solvabilité est obligatoire 46 Le pilier 2 a pour objectif de fixer des normes qualitatives de suivi des risques par les organismes d’assurances, et les modalités selon lesquelles l’autorité de contrôle doit exercer ses pouvoirs de surveillance. L’identification des sociétés « les plus risquées » est un objectif et les autorités de contrôle auront en leur pouvoir la possibilité, dans des conditions bien encadrées, de demander à ces organismes de détenir un capital plus élevé que le montant suggéré par le calcul du SCR (capital add-on) ou de réduire leur exposition aux risques. La directive indique que l’imposition d’exigences rigoureuses en matière de gouvernance est une condition préalable à l’efficacité d’un régime de solvabilité. Ainsi la solidité du système de gouvernance revêt-elle une importance critique pour la qualité de la gestion de l’assureur et pour l’efficacité du système de contrôle. Pour impliquer la direction dans cette gouvernance, la politique de l’entreprise relative au contrôle interne et à l’audit interne doit être rigoureusement formalisée et faire l’objet d’une approbation par le conseil d’administration ou son équivalent. Ce système inclut aussi l’évaluation interne du risque et de la solvabilité (ORSA, Own Risk and Solvency LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 Assessment), qui est obligatoire et dont le résultat doit être communiqué aux autorités de contrôle. L’information du public Le pilier 3 a pour objectif de définir l’ensemble des informations détaillées auquel le public aura accès, d’une part, et qui sera transmis aux autorités de contrôle pour l’exercice de leur mission de surveillance, d’autre part. Solvabilité II vise notamment à accroître la transparence de l’information diffusée au public (assurés, courtiers, analystes financiers, etc.), afin de garantir une meilleure discipline de marché. Par ailleurs, le principe actuel de l’obligation de communiquer toute information nécessaire aux fins du contrôle est maintenu ; la nouveauté est que la Commission et le CEIOPS travaillent actuellement sur des mesures d’application permettant d’assurer une convergence des états de reporting réglementaires au niveau européen. Le CEIOPS – dont les pouvoirs seront prochainement renforcés et qui deviendra l’EIOPA (European Insurance and Occupational Pensions Authority) dans le cadre des mesures engagées au niveau européen pour répondre aux faiblesses que la crise financière a mises en évidence (faisant suite au rapport « De Larosière ») – a un rôle particulier à jouer dans la promotion d’une application cohérente de la directive et dans la convergence des pratiques prudentielles. Un travail de préparation L’ensemble des organismes d’assurances doit se préparer activement à la mise en œuvre opérationnelle de ce nouveau cadre réglementaire, afin d’être en mesure de se conformer aux nouvelles règles prudentielles dès leur entrée en vigueur. La préparation aux nouvelles normes de solvabilité passe notamment par une connaissance de leurs principes au sein des organismes d’assurances. Leur appropriation doit dépasser le cercle des spécialistes et se diffuser à l’ensemble des fonctions au sein de chaque organisme, c’est-à-dire non seulement la direction générale et le conseil d’administration, mais aussi les opérationnels, les juristes, les comptables, en bref, l’ensemble des équipes. Les organismes d’assurances devront également adapter leurs systèmes d’information afin de traiter les données prudentielles. Ainsi, avant la fin de l’année 2012, des chantiers importants doivent être achevés par les entreprises d’assurances et de réassurances. P.45 Levaux 22/04/11 19:57 Page 47 Les études d’impact, conduites par la Commission européenne avec l’appui technique du CEIOPS, visent à mettre en évidence les répercussions du nouveau système auprès des acteurs du marché. Actuellement, les assureurs et réassureurs testent la cinquième étude d’impact (QIS 5 : Quantitative Impact Study n° 5), qui va permettre de définir le calibrage fin des différentes exigences de capital (Pilier 1). Une participation large et de qualité des organismes d’assurances français au QIS 5, qui s’est déroulée d’août à novembre 2010, a été essentielle pour assurer la meilleure prise en compte des caractéristiques du marché français. Alors que les négociations sont en cours sur les mesures de niveau 2 et les recommandations de niveau 3, les résultats du QIS 5 vont avoir un poids très important. La communication des résultats par le CEIOPS et les autorités de contrôle nationales doit avoir lieu en mars 2011. Une compétitivité renforcée Solvabilité II impliquera des coûts initiaux importants, tant pour les organismes d’assurances qui n’ont pas encore mis en place des systèmes performants de gestion des risques, que pour les autorités de contrôle. Mais, pour une part significative, il s’agira d’actions de formation des équipes, d’optimisation ou de rénovation des systèmes et de revue des organisations, qui auront de toute façon à être conduites et qui permettront de s’aligner sur les meilleures pratiques en vigueur. Les organismes d’assurances et de réassurances européens devraient voir leur compétitivité renfor- GRAND ANGLE Une prise en compte du marché français cée par un meilleur alignement des exigences réglementaires sur la réalité économique des risques qu’ils encourent. Surtout, la meilleure appréhension de ces derniers que permettra Solvabilité II doit conduire à une gestion plus sécurisée de la part des entreprises et à une surveillance prudentielle plus efficace de la part des autorités de contrôle. En effet, Solvabilité II sera un succès si elle permet, dans le contexte actuel de crise économique et financière, de garantir une plus grande stabilité du système financier et une protection adéquate des assurés. ■ Abonnement à La Jaune et la Rouge Vous n’êtes pas polytechnicien Vous êtes polytechnicien Renvoyez le bulletin ci-dessous, accompagné d’un chèque de 40 € à l’ordre de l‘AX, à l’adresse suivante : AX - Service de l‘Annuaire 5, rue Descartes, 75005 Paris. Tél. : 01 56 81 11 15 Courriel : [email protected] Des tarifs préférentiels d’abonnement sont consentis en fonction de votre promotion. Consultez l’Association. AX - Service de l‘Annuaire 5, rue Descartes, 75005 Paris. Tél. : 01 56 81 11 05 Courriel : [email protected] ❏ Vous désirez être abonné à La Jaune et la Rouge. Tarif 2011 : 40 €, 10 numéros. Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal – Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Courriel : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Téléphone : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pour tous, paiement en ligne et possibilité de prélèvement bancaire : http://www.polytechniciens.com/index.php?page=asso_adhesion.html LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 47 P.50 Estin 28/04/11 18:41 POINT Page 50 DE VUE PAR JEAN ESTIN président d’Estin & Co Il faut continuer à exiger des rentabilités de 15% Pour un grand groupe, l’exigence d’une rentabilité élevée n’est pas un simple enjeu financier de couverture de coût du capital. C’est avant tout un enjeu stratégique. À long terme, des rentabilités faibles conduisent à la marginalisation puis à la disparition des groupes. ■ Dans un monde où la croissance des pays occidentaux risque d’être faible à moyen et long terme (1 à 2% par an), et donc où les rentabilités des entreprises seront réduites, la tentation est grande d’abaisser les exigences concernant les rentabilités minimales attendues d’une entreprise ou d’un investissement. Le coût du capital sera plus faible ; les chances d’obtenir des rentabilités élevées réduites ; des objectifs trop ambitieux décourageront des investissements de long terme et peuvent obérer l’avenir d’une entreprise. C’est oublier que la croissance mondiale, tirée par les pays émergents, va rester forte (5 à 6% par an) et que les capitaux voyagent. Le coût du capital ne baissera pas à long terme. Les entreprises occidentales qui se Participer ou gagner Les questions récurrentes sur la nécessité et la possibilité d’obtenir des rentabilités de 15 % ou plus de façon soutenable dans une activité relèvent en fait d’un débat plus profond : joue-t-on pour gagner ou simplement pour participer ? S’accommode-t-on du déclin européen ou veut-on être un acteur de la croissance mondiale ? 50 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 contenteront de rentabilités et de croissances réduites disparaîtront simplement à long terme au profit de concurrents occidentaux ou de pays émergents plus ambitieux. Ce n’est pas une question financière de couverture ou non du coût du capital. C’est une question stratégique. La croissance mondiale va rester forte, de 5 à 6 % par an Les leaders ont toujours des rentabilités supérieures à 15 % Dans une activité classique, avec une baisse des coûts de 10 à 20 % pour chaque doublement de taille, et à des stades de concentration normaux, les leaders peuvent théoriquement avoir des EBIT 1 de 20 à 35 % du chiffre d’affaires, alors que les n° 2 ont environ 10 à 20 % et les n° 3 sont proches du point mort. On constate rarement de tels écarts dans la réalité car les leaders utilisent cet avantage pour réinvestir et concentrer l’industrie. Une partie de la surmarge potentielle est en fait absorbée par des coûts plus élevés (meilleure qualité du produit, plus grande innovation technologique, meilleur service au client, investissements publicitaires plus élevés) ou des prix plus bas, qui permettent au leader d’avoir un modèle d’activité plus compétitif, de gagner des parts de marché sur ses concurrents et de concentrer l’industrie. L’EBIT résultant pour le leader s’établit plus souvent à 10 ou 20 %, et le ROCE 2 (avec une hypothèse de CA/CE 3 = 2x) à 20 voire 40 %. Rentabilité et part de marché Dans nombre d’industries bien structurées (fortes barrières à l’entrée, effets d’échelle significatifs, pas de capture trop grande de la valeur par les clients ou les fournisseurs), on peut observer que le ROCE est d’ailleurs souvent proche de la part de marché : 20 % de part de marché implique 20 % de ROCE ; 30 % de part de marché implique 30 % de ROCE. Demander des rentabilités supérieures à 15 % ne revient pas seulement à vouloir couvrir le coût du capital, qui est d’ailleurs aujourd’hui le plus souvent très inférieur. C’est demander des rentabilités de leader ou de coleader. Il faut même demander beaucoup plus des activités sans croissance où l’entreprise a des positions de 30 à 40 % de part de marché. Des allocations de ressources pertinentes À l’inverse, la logique voudrait que l’on n’exige pas de telles rentabilités pour les activités où l’entreprise a de faibles parts de marché ou bien P.50 Estin 20/04/11 9:12 Page 51 Financer la croissance Les leaders en croissance ont toujours des TSR 4 supérieurs à 15 %. Un ROCE de 15 % se traduit généralement par des ROE 5 de 15 à 20% qui permettent de financer des croissances au minimum de 10 % par an tout en distribuant des dividendes. Encore faut-il trouver les Des exceptions à la règle Certaines activités à investissement non capitalisable (dépenses publicitaires et marketing très importantes, comme dans les parfums, dépenses de R & D comme dans la pharmacie, les semi-conducteurs ou développement de logiciels comme dans les services Internet, les jeux vidéos) peuvent justifier des exigences de rentabilité moins élevées. Il faut alors retraiter les rentabilités de l’impact de ces investissements non capitalisés ou fixer des exigences adaptées de rentabilité. métiers et les stratégies qui permettent de maintenir ce rythme. 10 % n’est pas la croissance d’un acteur de pays émergent (les grands leaders chinois croissent de 25 à 35 % par an). C’est la croissance normale d’un acteur occidental dans des marchés en croissance modérée (5 à 6 % par an en valeur) et concentrant ces marchés (croissance de l’entreprise de 10 % par an). Une croissance de 10 % avec des ROE stables de 15 à 20 % par an procure généralement des TSR de 15 % par an. En cas de crise, on peut accepter des rentabilités réduites pendant un ou deux ans Une telle croissance devient hors de portée dans des marchés trop mûrs (1 à 3 % de croissance en valeur) et déjà fortement concentrés (où le leader a par exemple 40 % de part de marché). Mais c’est une croissance normale pour un acteur ayant un mix d’activités qui croît comme la moyenne de l’économie mondiale et qui concentre les marchés dans lesquels il est présent. Exiger un TSR de 15 % revient à inciter l’entreprise à faire évoluer son mix d’activités en permanence pour éviter les marchés trop mûrs ou déjà trop concentrés, et à rechercher continuellement de la croissance, par le choix de ses métiers et géographies et par ses stratégies de leadership. Là encore, ce n’est pas simplement vouloir couvrir le coût du capital et la rentabilité moyenne des marchés des actions (bien inférieurs). C’est demander un TSR de leader en croissance. Un objectif stratégique Un objectif de 15 % de ROCE, ou de ROE, ou de TSR, n’est pas un simple objectif financier. C’est un choix stratégique pour le dirigeant d’un grand groupe qui veut distancer ses concurrents par des stratégies de leadership dans chaque métier, et par le choix de métiers et de géographies plus attractifs. Fleurons disparus Les leaders qui ne croissent plus, ou trop faiblement par rapport à la moyenne de l’économie mondiale, disparaissent ou se font racheter à long terme. Même s’ils sont très rentables, leur valeur boursière ne croît plus, leurs marges de manœuvre se réduisent (il devient difficile de faire des acquisitions), et leurs actionnaires se lassent. La liste des entreprises autrefois dans le peloton de tête et aujourd’hui disparues ou rachetées est longue, qu’il s’agisse de PanAm, de l’UAP, du CCF, de DEC ou d’Euromarché. Contrairement aux idées reçues, c’est l’objectif le plus soutenable à long terme car reposant in fine sur des mix de métiers et de géographies attractifs, des positions concurrentielles et des stratégies fortes. Tout objectif inférieur induit des positions de suiveur, des marges de manœuvre stratégiques et financières réduites, des capitalisations boursières plafonnées, des capacités de réinvestissement insuffisantes et donc des positions et des résultats non soutenables à long terme. Qui n’avance pas recule et disparaît. ■ EXPRESSIONS pour celles où le métier est mal structuré (peu ou pas d’effets d’échelle, pas de barrières à l’entrée, capture de la valeur par les grands clients). Il faut pourtant le faire. Il est clair que l’on ne pourra pas les obtenir. Mais les exiger revient à mettre une pression très forte sur ces activités, à les gérer au détriment du long terme et donc à en sortir à terme, ou à forcer le management à les redéfinir, voire à les céder. Stratégiquement, c’est une saine pression. Elle conduit à des allocations de ressources pertinentes. Réduire cette exigence revient à accepter de rester dans des activités sans intérêt stratégique ou financier à long terme pour l’entreprise. Hors logiques transitoires de lancement de produits, de démarrage d’activités, ou de gains majeurs de parts de marché, il y a peu d’exceptions. Même et surtout dans les activités en forte croissance, les leaders ont des rentabilités fortes, permettant de financer la croissance. En cas de crise, on peut accepter des rentabilités réduites pendant un ou deux ans. Rarement plus. 1. EBIT : Earnings before interest and taxes. 