Logistique & Management Les embûches de l’impartition des activités logistiques Jean NOLLET, Professeur titulaire, Annie CHATEAUNEUF, Étudiante à la M.Sc., Alain HALLEY, Professeur agrégé Service d’enseignement de la gestion des opérations et de la production, École de Hautes Études Commerciales de Montréal Au cours de la dernière décennie, de nombreuses entreprises se sont tournées vers l’impartition des activités logistiques, y voyant une excellente opportunité de réaliser des économies substantielles et de favoriser un retour aux compétences centrales de l’organisation. Dans certains cas, cette stratégie fut couronnée de succès, alors que dans plusieurs autres, elle marquait le début d’une longue suite d’ennuis. Ces décisions d’impartition reposeraient dans bien des cas sur un ensemble de fausses prémisses considérées par les auteurs comme des sources probables d’échecs : importance secondaire de la logistique, prestations de niveau supérieur systématiquement offertes par des tiers, décision d’impartition basée exclusivement sur une expertise et des ressources internes, surévaluation de la contribution attendue des fournisseurs privilégiés. L’analyse approfondie du discours et des erreurs commises lors de la réflexion entourant cette décision nous a permis d’énoncer une suite de questions et de recommandations destinées à guider la réflexion des décideurs. Une stratégie logistique bien développée peut permettre d’accroître les bénéfices découlant de l’impartition d’activités logistiques. Cette stratégie ne prend tout son sens qu’au moment où les gestionnaires reconnaissent l’importance de la logistique pour leur entreprise et qu’ils mettent à contribution l’expertise et les ressources des partenaires. Onze ans après sa parution, l’article : « The Core Competence of the Corporation » de Prahalad et Hamel (1990) continue d’influencer le monde de la gestion. Suggérant qu’une organisation ne peut atteindre un niveau de classe mondiale dans plus de cinq ou six compétences, cet article a poussé des milliers de gestionnaires à externaliser des activités jugées comme ne contribuant pas suffisamment à ces compétences distinctives. Jusqu’à récemment, les gestionnaires se limitaient surtout à l’impartition1 d’activités per- Vol. 10 – N°1, 2002 çues comme secondaires, comme l’entretien, la sécurité et les services de distribution alimentaire (Nollet et al., 2000). Après avoir retiré des bénéfices de cette approche, plusieurs ont décidé de poursuivre dans cette voie et d’externaliser des activités jugées plus importantes. Une telle orientation serait principalement due à l’avancement dans le domaine des technologies de communication, à la hausse des exigences des consommateurs, à la déréglementation des marchés mondiaux et à la 1 - On reconnaît généralement la paternité du terme impartition à P.-Y. Barreyre (1968). Traduit en anglais par “outsourcing”, nous retiendrons pour les besoins de l’article le terme externalisation. 77 Logistique & Management grande concurrence qui en découle (Sheffi, 1990). La gestion des systèmes informatiques constitue l’une des premières activités importantes à avoir été imparties. Plusieurs gestionnaires se sont ensuite tournés vers l’externalisation des activités logistiques, car il semblait là aussi y avoir une opportunité de faire des économies et de mettre l’accent sur les compétences distinctives de l’organisation (Boyson et al, 1999). Pour certains, cette démarche fut couronnée de succès ; par contre, pour plusieurs, cette décision marquait le début d’une longue suite d’ennuis. d’erreurs, pourtant à la source de bien des échecs. Cette constatation nous a donc amené non seulement à examiner plusieurs publications, mais aussi des cas réels d’entreprises ayant externalisé leurs services logistiques, ce qui nous a conduit à l’identification de fausses prémisses sur lesquelles reposent généralement ces décisions d’externalisation : L’objectif de cet article est justement de comprendre l’origine de ces ennuis, à savoir pourquoi l’externalisation logistique ne permet pas d’obtenir tous les bénéfices anticipés. Dans la première partie de l’article, nous examinons les raisons qui expliquent les échecs de certaines stratégies d’externalisation logistique. Dans cette optique, nous faisons également ressortir quelles sont les conséquences pour les entreprises confrontées à de tels échecs. 