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Compte-rendu du colloque-festival
Scènes de dispute dispute et dramaturgie en France et en Grande-Bretagne (XVIe-XVIIIe siècles)
Quarrel scenes conflict and dramaturgy in French and Brisith theatre (16th-18th centuries)
Paris – 5-7 juin 2014
Compte-rendu par Pierre Labrune, Clara Manco, Cécilia Laurin et Caroline Descotes.
Introduction par Carle Bonnafou-Murat (président par intérim de l’universi Paris 3-Sorbonne nouvelle), Isabelle Bertola
(directrice du Mouffetard Théâtre des arts de la marionnette), Alain Viala (professeur à l’université d’Oxford, membre du
comité de pilotage de l’équipe ANR AGON), Bénédicte Louvat-Molozay (membre de l’IRCL et maître de conférences à
l’université Paul Valéry-Montpellier 3), Jeanne-Marie Hostiou (maître de conférences à l’université Paris 3-Sorbonne
nouvelle) et Sophie Vasset (maître de conférences à l’université Paris-Diderot).
SESSION 1 : « LES GENRES DE LA QUERELLE »
(Compte-rendu par Pierre Labrune)
Tiphaine KARSENTI, « Le Mythe de Troie dans les tragédies françaises de 1563 à 1715 »
Tiphaine Karsenti a présenté une étude des variations sur le sacrifice de Polyxène dans cinq tragédies françaises des XVIe,
XVIIe et XVIIIe siècles. Elle cherchait à montrer les enjeux à l'œuvre dans ces réécritures d'une scène topique de dispute au
sujet de la princesse troyenne. L'exposé a débuté par un bref rappel des sources antiques du motif, à savoir Hécube, d'Euripide,
et Les Troyennes de Sénèque, afin de mettre en valeur la différence entre ces deux modèles : chez Euripide, il n'y a pas de
véritable débat quant au sacrifice de la Troyenne, alors que Sénèque propose une véritable défense de Polyxène au nom des
valeurs stoïciennes. Chez le tragique grec, l'intérêt général que prône Ulysse l'emporte assez rapidement sur l'amour indigne
d'Agamemnon tandis que chez l'auteur latin, le sacrifice réclamé par Pyrrhus afin d'honorer son père apparaît comme un acte
injuste et inspiré par la fougue qui n'est finalement accompli qu'après l'intervention d'un devin exprimant la volonté des Dieux.
L'étude de la scène de la dispute au sujet de Polyxène dans ces cinq tragédies permet de percevoir une véritable évolution
dramaturgique au tournant des années 1640. En effet, alors que les deux premières pièces du corpus étudié, la Troade de
Robert Garnier [1579] et la Polixène de Claude Billard de Courgenay [1607] présentent des scènes de disputes où les
personnages échangent des sentences, la Troade de Sallebray [1640], celle de Pradon [1679] et la Polyxène d'Antoine de la
Fosse [1686] tendent à abréger la dispute héritée de Sénèque pour laisser place à l'action.
Les intentions didactiques de Garnier et de Billard sont claires puisqu'ils mettent en scène une opposition franche entre
Agamemnon et Pyrrhus pour le premier et Pyrrhus et Nestor pour le dernier. Robert Garnier présente un roi grec sentencieux et
pacifiste s'opposant à toute forme de violence tandis que Billard oppose Pyrrhe, figure du furieux sénéquien, à Nestor, la figure
du vieux sage, qui tend à promouvoir un néo-stoïcisme typique de la période succédant aux guerres de religion.
La Troade de Sallebray peut être considérée comme une pièce de transition puisqu'on y retrouve des éléments de la scène
agonistique héritée de Sénèque mais que cette dernière est abrégée afin de laisser place à l'action et à un monologue
d'Agamemnon révélant son amour. On voit donc à travers cet exemple que, dans les années 1630-1640, la dispute didactique
disparaît progressivement afin de laisser place au primat de l'action et des passions.
Cette évolution de la dispute didactique en affrontement entre deux passions est mise en évidence par les deux dernières pièces
du corpus. En effet, Pradon renforce la dimension amoureuse du conflit grâce à une construction en chiasme puisqu'il oppose à
Pyrrhus qui aime Andromaque et veut faire mourir Polyxène Ulysse qui aime Polyxène et souhaite la mort d'Astyanax.