2. ROCE : EBIT/capitaux engagŽs. 3. CA/CE : chiffre dÔaffaires/capitaux engagŽs. 4. TSR : Total Shareholder Return, retour total pour lÔactionnaire sur son investissement de dŽpart (dividendes, distribution dÔactions gratuites, plus-value sur titres) avec hypoth•se de dividendes rŽinvestis. 5. ROE : bŽnŽfice net apr•s imp™ts et frais financiers/fonds propres. Estin & Co est un cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Londres, Genève et Shanghai. Le cabinet assiste les directions générales de grands groupes européens et nord-américains dans leurs stratégies de croissance, ainsi que les fonds de private equity dans l’analyse et la valorisation de leurs investissements. LA JAUNE ET LA ROUGE ¥ MAI 2011 51 P.52 Pilé et Courrier 26/04/11 POINT 14:41 Page 52 DE VUE PAR GÉRARD PILÉ (41) Maurice Allais et la physique « Un parcours atypique de physicien » Les travaux de physique de Maurice Allais, essentiellement d’ordre expérimental, n’exigent pas, pour être compris, de culture scientifique autre que générale, même si, pour juger de la rigueur et du soin apportés au travail sous-jacent, une connaissance des techniques statistiques de l’analyse harmonique des séries de données est très utile. Notre propos est ici de bien cerner les phénomènes « dérangeants » dévoilés par Maurice Allais, comme autant de messages à l’adresse des juges de demain, mais avant de les remettre en perspective dans leur filiation historique et leur cohérence, invitons le lecteur à s’affranchir de préjugés ayant pu contribuer à brouiller son image. ■ Nul ne s’en étonnera : « le courant » n’est jamais bien passé entre certaines institutions scientifiques de notre pays et Maurice Allais, physicien autodidacte, disons « franctireur », comme si l’économie (cette « pseudoscience ») ne suffisait pas à sa quête de reconnaissance. Rigueur et clarté Laissons de côté les épisodes de cette fracture pour en retenir le malentendu : Maurice Allais s’est toujours considéré comme, d’abord et viscéralement physicien, vocation ayant absorbé pas moins de 40 % de son temps, à laquelle il n’entendait renoncer sous aucun prétexte. Si l’économie offrait un vaste champ d’investigation, ce devait être à l’image de la nature pour le physicien, exigeant les mêmes rigueur et clarté, pour en dégager des lois auxquelles elle ne saurait se dérober sans faillir. Que l’on ne se méprenne pas : le physicien y précède l’économiste pour mieux 52 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 l’épauler et c’est bien au premier que l’on doit ses approches les plus innovantes de son œuvre magistrale en économie. Notre camarade Jean-Bernard Deloly (65) nous a également adressé un long article sur Maurice Allais et la physique. « Maurice Allais, écrit-il, n’a cessé de consacrer une part importante de son temps à la physique, et son œuvre dans ce domaine, bien que demeurée peu connue, est à la hauteur de son apport à la science économique par sa profonde originalité, sa solidité et l’ampleur de ses implications. » Nous renvoyons les lecteurs intéressés au site Internet de La Jaune et la Rouge où ils pourront consulter intégralement les deux articles. Découvrir ce que l’on cherche N’est-il pas étrange que les phénomènes énigmatiques, que dit nous révéler Maurice Allais, aient pu échapper jusqu’ici aux observateurs? (Assertion inexacte comme nous le verrons.) Que sont-ils en réalité? Des perturbations locales à caractère périodique et d’amplitude faible (quelques 10–5 au plus), de moyenne nulle sur des périodes plus ou moins longues (diurne, mensuelle lunaire sidérale, entre équinoxes, annuelle). De telles perturbations, indétectables dans des observations isolées, exigent, pour être mises en évidence, des mesures suffisamment nombreuses, échelonnées dans le temps (même pour 24 heures). S’y ajoute la nécessaire mise en œuvre de procédures ad hoc destinées à découvrir uniquement ce que l’on cherche. D’une manière générale, quand on veut détecter un signal dans un bruit de fond, il faut d’abord conjecturer son existence pour provoquer l’effet de résonance approprié. Il en va de même des régularités présumées dans des séries temporelles où, par le biais de filtrages, on relève phases et amplitudes, et teste par la suite leur validité statistique, c’est un travail méthodique exigeant motivation, rigueur et professionnalisme d’expérimentateur. Ces conditions, Maurice Allais va bientôt les incarner au plus haut niveau. Premières expériences (1954-1960) Comme tout passionné de physique, Maurice Allais est hanté par l’exigence unitaire des quatre forces fon- P.52 Pilé et Courrier 28/04/11 14:38 Page 53 L’effet d’Allais The Allais effect 3 eut, à l’époque, un retentissement international plus particulièrement aux États-Unis, à la Nasa, où il intrigua W. von Braun. Les expériences qui s’ensuivirent ont compris une série de campagnes mensuelles échelonnées, année après année, sur la base de relevés de 14 minutes renouvelés toutes les 20 minutes du plan d’oscillation du pendule (plus exactement du grand axe de l’ellipse décrite) tandis que, pour s’assurer de l’insignifiance d’effets pervers externes, des expériences identiques effectuées en parallèle dans un couloir souterrain de l’IGN à Bougival donnèrent les mêmes résultats. Fort de cette moisson de résultats, Maurice Allais entreprend de diversifier le champ de ses expériences. En simultanéité avec celles du pendule, il procède, en juin-juillet 1968, à l’IRSID, à des visées sur mires, et l’année suivante, dans un couloir souterrain de l’IGN, à des visées sur mires et collimateurs. Un siècle de découvertes Avant de passer à la deuxième phase des travaux de Maurice Allais replaçons-les dans leur perspective historique. 1) Rappelons que les Théories de la relativité restreinte, puis générale d’Einstein, voient respectivement le jour en 1905 et 1916. 2) En 1925-1926, le docteur Miller, expérimentateur hors pair, au mont Wilson et à Cleveland, alors président de la Société américaine de physique, renouvelle les expériences de Michelson-Morley avec un interféromètre bien plus précis (c’est ainsi que la longueur du trajet lumi- Six années d’expériences 1 – Pendule paraconique Mise en évidence de composantes périodiques : a) diurne solaire, diurne lunaire (24 h 50 min.), b) mensuelle lunaire sidérale (27 j., 322 min.), le maximum de la composante étant voisin du minimum de déclinaison de la Lune, c) semi-annuelle et annuelle assez probables avec amplitude faible, extremum aux alentours du 21 mars. 2 – Visées optiques a et b) concordance des phases, c) données peu exploitables mais composantes périodiques probables avec même extremum. 3 – Conclusion L’existence de composantes périodiques communes aux phénomènes mécaniques et optiques, la similitude des ordres de grandeur, leurs liens avec des configurations astronomiques amènent à considérer que l’on est en présence de deux aspects d’un même phénomène : l’anisotropie de l’espace due à l’action à distance des astres sur des facteurs locaux. neux est multipliée par 30!). Il diversifie les mesures et surtout innove en les étalant sur un an. Ses expériences confirment celles de ses prédécesseurs : entre deux directions orthogonales précisées avec soin, date et heure sidérale à l’appui, on relève bien en moyenne sur l’année une différence de vitesse de la lumière, de l’ordre de 6 à 10 km/s. « Si les résultats du docteur Miller sont confirmés, la Théorie de la relativité s’écroule, l’expérience est le juge suprême », commente alors Einstein à leur annonce, qui ne s’en heurte pas moins à un scepticisme général : on conclut sans preuve aucune à des « effets pervers ayant faussé les mesures ». 3) À peine deux ans plus tard (19271928), un nouveau signal se produit : l’astronome français, Ernest Esclangon, révèle l’existence d’une très légère dissymétrie entre rayons incident et réfléchi sur un miroir, due à l’entraînement de ce dernier par le mouvement de la Terre sur son orbite avec pour conséquence un effet d’aberration sur l’année solaire. S’y ajoute une deuxième dissymétrie optique est-ouest (imputable à la rotation terrestre ?). 4) Il eût sans doute été plus sage de se dire que l’on s’était peut-être débarrassé un peu vite de « l’éther », du moins de ce milieu-support bien réel, au prétexte qu’il était inassimilable à un fluide substantiel (Henri Poincaré s’était clairement expliqué à ce sujet). Ce doute, pour peu qu’il en subsiste, allait être effacé par une découverte de nature à jeter autrement trouble et interrogations dans les esprits à commencer chez Einstein. En 1929, Hubble observe que les galaxies lointaines s’éloignent de nous, ce qui remettait en question l’idée que l’on s’était faite, a priori , de la constante cosmologique de la Relativité générale. 5) Est-il besoin de rappeler comment, par la suite, le modèle quantique (après avoir surmonté bien des mises à l’épreuve) avait fait une irruption irrésistible en astrophysique, notamment à l’initiative de Richard Feynman, réhabilitant au moins partiellement le concept de trajectoire mis à mal par le principe ➤ d’incertitude d’Heisenberg. LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 EXPRESSIONS damentales de la nature et le défi posé par ces insaisissables ondes gravitationnelles. Instruit d’anomalies observées lors de mesures de triangulation comme de déviations optiques 1, il va bientôt, servi par les circonstances, faire le pari d’une mise en évidence des interactions entre champs électromagnétique et gravifique, liées à des anisotropies de l’espace. Responsable d’un laboratoire à l’Institut de recherches sidérurgiques, Maurice Allais va s’y livrer à des expériences mémorables dans la perspective d’une éclipse totale de Soleil, le 30 juin 1954. Il s’y prépare en mettant au point son pendule paraconique 2. Au cours de ce rodage, il vérifie et mesure soigneusement les effets prévisibles, comme ceux de Foucault. Une série mensuelle d’observations, centrée sur la date de l’éclipse, révèle alors un phénomène inattendu et depuis lors inexpliqué : une brusque déviation du plan d’oscillation du pendule durant l’éclipse (confirmé cinq ans plus tard lors de l’éclipse du 2 octobre 1959, puis à Bucarest en 1965, puis au début de notre siècle en Chine). 53 P.52 Pilé et Courrier 26/04/11 POINT 15:32 Page 54 DE VUE ➤ Apparaît bientôt une équation de Schrödinger relativiste « astronomique» fournissant une bonne approximation de la dynamique gravitationnelle régissant l’évolution de structures assez grandes pour figurer le chaos : dans de nombreux systèmes, un nuage de matière piégé dans le champ de gravitation d’un corps massif subissait son accrétion, comme s’il était façonné par une telle équation. Maurice Allais et les observations de Miller En 1933, le docteur Miller, alors découragé, meurtri par le scepticisme et les railleries de ses confrères, avait pris soin de sauvegarder ses milliers de pointés en les publiant dans l’espoir que la postérité les prendrait enfin au sérieux. Ce réflexe salutaire, Maurice Allais va en tirer le meilleur parti, aidé en cela par son intuition et son savoir-faire en matière d’analyse harmonique des séries temporelles de mesure. Les observations interférométriques de Miller, portant sur les azimuts en temps sidéral et les vitesses de la lumière, couvraient quatre périodes hebdomadaires centrées sur les dates 1/4, 1/8, 15/3, 8/2, les azimuts correspondant au maxi des franges lors d’un demi-tour d’horizon du dispositif (ne permettant pas de distinguer deux vitesses de signe opposé), tandis que les variations de vitesse étaient déduites du déplacement des franges. Rappelons que, selon la théorie classique, l’hodographe de la projection de la vitesse de la Terre sur le plan horizontal est une ellipse symétrique par rapport au méridien dont le grand axe est perpendiculaire à ce dernier. Après lissage de ses observations par substitution de moyennes sur 6 à 10 jours consécutifs, Miller avait au moins clairement mis en évidence une périodicité diurne sidérale avec des écarts de vitesse étroitement corrélés aux azimuts. En opérant sur des moyennes mobiles des observations propres aux quatre périodes, Maurice Allais parvient à reconstituer empiriquement les hodographes des vitesses avec leurs ajustements elliptiques en temps réel pour constater leur perpendicularité aux directions moyennes, non des méridiens (selon 54 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 la théorie classique) mais des azimuts, assortie d’une très forte interdépendance entre les vitesses et ces derniers. Ces hodographes mettent en évidence des régularités tout à fait remarquables : les quatre points correspondant à une même heure sidérale (0, 1, 2…) se situent sur un même cercle et il en va de même pour leurs centres, permettant d’associer à chaque époque une direction centrale moyenne (un lien dont il est malheureusement impossible de suivre l’évolution, en raison de l’insuffisance des données). Par ailleurs l’analyse harmonique des variations de leurs paramètres permet de découvrir des structures périodiques semi-annuelle ou annuelle avec des maxima au voisinage du 21 mars, équinoxe du printemps. Cet ensemble de périodicités, confirmant l’existence d’une structure sous-jacente particulièrement cohérente, dissipe le soupçon d’effets pervers ayant pu biaiser les observations de Miller. La mise en évidence de ces corrélations apparaît ainsi comme révélatrice