3. Les décisions concernant les activités logistiques doivent être prises à l’interne seulement. À partir de l’analyse et la réflexion ainsi introduite, nous proposons, dans la deuxième partie de l’article, des recommandations afin de permettre aux gestionnaires de mieux évaluer la portée de leurs décisions dans ce domaine aux retombées financières importantes. Dans l’optique de l’élaboration de la stratégie logistique de l’entreprise, une suite de questionnements est d’ailleurs proposée, afin de guider le dirigeant dans son processus décisionnel. L’externalisation logistique : mythes et réalités On a souvent attribué les échecs d’externalisation des activités logistiques à des objectifs imprécis, à des attentes irréalisables, à du sabotage par des gestionnaires de la firme qui externalisait et qui étaient effrayés à l’idée de perdre leur emploi, ainsi qu’à des faiblesses dans les contrats liant les deux parties (Ackerman, 1996). Il apparaît que l’ensemble des raisons avancées pour expliquer ces déboires découleraient d’un manque de planification/contrôle a posteriori de la décision elle-même. Nous croyons qu’à cette liste devraient s’ajouter les erreurs commises par les gestionnaires lors de la réflexion précédant la décision d’externaliser, ainsi que dans le processus décisionnel entourant ce choix. Or, les écrits semblent plutôt passer sous silence ce type 78 1. La logistique a une importance secondaire. 2. La gestion des activités logistiques à l’externe est préférable. 4. Les fournisseurs privilégiés sont les plus aptes à fournir une contribution élevée au niveau de la logistique. La logistique a une importance secondaire La première erreur, probablement la plus répandue, est de ne pas accorder à la gestion des activités logistiques toute l’importance qu’elle mérite. Comme le souligne Halley (1999) dans une étude réalisée auprès d’un grand donneur d’ordres du secteur du transport et des véhicules récréatifs et de ses fournisseurs de premier rang, il semble que la logistique ait chez ceux-ci une importance relativement faible. Il apparaît que dans bien des cas, celle-ci provient d’une influence externe, soit celle du donneur d’ordres ou encore d’un prestataire logistique. Certains voient la logistique comme une activité de niveau opérationnel, alors qu’elle peut, lorsqu’exploitée judicieusement, jouer un rôle important au niveau de la stratégie concurrentielle de l’organisation et de la création de valeur. Dans la distribution, l’avantage concurrentiel de Wal Mart par exemple ne repose-t-il pas, entre autres, sur sa stratégie logistique et son système de réapprovisionnement continu géré grâce à une plate-forme Internet (CRPF : Continuous Replenishment Program Forecasting)? Dans une étude réalisée auprès de 200 grandes entreprises canadiennes et américaines, Deloitte Consulting (1999) souligne que 47 % des répondants n’ont aucune stratégie formelle de gestion de la chaîne logistique (incluant l’externalisation et les relations avec les prestataires de services logistiques ou 3PL). Au sein de plusieurs entreprises où la logistique est considérée comme une activité secondaire, les chefs de service sont responsables des aspects logistiques de leurs opéra- Vol. 10 – N°1, 2002 Logistique & Management Figure 1 - Répercussions d’une saine gestion des activités logistiques tions respectives. Généralement peu familiers avec les notions fondamentales de la logistique, ces gestionnaires peuvent facilement avoir tendance à mettre l’accent sur les économies de coûts pour leur service, aux dépens des bienfaits globaux de l’intégration de la chaîne logistique et de ses implications pour chacun de ces services (Painter, 1994). Au Québec, par exemple, 15% des grandes entreprises n’ont pas de département/organisation logistique formelle ; respectivement 34% des moyennes entreprises et 53 % des petites entreprises se retrouvent également dans une situation comparable (Roy, 2002). Ce manque de coordination entre les services est souvent extrêmement coûteux pour les organisations. Intelligemment mise à profit, la gestion des activités logistiques peut en effet amener