Enjeux du remplissage vasculaire et optimisation

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Enjeux du remplissage vasculaire et optimisation en Anesthésie
Réanimation. Quels bénéfices pour nos patients ?
Introduction
Le but ultime du remplissage vasculaire est d’augmenter le transport en oxygène par le biais
d’une augmentation du débit cardiaque induite par une augmentation du retour veineux. En
période per opératoire, le véritable objectif du remplissage vasculaire et de l’optimisation
hémodynamique est la diminution de la morbi-mortalité postopératoire et du coût de la prise
en charge médico chirurgicale. Tout le concept d’optimisation hémodynamique au bloc
opératoire (essentiellement basé sur les stratégies de prise en charge du remplissage) repose
sur un nombre importants d’études cliniques, venant toutes de différentes régions du globe, et
montrant in fine que l’optimisation de l’hémodynamique et du remplissage vasculaire basée
sur le monitorage de paramètres aboutissant au transport en oxygène (en particulier le débit
cardiaque) permet de diminuer la morbi mortalité postopératoire et de diminuer le coût de la
prise en charge médico chirurgicale.
Deux questions peuvent se poser :
1) Comment gérer le paradoxe apparent qui existe entre d’une part le concept de
restriction hydrique (améliorant la morbi-mortalité postopératoire) et celui
d’optimisation du remplissage (ayant aussi montré une amélioration de la morbi
mortalité postopératoire). Les deux concepts ne sont pas antinomiques et, au contraire,
semblent être complémentaires. Tout dépend du type de soluté de remplissage
envisagé et de la manière de l’administrer.
2) Même si l’optimisation du débit cardiaque au bloc opératoire au cours de la chirurgie à
haut risque permet d’améliorer le pronostic des patients, le monitorage du débit
cardiaque est encore peu utilisé dans ce but en période per opératoire. Paradoxalement,
en réanimation, malgré l’absence de données fortes, le monitorage du débit cardiaque
est utilisé quotidiennement pour la prise en charge des patients en choc septique. Là
encore, s’agit-il réellement d’un paradoxe.
Le concept d’optimisation hémodynamique au bloc opératoire
Un remplissage vasculaire inadéquat va le plus souvent entraîner une augmentation des
complications postopératoires. Un remplissage insuffisant diminue le volume d’éjection
systolique et le transport en oxygène. Ce phénomène va entraîner une redistribution du débit
cardiaque et du transport en oxygène vers les organes « les plus importants » (cerveau, cœur)
en opérant un sacrifice des organes « moins importants » (peau, appareil digestif, reins). Il
existe alors une diminution de la perfusion splanchnique avec une majoration des
complications digestives postopératoires (nausées, vomissements), un allongement de la
reprise du transit induisant une augmentation de la durée de séjour à l’hôpital. Le premier
message est donc que l’appareil digestif est le premier à être atteint en cas de baisse du
transport en oxygène per opératoire.
Inversement, un remplissage excessif au bloc opératoire va aussi entraîner un certain nombres
d’effets indésirables tels qu’une augmentation du liquide interstitiel (par passage
intravasculaire vers l’intersticium) induisant un œdème tissulaire, responsable d’un
déséquilibre au niveau de l’apport en oxygène aux tissus concernés. Evidemment, cet effet va
dépendre en partie du type de solution employée (cristalloïdes, colloïdes). Nous n’aborderons
pas ici en détail l’intérêt de tel ou tel type de soluté de remplissage par rapport aux autres.
Cependant, il semblerait qu’il n’existe pas là non plus d’antinomie entre cristalloïdes et
colloïdes mais qu’une approche combinée puisse être raisonnablement proposée (cristalloïdes
pour l’hydratation avec le concept de restriction hydrique et colloides pour l’optimisation
hémodynamique).
Sur quels paramètres optimiser l’hémodynamique périopératoire
Le but essentiel est d’optimiser le transport en oxygène vers les tissus de l’organisme. Ce
transport en oxygène va dépendre de plusieurs facteurs dont le débit cardiaque, la SaO2, et le
taux d’hémoglobine. Les paramètres qui, de près ou de loin, sont liés à ces différents items
sont potentiellement utilisables pour l’optimisation hémodynamique au bloc opératoire.