d’un phénomène nouveau, d’un tout autre ordre de grandeur (10 3 à 10 5 fois celui prévisible par les théories actuelles). Maurice Allais dissipe le soupçon d’effets pervers ayant pu biaiser les observations de Miller Le premier pays concerné par l’analyse fine des observations du docteur Miller était les États-Unis. Quelle diffusion, quel accueil y furent faits à L’Anisotropie de l’es- pace ? Nous l’ignorons, sauf qu’à la Nasa The Allais effect refit surface deux ans plus tard 4. Concluons cette deuxième phase en faisant précisément retour à la « case départ » de la première : ce fameux effet d’éclipse rebelle à toute explication « conventionnelle » 5 serait, selon toute vraisemblance, la manifestation extrême d’un phénomène perturbateur plus général de caractère cyclique et local du champ de gravitation sur notre globe, dû à l’action à distance du Soleil et de la Lune, en phase avec les configurations des trois astres. Un phénomène perturbateur de caractère cyclique et local du champ de gravitation Un avenir en question Maurice Allais, expérimentateur passionné, comme le fut Miller en son temps, va-t-il passer à la postérité ? Observons que sa position à cet égard est bien meilleure, non seulement il valorise les expériences de son prédécesseur (comme le fit jadis Kepler de celles de Tycho Brahé), mais il peut les appuyer sur les siennes. En outre, on sait aujourd’hui que la Relativité générale, sésame d’une époque, ne rend pas exactement compte de la réalité, échouant notamment à unifier les forces de la nature. Même si les précisions numériques apportées par Maurice Allais sont encore trop partielles, l’existence même des phénomènes « dérangeants », clairement cernés dans leur cohérence, paraît difficilement contestable. L’éther en mouvement La conception de « l’éther » en mouvement de Maurice Allais repose sur l’hypothèse d’égalité entre la vitesse d’une planète en tout point de sa trajectoire orbitale (environ 30 km/s pour la Terre) et celle de son « éther » environnant. Maurice Allais l’appuie sur un calcul emprunté à la mécanique des fluides (l’accélération étant comptée avec sa composante sur l’axe Terre-Soleil). Il fait la même hypothèse pour tout satellite d’une planète. Un calcul simple appliqué au couple Terre-Lune (assorti de la troisième loi de Kepler) montre que si la vitesse de la Lune sur son orbite est de l’ordre de 1 km/s, celle de l’éther au voisinage de la Terre devrait être de 8 km/s, c’est-à-dire dans la fourchette (6–10) des écarts observés par Miller. P.52 Pilé et Courrier 26/04/11 14:41 Diligenter une enquête auprès de spécialistes Une attitude plus porteuse et active serait cependant bien préférable, consistant à diligenter une enquête auprès de spécialistes a priori concernés, à commencer par ceux des mesures interférométriques et ceux des techniques GPS. L’emploi de ces dernières peut-il être adapté pour effectuer des séries de pointés révélatrices d’écarts significatifs de vitesse de la lumière (selon la latitude, l’heure, etc.) ? Il serait en second lieu très utile d’inviter des astrophysiciens à réagir, à donner leurs diagnostics sur les travaux de Maurice Allais dans la mesure où ils s’y sont déjà intéressés, sinon à leur recommander d’y porter attention. Notons ici que plusieurs de nos camarades travaillent dans des laboratoires d’astrophysique et peuvent servir de relais auprès de leur entourage. Insistons enfin sur ce terrain exceptionnellement novateur et dynamique de la recherche actuelle en astrophysique où notre vision du cosmos a été bouleversée depuis la découverte de forces antigravifiques d’une « énergie noire » provoquée par l’effondrement de cœurs stellaires et de leur prépondérance (d’où l’expansion accélérée du cosmos). Des modèles innovants voient le jour, tel celui de la «Relativité d’échelle» 6 développé par Laurent Nottale. La découverte « d’exoplanètes » (dès 1997) a permis à Laurent Nottale de proposer un modèle général très plausible de quantification des systèmes planétaires, ces « grands systèmes » intégrables de Poincaré, dont nous découvrons peu à peu l’extraordinaire diversité dans leur connivence avec la mécanique quantique (et l’existence probable de divergences locales, cycliques, liées aux orbites composantes). À ses yeux la constante cosmologique proviendrait de deux sources : un terme de nature géométrique, l’autre gravitationnel des fluctuations du vide quantique jouant un rôle dominant au-dessous d’une certaine échelle. Ajoutons encore une remarque : l’existence (dûment constatée ?) de vitesses supraluminiques transverses autour de certains sites cosmiques 7 serait de nature à conforter l’hypothèse allaisienne d’un éther porteur solidaire de la rotation de corps célestes éteints. ■ démontrant que l’application du postulat de J. von Neumann et Morgenstern (longtemps référence de base de l’approche « rationnelle » des comportements humains), dans la théorie des jeux, ne tenait pas devant l’expérience, sauf à l’assortir d’un correctif (cf. La Jaune et la Rouge, février 2011, Lévy-Garboua). 4. Déconcerté par la perte de trois sondes spatiales (Pioneer 10 et 11, Ulysse) détournées de leurs trajectoires sous l’effet d’accélérations insolites plus ou moins en phase avec des anomalies gravimétriques, le docteur Noever prit l’initiative de promouvoir un vaste programme expérimental autour de The Allais effect . Malheureusement Noever ayant quitté la Nasa en décembre 1999, d’autres « priorités » prévalurent. 1. Une faible déviation optique (mesurée en radian) entraîne une variation relative égale de la vitesse de la lumière. 5. A review of conventional explanations of anomalous observations during solar eclipses par Chris. P. Duf, 11/8/2004, université de Delft. (Note assortie d’une cinquantaine de références sur ce sujet.) 2. Un cône d’acier, une tige en bronze (amagnétique) de 83 cm, fixée sur un étrier reposant sur une bille, elle-même posée sur un plateau (selon deux versions : anisotrope et isotrope du dispositif et des procédures). 7. Pensons, par exemple, aux «pulsars binaires» dont l’un orbite autour d’une étoile morte à neutrons (un « trou noir avalant ») tournant très vite sur elle-même. 6. Référence : Pour la Science, n° 309, juillet 2003. Précision importante : si, dans les théories admises de la gravitation, les effets d’origine astrale sont indépendants de la longueur du pendule, dans l’hypothèse d’une anisotropie de l’espace, ils sont inverses de celle-ci. Site Internet : http://allais.maurice.free.fr 3. Ne doit pas être confondu avec The Allais paradox, l’un de ses premiers succès «antidogme» AU EXPRESSIONS Ayons donc la sagesse d’accueillir, de garder au moins en mémoire tout ce qui, non compris aujourd’hui, peut le devenir demain ou après-demain, dans le cadre plus général de quelque nouveau modèle. Page 55 COURRIER Les valeurs alsaciennes Suite à notre Focus sur les polytechniciens en Alsace, paru dans le numéro de mars dernier et à l’annonce de la création d’un nouveau groupe X-Alsace, notre camarade Bello a tenu à nous apporter lui aussi son témoignage. «Je suis venu en Alsace en 1983 pour diriger Strafor, puis pendant seize ans le groupe De Dietrich, créé en 1684 et parfait exemple des valeurs alsaciennes : travail, investissement à long terme, discrétion, ouverture internationale, culture plurielle liée à une longue histoire partagée entre l’Allemagne et la France. Aujourd’hui l’Alsace me plaît toujours autant : j’aime ses paysages souriants qui s’ordonnent au pied des Vosges plus sauvages et le long du Rhin; j’aime les Alsaciens gais et sen- timentaux, sérieux et fidèles. FrancComtois d’origine, j’aime sa dimension provinciale mais frontalière, sa culture duale et sa fibre humaniste et européenne. La qualité de vie matérielle, intellectuelle et culturelle que j’y ai expérimentée vaut largement celle de «l’intérieur » (la France hors l’Alsace, selon les Alsaciens…). Les X y sont bien représentés dans des domaines très variés : des entreprises et de l’administration à la politique ou à la vie associative très développée ici. Jeune retraité, je suis heureux d’y poursuivre aujourd’hui plusieurs mandats d’administrateur indépendant et diverses activités bénévoles comme la présidence de la Fondation de l’université de Strasbourg, ou des mandats électifs à l’EM Strasbourg, à la CCI d’Alsace et au Medef 67. » ■ Régis Bello (65) LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 55 Maurice Allais et la Physique Par Jean-Bernard DELOLY (65) Cet article n’a pu être inséré dans le journal papier. Il figure sur le site de La Jaune et la Rouge et a été intégré au fichier pdf du journal Une règle d’or : la primauté de l’expérience Tout au long de son existence Maurice Allais n’a cessé de consacrer une importante partie de ses activités à la physique, qui d’ailleurs avait été sa vocation première. Si son œuvre dans ce domaine est infiniment moins connue que son apport à la science économique, elle pourrait bien pourtant, poursuivie dans le cadre de programmes à long terme et par des équipes disposant de moyens suffisants, déboucher sur des progrès décisifs dans la connaissance des lois les plus fondamentales de la physique. Personne ne conteste bien sûr que l’expérience soit souveraine : les progrès en physique résultent toujours de la mise en évidence de phénomènes inexplicables dans le cadre des théories en vigueur, d’une part parce qu’elles sont ainsi remises en cause, bien sûr, mais aussi parce qu’il en résulte des indications pour la construction de théories nouvelles. Pourtant la situation actuelle n’est guère satisfaisante. Tout ce qui se passe dans le domaine qui nous est le plus immédiatement accessible (le domaine macroscopique, sur la Terre) étant réputé expliqué par les théories classiques éventuellement complétées par les corrections relativistes, la recherche de phénomènes susceptible d’infirmer les théories en vigueur s’est pour l’essentiel retrouvée cantonnée aux domaines des extrêmes : l’astrophysique et la physique des particules. Outre les difficultés -et le coût- de la réalisation effective d’observations, un problème majeur est que, même lorsque l’on met en évidence un phénomène nouveau, il est généralement malaisé d’en déduire quoi que ce soit, un exemple typique en étant le problème de la « matière noire ». LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel) Page 1 La matière noire Il est apparu qu’il y avait une différence entre d’une part la masse des galaxies calculée à partir de la matière observée directement, et d’autre part la masse calculée à partir de l’observation du mouvement des étoiles, en appliquant les lois de la gravitation : pour toutes les galaxies analysées, la seconde est environ dix fois plus importante que la première. Cela est-il dû à la présence de « matière noire », ou au fait que les lois de la gravitation ne sont pas exactes (mais alors la relativité générale, qui englobe ces lois, serait inexacte elle aussi, avec toutes les remises en cause conceptuelles qui en résulteraient) ? S’agissant de phénomènes qui se produisent à des millions ou des milliards d’années lumières, et qui impliquent des éléments que l’on ne connaît qu’à travers les modèles que l’on s’en est construit, gageons que l’on risque d’attendre encore un certain temps la réponse à cette question. Maurice Allais, avec la totale indépendance d’esprit qui marque l’ensemble de son œuvre, s’est avant tout attaché sans aucun à priori à la recherche de phénomènes remettant en cause aussi directement que possible les théories en vigueur. Il a ainsi mis en évidence qu’il existe bel et bien de tels phénomènes (et même des gisements de tels phénomènes…) dans le domaine macroscopique, sur des sites terrestres fixes, et dans des conditions d'environnement qui n'ont rien d'extrême. On voit donc tout l’intérêt de ses travaux – et l’absence totale dans sa démarche du moindre calcul carriériste: la nature humaine étant ce qu’elle est, la notoriété va toujours, au moins sur le court terme, à ceux qui proposent des théories, et non aux expérimentateurs. L’essentiel de son œuvre a été présentée dans son ouvrage de 1997, « l’Anisotropie de l’Espace ». Les phénomènes découverts par Maurice Allais Les anomalies de la précession d’un pendule court. Ayant tout d’abord remarqué que l’observation de la précession d’un pendule court relancé fréquemment (toutes les 20mn) était un outil particulièrement approprié à la détection de forces très petites, il utilisa en 1953 cet outil pour rechercher si un champ magnétique important pouvait agir sur un pendule amagnétique, ce qui aurait témoigné de l’existence d’un couplage entre champ magnétique et champ gravitationnel. Ceci n’aboutit pas à des résultats significatifs, mais son attention fut alors attirée par le fait que la précession du pendule ne se réduisait absolument pas à l’effet de Foucault, et présentait des anomalies très importantes et variables avec le temps. LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel) Page 2 Effet de Foucault et précession d’Airy La rotation du grand axe de l’ellipse décrite par l’extrémité d’un pendule résulte à la fois de l’effet de Foucault (=> vitesse de rotation= - ω sinL, ω étant la vitesse de rotation de la terre et L la latitude) et des autres forces s’exerçant sur le dispositif, lesquelles agissent pour l’essentiel par l’intermédiaire de l’ovalisation de la trajectoire qu’elles entraînent (précession d’Airy). Cette ovalisation entraîne en effet une vitesse de rotation égale 3/8 g / l α(t) β(t), où l est la longueur équivalente du pendule, et α(t) et β(t) les angles sous lesquels le grand axe et le petit axe de l’ellipse sont vus du point de suspension du pendule Le suivi de la précession du grand axe de l’ellipse donne donc des informations sur les actions qui s’exercent sur le pendule, avec une sensibilité d’autant plus importante que le pendule est court. Pour fixer les idées, dans les expérimentations de Maurice Allais, l est d’environ 80 cm, α est voisin de 0,1 rd, et β reste inférieur à 0, 001 rd. Il s’attacha alors à l’étude de ces anomalies, ce qui, de 1953 à 1960, l’amena tout d’abord à concevoir un pendule doté d’un mode de suspension particulier (pendule appelé « paraconique »), puis à conduire, outre de multiples expérimentations destinées à la mise au point du dispositif et à l’étude fine de son comportement, 6 expérimentations continues d’une durée d’un mois, l’une d’entre elle ayant mis en