l’entreprise à accroître la qualité, à obtenir de meilleurs prix, à réduire les stocks et à répondre plus rapidement aux variations dans la demande (voir figure 1). Un site web configurant les commandes, l’intégration automatisée des commandes au plan de production et leur transmission simultanée aux fournisseurs ne sont que quelques exemples d’outils et de systèmes permettant à une organisation d’atteindre ces résultats. Au moment où ils constatent l’importance d’une stratégie logistique cohérente et des bénéfices qu’elle pourrait apporter à leur organisation, les dirigeants tentent habituellement de trouver une solution afin de pallier les faiblesses remarquées à ce niveau ; plusieurs d’entre eux se tournent alors vers l’externalisation des activités logistiques, souvent perçue comme salvatrice, ce qui est en soi une seconde fausse prémisse. La gestion des activités logistiques à l’externe est préférable L’externalisation de la gestion des activités logistiques est devenue une voie très tentante pour les entreprises désireuses de profiter des Vol. 10 – N°1, 2002 bienfaits d’une logistique stratégique. Très souvent, lorsque les dirigeants réalisent enfin l’importance de l’intégration de la chaîne logistique, leur premier réflexe est d’en confier la gestion à un prestataire de services logistiques qui établira une stratégie opérationnelle (transport et distribution) et orchestrera, par le fait même, l’ensemble des activités qui y sont reliées. Ce choix semble en harmonie parfaite avec la position de Prahalad et Hamel (1990) pour qui une entreprise devrait se recentrer sur ses compétences centrales (maximum cinq ou six) et externaliser systématiquement les autres activités (ce que Porter définit comme des activités de soutien). Cox (2001) abonde dans le même sens. On prend souvent cette décision sans réfléchir à toutes les conséquences qu’elle implique. On trouve des centaines d’articles portant sur les bienfaits de l’externalisation relatant les succès remportés par plusieurs organisations en ayant fait l’essai. Cependant, peu d’articles mettent en évidence les problèmes de communication que l’externalisation a entraînés entre les différents services d’une entreprise, les délais de livraison ratés, les employés révoltés par les coupures de postes, les gestionnaires mis à pied après l’échec du projet ou encore les poursuites qui s’éternisent après une rupture de contrat. Pourtant, tout cela est réel et fréquent (Lacity et Hirschheim, 1993 ; Laabs, 1998). Ces situations surviennent entre autres lorsqu’un dirigeant se lance dans un projet d’externalisation – quel qu’il soit – sans en comprendre toutes les implications et sans évaluer convenablement la possibilité de conserver la gestion des activités logistiques à l’interne. Confier la gestion de ces dernières à un tiers rend les employés plus craintifs de perdre leur emploi, une conséquence qu’entraîne souvent ce type de projet (Elmuti et al, 1998). Cela vient également placer un nouveau joueur sur l’échiquier logistique, ce joueur évoluant 79 Logistique & Management entre le donneur d’ordres et ses fournisseurs. Une toute nouvelle dynamique s’installe donc et il peut être difficile de gérer cette nouvelle situation. De plus, les baisses de coûts – habituellement le principal élément motivant une organisation à externaliser (Bardi et Tracey, 1991; Lieb et Randall, 1996 ; Daugherty, Stank et Rogers, 1996 ; Elmuti, Kathawala et Monipallil, 1998)–, ne sont pas toujours au rendez-vous. Le contrat, souvent financièrement très alléchant, qui a convaincu un gestionnaire d’externaliser à un prestataire, peut révéler des surprises. En effet, un grand nombre de dirigeants insatisfaits de leur expérience d’externalisation n’ont jamais vu les diminutions de coûts tant promises (Sink et Langley, 1997). Il est évident qu’un projet d’une telle complexité et comportant autant de risques ne doit pas être pris à la légère. Conserver cette activité à l’interne – quitte à mieux en intégrer les facettes – constitue une alternative qui devrait être considérée avec tout autant de sérieux que l’externalisation. Le gestionnaire doit être persuadé du bien-fondé de sa décision, car une fois le projet d’externalisation mis sur pied, il lui sera très difficile