En arrivant à Lisbonne, les voyageurs de passage étaient tout particulièrement
déconcertés par la promiscuité entre les Blancs et les Noirs, et lemploi des esclaves
pour la plupart des tâches du quotidien. Pour un étranger, lentrée dans une ville
et un nouvel espace était un « vrai rite dinitiation, où sopère la reconnaissance
des diérences ». En , lhumaniste amand Nicolas Clénard décrivit la ville
dÉvora et sa population esclave en des termes dune grande violence verbale :
« j’ai cru avoir pénétré dans quelque cité de diables, tant j’y rencontrais partout des
nègres : une race que je déteste au point qu’elle surait à elle seule à me faire déguer-
pir [ … ] Tout ici est plein d’esclaves. Ce sont des nègres (Aethiops) et des maures
captifs qui font tout. Le Portugal est si peuplé d’esclaves [de ce genre d’hommes]
que je croirais bien qu’à Lisbonne il y a plus d’esclaves des deux sexes que de libres
Portugais. À peine trouvera-t-on une maison qui n’ait, au moins, une servante esclave.
Celle-ci achète au dehors tout ce qui est nécessaire, lave les vêtements, neoie le
carreau, [va à l’eau], enlève, le moment venu, les ordures de toute espèce [humaines
et domestiques]. Bref, elle est esclave et, à part le visage, ne dière en rien des bêtes
de somme. »
Dans ce passage, daté de la première moitié du e siècle, on retrouve déjà
la perception dépréciative de lesclave noir. Le terme de maure était employé pour
désigner les esclaves musulmans, ennemis de la nation chrétienne, alors que la
catégorie de « nègre » englobait les Noirs, animistes, chrétiens ou musulmans.
Pour Clénard, la « race » ne renvoyaient pas à une doctrine institutionnalisée telle
quelle se développa au e siècle, mais elle présupposait déjà une hiérarchie
dépréciative entre les hommes fondée sur lassociation entre les caractéristiques
biologiques du Noir (la couleur de peau, les cheveux, la morphologie du visage, etc.)
et les représentations discriminantes (comportement, culture, etc.) qui y étaient
associées. Certains ont pu y voir une première institutionnalisation de la « racia-
lisation » de la gure de lesclave. La couleur de la peau signalait un statut social
inscrit dans la mémoire collective, une naissance et une ascendance étrangères. À
son arrivée au Portugal, lesclave africain était débarqué, lavé, évalué, promené nu
à travers les artères des villes et vendu aux enchères. En quelques jours, il passait
de la cale dun navire aux mains dun maître blanc qui était tenu de le baptiser, de
lui enseigner les rudiments de la foi, de la langue portugaise, de le nourrir, le vêtir
mais aussi de lui apprendre un métier.
Le renoncement à lanimisme ou à lislam, ladoption dun nom portugais, la
participation aux cérémonies religieuses inscrivaient lesclave noir dans lespace de
la paroisse (eguesia) ; lexercice dune activité professionnelle linscrivait dans
les structures sociales. Lesclave africain devait se plier à la loi du groupe : lesclave
« acculturé » (ladino) incorporait non seulement la chrétienté et la société, mais
Africaines esclaves au Portugal