Antoine de la Fosse, dans sa Polyxène, change la donne puisqu'il fait de Pyrrhus et de Polyxène des amoureux et que Polyxène
se jette finalement sur l'épée de Pyrrhus qui refuse de la tuer afin de mettre fin à cet amour interdit. Le sacrifice barbare se
transforme en mort héroïque. En d'autres termes, la dispute, dans cette pièce, a lieu entre les amants et il s'agit d'une opposition
entre la tendresse galante de la passion amoureuse et la grandeur des valeurs héroïques. Pyrrhus, incarnation de la tragédie
galante, se confronte aux valeurs héroïques des Troyens.
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Martial POIRSON, « L'allégorie théâtrale au secours du débat d'idées à l'âge classique : continuation de la lutte symbolique par
d'autres moyens »
Martial Poirson a présenté une étude d'un corpus souvent peu considéré, à savoir les comédies allégoriques à vocation
agonistique du long XVIIIe siècle. En effet, ces pièces mettent en scène les conflits qui ont agité la France de l'époque et sont le
lieu propice d'une réflexion méta-théâtrale. Dans ces pièces, c'est la possibilité d'une analogie entre les disputes dans le monde
et leurs versions scéniques qui est en jeu.
Dans les comédies allégoriques, le dispositif théâtral mis en œuvre est assez spécifique puisque des figures allégoriques sont
mélangées à des figures traditionnelles de la comédie et que toute la dramaturgie se trouve inféodée aux visées allégoriques du
dramaturge. En d'autres termes, l'allégorie tend à impliquer le spectateur davantage dans la pièce et à reconfigurer le pacte de
créance. En effet, dans ces comédies allégoriques, les conditions de la représentation théâtrale sont souvent à l'origine de la
forme et du sujet de cette même représentation.
Parmi les comédies allégoriques, la comédie à audience, la scène devient semblable à un tribunal et le public devient le
souverain juge de la représentation en cours, est d’une importance particulière. Le pacte allégorique y est en effet
complètement rompu puisque la pièce n'a de cesse de renvoyer à elle-même, ce qui peut cependant lui permettre d'aborder
d'autres sujets polémiques. Le public devient donc à la fois un juge impartial et pur et un personnage soumis à diverses
pressions. La comédie allégorique à audience tend donc à reconfigurer sans cesse les rapports entre la salle et le plateau.
La structure fondamentalement aporétique de ces comédies allégoriques qui transforment le théâtre non en un espace
consensuel mais en une place publique de débats, notamment lorsqu'elles prennent la forme de comédies à audience. Cela est
d'autant plus frappant que ces comédies ont connu leur heure de gloire juste avant l'avènement du tribunal comme instance de
légitimation politique sous l'Empire.
Emmanuele DE LUCA, « La Dispute du tragique et du comique au milieu du XVIIIe siècle »
Emmanuele de Luca a commencé par rappeler les conflits opposant la Comédie-Italienne et la Comédie-Française au XVIIIe
siècle. En 1732, le roi trancha finalement en faveur des Comédiens Français en interdisant à la Comédie-Italienne de produire
autre chose que des pièces italiennes et des parodies. Cependant, le genre parodique a permis aux auteurs travaillant pour les
Comédiens Italiens d'aborder les disputes du siècle de façon très originale en articulant des discours dramatiques, théoriques, et
poétiques. C'est en gardant ce contexte à l'esprit qu’il s’agit d’aborder un cas particulier de parodie, La Dispute du tragique et
du comique, de Riccoboni et Romagnesi.
Cette pièce, qui est d'abord une parodie du Mahomet Second de Sauvé de la Noue, permet en fait aux auteurs, grâce à la
transposition parodique, de prendre position dans les débats qui agitaient le monde du théâtre au XVIIIe siècle. En effet,
puisque le personnel royal de la tragédie est transformé en acteurs de la comédie-fran çaise, Riccoboni et Romagnesi peuvent
développer une pensée méta-théâtrale. Premièrement, la parodie permet aux Italiens de se moquer des Français, et,
deuxièmement, sur le plan allégorique, la pièce est une charge contre ce que les auteurs perçoivent comme des dérives du
théâtre du XVIIIe siècle. Outre que les auteurs commencent la pièce par une attaque contre les conventions invraisemblables de
la tragédie en mettant en valeur l'artificialité des rôles de confident, la transformation de Mahomet en acteur tragique et du
personnage d'Irène, la chrétienne aimée du Sultan, en actrice comique nommée Agnès est l'occasion pour les auteurs italiens de
dénoncer la porosité des genres au XVIIIe siècle. L'acteur tragique amoureux de l'actrice comique représente un dévoiement
des deux genres, la tragédie devenant romanesque et amoureuse et la comédie pathétique et larmoyante. Au dénouement de la
parodie, l'acteur tragique tue l'actrice comique, appelée Agnès, comme l'héroïne de l'École des femmes. On peut y voir un
rappel par les auteurs italiens de la grandeur de la comédie classique française qui se trouvait grandement menacée par la mode
de la comédie pathétique.