de revenir en arrière, les coûts de renonciation étant souvent très élevés. Qui plus est, toute stratégie d’externalisation doit faire l’objet d’une révision régulière, du fait que les activités créatrices de valeur et les compétences distinctives s’y rattachant évoluent dans le temps au rythme des goûts et des besoins des utilisateurs ou encore de l’évolution technologique. Par exemple, suite à certains problèmes rencontrés avec son fournisseur stratégique de composants électroniques Denso et du fait que ces systèmes représentent désormais 30% (et même un peu plus) d’un véhicule, Toyota a décidé il y a quelques années de réintégrer à l’interne une partie de la fabrication de ces systèmes. Les décisions concernant les activités logistiques doivent être prises à l’interne seulement Malgré tous ces risques et inconvénients, l’externalisation des activités logistiques peut quand même être une solution gagnante. Toutefois, une bonne préparation s’impose si on veut éviter de commettre un autre type d’erreurs : négliger d’impliquer ses partenaires dans les décisions importantes. L’externalisation de la gestion des activités logistiques a non seulement des implications majeures pour le donneur d’ordres, mais aussi pour ses fournisseurs, principalement pour 80 ceux de première ligne. Certains de ces fournisseurs sont appelés « fournisseurs privilégiés » (FP) et constituent l’une des catégories d’organisations avec lesquelles une entreprise interagit. Les FP peuvent être définis comme des partenaires possédant une capacité et des aptitudes supérieures pour offrir au donneur d’ordres un produit et un service constamment renouvelés, d’une qualité sans cesse rehaussée à un prix avantageux. La collaboration qu’ils entretiennent avec le donneur d’ordres est étroite et vise une coordination et une intégration accrues des compétences, en vue de créer des situations gagnant-gagnant, tout en partageant les risques. Les FP constituent donc un maillon central de la chaîne logistique et il est évident que des changements dans la chaîne auront nécessairement de grandes répercussions sur le fonctionnement de leur organisation. Fait surprenant, la majorité des décisions d’externalisation sont prises par le donneur d’ordres sans la moindre consultation de ses partenaires (fournisseurs, sous-traitants, équipementiers). Les résultats des études (peu nombreuses) ayant abordé ce sujet indiquent que ces décisions sont prises d’une manière très centralisée. À la limite, les entreprises vont recourir à une firme de consultants, à un distributeur ou à diverses sources d’informations comme la publicité des 3PL (Sink et Langley, 1997 ; Boyson et al, 1999. On constate ainsi que les FP prennent rarement part au processus de sélection du prestataire. L’entreprise qui externalise fait son choix selon ses propres critères, qui ne tiennent pas nécessairement compte des considérations logistiques de ses partenaires (Halley et Nollet, 2002). Le FP, qui a d’ores et déjà ses habitudes au niveau de la logistique opérationnelle avec le donneur d’ordres, se voit donc dans l’obligation d’évoluer selon de nouvelles règles, établies par une firme sous-traitante du donneur d’ordres et avec laquelle il n’a peut-être jamais transigé et qui ignore souvent tout des techniques développées par son organisation. Une telle approche peut être à la source de bien des problèmes. La nouvelle stratégie peut forcer un fournisseur à revoir ses processus et à les modifier d’une manière qui ne convient pas à son entreprise, entraînant ainsi des pertes de productivité. À long terme, ces pertes peuvent devenir non seulement très coûteuses pour lui, mais aussi pour le donneur d’ordres. Vol. 10 – N°1, 2002 Logistique & Management Les fournisseurs privilégiés sont les plus aptes à fournir une contribution élevée au niveau de la logistique Afin d’éviter tous les désagréments qu’implique l’externalisation de la gestion des activités logistiques à un prestataire externe, plusieurs organisations décident d’en confier une partie à leurs FP. Les racines du terme “impartition” étant les mots partage et confiance, cette décision peut sembler des plus logiques, puisque ces termes représentent également les principales caractéristiques d’une relation unissant