• Martial POIRSON, « L'allégorie théâtrale au secours du débat d'idées à l'âge classique : continuation de la lutte symbolique par
d'autres moyens »
Martial Poirson a présenté une étude d'un corpus souvent peu considéré, à savoir les comédies allégoriques à vocation
agonistique du long XVIIIe siècle. En effet, ces pièces mettent en scène les conflits qui ont agité la France de l'époque et sont le
lieu propice d'une réflexion méta-théâtrale. Dans ces pièces, c'est la possibilité d'une analogie entre les disputes dans le monde
et leurs versions scéniques qui est en jeu.
Dans les comédies allégoriques, le dispositif théâtral mis en œuvre est assez spécifique puisque des figures allégoriques sont
mélangées à des figures traditionnelles de la comédie et que toute la dramaturgie se trouve inféodée aux visées allégoriques du
dramaturge. En d'autres termes, l'allégorie tend à impliquer le spectateur davantage dans la pièce et à reconfigurer le pacte de
créance. En effet, dans ces comédies allégoriques, les conditions de la représentation théâtrale sont souvent à l'origine de la
forme et du sujet de cette même représentation.
Parmi les comédies allégoriques, la comédie à audience, où la scène devient semblable à un tribunal et où le public devient le
souverain juge de la représentation en cours, est d’une importance particulière. Le pacte allégorique y est en effet
complètement rompu puisque la pièce n'a de cesse de renvoyer à elle-même, ce qui peut cependant lui permettre d'aborder
d'autres sujets polémiques. Le public devient donc à la fois un juge impartial et pur et un personnage soumis à diverses
pressions. La comédie allégorique à audience tend donc à reconfigurer sans cesse les rapports entre la salle et le plateau.
La structure fondamentalement aporétique de ces comédies allégoriques qui transforment le théâtre non en un espace
consensuel mais en une place publique de débats, notamment lorsqu'elles prennent la forme de comédies à audience. Cela est
d'autant plus frappant que ces comédies ont connu leur heure de gloire juste avant l'avènement du tribunal comme instance de
légitimation politique sous l'Empire.
• Emmanuele DE LUCA, « La Dispute du tragique et du comique au milieu du XVIIIe siècle »
Emmanuele de Luca a commencé par rappeler les conflits opposant la Comédie-Italienne et la Comédie-Française au XVIIIe
siècle. En 1732, le roi trancha finalement en faveur des Comédiens Français en interdisant à la Comédie-Italienne de produire
autre chose que des pièces italiennes et des parodies. Cependant, le genre parodique a permis aux auteurs travaillant pour les
Comédiens Italiens d'aborder les disputes du siècle de façon très originale en articulant des discours dramatiques, théoriques, et
poétiques. C'est en gardant ce contexte à l'esprit qu’il s’agit d’aborder un cas particulier de parodie, La Dispute du tragique et
du comique, de Riccoboni et Romagnesi.
Cette pièce, qui est d'abord une parodie du Mahomet Second de Sauvé de la Noue, permet en fait aux auteurs, grâce à la
transposition parodique, de prendre position dans les débats qui agitaient le monde du théâtre au XVIIIe siècle. En effet,
puisque le personnel royal de la tragédie est transformé en acteurs de la comédie-fran çaise, Riccoboni et Romagnesi peuvent
développer une pensée méta-théâtrale. Premièrement, la parodie permet aux Italiens de se moquer des Français, et,
deuxièmement, sur le plan allégorique, la pièce est une charge contre ce que les auteurs perçoivent comme des dérives du
théâtre du XVIIIe siècle. Outre que les auteurs commencent la pièce par une attaque contre les conventions invraisemblables de
la tragédie en mettant en valeur l'artificialité des rôles de confident, la transformation de Mahomet en acteur tragique et du
personnage d'Irène, la chrétienne aimée du Sultan, en actrice comique nommée Agnès est l'occasion pour les auteurs italiens de
dénoncer la porosité des genres au XVIIIe siècle. L'acteur tragique amoureux de l'actrice comique représente un dévoiement
des deux genres, la tragédie devenant romanesque et amoureuse et la comédie pathétique et larmoyante. Au dénouement de la
parodie, l'acteur tragique tue l'actrice comique, appelée Agnès, comme l'héroïne de l'École des femmes. On peut y voir un
rappel par les auteurs italiens de la grandeur de la comédie classique française qui se trouvait grandement menacée par la mode
de la comédie pathétique.
La Dispute du tragique et du comique fut un échec commercial, sans doute du fait de ses multiples références. Aujourd’hui, la
pièce offre une bonne illustration des rapports conflictuels entre théâtres privilégiés et théâtres non-privilégiés.
À la fin de cette première session, Alain Viala a rapproché ces interventions des derniers travaux de l'équipe AGON et a posé
une question sur les rapports entre querelle et plaisir. En effet, étymologiquement, la dispute renvoie à une discussion
argumentée pour trouver le vrai tandis que la querelle suppose un dol, un tort à réparer. M. Viala s'est donc interrogé sur le
type de plaisir propre à la découverte du vrai et sur la nature du plaisir que l'on pouvait éprouver à voir un tort réparé, ou non
réparé, et au rôle que ce plaisir pouvait jouer dans le jugement. M. Poirson a profité de cette intervention pour rappeler la
fréquence avec laquelle on trouvait des querelles irréconciliables dans les textes qu'il avait étudiés, ce qui met en valeur l'aspect
problématique des rapports entre plaisir et résolution de la querelle. D'où une nouvelle hypothèse de M. Viala sur le fait que le
plaisir propre à la querelle représentée viendrait d'une satisfaction fondée sur un rapport de force favorable puisqu'il n'est
souvent pas possible de juger en usant d'arguments de raison permettant de délibérer sur le vrai. Emmanuele de Luca est
intervenu dans la discussion en précisant que, d'après lui, le plaisir ne venait pas d'une résolution plus ou moins forcée de la
querelle mais bien plutôt de la querelle elle-même que le public goûtait d'autant plus que le théâtre de la foire au XVIIIe siècle
abondait en références méta-théâtrales. M. Poirson a tenu à rappeler la part d'arbitraire qu'il y avait souvent dans la résolution
des querelles qu'il avait étudiées, ce qui a conduit à une question au sujet de la résolution possible des querelles par des coups
de bâtons et par un passage de la dispute argumentative à la querelle des corps. M. Poirson a répondu que, dans les pièces
allégoriques qu'il avait étudiées, le corps était souvent présent, mais que la bastonnade n'était que peu utilisée car elle venait
rompre le dispositif allégorique. Il a cependant tenu à rappeler qu'il y avait eu des pièces ouvertement pornographiques pendant