La Dispute du tragique et du comique fut un échec commercial, sans doute du fait de ses multiples références. Aujourd’hui, la
pièce offre une bonne illustration des rapports conflictuels entre théâtres privilégiés et théâtres non-privilégiés.
À la fin de cette première session, Alain Viala a rapproché ces interventions des derniers travaux de l'équipe AGON et a posé
une question sur les rapports entre querelle et plaisir. En effet, étymologiquement, la dispute renvoie à une discussion
argumentée pour trouver le vrai tandis que la querelle suppose un dol, un tort à réparer. M. Viala s'est donc interrogé sur le
type de plaisir propre à la découverte du vrai et sur la nature du plaisir que l'on pouvait éprouver à voir un tort réparé, ou non
réparé, et au rôle que ce plaisir pouvait jouer dans le jugement. M. Poirson a profité de cette intervention pour rappeler la
fréquence avec laquelle on trouvait des querelles irréconciliables dans les textes qu'il avait étudiés, ce qui met en valeur l'aspect
problématique des rapports entre plaisir et résolution de la querelle. D'où une nouvelle hypothèse de M. Viala sur le fait que le
plaisir propre à la querelle représentée viendrait d'une satisfaction fondée sur un rapport de force favorable puisqu'il n'est
souvent pas possible de juger en usant d'arguments de raison permettant de délibérer sur le vrai. Emmanuele de Luca est
intervenu dans la discussion en précisant que, d'après lui, le plaisir ne venait pas d'une résolution plus ou moins forcée de la
querelle mais bien plutôt de la querelle elle-même que le public goûtait d'autant plus que le théâtre de la foire au XVIIIe siècle
abondait en références méta-théâtrales. M. Poirson a tenu à rappeler la part d'arbitraire qu'il y avait souvent dans la résolution
des querelles qu'il avait étudiées, ce qui a conduit à une question au sujet de la résolution possible des querelles par des coups
de bâtons et par un passage de la dispute argumentative à la querelle des corps. M. Poirson a répondu que, dans les pièces
allégoriques qu'il avait étudiées, le corps était souvent présent, mais que la bastonnade n'était que peu utilisée car elle venait
rompre le dispositif allégorique. Il a cependant tenu à rappeler qu'il y avait eu des pièces ouvertement pornographiques pendant
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la Révolution, mais qu'il s'agissait là de problèmes tout à fait différents de représentation.
SESSION 2 : « LA THEATRALISATION DES DISPUTES HORS SCENE »
(Compte-rendu par Clara Manco)
Clothilde THOURET : « De la controverse sur le théâtre à la dispute dramatique »
Qu'il abrite concrètement la controverse (arrestation de comédiens, fermeture, etc) ou qu'il se fasse l'écho de ces débats (ex :
Tragédie de Saint Genest), le théâtre est par essence un espace de la dispute. Les pièces envisagées dans cette présentation ont
pour point commun la présence sur scène des deux partis (parfois simplement sous une forme narrativisée), pour et contre le
théâtre. Bartholomew Fair de Ben Jonson (31 octobre 1614) par exemple est un véritable théâtre de la dispute. S'opposent sur
scène le personnage de Littlewit, qui veut aller à la Foire, et un puritain-Tartuffe ridicule qui cherche à l'en empêcher. Les
différents point de litige (comme le travestissement des hommes en femmes) sont présentés sous la forme d'un débat entre
Busy, un parasite, hypocrite et obsédé sexuel, et une simple marionnette qui s'avère en réalité largement capable de mettre en
échec les pauvres arguments de son adversaire. La mise en scène du triomphe de la marionnette, que couronne une surenchère
d'injures et de violence verbale comique, disqualifie la controverse dans son ensemble par sa dimension à la fois satirique et
parodique. En répondant sur son propre terrain, le terrain fictionnel, Jonson reconfigure en profondeur le débat, voire le
disqualifie dans un retournement carnavalesque, et réaffirme ainsi la place du théâtre et de la foire dans la cité.