un donneur d’ordres et un FP. Puisqu’ils offrent déjà une performance supérieure à plusieurs niveaux (Stuart, 1997), qu’une bonne communication et un haut degré de confiance sont installés entre les parties, on peut être porté à croire qu’ils excelleront également au plan de la logistique. Comme le soulignent Christopher et Jüttner (2000), un donneur d’ordres qui donne plus de contrats à ses fournisseurs privilégiés et qui investit plus d’énergies et de ressources dans ces relations aura systématiquement tendance à avoir de plus grandes attentes face à eux. Les résultats d’une étude menée auprès de 50 fournisseurs d’une grande multinationale canadienne viennent toutefois contredire cette hypothèse pourtant fort logique (Halley, 2000). Dans cette recherche, l’auteur a observé que les FP contribuaient souvent moins que les autres fournisseurs à l’intégration de la chaîne logistique du donneur d’ordres. Une définition des besoins incomplète par ce dernier lors de la sélection du FP pourrait expliquer un tel état de faits. En effet, rien dans les écrits n’indique que les capacités au niveau logistique comptent pour beaucoup dans le processus de sélection des fournisseurs de première ligne : on rechercherait plutôt des attributs au niveau de l’innovation, des coûts et de la qualité. Le FP, dont la fonction est principalement centrée sur le produit (innovation, coûts et qualité), pourrait donc être amené à développer ces capacités au détriment de celles reliées à la gestion des flux (la logistique). vation au niveau de la logistique. Finalement, la perception de l’importance limitée de ces activités, ainsi que la faible quantité de ressources humaines et financières qui leur sont attribuées au sein de plusieurs organisations seraient également à la source de leur sous-performance. Il en ressort donc que les organisations qui incluent leurs FP dans leur stratégie logistique devraient soit réviser leur choix, soit tenter de trouver certaines solutions qui contribueraient à hausser la contribution logistique de leurs FP. Recommandations aux gestionnaires La discussion sur les causes possibles de ces quatre fausses prémisses et certaines de leurs conséquences nous a permis de développer un cadre décisionnel qui pourrait guider le dirigeant dans sa décision d’externalisation. Puisque chaque organisation se caractérise par différentes ressources, aptitudes et philosophies, il est évident qu’une stratégie logistique individuelle sera de mise. Afin de déterminer celle qui semble la plus adéquate pour son organisation, le dirigeant peut cheminer par une série d’interrogations (voir figure 2). Réaliser l’importance de la logistique La première étape de ce processus (étape 1 de la figure) est de reconnaître que la logistique Figure 2 - Cheminement suggéré dans la détermination d’une stratégie logistique D’autres facteurs pourraient être à l’origine de la faible performance de certains FP au niveau de la logistique. Le fait d’entretenir une relation à long terme avec un partenaire engendre souvent un profond sentiment de sécurité et même de dépendance face à ce dernier, ce qui pourrait causer, pour certaines entreprises, de l’inertie au plan logistique. D’autre part, le contrôle qu’effectue le donneur d’ordres sur les activités de ses partenaires de première ligne limiterait leur créativité et leur capacité d’inno- Vol. 10 – N°1, 2002 81 Logistique & Management est une activité importante pour toute entreprise et que la négliger implique de renoncer à un avantage concurrentiel potentiel. Comme le soulignent de plus en plus de grands donneurs d’ordres dans les industries de l’automobile et de l’aéronautique, la conception, le développement et la fabrication (le manufacturing) sont désormais des acquis en ce qui a trait à la prestation attendue des sous-traitants. Il faut désormais que ceux-ci soient également aptes à générer une performance logistique, soit une capacité à gérer étroitement les cycles, à raccourcir les délais de livraisons, à réagir rapidement et à faire preuve de beaucoup de flexibilité. Pour ce faire, le gestionnaire doit tout d’abord déterminer si son organisation a les ressources nécessaires à l’élaboration d’une stratégie logistique correspondant à ses besoins et faire en sorte