Mesure des pressions intravasculaires
De manière générale il n’existe aucune preuve montrant que l’optimisation des pressions
intravasculaires (quelles qu’elles soient) permette d’atteindre l’objectif de l’optimisation
hémodynamique à savoir le transport en oxygène.
La pression artérielle systémique
La pression artérielle ne reflète pas la perfusion tissulaire de manière adéquate Une pression
artérielle « normale » n’exclut pas la présence d’une hypovolémie et d’une diminution de la
perfusion tissulaire. Une spoliation sanguine de plus de 25 à 30 % peut n’avoir aucune
répercussion sur la pression artérielle. Pour chaque individu il existe une valeur inférieure de
pression artérielle au dessous de laquelle la perfusion tissulaire va diminuer. Cette valeur de
pression artérielle moyenne va dépendre en partie des données hémodynamiques
préopératoires du patient. L’anesthésiste devra éviter de faire passer son patient au dessous de
cette valeur seuil au cours de l’intervention. Cependant, si cette attitude est nécessaire afin de
ne pas tomber dans le piège de l’hypoperfusion tissulaire (en particulier rénale et digestive) il
faut bien se rappeler que cette attitude ne semble pas suffisante pour éviter l’ hypoperfusion
puisqu’une hypovolémie peut exister en présence d’une pression artérielle normale.
Les pressions de remplissage ventriculaires
Hormis dans des situations caricaturales, la mesure des pressions de remplissage
ventriculaires (pression veineuse centrale (PVC) et pression artérielle pulmonaire occluse
(PAPO)) ne permet pas de prédire la réponse au remplissage vasculaire. De fait,
l’optimisation de ces mêmes paramètres ne garantit pas l’optimisation du débit cardiaque et
du transport en oxygène. Les études qui ont tenté d’évaluer l’impact d’une stratégie
d’optimisation de l’hémodynamique à partir de l’optimisation de ces paramètres n’ont pas mis
en évidence de résultats très satisfaisants.(Venn ?)
Les variations respiratoires des paramètres de pressions artérielles
Chez les patients sous anesthésie générale et ventilation mécanique, les variations
respiratoires observées dans le volume d’éjection systolique ventriculaire gauche ou dans ses
dérivés (pression artérielle systolique ou pulsée) permettent de prédire de manière sensible et
spécifique la réponse au remplissage vasculaire. Ce concept a été démontré de manière claire
en anesthésie et en réanimation. En précisant sur quelle partie de la courbe de Franck-Starling
se trouve un patient, ces paramètres nous apprennent si le patient présente une réserve de
précharge lui permettant d’augmenter son débit cardiaque en réponse à un remplissage
vasculaire. Basés sur des concepts de physiologie et sur l’analyse des interactions cœur
poumons, ces paramètres sont aujourd’hui monitorés par un certain nombre de technologies
(1). Ce passage d’un paramètre physiologique à un paramètre utilisable en clinique grâce à la
technologie a le potentiel d’amener ses concepts dans le domaine de l’optimisation
hémodynamique au bloc opératoire (2). Actuellement, seuls quelques travaux se sont
intéressés à ce sujet avec des résultats encourageants mais les données ne sont pas encore
suffisantes pour permettre de recommander leur optimisation en pratique clinique (3,4).
Le débit cardiaque
De nombreuses études ont déjà montré que l’optimisation du débit cardiaque au bloc
opératoire avait un impact certain sur la morbi-mortalité postopératoire(5-8). L’outil de
monitorage le plus souvent utilisé dans ces études était le Doppler oesophagien. Cependant, il
est raisonnable de penser que n’importe quel outil de monitorage du débit cardiaque (pour
peu qu’il soit validé) pourrait permettre ce type d’approche. Ce concept repose sur la titration
du remplissage en observant l’effet de ce dernier sur le débit cardiaque. Il s’agit alors de
remplir le patient par paliers jusqu’à ce que le débit cardiaque n’augmente plus.