œuvre simultanément deux pendules identiques implantés dans des sites différents, dont l’un au cœur d’une profonde carrière souterraine (totalement manuelles, ces expérimentations étaient évidemment extraordinairement exigeantes et fastidieuses…). Il en est résulté la mise en évidence dans l’évolution de la précession du pendule de composantes périodiques liées à des Fig.1 évènements astronomiques et dont l’analyse a Photo du chef de laboratoire de Maurice Allais montré qu’elles ne pouvaient résulter de (Sciences et Avenir, n°135, mai 1958) l’action directe ou indirecte d’un phénomène connu : en particulier leur amplitude était plus d’un million de fois supérieure à celle qui aurait résulté de l’action classique de la gravitation. LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel) Page 3 Sont à citer tout particulièrement, outre une composante diurne d’environ 24h, une composante diurne lunaire (24h50), une composante mensuelle lunaire sidérale (27,32j), ainsi qu’une composante semi annuelle dont les extremums sont voisins des équinoxes et des solstices. Fig.2 (datation en T.U.) L’Anisotropie de l’Espace, page 165 L’anomalie survenue lors de l’éclipse se détache très nettement d’un schéma d’évolution par ailleurs assez remarquable étalé sur un peu plus de 2 jours. A noter que l’éclipse avait précédé d’environ 6h une conjonction de Jupiter (alignement Terre-SoleilJupiter), ce dont il n’a été pris conscience que récemment. Par ailleurs une déviation très marquée du plan d'oscillation du pendule vers la direction commune du soleil et de la lune a été enregistrée pendant la durée de l'éclipse totale de soleil du 30 juin 1954, dont il s'est trouvé qu'elle est survenue lors de la première des 6 expérimentations. Fig.2 Un phénomène analogue s’est produit lors de l’éclipse du 2 octobre 1959. Fig.3 Suivi de la « direction d’anisotropie de l’espace » du 20/11/1959 au 15/12/1959. L’Anisotropie de l’Espace, p.275 LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel) Page 4 Maurice Allais a pu en outre montrer que l’effet de l’ensemble des actions de nature inconnue tendait à rappeler le plan d’oscillation du pendule vers une direction variable dans le temps, qu’il a appelée « direction d’anisotropie de l’espace », les composantes périodiques ci-dessus et les déviations relevées à l’occasion d’éclipses ne constituant qu’une partie de l’évolution de cette direction, qui n’a pu malheureusement être suivie que pendant bien trop peu de temps (sa connaissance effective a nécessité une modification du pendule qui n’a été introduite que pour les 2 dernières expérimentations). Fig.3 Existence de déviations anormales dans des visées sur mires et sur collimateurs. En parallèle avec les travaux précédents Maurice Allais a organisé 2 campagnes d’observations optiques continues d’une durée d’un mois (en 1958 et 1959). La première, menée en même temps que l’expérimentation ayant mis en œuvre deux pendules, et sur le même site que l’un d’entre eux, consistait à viser toutes les 20 mn une mire verticale au moyen d'une lunette; la seconde comportait en supplément des visées sur collimateur (visée du fil vertical du réticule, éclairé par une ampoule montée en lieu et place de l'oculaire, d'une lunette mise au point à l'infini et utilisée donc comme collimateur). Des déviations apparemment inexplicables sont apparues. Bien que n’ayant pu être que partiellement exploitées du fait de divers problèmes de mise au point, ces observations ont permis la mise en évidence d’une composante périodique mensuelle lunaire sidérale, ainsi que d’une composante diurne lunaire de 24h50 qui s’est révélée être en phase (à 5mn près) avec la composante identifiée au moyen des pendules. L’exploitation par Maurice Allais des observations optiques de Dayton C. Miller et d’Ernest Esclangon. Maurice Allais a en outre réexploité les observations conduites par Dayton C. Miller au Mt Wilson en 1925-1926 (au moyen d’un interféromètre de type Michelson et Morley), et par Ernest Esclangon à l’observatoire de Strasbourg en 1927-1928 (au moyen d’un dispositif très particulier de mesure par autocollimation de déviations de rayons réfléchis). De toutes les observations effectuées avant 1930, date à partir de laquelle, l’emprise de la théorie de la relativité sur la communauté scientifique étant devenue à peu près totale, il n’était réellement plus guère possible de remettre en question le principe de la constance de la vitesse de la lumière, elles sont les seules à avoir été étalées sur une année environ : toutes les autres avaient été des observations ponctuelles (au maximum quelques séries de mesures réparties sur quelques jours). Ce sont aussi les seules dont les auteurs ont conclu à l’existence effective de variations de la vitesse de la lumière, en l’occurrence de variations présentant une importante composante périodique diurne sidérale (23h 56mn). LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel) Page 5 De l’importance fondamentale des observations de longue durée… On ne peut en effet rien conclure d’observations courtes : ▪ Si l’on observe quelque chose, on est incapable de le caractériser de façon suffisamment précise pour pouvoir l’interpréter : Ainsi les variations de vitesses d’environ 5 à 10 km/s constatées lors de la plupart des nombreuses observations effectuées au moyen d’un interféromètre Michelson et Morley de 1887 à 1930, qui étaient très inférieures aux vitesses attendues de plusieurs centaines de km/s correspondant au déplacement de la Terre, ont été systématiquement considérées comme étant du bruit. C’est parce que les observations de Miller ont été suffisamment nombreuses et étalées dans le temps que d’une part ce « bruit » s’est d’une part révélé comporter une importante composante diurne, et que d’autre part cette composante diurne est apparue être diurne sidérale (23h56mn), et non diurne solaire (24h), ce qui est évidemment essentiel pour son interprétation. C’est parce que les expérimentations de Maurice Allais ont duré un mois qu’il a pu distinguer, dans les anomalies de la précession du pendule, la composante diurne lunaire de 24h50 de la composante d’environ 24h. ▪Si l’on n’observe rien du tout, on ne peut en aucune façon en déduire l’absence d’anisotropies. Ainsi, lors des expérimentations de Miller, il y a eu des périodes pendant lesquelles nulle variation diurne significative ne se manifestait. Pourtant, au vu des données recueillies sur l’ensemble de l’année, l’existence d’une importante composante périodique diurne sidérale était incontestable. Cela résultait simplement de ce que ces données ne se réduisaient pas à cette composante, et que cette dernière s’était alors retrouvée provisoirement masquée. En reprenant les données de Miller et d’Esclangon, Maurice Allais a mis en évidence des régularités qui n’avaient pas été perçues à l’époque: • Existence de composantes annuelles ou semi-annuelles, une circonstance remarquable étant que les extremums sont dans le premier cas voisins des équinoxes, et dans le second voisins des équinoxes et des solstices (comme pour les azimuts du pendule). • Dans le cas des observations de Miller, qui fournissaient à la fois le module de la variation maximum de la vitesse de la lumière sur un tour d’horizon et l’azimut de cette variation maximum (défini à 180° près), le tracé de l’hodographe correspondant fait ressortir des figures tout à fait extraordinaires. Fig.4 Fig.4 Hodographes de D.C.Miller Communication du Professeur Allais à l'Académie des Sciences (26 Avril 1999) LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel) Page 6 Il en résulte en particulier presque immédiatement qu’il est impossible d’expliquer les observations de Miller par l’influence de gradients de température internes au bâtiment dans lequel se trouvait l’interféromètre, contrairement à ce qu’avait conclu l’article de R.S.Shankland publié en 1955 dans une revue de tout premier plan, article dont le rôle a été déterminant dans l’enterrement des travaux de Miller (et dont un examen attentif et le recoupement avec les autres informations disponibles sur ces travaux confirme bien qu’il a été établi à partir de considérations totalement biaisées). Compte tenu de la structure de cet hodographe, il est en outre impossible de retenir, comme avait cru pouvoir le faire Miller, que les variations de vitesse mesurées résultaient de la vitesse absolue de la Terre: leur origine est certainement beaucoup plus complexe. Pourquoi tous ces phénomènes ont-ils pu rester à peu près ignorés ? Toutes les expérimentations mentionnées ci-dessus datant d'un demi-siècle ou plus, c'est évidemment la première question qui vient à l'esprit. En fait cela s'explique très bien par leur nature même. Il s’agit en effet de phénomènes qui, bien que plus de mille fois supérieurs aux corrections résultant de la relativité générale, demeurent très petits (10-6 à 10-5 en valeur relative) et qui, soit ne se manifestent que dans des circonstances exceptionnelles (éclipses), soit sont des perturbations à caractère périodique de moyenne nulle. Ils sont donc en règle générale sans incidence notable sur les applications pratiques des lois de l’optique et de la mécanique et, lorsque d’aventure ce n’est pas le cas, ils ont toutes chances d’être considérés comme résultant d’artefacts divers : ils ne peuvent en fait être réellement mis en évidence que par des expérimentations dédiées à leur recherche, et qui plus est d'une nature tout particulièrement exigeante, car elles doivent être d'une durée suffisante, suffisamment nombreuses, et répétées sur des durées suffisamment longues. La suite donnée aux travaux de Maurice Allais, et les travaux connexes. • S’ils sont assurément très loin d’avoir eu à ce jour la suite qu’ils auraient méritée, les travaux de Maurice Allais n’ont pas été pour autant oubliés, et sont l’objet d’un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années. Certains scientifiques utilisent le suivi de la précession d’un pendule de Foucault comme outil de recherche de phénomènes gravitationnels anormaux à l’occasion d’éclipses (fig. 5 par exemple), et l’existence de tels phénomènes (qui ont d’ailleurs été appelés « l’effet Allais ») peut aujourd’hui être considérée comme confirmée. Il semble bien en outre qu’on les retrouve aussi dans des alignements de planètes (les éclipses ne sont qu’un alignement de corps célestes particulier). LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel) Page 7 A noter que d’autres anomalies ont été signalées à l’occasion d’éclipses (variations de la période d’un pendule de torsion, variations de la mesure de g par certains types de gravimètres, modification de la fréquence d’horloges atomiques…) Par ailleurs la seule campagne d’observations de longue durée qui ait été menée à ce jour (grâce à l’utilisation d’un pendule automatisé) a apparemment permis de retrouver les composantes périodiques lunaires identifiées par Maurice Allais. A ce jour aucune explication conventionnelle de tous ces phénomènes n’a toujours pu être donnée. Fig.5 Les 2 pendules mis en œuvre, de caractéristiques mécaniques très proches, avaient été placés tous deux au planétarium de Suceava (mais dans des pièces différentes). Chacun d’entre eux était relancé toutes les 12 mn dans un azimut donné, qui restait le même tout au long de l’expérimentation, mais cet azimut n’était pas le même pour les 2 pendules. Extrait de “Correlated anomalous effects observed during the August 1st 2008 solar eclipse;Thomas J. Goodey, Alexander F. Pugach, and Dimitrie Olenici; Journal of Advanced Research in Physics 1(2), 021007 (2010)” • L’anisotropie de l’espace mécanique découverte par Maurice Allais pourrait bien jouer un rôle dans ce qui est l’un des problèmes les plus irritants du moment : l’impossibilité de connaître à mieux que 10-4 près la valeur de la constante de gravitation G (les fourchettes d’incertitude associées aux différentes méthodes de mesure ne se recoupent pas). LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel) Page 8 La construction d’une théorie unitaire de la physique: et si une voie nouvelle avait été ouverte ? • Les travaux de Maurice Allais, qui aboutissent au constat que l’espace est anisotrope tant dans le domaine de l’optique que dans celui de la mécanique (les anisotropies relevées étant liées à des phénomènes astronomiques), et qui font de plus apparaître des connexions entre ces deux domaines, s’inscrivent assurément dans cette construction. De toute façon une théorie ayant l’ambition d’être unitaire devra pouvoir rendre compte des phénomènes qu’il a découverts- et de tous ceux qui restent à découvrir en poursuivant ses travaux. Il est en effet certain que des enseignements extraordinairement précieux seraient à tirer d’un suivi continu, au moyen de pendules appropriés, de la « direction d’anisotropie de l’espace », sur plusieurs années et en différents lieux, surtout si ce suivi était doublé d’observations optiques. Les technologies aujourd’hui disponibles autorisent la conduite de telles expérimentations de façon largement automatisée • Depuis des décennies la construction d’une théorie unitaire- du moins est-ce ainsi que cela est présenté- est axée sur la recherche d’une théorie englobant à la fois la mécanique quantique et la théorie de la relativité (théories dont l’intérêt empirique actuel est assurément tout à fait certain), et c’est dans ce cadre qu’un certain nombre de théories ont été proposées, les plus connues étant celles qui font intervenir la notion mathématique de cordes. Bien qu’ayant mobilisé des centaines de chercheurs parmi les plus brillants de la planète, cette démarche semble bien aujourd’hui avoir conduit à une impasse : on pourra par exemple lire sur ce sujet le remarquable ouvrage de Lee Smolin, « Rien ne va plus en physique ; l’échec de la théorie des cordes ». En effet, pour qu’une théorie nouvelle soit validée, on doit en revenir à l’expérience: il faut bien sûr qu’elle soit compatible avec tous les faits expérimentaux connus, mais il faut en outre qu’elle fournisse au moins une prédiction nouvelle concernant une expérience non encore réalisée, ou l’explication d’un fait expérimental non explicable par les théories en vigueur, et cela n’a à ce jour été le cas pour aucune des théories proposées. Dans ce contexte on ne peut évidemment que souhaiter que les travaux de Maurice Allais soient poursuivis en y consacrant enfin des moyens appropriés. Si