que celle-ci s’adapte aux caractéristiques de chacun des services. Cela se traduit habituellement par l’ajout de compétences logistiques au niveau de la direction (à tout le moins s’assurer que certains dirigeants aient une vision logistique développée), par un soutien financier (acquisition de nouvelles technologies logistiques ou de systèmes d’aide à la prise de décision) et par l’implication des dirigeants des divers services de l’entreprise dans les activités menant à l’élaboration de la stratégie logistique en tant que telle (fonction ou direction logistique, restructuration et regroupement de toutes les opérations physiques sous une même unité logistique, etc.). C’est alors que débute le processus décisionnel menant réellement à la mise sur pied de la stratégie. Le dirigeant a la responsabilité de fixer des objectifs globaux et d’établir les grandes lignes de ses différents projets logistiques (stratégie de production, segmentation et politique de service à la clientèle, partenariat et nature des ententes, stratégie de distribution, etc.). C’est souvent le moment que choisit le gestionnaire pour se tourner vers l’externalisation, croyant cette solution plus simple, plus efficace et surtout, plus économique qu’un réaménagement de certaines structures de l’organisation. Définir si la logistique doit être conservée à l’interne ou non Quoique des entreprises aient réduit leurs coûts suite à l’externalisation de leurs activités logistiques, cette stratégie ne convient pas à toutes. Il est nécessaire d’évaluer s’il ne serait pas préférable de conserver cette activité à l’interne (étape 2). En effet, qu’un prestataire soumette une proposition plus allé- 82 chante financièrement que celle bâtie par l’équipe interne (si une telle proposition de l’interne existe) n’implique pas qu’il faille absolument se lancer dans cette voie. Il est d’abord important de se demander pourquoi leur proposition semble meilleure. Peut-on en faire autant (Lacity et Hirchheim, 1993)? Il faut tenir compte des réponses à ces questions ainsi que des conséquences – difficultés accrues de coordination, coûts de transaction qui en découlent, besoin de rehausser la compatibilité et la qualité des systèmes, investissements nécessaires, etc. – de la décentralisation qu’implique l’externalisation et du suivi nécessaire qui en résulte afin de s’assurer de la conformité de la prestation, avant d’opter pour conserver à l’interne ou non. En d’autres mots, les gestionnaires ne doivent pas se laisser aveugler par les économies que laissent miroiter les futurs sous-traitants, puisque celles-ci ne sont généralement basées que sur les coûts de production (en intégrant parfois ceux de livraison). Qui plus est, une part significative des économies proposées sont le résultat d’économies d’échelle auxquelles les donneurs d’ordres peuvent eux-mêmes directement accéder. Choisir le prestataire en incluant les fournisseurs privilégiés Deux conclusions peuvent ressortir de cet examen : il peut sembler préférable pour l’entreprise d’externaliser la gestion de ses activités logistiques, ou encore de conserver celles-ci à l’interne. Dans l’éventualité où l’externalisation serait la solution qui convienne le mieux à son organisation, le gestionnaire peut commencer à rechercher un prestataire à qui confier la gestion de ses activités (étape 3.1). Nous croyons essentiel d’inclure les FP dans ce processus, afin de trouver un prestataire pouvant répondre non seulement à ses critères, mais également aux leurs. Une participation aux décisions, en plus de leur procurer un certain sentiment de valorisation et de leur permettre de mieux comprendre les enjeux, les motivera à s’investir plus intensément dans la nouvelle relation, ce qui accroît les chances de succès. De plus, le fait de tenir compte des systèmes logistiques des partenaires déjà en place fera en sorte de réduire les risques inhérents à une nouvelle chaîne logistique, tout en simplifiant au maximum les opérations reliées à la chaîne physique (réception, manutention, entreposage, consolidation, etc.). Si le nouveau système tient compte des installations et systèmes de tous et qu’il est conçu en conséquence, les Vol. 10 – N°1, 2002 Logistique & Management chances de réussite sont