On observe une stratégie semblable dans le prologue des Chinois de Regnard où une jeune fille, interprétée par Pierrot, se voit
interdire d'aller au théâtre à cause de l'immoralité des pièces. Apollon lui-même lui répond par une défense rebattue des
bienfaits du théâtre, tandis qu'un autre personnage, Thalie, reconnaît que c'est la séduction et les plaisanteries qui en font
l'intérêt véritable... Brouillage des arguments, brouillage des sexes : ici aussi, c'est le principe-même de la controverse qui vole
en éclat.
Ainsi la scène de dispute, si elle offre aux deux camps un espace fictionnel mais néanmoins concret pour s'exprimer,
reconfigure radicalement les termes du débat pour disqualifier l'adversaire. La dramatisation de textes polémiques
fictionnalisés offre un nouvel éclairage sur la continuité réelle entre textes dramatiques et polémique : les limites du canon
pourraient ainsi s'en trouver, à leur tour, reconfigurées.
Judith LE BLANC : « Les querelles de l'opéra dans la comédie (XVIIe-XVIIIe siècles) »
Dès la naissance de l'opéra français, le théâtre en répercute les débats esthétiques sur le mode comique. On peut citer la
querelle matricielle entre la musique française et la musique italienne, ou celle autour de la remise en cause du récitatif
s'affrontent des arguments d'ordre patriotique (seul l'opéra français repose sur l'alternance chant/musique) ou esthétique
(principe du merveilleux réfuté).
La querelle des Lullistes conservateurs et des Ramistes après le choc des Indes Galantes est ainsi représentée comme une
nouvelle querelle des Anciens et des Modernes. Ces comédies rendent compte de la doxa davantage qu'elles n'expriment
d'opinion véritable, mais plaident tout de même légèrement en faveur de la nouveauté en mettant en scène, comme chez Boissy
dans Les Talents à la mode est représenté un Géronte conservateur, frileux et ridicule, s'opposant à sa fille Lucinde
partisane de la musique nouvelle.
L'invasion des bouffons italiens et la querelle qui s'ensuivit provoqua de même une remarquable inflation de textes. Dans Les
Adieux du goût de Patu et Portelance par exemple, le dieu du Goût revient à Paris pour constater qu'un Faux-Goût a pris sa
place. Il cherche à retrouver ses adeptes mais n'y parvient qu'avec le départ des bouffons.
On peut citer aussi la querelle des Gluckistes et des Piccinistes, mise en scène de façon cryptée dans L’Esprit de parti ou les
querelles à la mode de Chabanon, où sont représentés des personnages qui prennent parti à une querelle dont ils ne
comprennent pas les enjeux : les personnages sont rivaux presque malgré eux, et c'est en réalité l'esprit de parti qui est
responsable de cette guerre.
Ces comédies témoignent certes de la difficulté du public à accepter les nouveautés. Mais elles prennent en fait rarement parti
et préfèrent représenter de façon opportuniste les lieux communs du débat, ou un public dont elles caricaturent le goût du
conflit ou célèbrent le génie querelleur.
Jeffrey HOPES : « La révolte des acteurs contre la direction du théâtre de Drury Lane en 1733 : la théâtralisation d'une dispute
“hors scène” »
Londres, été 1733. Colley Cibber, acteur à succès, vend sa part de la licence du théâtre de Drury Lane. Son fils Théophilius,
acteur dans la même troupe, s'estime lésé par cette vente. Le conflit s'envenime, la presse s'en empare et une bande d'acteurs
frondeurs entame une grève (qui va durer toute une saison) et s'installe avec Théophilius au Haymarket. Les institutions
concurrentes de Drury Lane et Convent Garden se mettent d'accord chacune pour ne pas embaucher les acteurs qui auraient
déserté l'autre : mais malgré cette tentative de court-circuiter leurs revendications, les acteurs finissent par avoir gain de cause
un an après le début du conflit.
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C'est de cet épisode que naît Stage Mutinies or, A Playhouse to be Let qui rencontre un succès appréciable. Cette pièce parodie
l'ensemble du débat sur le mode burlesque en présentant des acteurs égoïstes (ils refusent de jouer des rôles qu'ils jugent
« indignes »), dans des costumes démodés, et dont les tirades hyperboliques sur la « liberté », aux tonalités anti-Walpole,
cherchent surtout à camoufler des motivations bassement pécuniaires. De leur côté, les managers sont aussi représentés comme
mûs par la cupidité et l'intérêt matériel, mais aussi la soif de pouvoir : obsédés par leurs comptes, ils considèrent les acteurs
comme de simples « vassaux ».