les expérimentations à conduire, qui pour apporter significativement des données nouvelles devraient pouvoir s’étaler sur plusieurs années et être conduites en plusieurs lieux, sont assurément exigeantes en compétence, capacité d'organisation et motivation, ces moyens demeurent en regard de leur enjeu modestes, et technologiquement très accessibles : nulle nécessité de créer les conditions extrêmes que l'on trouve dans un cyclotron, ou de pouvoir observer finement ce qui se passe dans de lointaines galaxies. LA JAUNE ET LA ROUGE * MAI 2011 (Article additionnel) Page 9 P.56 Arts et lettres 27/04/11 14:49 Page 56 ARTS, LETTRES ET SCIENCES MUSIQUE EN IMAGES RÉCITAL RENÉE FLEMING À BERLIN Puccini, Strauss, Dvorak... Orchestre Philharmonique de Berlin, direction Ion Marin 1 DVD ou 1 Blu-ray Euroarts 2058074 ■ Renée Fleming est une des plus grandes chanteuses actuelles. Américaine éclectique, qui n’hésite pas à chanter du jazz ou de la comédie musicale (elle chante en langage elfe dans Le Seigneur des anneaux), elle est avant tout spécialiste des répertoires straussien et mozartien. Elle rappelle, par sa voix, sa pureté, son timbre, et son répertoire, la grande Elisabeth Schwarzkopf. Pour ceux qui n’ont pas encore vu Le Chevalier à la rose de Strauss, commenté ici en 2010 (1 DVD DECCA), qu’elle irradiait de sa beauté, ce DVD récital, qui existe aussi en Blu-ray avec une image d’une inimaginable perfection, sera une excellente introduction. Le programme tout d’abord est superbe. À côté de trois tubes de Puccini (Mimi, Liu, Lauretta), l’Air à la lune de Rusalka de Dvorak, où elle fait référence, puis du Korngold, du Leoncavallo. Et surtout, toute la scène finale de Capriccio de Strauss, un sommet de l’opéra. Malgré la période trouble de composition de cet opéra (1942), Capriccio est considéré comme une œuvre emblématique de Richard Strauss : par son thème tout d’abord, l’éternel débat autour de l’opéra sur la préséance ou non de la musique sur la parole (prima la parola, e più la musica) , débat qui hante toute l’approche opératique de Strauss, débat bien futile à une époque où l’Allemagne phare artistique et philosophique avait sombré dans l’horreur. Emblématique aussi par cette dernière scène, où la soprano reste en scène vingt minutes accompagnée d’une musique sublime, pour exprimer, comme à la fin du Chevalier à la rose, sa nostalgie d’une époque révolue. 56 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 BRIDGE Gaston Méjane (62) Une erreur typographique a rendu incompréhensible l’énoncé du problème paru dans le précédent numéro. Nous présentons toutes nos excuses aux lecteurs. Nous reprenons le texte intégral. ÉNONCÉ Une donne de DN2 par quatre. Vous jouez 6♣ en Sud, entame 7♠. NORD SUD ♠ A R 4 2 ♠ 6 ♥ D V 9 8 7 2 ♥ A ♦ D 8 ♦ A V 6 5 2 ♣ A R V 9 6 5 ♣ D LES ENCHÈRES N E S 1♥ 3♥ 4♥ 6♣ L’interprétation de l’ensemble, on s’en doute, est superlative. La voix de la soprano est à la fois chaude et brillante, et elle est très émouvante et sensuelle. La prononciation est bien sûr plus naturelle en allemand qu’en italien, mais on retrouve chaque fois l’atmosphère différente de chacun des opéras, la tragédie de chacune des héroïnes. Enregistré en plein air, à la Waldbühne, ce concert est donc sonorisé. Cela permet à Renée Fleming de ne jamais forcer sa voix, de donner une impression de facilité et de souvent à peine ouvrir la bouche pour émettre les sons pourtant les plus émouvants. Comme dans tout récital, les airs sont alternés avec des morceaux purement orchestraux qui permettent à la chanteuse de faire reposer sa voix. Ici les pièces orchestrales ne sont pas du tout des bouche-trous, jugez plutôt : Une nuit sur le Mont Chauve , l’ouverture de Rienzi de Wagner, Roméo et Juliette de Tchaïkovski. Et tout ça par le Philharmonique de Berlin ! Le chef 2♠ – – – 3♣ 4♦ 5♦ – O – – – – Vous prenez l’entame de l’As, jouez la Dame de ♣ puis ♥ pour l’As et les atouts (le 10 quatrième en Ouest qui a fourni le 10 de ♥ sur l’As). Quel est votre plan de jeu ? Solutions page 58 Ion Marin est excellent et très efficace, tout à fait au niveau musical de la soliste. Ajoutons un mot sur l’image, exceptionnelle, sans doute mon plus beau disque de ce point de vue. Au-delà de la réelle beauté de l’artiste, magnifiée par trois superbes robes de soirée de couleurs différentes au cours du récital, et de l’élégance du lieu, scène d’été en plein air du Philharmonique de Berlin, dont les lumières changent tout au long du spectacle qui débute avant la tombée de la nuit, la qualité de l’image haute définition est proprement impressionnante. À tout point de vue, un Blu-ray de démonstration. ■ Marc Darmon (83) P.56 Arts et lettres 27/04/11 14:49 Page 57 RÉCRÉATIONS SCIENTIFIQUES MUSIQUES FRANÇAISES Il n’est bon bec que de Paris. FRANÇOIS VILLON, Le Testament ■ Villon, poète et truand, dédie sa Ballade aux femmes de Paris et ne dit rien de la musique de la France d’alors qui, il est vrai, n’avait pas encore connu au XVe siècle les raffinements de la Renaissance et des époques à venir. Mais au diable la diplomatie et vive le chauvinisme : y a-t-il, depuis Rameau et Couperin, musique à la fois plus subtile, plus légère et plus jubilatoire que la musique française? Et si Mozart, toujours subtil, est souvent léger et jubilatoire, n’est-ce pas à Paris plus qu’à Vienne qu’il le doit ? Poulenc, Fauré, Debussy Quelle musique est plus jolie que celle de Poulenc, véritable musique de printemps? Les bonnes âmes de la musique contemporaine font la fine bouche devant ce compositeur raffiné et mondain mais rien moins qu’intellectuel, qui vise le plaisir avant toute chose. Et notre regretté camarade Claude Helffer, superbe pianiste, refusa de jouer le Concerto pour deux pianos salle Pleyel pour le bicentenaire de l’X : vous savez, nous dit-il, que Poulenc n’est pas ma tasse de thé. C’est précisément ce même concerto qu’ont enregistré Jos Van Immerseel et Claire Chevallier avec l’Anima Eterna Brugge 1. Ce n’est pas un concerto très orthodoxe, avec des thèmes échappés du music-hall, des citations de Stravinski, des réminiscences de Mozart, mais c’est sans doute le plus joyeux et le plus joli que l’on puisse entendre. La Suite française, qui figure sur le même disque, écrite pour bois, cuivres, clavecin et percussions, est un hommage à la musique française du XVIe siècle. Le Concert champêtre pour clavecin et orchestre, créé en 1929 par Wanda Landowska, est un clin d’œil au XVIIIe siècle et une petite merveille de légèreté. « Ce concerto », a dit Poulenc, « est champêtre selon Diderot et Rousseau ». L’andante est une des plus jolies choses que Poulenc ait écrites. C’est encore Poulenc qui ouvre le disque récent Impressions françaises de la grande – et belle – flûtiste Juliette Hurel avec sa Sonate pour flûte et piano, jouée avec la pianiste Hélène Couvert 2 : musique fine de plaisir pur, à la fois virtuose et sensuelle, et que vous chantonnerez longtemps après l’avoir entendue. Elle est rigoureusement dans la ligne de la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy, qui lui est antérieure de cinquante ans et qui est formellement plus exigeante. Enfin, des pièces de moindres dimensions de Fauré, dont la Sicilienne et une très belle et peu connue Fantaisie pour flûte et piano, et de Debussy, dont Syrinx, figurent sur le même disque. Rameau, Fonscolombe, Cavanna Notre camarade Jean-Pierre Ferey a enregistré il y a peu cinq Suites et extraits de Suites de Rameau 3 . L’originalité de son interprétation tient à son choix du piano de préférence au clavecin – un Fazioli au timbre d’une extraordinaire clarté dont il joue comme d’un clavecin, sans jamais utiliser la pédale 1) DES CARRÉS DANS L’HYPERBOLE Soit l’hyperbole d’équation 3x2 + x = 4y2 + y. Montrer que x-y est un carré parfait en tout point à coordonnées entières (x, y) de cette hyperbole. 2) TÉTRAÈDRE EXCLU On donne n points dans l’espace, sans qu’il y en ait 4 dans le même plan. Combien de segments au maximum peut-on tracer en reliant certains de ces points, sans former de tétraèdre, c’est-à-dire sans qu’il existe 6 segments reliant deux à deux 4 des points donnés ? 3) TÉTRAÈDRE À LA COUPE Soit un tétraèdre quelconque ABCD. Déterminer son intersection avec le plan IJK, donné par les points I dans la face ABC, J dans la face ACD et K dans la face BCD. Solutions page 58 AVIS À NOS LECTEURS INTERNAUTES Les récréations scientifiques sont maintenant accessibles sur la version électronique de La Jaune et la Rouge. Quant aux problèmes des années antérieures, vous pouvez en retrouver une bonne part sur le site www.diophante.fr de notre camarade Philippe Fondanaiche (63). Ces problèmes y sont reconnaissables, parmi plus de mille autres, par leur code à une lettre et 5 chiffres. ARTS, LETTRES ET SCIENCES DISCOGRAPHIE Jean Moreau de Saint-Martin (56) [email protected] forte – et à son souci de jouer tous les ornements, ce qui est rare au piano. Le résultat est une musique parfaitement déliée et enlevée, qui rappelle les Sonates de Scarlatti. On redécouvre Emmanuel de Fonscolombe (1810-1875), aristocrate et musicien provençal, qui s’est illustré par sa musique d’église, avec un enregistrement de son allègre Messe brève 4 pour quatre solistes et orgue. Peu nous chaut qu’il ait été l’arrière-grand-père de Saint-Exupéry. En revanche, on apprécie sa musique carrée et bien construite, témoignage d’une époque où un homme bien né, qui vivait de ses terres en province, pouvait en même temps LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 57 P.56 Arts et lettres 27/04/11 14:49 Page 58 ARTS, LETTRES ET SCIENCES être maître de chapelle dans une église et consacrer une partie de son temps à la composition. On terminera par Bernard Cavanna, compositeur français d’aujourd’hui, dont la musique est présentée sur un disque récent : Shanghai Concerto, Trois strophes sur le nom de Patrice Lumumba et Karl Koop Concert 5. Décrire cette musique avec ses répétitions et ses emprunts est une gageure. Le parti pris est de surprendre et de naviguer à la limite du canular : le titre exact de Karl Koop Concert est Comédie pompière, sociale et réaliste pour accordéon et orchestre . On se souvient que Satie luimême s’est ingénié à affecter à ses pièces pour piano des titres provocateurs. Mais Cavanna est novateur, et sa musique suffisamment légère et subtile, voire parfois jubilatoire – on pourrait dire une musique de khômiss – pour lui faire pardonner une volonté apparente de choquer l’auditeur bourgeois. ■ Jean Salmona (56) 1. 1 CD ZIG ZAG. 2. 1 CD ZIG ZAG. 3. 1 CD SKARBO. 4. 1 CD VOL. 5. 1 CD AEON. SOLUTIONS DES RÉCRÉATIONS SCIENTIFIQUES 1) DES CARRÉS DANS L’HYPERBOLE L’équation de l’hyperbole s’écrit (8y + 1)2 = (12x + 1) (4x + 1). Si x et y sont entiers avec x > 0, les facteurs du second membre 12x + 1 et 4x + 1, premiers entre eux, sont le produit de nombres premiers avec des exposants pairs comme dans le premier membre ; ce sont donc des carrés u2 et v2, avec uv = 8y + 1. Alors 16 (x – y) = (12x + 1) + (4x + 1) – 2 (8y – 1) = (u – v)2, et x – y est aussi un carré, sans qu’il soit besoin de discuter la relation u2 + 2 = 3v2. Si x était entier négatif, on obtiendrait des facteurs – 12x – 1 et – 4x – 1 qui ne peuvent être carrés car multiples de 4 diminués de 1 ; la branche d’hyperbole x < 0 n’a aucun point à coordonnées entières. Les curieux verront qu’on peut exprimer u, v, x, y au moyen des polynômes de Tchebychev Tk (2). 2) TÉTRAÈDRE EXCLU Partageons les points en 3 ensembles disjoints ; joignons chaque point à tous les points des ensembles dont il ne fait pas partie, sans le joindre à aucun point du même ensemble. Quelle que soit la façon dont on prendra 4 points, il y en aura au moins 2 dans un même ensemble (principe des tiroirs), et il manquera pour faire un tétraèdre le segment qui devrait les joindre. Soit q l’entier le plus voisin de n/3 : n = 3q + e avec e = – 1, 0 ou 1. Avec trois ensembles de q, q et q + e points, on peut tracer 3q2 + 2qe = (n2 – e2)/3 segments, soit la partie entière de n2/3. Cette disposition est optimale, conformément à un théorème de Turan. C’est vrai pour 4 points (supprimer un des 6 segments équivaut à constituer 3 ensembles de 1, 1 et 2 points). Si c’est vrai pour n points, ajoutons un (n + 1) –ième point ; on formerait un tétraèdre si on le reliait à des points dans les 3 ensembles ; on peut le relier aux points de 2 ensembles, et l’annexer ainsi au 3e. On voit facilement qu’on maximise le nombre de segments en rendant les 3 ensembles aussi égaux que possible. 