meilleures. Par la suite, ce sera à chacune des parties de faire preuve de patience, de respect et même d’indulgence, afin de rendre ces nouvelles relations les plus harmonieuses possible. Veut-on confier certaines activités à nos fournisseurs privilégiés ? Il est possible que le gestionnaire découvre qu’il soit plus avantageux de conserver la gestion de certaines activités logistiques à l’interne. Il est toutefois peu fréquent qu’une organisation soit en mesure de prendre en charge l’aspect opérationnel de toutes les tâches logistiques. Par exemple, une entreprise peut gérer sa propre distribution, mais sous-traiter le transport à une firme spécialisée. Plusieurs organisations demandent à leurs FP de gérer certaines activités au niveau logistique (stocks en consignation, réapprovisionnement continu géré par le fournisseur, VMI ou Vendor Management Inventory). Or, le dirigeant devrait tout d’abord évaluer s’il peut leur confier ces tâches (étape 3.2). Tel que mentionné par Halley (2000), peu d’entre eux sont en mesure d’offrir, à ce niveau, une performance correspondant à ce qu’on attendrait normalement d’un fournisseur appelé “privilégié”. Le gestionnaire doit donc s’assurer qu’ils possèdent les capacités requises, avant de leur imposer cette nouvelle responsabilité. Il existerait toutefois des moyens permettant de hausser la contribution logistique de ces fournisseurs. Le dirigeant qui désire inclure les FP dans sa stratégie logistique pourrait appliquer quatre principes fondamentaux afin d’y arriver, soit : • encourager les dirigeants de l’entreprise partenaire à développer un intérêt face aux services logistiques ; • décentraliser les décisions et favoriser l’autonomie des fournisseurs, ce qui réduira le sentiment de sécurité du fournisseur et stimulera sa créativité ainsi que son sens de l’innovation ; • fournir un support technique et financier aux fournisseurs privilégiés – et peut-être même à d’autres fournisseurs – souhaitant développer leur stratégie logistique ; • redéfinir la stratégie d’approvisionnement chez les partenaires, en y intégrant à la base la recherche de qualité au niveau logistique. Une telle approche pourrait permettre aux donneurs d’ordres de pallier plusieurs des lacunes remarquées chez les FP au niveau logistique. Elle peut être intéressante pour les Vol. 10 – N°1, 2002 entreprises ayant déjà ce type de relations avec leurs FP, en leur permettant de rehausser la valeur de ce partenariat. Pour celles dont la stratégie est en train d’être mise sur pied, il est évidemment conseillé d’examiner différentes alternatives, dont celle de faire appel à des firmes privées (en transport, entreposage etc.), à ses fournisseurs actuels (privilégiés ou non), ou encore de réorienter ses choix de partenaires en accordant une importance accrue au volet logistique. Conclusion L’identification de ces quatre fausses prémisses et de leurs conséquences devrait amener tout gestionnaire à réaliser que l’externalisation n’est pas la solution miracle qui résoudra tous ses problèmes logistiques, mais plutôt une stratégie parmi d’autres pouvant être utilisées pour soutenir la stratégie globale de l’organisation. Un examen approfondi est nécessaire pour établir une stratégie logistique efficace. Le cheminement présenté dans cet article peut aider le dirigeant dans sa démarche, lui permettant d’éviter de tomber dans les pièges des réponses préfabriquées tirées des histoires à succès de diverses organisations. Nous espérons que nos propos soulèveront plusieurs autres interrogations, auxquelles cet article ne visait pas à répondre (par exemple : Quel degré de responsabilité doit-on confier à ses partenaires ? Jusqu’à quel point doit-on intervenir dans les relations entre son prestataire de services logistiques et ses FP ?). Ce sera au dirigeant d’y répondre en mettant tout en œuvre afin de faire en sorte que les éléments de ses réponses s’harmonisent à ceux de son environnement. Le jeu en vaut toutefois la chandelle. Dans un monde aussi concurrentiel que celui dans lequel nous évoluons, il est essentiel qu’une entreprise se distingue de ses concurrents ; une stratégie logistique bien développée peut fort bien faire la différence. 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