Le succès de la pièce tient sans doute à son absence de prise de parti : trop de sympathie pour les acteurs aurait risqué d'étendre
la grève à Covent Garden, mais trop de sympathie pour les managers impopulaires aurait été également dangereuse. Le conflit
de travail se transforme ainsi sur scène en spectacle purement amusant et burlesque : comme si tout ce qui relevait du théâtre
n'était voué, en définitive, qu'à rester du domaine du spectacle.
David WORRALL : « Quiet theatres, the rise of celebrity and the Case (of) Mr Macklin, Late of Covent Garden Theatre
(1774) »
Le cas Macklin est un cas juridique crucial dans l'historie du théâtre anglais. Autour de l'année 1800, l'activité théâtrale
présente un dynamisme colossal, avec des salles pouvant contenir jusqu'à 3000 personnes, et pas moins d'un million de tickets
vendus chaque année. Le public est néanmoins resté très turbulent, n'hésitant pas à crier, huer les acteurs ou appeler sur scène
le manager (Garrick) s'il est insatisfait, d'autant que la scène, la fosse, les galeries et les coulisses sont des espaces encore
perméables.
En 1773, Charles Macklin, acteur à succès (déjà condamné auparavant pour homicide) se fait huer alors qu'il joue Macbeth
no Macklin ! ») et pendant plusieurs nuits d'affilée, le public déchaîné l'oblige à s'agenouiller pour demander pardon.
Macklin perd son travail, mais traîne les agitateurs devant les tribunaux et gagne, comme en témoignent les transcriptions du
jugement.
Ce procès est un moment crucial pour le droit anglais, la « perte du moyen de subsistance » devient une charge recevable.
Mais c'est aussi un moment important de l'histoire du théâtre : le législateur établit que tout Anglais a le droit de huer un acteur
sur scène, mais que s'il recommence, on peut parler de conspiration. L'acteur est considéré comme « à la merci » de son public
quand il est sur scène, et l'empêcher de jouer, donc de gagner sa vie, devient une action condamnable pourvu que la
protestation n'ait pas pour objet le contenu-même de la pièce.
Avec le début de la guerre en Amérique et le départ des hommes du théâtre, le cas Macklin participe donc d'un long
mouvement vers des théâtres plus calmes, où les acteurs n'ont plus besoin de hurler pour se faire entendre. A son tour, ce calme
nouveau encourage à la fois l'émergence d'acteurs vedette et l'étoffement des rôles féminins.
Soirée théâtrale au Mouffetard Théâtre des Arts de la Marionnette :
- Polichinelle, censeur des spectacles, Prologue pour marionnettes créé à la Foire Saint-Germain (1737), par Jean-Philippe
DESROUSSEAUX. Introduction par Françoise RUBELLIN.
- Les Funérailles de la Foire, d’après l’opéra-comique de Lesage, Fuzelier et d’Orneval (1718). Compagnie Pêcheurs de
perles. Conception et mise en scène Judith LE BLANC.
SESSION 3 : DISPUTE ET REPERTOIRE COMIQUE
(Compte-rendu par Clara Manco)
Jean-Luc ROBIN : « La triple dimension de la dispute chez Molière »
Dans l'oeuvre de Molière, on peut identifier simultanément trois dimensions ou directions à la dispute : une dimension
microstructurelle (cf. les nombreuses scènes de dispute), macrostructurelle (la pièce elle-même est composée comme une
longue dispute) et métathéâtrale (l'art théâtral se met lui-même en dispute).
Dans le premier cas, il s'agit souvent d'un conflit caupar un obstacle au désir d'un personnage ou d'un groupe (altercations
conjugales dans Le Médecin malgré lui, querelle de cuistres dans Les Femmes savantes, etc). La dispute est polymorphe : on
connaît les coups de bâtons médiévaux qui offrent un matériau comique prêt à l'emploi, mais il faut compter aussi sur la
dispute savante (avec laquelle ils ne sont d'ailleurs nullement incompatibles). Car la dispute, c'est aussi, au sens étymologique,
l'art de démontrer, l'art d'un conflit sans violence, hérité de la disputatio jésuite.
Dans le second cas, la dispute est un principe de composition comme dans L'École des maris est représentée l'opposition
entre pédagogie galante (Ariste) et les principes rétrogrades de la vieille honnêteté (Sganarelle). La dispute est ici allogène et le
théâtre lui sert de tribune d'abord pour l'exposition théorique, puis pratique. On peut également lire Les Femmes savantes
comme la transposition comique des Méditations métaphysiques de Descartes, par exemple pour ce qui est de la distinction
entre corps et âme même si la fonction de cette dispute est dramaturgique (il s'agit surtout de dissuader le personnage de se
marier) avant d'être philosophique.