3) TÉTRAÈDRE À LA COUPE SOLUTIONS DU BRIDGE Il faut espérer le Roi de ♦ en Ouest, on joue ♦ vers la Dame, si Ouest prend, on a gagné, sinon on tire le Roi de ♠, puis Dame de ♥ sur laquelle on défausse un ♦, Ouest en main ne peut que rejouer ♥ ou ♦. Un joueur seulement a gagné ce contrat. OUEST ♠ 7 ♥ R ♦ R ♣ 10 5 10 10 9 7 3 7 4 3 EST ♠ D V 10 9 8 3 ♥ 6 5 4 3 ♦ 4 ♣ 8 2 58 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 Dans le plan ABC, AI coupe BC en M. Dans le plan ACD, AJ coupe CD en N. Le plan AMN contient I et J. Son intersection avec le plan BCD est la droite MN, qui coupe la droite IJ en P. Le point P est un point de l’intersection des plans BCD et IJK, le point K en est un autre. Dans le plan BCD, la droite PK coupe CD en S, DB en T, BC en U. Dans le plan ABC, I et U sont des points du plan IJK, la droite IU coupe AC en V et AB en X. Dans le plan ACD, les points S, V et J sont des points du plan IJK, ils doivent donc être alignés si la construction géométrique a été bien faite. La droite SVJ coupe AD en W. Avec S, T, U, V, W, X on a obtenu les intersections du plan IJK avec les 6 arêtes du tétraèdre. Il faut ne garder que les points qui appartiennent aux 6 segments AB, AC, AD, CD, DB, BC : il y en a 3 ou 4, et l’intersection cherchée est un triangle ou un quadrilatère. Il reste à tracer les segments qui joignent ces points pour obtenir cette intersection. POST-SCRIPTUM À « PLAQUES HELLÈNES » (LA JAUNE ET LA ROUGE DE MARS 2011) Michel Dorrer (67) signale la référence sur Internet http://fr.wikipedia.org/wiki/Plaque-d’immatriculation-grecque P.56 Arts et lettres 27/04/11 14:49 Page 59 LA SCIENCE AU CŒUR DE NOS VIES Pr Maurice Tubiana Paris – Éditions Odile Jacob 1 – 2010 On peut espérer que les polytechniciens gardent un intérêt pour la science et la considèrent comme partie intégrante de la culture de l’honnête homme. C’est à ceux qui ont ces convictions en partage que Maurice Tubiana s’adresse, car si pour lui « la science est au cœur de nos vies », ce n’est pas simplement en tant que scientifique, c’est aussi en tant que citoyen. Maurice Tubiana est le grand cancérologue français, ancien élève de Joliot-Curie, fondateur de l’Institut de Villejuif, chercheur éminent et reconnu au plan international. Il est aussi connu pour ses positions courageuses, souvent à contre-courant, concernant aussi bien les vrais combats comme la lutte contre le tabagisme ou pour la vaccination contre l’hépatite, que les peurs irrationnelles comme les dangers de l’énergie nucléaire, les risques hypothétiques des OGM, les craintes des électrosensibles, et les absurdités ubuesques liées au principe de précaution. Les amateurs de langue de bois n’y trouveront pas leur compte : depuis longtemps, Maurice Tubiana a décidé d’appeler un chat un chat, et refuse de déguiser la lâche indulgence pour l’irrationnel des habits d’une tolérance mal comprise. Il a écrit ce livre pour ses arrièrepetits-enfants, pour leur « expliquer la science ». Et quoi de mieux pour cela que des exemples ? Mais pas question de se limiter à la médecine, c’est de la démarche scientifique qu’il veut leur parler. Avec un chapitre sur la physique, un sur la biologie et la médecine, c’est tout un panorama non pas de ces disciplines, mais de leur façon de fonctionner, qui ravit le lecteur simplement curieux de sciences. Ce n’est pas un livre «d’histoire des sciences », mais plutôt un livre « d’histoires de science » qui construit chez le lecteur une familiarité avec la démarche scientifique. Le troisième chapitre est en fait la justification profonde du livre, la science au cœur de nos vies de citoyens, le devoir de courage qui impose de défendre une rationalité scientifique en butte à toutes les attaques complaisamment relayées par les faiseurs de mode. Alors un « croisé de la science » Maurice Tubiana? Non pas dans ce que ce terme pourrait avoir de fanatique, mais certainement dans ce qu’il contient de panache, d’élégance et de dévouement à une noble cause. Vous ressortirez de ce livre heureux d’avoir, un moment dans vos vies, participé à la science. Yves Brechet (81) 1. 15, rue Soufflot, 75005 Paris. www.odilejacob.fr CYNIQUES & CIE ARTS, LETTRES ET SCIENCES LIVRES Cie, est aussi une épopée, qui retrace la journée mouvementée d’un patron d’entreprise, nouvel Homme pressé de notre époque. Avis de tempête lors de son conseil d’administration : Armand Blanc (le pseudonyme est si transparent que nos camarades les plus chevronnés le reconnaîtront sans aucun mal), le pape des affaires, veut la peau de notre héros. Vous découvrirez le récit de cette journée – car, à la Boileau, l’auteur respecte l’unité de temps de la tragédie classique. C’est un monde effectivement tragique, avec ses bassesses et ses faux-semblants, qu’il nous décrit finement. Et son héros, même mouillé jusqu’au cou dans ce monde, trouve finalement grâce aux yeux du lecteur par une certaine aura de fidélité qui l’entoure : fidélité à sa femme, à sa maîtresse attitrée, à un camarade de promotion dans la difficulté, à un certain nombre de valeurs qu’il cultive. Au-delà de la confrérie polytechnicienne, au-delà des tours de La Défense joliment représentées en couverture, au-delà même du monde de l’entreprise, c’est, comme dans ses autres ouvrages, à une réflexion sur les valeurs à laquelle nous invite Gilles Cosson dans cette brillante sotie. Alexandre Moatti (78) 2. 54, rue des Saints-Pères, 75007 Paris. Gilles Cosson (57) Les Éditions de Paris 2 – Max Chaleil – 2011 Gilles Cosson poursuit sa seconde vie, celle d’écrivain prolixe et original – une dizaine d’ouvrages depuis quinze ans (signalons notamment Éclats de vie, ainsi que Thulé : une épopée au temps de la Renaissance ; voir son site www.gillescosson.com). Sa dernière livraison, Cyniques et RECENSIONS • Adresser à La Jaune et la Rouge, 5, rue Descartes, 75005 Paris, un exemplaire du livre. • Envoyer par courriel le texte de la recension sous forme d’un fichier Word à l’adresse : [email protected] LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 59 P. 61 Point Gamma 28/04/11 15:53 Page 61 P OINT G AMMA Rendez-vous au Point Gamma Dossier réalisé par l’équipe du Point Gamma de la promo 2009, avec l’aide de quelques anciens nostalgiques. L E POINT GAMMA fait partie des événements majeurs de la vie polytechnicienne durant les deux années d’études sur le campus de Palaiseau. Mais c’est également tous les ans la plus grande soirée étudiante de France, avec cette année encore plus de 6 000 étudiants attendus le samedi 21 mai sur le campus de 19 h 30 à 5 heures du matin. Le Point Gamma est donc un événement de grande ampleur qui nécessite un travail en amont extrêmement important, entièrement effectué par les élèves au sein du binet Point Gamma, l’un des binets les plus emblématiques de la vie polytechnicienne. C’est une équipe de 30 polytechniciens motivés qui travaille depuis octobre à l’organisation de cette soirée. Bien sûr, cette équipe soudée est divisée en plusieurs cellules qui ont chacune un rôle bien déterminé. Ainsi, la cellule « Specto » est chargée de la programmation musicale (que vous pourrez découvrir sur la page suivante). Par ailleurs, elle est en charge de toutes les animations annexes qui sont proposées comme un saut à l’élastique, des autos tamponneuses, un feu d’artifice et pour la première fois cette année un Laser Game. La cellule « Com » doit faire en sorte que tous les étudiants de la région parisienne entendent parler du Point Gamma. Ses membres sont responsables de l’impression et de la distribution des affiches, des partenariats publicitaires, du site Internet entre autres. Ils sont ceux qui doivent en faire le plus avec le moins d’argent, mais leur rôle est capital. La cellule « Bars-Restos » est responsable du ravitaillement de tous ces étudiants pendant la soirée. Elle sera appuyée par près de 400 X de la promotion 2010 pour servir dans les bars. La cellule « Sécu » a la lourde responsabilité d’éviter tout déborde- ment pendant la soirée et d’assurer la sécurité de tous. Chargés du respect des normes incendie et des dispositifs de sécurité, ses membres sont très occupés. La cellule « Technique » fait en sorte de transformer le Grand Hall en vraie discothèque et la Cour Vaneau en concert de plein air. La cellule « Défilé » s’occupe d’organiser un défilé de mode pendant la soirée et recrute les plus belles Xettes et les plus beaux X pour qu’ils se pavanent sur le podium installé dans le Grand Hall. La cellule « Sponso » est chargée de trouver les financements nécessaires pour à la fois maintenir un prix d’entrée abordable et conserver tout le caractère grandiose de cette soirée. La cellule « Matos » supervise l’installation de tout le matériel non technique (tables, tentes…) et la préparation des bars par les X 2010. Elle met en place un défilé dans Paris (le 12 mai) auquel participent les X 2010 nouvellement arrivés. En effet, le Point Gamma marque aussi le premier investissement des X tout juste sortis de leur stage militaire dans la vie de campus. Pour les membres du binet, la soirée marquera la concrétisation d’un grand projet (plus de 300 000 € de budget) après beaucoup de pression dans le mois précédant l’événement. C’est donc l’un des rares binets qui permet de travailler son sens de l’organisation et sa capacité de gestion dans l’urgence tout en offrant la possibilité de voir son projet, qui a demandé tant d’investissement, se concrétiser et satisfaire tous les participants. ■ LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 61 P. 61 Point Gamma 28/04/11 15:54 Page 62 P OINT G AMMA ■■ 2011 n’aurait pu mieux commencer pour Martin Solveig, dans la lignée d’une année 2010 irrésistible. En effet, son dernier single Hello, enregistré en collaboration avec l’artiste canadienne Dragonette, s’est déjà imposé comme le plus grand succès de sa carrière en occupant depuis sa sortie les plus hautes places des charts en Europe et dans le monde. On ne pouvait donc rêver meilleure entrée en matière pour son nouveau projet, Smash, que Martin envisage à la fois comme un album et comme une Web-série, dont il a puisé l’inspiration dans l’attachant personnage de Richie Tenenbaum imaginé par Wes Anderson. Réalité et situations fantasques s’y entremêlent pour délivrer un message profondément sensible et poétique, loin des sentiers battus. Et en matière de course, le DJ parisien n’a pas perdu de temps. Son nom résonne aujourd’hui comme une valeur sûre de l’électro made in France. Trois albums couronnés de succès – dont le dernier, C’est la vie, a été sacré double disque d’or – et de nombreux hits internationaux (Rocking Music, Everybody, Rejection, etc.) lui ont valu une reconnaissance globale et un statut d’artiste mérité. En une décennie, il a su s’imposer comme un incontournable des clubs et festivals internationaux et a conquis le cœur du public en semant son imaginaire décalé dans le monde entier. DJ Gregory, de son vrai nom Grégory Darsa, est un DJ parisien spécialisé dans la deep house et la house. En 2000, il devient l’un des moteurs du projet Africanism, aux côtés de Bob Sinclar. En 2010, Il s’associe avec Martin Solveig en participant à l’album Smash. Il y apparaît comme Lafaille, le manager de Martin et fait les warm-up de toute la tournée des Smash Party. 62 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 SALM c’est une histoire d’audace, d’envie, et surtout de contre-courant. Celle de deux gamins à l’adolescence rythmée comme une partition : les semaines passées dans la joyeuse cacophonie d’un conservatoire ; les week-ends dansés en boîte de nuit. En octobre 2006, après des années passées à mûrir dans l’esprit des deux amis, SomethingALaMode est né. Le résultat ? Un premier album « électro-cordes », fusion insolente entre des univers qui se sont longtemps cherchés et qui grâce à SALM s’accordent enfin à merveille. Originaire de Belgique, Peter Luts est un DJ Producteur aujourd'hui célèbre. Il écrit et compose Love is the message en 2005. En 2006 il sort son premier single What a feeling qui devient la musique favorite des boîtes de nuit, surtout aux États-Unis. C'est le début du succès international pour Peter Luts qui confirme en 2010 avec la sortie d'un autre succès intitulé The rain. P. 61 Point Gamma 28/04/11 15:54 Page 63 POINT GAMMA ■■ Originaire de Belgique, Paul Van Haver a.k.a. Stromae – Maestro, en verlan – compose depuis 2005 mais c'est en 2009 qu'il se fait remarquer du grand public avec le tube Alors on danse puis en 2010 avec son premier album Cheese. Avec des influences comme Jacques Brel et le monde hip-hop en passant par l'Eurodance, Stromae prodigue ses conseils acides et nous raconte sa vision de la vie avec un flow efficace sur fond électro. Un album original, à l'image de son compositeur, qui vient d'être récompensé aux Victoires de la Musique 2011. Killtronik est un groupe poprock-électro originaire de Cannes, principalement influencé par le glam rock, le rock et l’électro-pop. Après le Bus Palladium, Le Réservoir et des premières parties des Pony Pony Run Run, Killtronik est un groupe talentueux à découvrir sur scène avec son pop-rock vintage, ses lignes de guitare envoûtantes et un son toujours aussi frais et planant… Housse de Racket c’est d’abord deux copains d’enfance, Victor et Pierre. Deux adolescents qui se snobaient engagent la conversation sur Eddie Vedder et Kurt Cobain. C’est le début d’une grande histoire d’amitié. Quelques années plus tard, ils décident qu’eux aussi ont leur mot à dire et veulent apporter leur pierre à l’édifice de la French touch (Daft Punk, Air…). Après leur hit Oh Yeah tiré de leur album Forty Love en 2008, ils s’attaquent à un nouvel album qui doit sortir courant 2011 sous le label Kitsuné. Stuck in the Sound est un groupe parisien d’indie rock révélé en 2004 par les Inrockuptibles. C’est en 2006 que tout commence avec leur premier album Nevermind The Living Dead, 10 000 albums vendus et 200 concerts. Stuck in the Sound fait maintenant partie des leaders du rock indé en France. Une tournée avec une centaine de dates a eu lieu en 2010. Un concert des Stuck, c’est une rafale d’énergie, un shoot d’adrénaline et un flot d’émotions inoubliables. LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 63 P. 61 Point Gamma 28/04/11 15:54 Page 64 P OINT G AMMA L’histoire d’une fête joyeuse Le Point Gamma a pour origine la marotte d’un professeur d’astrophysique, lequel ne pouvait se passer de mentionner, à chacun de ses cours, le « point gamma », qui est l’un des deux points d’intersection de l’équateur et de l’écliptique. Le jour du 21 mars, le Soleil est dans le signe du Bélier : le point vernal est alors désigné par la lettre grecque γ pour sa ressemblance avec l’animal du zodiaque. ■■ L’élève Émile Lemoine (1860) eut l’idée de compenser les paroles soporifiques du maître par une fête joyeuse en l’honneur du point gamma. Il s’agissait de s’en rapporter à cette tradition antique du culte astral, de faire comme « ces prêtres de la vieille Égypte qui s’inspiraient du mouvement des astres dans le règlement de leurs cérémonies mystiques1 ». Le Point Gamma est à sa création une mascarade d’inspiration païenne qui succède au Bal burlesque des «fruits secs», qui se déroula de 1831 à 1848, et célébrant le réveil de la nature. À partir de 1875, la fête se fait somptueuse par les déguisements, les décorations, les spectacles. Les frais occasionnés sont tels que le Point Gamma est supprimé en 1880 par le ministre de la Guerre, probablement aussi alarmé de voir les élèves vaquer pendant près de deux semaines à des occupations si peu scolaires. La renaissance Le Point Gamma renaît en 1919. Mais la fête se veut bénéficiaire : les gains réalisés sont reversés à l’Action sociale de la Kès ou à des organismes de bienfaisance externes comme la Croix-Rouge. Les élèves sont impliqués immédiatement car il relève de leur responsabilité de monter les divers restaurants et bars, marques tangi64 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 bles de leur esprit d’entreprise. En effet, « l’intérêt du Point Gamma est multiple : il permet à tous de bricoler à l’École, de faire preuve d’initiative, d’humour, de punch ; il rassemble des gens qui sinon ne se seraient pas ou peu connus ; puis, durant le Point Gamma luimême, il règne une joyeuse atmosphère dans cette vieille boutique, et ça n’est pas si désagréable. Bref, cela consiste à redécouvrir la notion de fête, notion qui se perd et à laquelle beaucoup de monde s’intéresse actuellement2 ». tour Umbdenstock ; à la piscine, on peut assister à des « attractions exceptionnelles » ; dans la cour de l’infi, on pourra prendre une place au « Salon de verdure ». Sur le site actuel, on maintient cette utilisation festive des locaux. Le programme du Point Gamma de 1980 annonce que, dans le Grand Hall, on pourra manger libanais, dans le Salon d’honneur, vietnamien. Les élèves comptent ainsi attirer la clientèle par la variété des traditions culinaires. Les amphis accueillent, quant à eux, divers spectacles. Le clou de la soirée, c’est la soirée Styx, que martèleront les rythmes divers de rock’n roll, de reggae, de new wave ou de disco . Par le passé, on nommait Styx les parties souterraines de l’École où la Khômiss organisait ses réunions secrètes ; aujourd’hui, les Styx sont les soirées dansantes des élèves. Autant dire que le Styx du Point Gamma est un méga-Styx, venant couronner l’une des plus importantes fêtes étudiantes. Sinon la plus importante ? « Sans honte, nous pouvons nous affirmer comme la plus grande fête étudiante et comme la moins chère3 ». Extrait du Carva Déchaîné, mai 1994. Cuisine et spectacle En juin, cette fête donne à l’École une organisation nouvelle de son espace. En 1946, la Brasserie alsacienne occupe le sommet de la 1. Le Monde illustré, 12 avril 1879. 