Cette approche a permis de mettre en évidence une diminution des complications digestives
postopératoires, une diminution de la durée de séjour en soins intensifs et en hospitalisation
générale, et de diminuer le coût de la prise en charge médico-chirurgicale.
Cependant, malgré ces preuves cliniques fortes, reproductibles, comment expliquer que ce
type d’approche ne soit pas plus utilisée aujourd’hui dans le monde ? Actuellement, seul
l’Angleterre semble avoir réellement fait entrer cette attitude dans les blocs opératoires.
Le transport en oxygène
Ce paramètre a été étudié dans de nombreuses études en tant qu’objectif de la prise encharge
hémodynamique. Les algorithmes utilisés pour l’optimisation de la DO2 reposaient non
seulement sur le remplissage vasculaire mais aussi sur l’utilisation d’inotropes (dobutamine)
et de transfusion(9,10). Certaines technologies permettent le monitorage continu de la DO2.
Malgré des résultats intéressants, l’application en pratique clinique n’a malheureusement pas
trouvé sa place.
Autres paramètres
D’autres paramètres tels que la SvO2 sont en cours d’évaluation pour l’optimisation de
l’hémodynamique au bloc opératoire. Ce paramètre paraît évidemment séduisant puisqu’il fait
le lien entre la consommation en oxygène par l’organisme et la délivrance en oxygène. En
réanimation ce concept a été montré par Rivers et al. (11) mais il n’est pas démontré en
anesthésie. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit qu’il existe une différence entre la SvO2
mesuré dans l’artère pulmonaire et la ScvO2 mesurée dans la veine cave supérieure.
D’autres paramètres paraissent séduisant tels que le monitorage de la microcirculation par la
spectroscopie dans le proche infrarouge, la tonométrie gastrique, ou encore le monitorage des
variations respiratoires de l’onde de pléthysmographie (à l’instar des variations respiratoires
de la pression artérielle)(12). Cependant, même si ces concepts sont séduisants, ils sont encore
loin d’être applicables en pratiques cliniques avec des protocoles d’optimisation bien définis.
Conclusion
A ce jour, l’approche la plus simple pour optimiser l’hémodynamique périopératoire revient à
maintenir une pression artérielle moyenne au dessus d’un certain seuil au dessous duquel la
perfusion tissulaire est altérée. Ce seuil dépend du patient et de ses données hémodynamiques
préopératoires. Cependant, le maintien d’une pression artérielle « normale » voir « sub
normale » ne suffit absolument pas car elle ne garantit en rien l’absence de baisse de la
perfusion tissulaire. L’optimisation de l’hémodynamique devrait donc se baser sur d’autres
paramètres. De très nombreuses études ont démontré que l’optimisation du débit cardiaque
permettait d’améliorer la prise en charge médico-économique de nos patients. Pourtant, le
monitorage du débit cardiaque reste sous employé en anesthésie. D’autres méthodes
d’optimisation semblent envisageables. Certaines, basées sur le monitorage des variations
respiratoires de la pression artérielle ou de la pléthysmographie doivent être validées et sont
encore loin d’être recommandables en l’état. D’autres, plus complexes, ont fait la preuve de
leur efficacité mais ne sont pas toujours disponibles facilement (DO2).
Il est probable que dans le futur, l’approche consistera en un monitorage multimodal avec des
paramètres associés reflétant au mieux le transport et la consommation en oxygène (débit
cardiaque, hémoglobine, saturation veineuse en oxygène, saturation tissulaire en oxgène,
paramètres dynamiques de précharge dépendance, etc…).
Références
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Sinclair S, James S, Singer M: Intraoperative intravascular volume
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Pearse R, Dawson D, Fawcett J, et al: Early goal-directed therapy after major
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Shoemaker WC, Appel PL, Kram HB, et al: Prospective trial of supranormal
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Rivers E, Nguyen B, Havstad S, et al: Early goal-directed therapy in the
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Cannesson M, Attof Y, Rosamel P, et al: Respiratory variations in pulse
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operating room. Anesthesiology 2007; 106: 1105-1111
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