2. Journal des élèves, 11 février 1975. 3. Organisateurs du Point Gamma, 18 juin 1983. P. 61 Point Gamma 28/04/11 15:54 Page 66 P OINT G AMMA TÉMOIGNAGES Remplir la caisse ■■ L’organisation du Point Gamma, en 1944, était de la responsabilité de la Kès qui remplissait sa «caisse» à cette occasion. Nos deux caissiers sont décédés. Victor Rosset et moi-même avons pris le relais pour maintenir la cohésion de la promo, mais nous n’avons évidemment aucune archive. Dommage. Michel Artaud (44) Quand le Point Gamma faisait le printemps ■■ C’est en l’an 1805 que notre École a été installée rue Descartes, sur la « Montagne Sainte-Geneviève ». Le premier Point γ s’y est déroulé en 1862. Cette fête marquait le passage de l’hiver au printemps, le 21 mars (équinoxe de printemps). Les élèves étaient grimés et travestis et formaient un long et bruyant monôme qui parcourait les couloirs et les cours de l’École. C’était un genre de carnaval, auquel ne participaient que les élèves et qui ne sortait pas de l’enceinte de l’École. Le 21 mars étant sous le signe du Bélier, cela explique le choix du γ et de ses cornes. La fabrication des guirlandes et costumes, les essayages, les répétitions, les préparatifs divers ont fini par nécessiter une période de deux semaines durant lesquelles toutes les études étaient suspendues, toutes les têtes étaient en délire. L’autorité s’émut de la perte de temps et des lourdes dépenses que cette fête occasionnait et le Ministre la supprima en 1880. La tradition fut reprise en 1919 avec interruption pendant la Deuxième Guerre mondiale, de 1940 à 1947. Mais pourquoi le Point γ, qui devrait marquer l’avènement du Printemps, le 21 mars, se déroule-t-il en mai? Very superior old promotion ■■ Je ne sais si l’alcool a toujours droit de cité au Point Gamma. Il y a cinquante ans et plus, il était de mise, approvisionné à prix d’amis auprès de camarades producteurs. Les excédents étaient stockés dans la cave de la Kès et revendus au fil du temps aux camarades amateurs. Notre casert avait jeté son dévolu sur un fort estimable cognac VSOP. Attachée au goulot de la bouteille, une petite fiche permettait à chacun de noter ses consommations ou celles qu’il offrait à ses camarades, le prix étant ensuite partagé au prorata. L’offre d’une tournée générale était monnaie courante et les bouteilles défilaient rapidement. Notre casert formait l’ossature de l’équipe de football. Celle-ci se fit rapidement remarquer, tant par ses dribbles imprévisibles que par son impuissance face aux buts adverses, dont le gardien paraissait curieusement dédoublé. L’épuisement des stocks vint à temps nous arrêter sur cette pente savonnée. Depuis, nous ne buvons plus que de l’eau ferrugineuse. Jean-Marc Chabanas (58) 66 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 André Luc (48) P. 61 Point Gamma 28/04/11 15:55 Page 67 POINT GAMMA TÉMOIGNAGES Eurydice Express ■■ Le Styx, le vrai, se situe comme chacun sait dans les profondeurs de la Montagne Sainte-Geneviève. Le grand problème est d’y accéder sans trop mépriser les consignes élémentaires de sécurité. Nous l’avons résolu avec élégance en reliant le PK aux profondeurs infernales par un ravissant escalier en colimaçon qui étreint la cheminée du chauffage. Celui-ci est suivi d’une voûte pseudo-romane destinée à faire oublier l’étroitesse du boyau final où l’on ne peut, certes, pas regarder si son Eurydice est toujours là. Yves Stierlé (65) Dans les rues de Paris D.R. Jerôme Cabouat (77) et Laurent Bourrelier (77) D.R. ■■ Mieux qu’un long discours, voici quelques photos du défilé que nous avons avons réalisé dans les rues de Paris pour assurer la promotion du Point Gamma. Les grosses têtes ■■ Le Point Gamma en 1995… un rush incroyable pour dénicher des artistes, un départ à sec (comprenez : des coups dans l’eau) pour se retrouver avec finalement trop de (grosses) têtes d’affiche (Charlélie Couture, Bertignac, Dick Annegarn, JJ Johanson) et un gros challenge pour finir dans le vert ! Des heures de prévente et d’affichage plus tard, la soirée commence dans le stress. Résultat : plus de 9 500 entrées, un record (à l’époque), ce qui nous a permis de verser un léger excédent à Médecins sans frontières. Contrat rempli. Martin Bustarret (95), trésorier du Point Gamma Élastique facultatif pour les anciens ■■ Deux grues sont prévues cette année pour qu’un maximum de personnes puisse profiter du saut à l’élastique, attraction toujours très prisée. Baptême de Montgolfière et paint ball sont aussi au programme. Mais la grande nouveauté concerne les anciens. Dans un souci de rassembler durant une soirée la promotion du Plateau et toutes celles qui l’ont précédée, un Espace Prestige est créé, dans un lieu un peu à l’écart, au calme, réservé aux VIP de la soirée et aux anciens élèves, une sorte de salon tranquille et feutré, avant de plonger dans la pleine ambiance. La Jaune et la Rouge, n° 545 (mai 1999) LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 67 P.70 Forum social 22/04/11 20:03 FORUM Page 70 SOCIAL PAR JEAN-MARC COURSIN président de Quinquas Citoyens L’envers du décor Développer l‘emploi des plus de 50 ans : un choix politique Le sous-emploi des seniors constitue un désastre à la fois social et économique. Le recul de l’âge de la retraite accentue la nécessité de développer une autre politique et d’explorer de nouvelles pistes pour y mettre fin. Les résultats obtenus dans des pays voisins peuvent nous éclairer à condition de faire changer certaines mentalités. Un paradoxe français ? La discrimination à l’emploi, dont sont victimes les plus de 50 ans en France, continue à produire ses effets économiques et sociaux désastreux. Privant le pays de quelque 800 000 actifs (Rapport du Conseil d’analyse économique, n° 58), elle contribue à creuser les déficits sociaux d’un montant évalué à plus de 10 milliards d’euros par an. Combien de quinquas qualifiés se voient refuser un poste, au motif aberrant qu’ils sont surqualifiés, à un moment où, paraît-il, les entreprises font face à une pénurie de talents ? Les seniors encore en activité, quant à eux, font l’objet de pressions sous des formes multiples pour les pousser à quitter leur emploi. Qualifications obsolètes, frein à la productivité, coût trop élevé pour l’entreprise sont les arguments avancés, a posteriori, pour justifier l’ostracisme dont ils font l’objet. Variable d’ajustement De manière constante, les décisions politiques ont fait le choix systématique d’un « chômage de 70 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 masse » qui pèse principalement sur les jeunes et les seniors. Ces deux tranches de la population servent, en fait, de variables d’ajustement pour sauvegarder l’emploi de la grande majorité en poste. À quand un débat public sur la répartition du risque de chômage et la rotation du « stock » des chômeurs ? En contrepartie, les salariés en poste doivent accepter une intensification du travail, dans des conditions qui se dégradent ; ils doivent, aussi, se contenter de niveaux de salaires très modérés, dans un climat général de précarité, entretenu par une sorte de « chantage » au chômage et le temps partiel subi : 25 % des salariés, soit plus de 6 millions, gagnent moins de 750 euros par mois. Confrontés aux mêmes défis, d’autres pays européens enregistrent des résultats plus probants en matière d’emploi des quinquas. Les Quinquas Citoyens Apr•s vingt-cinq ans d’expérience en gestion financi•re et management dans des multinationales et PME, j’ai vu, à 50 ans, les portes de l’emploi se refermer. Essuyant de multiples rejets de candidature, je me suis dirigé vers le conseil et la formation, et spécialisé dans les techniques de dynamisation des équipes autour d’un projet collectif, grâce aux apports de la biologie du comportement et des neurosciences. J’ai créé en 2005, Les Quinquas Citoyens, Association de lutte contre la discrimination à l’emploi par l’âge et pour l’égalité des droits à la retraite. Ses actions visent à faire prendre conscience, aux politiques et aux employeurs, du gâchis que constitue le sousemploi des seniors, et des cožts, financier, humain et social du ch™mage de masse concentré sur les jeunes et les seniors. Elle fait entendre sa voix par le biais d’Internet, de témoignages dans la presse écrite, radio et télévisuelle, de participations aux assises parlementaires et d’autres événements qui traitent de l’emploi des seniors, ou encore en organisant des rencontres entre seniors et entreprises. Faut-il alors croire à une fatalité du sous-emploi des seniors en France ? Avec un taux d’emploi des seniors (55-64 ans) de 39 %, la France se situe, en effet, nettement P.70 Forum social 22/04/11 20:03 Page 71 On citera le cas éloquent de BMW : anticipant le vieillissement de ses salariés, cette entreprise a aménagé les postes de travail d’une chaîne de production, en appliquant les recommandations de ses employés seniors. Pour un investissement modeste, la productivité de la chaîne a augmenté de 7 % en un an, et le taux d’absentéisme a chuté à 2 %. Transposer en France ces bonnes pratiques impose de faire évoluer les mentalités : une politique économique différente, ayant pour objectif le plein-emploi, comme le préconisait Maurice Allais ; une évolution qui rendrait à l’homme sa dignité dans le processus économique, pour ne plus apparaître comme un simple facteur de production ou d’ajustement, et le travail comme une simple marchandise. ■ Une simple formalité Un million d’exclus Ce décret aura peut-être un impact à moyen terme, pour les salariés toujours en poste, mais aucun effet significatif sur les seniors exclus du travail (actuellement près d’un million). Dans la dernière réforme des retraites, le travail des seniors a très peu été évoqué. Pour les quinquas sans emploi, la réforme signifie une prolongation de la durée de leur chômage, rémunéré ou non. On déplorera aussi l’absence de débat public sur la répartition du risque du chômage et sur la rotation du « stock » des chômeurs. Travail soutenable Ailleurs, en Europe, deux éléments fondamentaux ont été pris en compte : l’amélioration des conditions de travail, pour un « travail soutenable », et la formation professionnelle continue tout au long de la carrière, pour développer les qualifications et capitaliser l’expérience. En Allemagne, le taux d’emploi des seniors est passé audessus des 50 %, grâce à des politiques innovantes de gestion des ressources humaines dans les entreprises. Chien ou loup ? « Un loup n’avait que les os et la peau. » J’ai vite compris que je n’étais pas un chien fait pour le collier et la chaîne, fûtelle dorée. Cela m’a coûté fort cher. Parvenu, la cinquantaine approchant, sans rien lâcher des valeurs un peu désuètes qui sont les miennes, à un honnête poste de direction générale dans une PME de province, j’ai fait une grosse gaffe : j’ai refusé d’être de ceux qui organisent la misère chez nous en s’appuyant sur l’indigence des plus misérables du monde, détruisant les emplois et les existences ici en s’appuyant sur l’esclavage ailleurs, au nom du résultat financier, et même, sans rire, du bonheur des peuples miséreux. Depuis dix ans, toute ma sixième décade, « cancre, hère et pauvre diable, dont la condition est de mourir de faim », je « pointe » donc chaque mois comme demandeur d’emploi, discriminé aussi par l’âge. Peut-être un record, en tout cas parmi les anciens de notre honorable École. Beaucoup n’ont pas mon entêtement et profitent dès que possible des échappatoires « offertes » pour quitter l’infamant statut : préretraite, dispense de recherche, etc. Je ne m’y complais pas, mais c’est ma protestation contre ce statut de variable d’ajustement, ma solidarité avec les 4 051 700 objets statistiques recensés par les services « de l’emploi », 15 % de la population active, une personne sur six. Et combien d’autres, parmi les vingt millions restants, qui se savent directement menacés ! Seuls les gros « dogues, aussi puissants que beaux, gras, polis », bon pedigree et supportant bien le collier, sont (presque) sûrs d’y échapper. Au milieu de la décennie, quand je quêtais frénétiquement le Graal (l’emploi), je rencontrai dans le train un camarade de ma prépa, et de la promo suivant la mienne, parvenu laborieusement à une direction régionale d’un grand groupe nationalisé. Il allait prendre sa… retraite, avec 80 % d’un bon salaire, et ne savait à quoi il allait occuper tout ce temps : voile, voyages. J’espère que les excès de la chair n’abrégeront pas cette félicité bien méritée ? Mais « de tous vos repas je ne veux en aucune sorte », et de toute façon, je n’ai plus le choix : chien ou loup, ces routes sont sans retour. Dans ma quête, je suis tombé au milieu d’une bande d’irréductibles, au fin fond de la Bretagne « porcine », qui souffre tant aujourd’hui. Lassés eux-mêmes d’être traités en variables d’ajustement, ils se sont mis en tête de rendre leur territoire autosuffisant en énergie, tous ensemble, avec leur vent, leur soleil, leurs champs et leur bois, comme d’autres avant eux chez nos voisins européens. Ils avaient besoin d’un ingénieur : je fis l’affaire, sacrifiant, sans trop le choix, mes prétentions à un projet iconoclaste. Et ça marche, mais ne le dites pas à EDF. « Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor. » Marc Théry (71) © MC CANN ERIKSON Dans un décret récent, il est fait obligation aux employeurs de mettre en place, à partir du 1er janvier 2010, des plans négociés en faveur de l’emploi des seniors. Mais ce texte ne comporte aucune sanction véritable à l’encontre des employeurs qui discriminent par l’âge (hormis une pénalité pour défaut de signature des accords). Les entreprises ne voient, dans cette nouvelle mesure, qu’une simple formalité imposée par la loi. Ce texte n’a pas déclenché de politique rénovée de gestion des ressources humaines. EXPRESSIONS en dessous de la moyenne européenne, qui est de 45,6 %. Les pays d’Europe du Nord ont anticipé le mouvement (Suède en tête, avec un taux de 70 %). Chez nous, le chantier de la réflexion sur l’emploi des seniors reste donc ouvert, à la recherche de remèdes à ce véritable gâchis de compétences inexploitées. LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 71 P.72 Castel 21/04/11 9:02 LIBRES Page 72 PROPOS PAR JEAN-PIERRE CASTEL (68) Développement durable ou dérive court termiste ? Le passage de la « finance bancaire » à la « finance de marché » induit des arbitrages de plus en plus rapides. L’effet de levier, la titrisation et autres subprimes diluent les risques à long terme. Une communication financière trimestrielle, un reporting souvent hebdomadaire scandent le rythme de notre industrie. Nos démocraties vivent en campagne électorale permanente. 72 ■ Le décalage entre prises de décision «court termistes» et constantes de temps «réelles» alimente une volatilité des prix. Dans le cas des matières premières, celle-ci est aggravée par l’irruption de nouveaux acteurs financiers sur les marchés. Il n’y a pas si longtemps, les banques et les grandes familles restaient attachées à leurs entreprises, et en confiaient les rênes à des managers stratèges. Aujourd’hui encore, quelques groupes familiaux, comme Toyota ou Bosch, détonnent par leur culture d’entreprise plus soucieuse d’un développement partenarial à long terme avec l’ensemble de leurs stakeholders que d’une satisfaction immédiate de leurs seuls shareholders. Les nouveaux acteurs de la «finance de marché » conduisent le monde avec une stratégie d’arbitrage de plus en plus court termiste, dans une relation de plus en plus « intermédiée », découplée du réel. sont en interrelation, par exemple la liquidité de l’économie, l’opacité des marchés, voire encore l’accroissement des inégalités de revenus, illustré entre autres, par une surchauffe dans les berlines de luxe et une atonie sur les modèles populaires. Pour une approche systémique Quelques questions Les appels au développement durable contrastent de façon pathétique avec l’accélération permanente dans laquelle nous vivons. La dérive mêlant court termisme et anonymat est certes souvent dénoncée, mais elle s’impose à nous par une sorte de fatalité. Elle ne fait guère l’objet d’analyses qui permettraient de comprendre son origine, ses perspectives, ses moteurs internes. Il s’agit vraisemblablement d’une évolution complexe, systémique, où de nombreux facteurs de risques Cette accélération, ce changement dans la perception du temps sontils l’effet, ou la cause, des nouvelles technologies de communication ? Est-ce l’aversion du citoyen américain pour toute régulation administrée qui a favorisé la foi déraisonnable en l’efficience du marché d’un Milton Friedman et d’un Ronald Reagan, ou l’inverse ? La mondialisation doit-elle, par la loi des grands nombres, freiner la volatilité, ou l’accroître par la généralisation du mimétisme ? LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 La dérive court termiste est souvent dénoncée, rarement analysée L’argument de la cupidité, habituellement avancé, ne fait que mettre en évidence la pauvreté de l’analyse, la nature humaine n’ayant sans doute guère changé depuis Adam Smith. Faute d’être capable de relier ces dysfonctionnements multiples, la parole des hommes publics, politiques ou économiques se contente d’émotion et d’incantation, comme si elle émanait d’apprentis sorciers sans prise sur la réalité. Dans cet écheveau de causes, d’effets et de feedbacks, la dérive court termiste n’est-elle qu’un symptôme parmi d’autres, ou pourrait-elle être un fil d’Ariane qui permettrait de démêler la complexité de notre monde, de mieux orienter l’action ? La montée de l’individualisme, de l’incivilité, voire le développement de la « prime à la casserole » de nos hommes politiques sont-ils des réactions inéluctables face à la taille et à l’anonymat croissants de notre village planétaire ? Certes, l’opacité et la défiance se développent plus facilement que la transparence et la confiance. Appel à nos intellectuels Aussi pourrait-on souhaiter que nos intellectuels nous viennent en aide pour déchiffrer la systémique d’un monde accéléré, globalisé, composé de sept milliards d’habitants individualistes mais fortement mimétiques, doté de systèmes de pouvoir disparates, décentralisés, voire obscurs. Éclairer notre lanterne sur l’origine du courant court termiste qui nous entraîne pourrait être plus utile que discourir sur un développement durable de plus en plus mythique. Expliquer l’origine de la volatilité et de l’opacité croissantes qui raccourcissent notre horizon pourrait nourrir le dialogue entre les citoyens, les agents économiques et les décideurs. ■ P.74 Focus 28/04/11 14:44 Page 74 F OCUS Les deux ans du groupe X-Achats PORTRAIT François Renard (77), président du groupe X-Achats « Les achats mènent au fond des choses » Le groupe X-Achats fête ses deux ans d’existence. Fort de quatre-vingt-dix membres, il organise tous les trimestres un débat à la Maison des X suivi d’un dîner. Dans un secteur très spécialisé qui ne compte qu’un faible pourcentage d’ingénieurs, François Renard, son président, se félicite d’avoir instauré un climat d’échange très détendu, sans concurrence ni rôle à jouer. ■■ « Trouver des fournisseurs, c’est facile. Établir une stratégie d’achat, c’est tout autre chose. » François Renard, président du groupe X-Achats, veut promouvoir cette fonction à la fois simple et complexe. A priori non vitale, ni même indispensable, la fonction « Achats » apporte aux entreprises qui ont fait le choix de l’organiser des résultats performants pour des objectifs ambitieux. «La clé du succès, dit-il, est de savoir prendre du recul, rester concret, passer du concept à la mise en pratique. Là où le particulier achète un produit, l’entreprise choisit un fournisseur. » Nulle part ailleurs Comment mieux progresser dans la fonction « Achats » qu’en échangeant des expériences ? C’est l’idée qui a présidé à la création du groupe X-Achats, il y a maintenant deux ans. « Je ne disposais que de deux outils, rappelle François Renard, l’Annuaire et polytechnique.org « J’ai réussi à identifier environ soixante-dix camarades impliqués 74 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 dans les achats (dont une quinzaine s’est avérée par la suite avoir changé de fonction) et je les ai contactés par courriel pour organiser une première réunion, qui a regroupé une vingtaine de personnes, en juillet 2009, à l’AX. « Nous atteignons aujourd’hui un régime de croisière, avec quatrevingt-dix membres. « Il s’est instauré un bon climat d’échange, détendu, que l’on ne rencontre nulle part ailleurs dans les groupes et les associations plus officielles. Pas de rôle à jouer. Pas de concurrence. » Une rencontre par trimestre La formule de fonctionnement du groupe X-Achats est simple. Pas de cotisation. Un débat tous les trimestres à la Maison des X à partir de 18 heures, suivi d’un dîner facultatif. Seul le dîner éventuel est payant (45 euros). « L’annonce des rencontres, indique le Président, se fait simplement via le site du groupe sur polytechnique.org. Des thèmes sont proposés et font l’objet d’un vote sur Internet avant d’être retenus et programmés de façon précise. Les achats, c’est ça « Pour beaucoup, estime François Renard, la fonction « Achats » se résume à trouver un fournisseur et négocier les prix. « Les achats, c’est pas ça. « C’est faire travailler le fournisseur avec tous les membres de la société, être une force de proposition et de recommandation. Laisser décider les autres par rapport à nos recommandations. « L’acheteur, le vrai, participe activement à formuler les besoins. Il est capable de proposer de nouvelles solutions, que ce soit pour des produits, des investissements ou des frais généraux. Il élabore des « stratégies achats », s’assurant d’avoir les meilleurs fournisseurs adaptés aux besoins de l’entreprise. Il identifie les innovations de demain et pilote la performance des fournisseurs. » P.74 Focus 28/04/11 14:44 Page 75 Président : François Renard (77) Vice-présidents : Alain Héry (78) et Gilles Drouard (75) FOCUS X-Achats Secrétaire : Jacques Bonnet (77) 5, rue Descartes, 75005 Paris x-achats@x-achats. polytechnique.org Prochaines rencontres Gestion des risques fournisseurs (6 juin 2011). Achats de prestations intellectuelles (dernier trimestre 2011). D.R. Diagnostic et maturité des organisations d’achats (premier trimestre 2012). Jeunes et moins jeunes François Renard (77), 53 ans, marié, est père de quatre enfants. Ceux-ci poursuivent des études scientifiques, l’aîné est à l’X et le second à Centrale. Joueur de golf, François Renard est également trésorier d’un groupe de scouts. Après de longues expériences dans plusieurs grands groupes (Schlumberger, Vinci, Moulinex, Valeo), il s’est progressivement intéressé à la fonction des achats, avant de se lancer à titre individuel dans le conseil, il y a deux ans, créant sa propre société, SourcingConsult. « Je refais du concret et redeviens créatif, se félicite-t-il, hors des lourdes structures de management des grandes entreprises. Je m’adapte aux petites entreprises autant qu’aux grands groupes. « Je peux exercer ma curiosité, aller au fond des choses, toujours m’appuyer sur le bon sens. C’est une autre façon de vivre. » « En deux ans ont ainsi été organisées huit rencontres. Celles-ci ont eu pour thèmes : les achats et la crise, organisation achats, performance fournisseurs, systèmes d'information achats, développement durable, achats en pays low-cost, innovation et achats, stratégie achats. « Il est précisé que le débat est ouvert à tous et que le compte rendu, rédigé par le Secrétaire, comprend les présentations et est en accès libre sur le site Internet. Cette méthode permet à ceux qui ont assisté au débat de diffuser l’information dans leurs équipes s’ils le souhaitent. « À sa création le groupe comptait une quarantaine de membres. « Les quatre-vingt dix membres actuels, précise François Renard, appartiennent principalement à la tranche des promos 75 à 95, donc ils sont en pleine activité. « Nous avons aussi quelques retraités, qui viennent par intérêt personnel. « Mais nous comptons aussi des jeunes encore à l’École et des corpsards des Mines en cours de formation complémentaire. « Conformément aux souhaits de l’AX, nous avons ouvert le groupe à des non-polytechniciens. Ce sont des « invités permanents » dont on exige seulement une certaine représentativité, et qui peuvent après un an devenir membres à part entière. » Propos recueillis par Jean-Marc Chabanas LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 75 P.74 Focus 28/04/11 16:40 Page 76 F OCUS Les deux ans du groupe X-Achats TÉMOIGNAGES Un exemple à suivre Le groupe X- Achats, ouvert aux participants non polytechniciens quasiment depuis le début de son existence, travaille avec son homologue d’HEC. Jacques Bonnet (77) Secrétaire du groupe X-Achats D.R. ■■ Ayant travaillé pendant de nombreuses années dans différentes entreprises industrielles, j’ai pu constater l’importance du rôle et de la contribution des achats dans l’entreprise, mais j’ai aussi pu constater le manque de reconnaissance de cette contribution par la majorité des membres de l’entreprise (y compris parfois de l’équipe dirigeante). La création d’un Groupe sur le sujet me paraissait tellement importante que j’ai immédiatement accepté d’y participer. Je suis membre de plusieurs groupes polytechniciens et celui-ci me semble être un exemple de ce qu’il faut faire. Il règne une excellente ambiance dans les réunions qui sont organisées, les thèmes évoqués lors des réunions ont été choisis par les membres du groupe X-Achats. Les présentations faites sont diffusées très rapidement après les réunions. ■■ Il faut souligner le rôle important du Bureau et surtout de son Président dans l'animation de ce groupe X-Achats et dans sa bonne gouvernance. Alain Héry (78) Achat raisonné que est l’aptitude à maintenir, entre ses membres, des contacts de bons niveaux et des échanges centrés sur les évolutions stratégiques, managériales et opérationnelles du métier achats. Reconnaissons-le : la création de cette Association est une reconnaissance en soi pour la fonction achats. Se rassembler autour de la fonction achats est un signe d’avancée notoire. D.R. ■■ En tant que non-polytechnicien, j’ai eu la joie d’être invité à une des premières sessions de l’Association X-Achats. Dès le départ, j’ai été frappé par le niveau d’échange et de partage. Après deux ans, la dynamique est bien en marche. Les discussions sont de haut niveau et l’échange est actif. Cette Association a l’intelligence de fonctionner selon les modalités et l’esprit d’un club à dimension humaine, propices à un développement de qualité de ses activités en réseau. Les réunions d’XAchats sont assez classiques. Ce qui est moins classi- Olivier Wajnsztok, vice-président de l’Association Achat d’HEC Enseignement et partage ■■ À la sortie de l’X, et dans le cadre de ma formation du corps des Mines, j’ai effectué un stage d’un an au département achat de Latécoère. Dans ce monde passionnant, où l’expérience de la négociation et la formation de réseaux sont des armes fondamentales, j’ai trouvé dans le groupe X-Achats une occasion unique d’enseignement et de partage qui m’ont été fort 76 LA JAUNE ET LA ROUGE • MAI 2011 utiles. Je continue à assister aux rencontres du groupe, convaincu de l’importance structurante des achats dans la recomposition mondialisée du tissu industriel. Geoffrey Bouquot (2005)