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Pour ce qui est du troisième cas, L'Impromptu de Versailles et L'École des femmes offrent des exemples efficaces. En somme,
approcher l'œuvre de Molière par le biais de la dispute permet d'en interroger de façon concrète la dramaturgie.
Catherine RAMOND : « Tradition et nouveauté : les scènes de dispute dans le théâtre de Destouches »
Dans la comédie classique, les scènes de disputes illustrent le plus souvent des conflits mari/femme, parent/enfant,
maître/serviteur etc. Mais à l'époque de Destouches, ces conflits (notamment parent/enfant) tendent à s’atténuer tandis que les
premiers se font plus soucieux des affections des seconds, et la comédie reflète volontiers ces nouvelles mentalités. Dans Le
Médisant par exemple, les parents échouent à imposer à leur fille un mariage sans amour, et leur querelle elle-même reste hors
scène, ne donnant à voir que le résultat d'un conflit qui semble déjà désuet. Les personnages de pères confidents ou
compréhensifs apparaissent, ce qui ôte aux adjuvants traditionnels (confidents, valets complices, etc.) leur raison d'être. Dans
L'obstacle sans obstacle les réprimandes du père hostile au mariage de son fils (dont il est en même temps le rival) ne sont pas
représentées mais racontées par Pasquin, le serviteur du fils qui rejoue la scène.
Quelle place reste-t-il alors aux scènes de dispute ? Dans Le Philosophe marié, l'intrigue de la comédie classique est
renversée : deux jeunes gens mariés secrètement cherchent à éviter la colère d'un oncle riche et colérique plutôt que celle d'un
père qui se montre en réalité compréhensif : le conflit est une fois encore déplacé, mais aussi intériorisé. Plus tard, dans une
scène de rivalité entre les deux sœurs, le mot querelle est répété au point de se vider de son sens, d'autant plus que les deux
parties finissent par se réconcilier contre un tiers qui devient ennemi commun c'est moi qu'on querelle à présent ! »). En
somme, c'est l'inanité même de la dispute qui est dramatisée (« vous vous querellez et ne savez pourquoi »).
On touche ainsi ici aux limites d'un théâtre sans conflit et sans intrigue, dont le succès repose davantage sur le caractère
attendrissant des personnages. Dans cette comédie nouvelle, les querelles continuent de rendre hommage à l'ancienne tradition
comique, tout en s'en distançant pour laisser davantage de place à l'empathie et à l'émotion. C'est alors en réalité le monologue,
représentation d'un conflit intériorisé, qui prend la place de la scène de dispute.
Catherine AILLOUD-NICOLAS : « L'impossible dispute de La Dispute de Marivaux »
La Dispute est un cas unique dans l'histoire de la mise en scène contemporaine : constituée d'un seul acte, cette pièce semble
véritablement appeler un ajout textuel. Le mot « dispute » apparaît deux fois, mais aucun conflit (entre Hermiane et son père,
entre Hermiane et la Cour) ni débat (qui de l'homme ou de la femme a été le premier inconstant ?) n'a lieu sur scène avant la
fin. Cette fin avorte en réalila dispute plus qu'elle ne la représente, puisque tout se termine sur un énigmatique « partons »
qui ne résout aucune des questions posées. Entre disputes évoquées, reconstituées, montrées mais problématiques, on peine à
discerner les enjeux et contours du conflit annoncé par le titre.
Cette dispute fantomatique crée un vide pour le metteur en scène, vide qui peut être comblé, par exemple par l'ajout d'un
prologue. La mise en scène de Nordey (« Contention : un Baisser de rideau de Gabily, précédé de La Dispute de Marivaux et
d'autres bestioles ») choisit de mettre ensemble deux textes autour du personnage d'Hermiane. Bernard Soubirat propose quant
à lui une interprétation qui évacue le débat et s'intéresse plutôt aux effets de l'expérience sur ce même personnage. Chéreau
propose dans sa version de la pièce d'ajouter un prologue composé d'extraits puisés chez Marivaux lui-même pour préciser le
contexte de La Dispute.
Dans sa propre proposition de mise en scène, Catherine Ailloud-Nicolas choisit elle aussi d'ajouter un prologue pour répondre
aux nombreuses interrogations qui restent en suspens : quel est le lien du prince avec Hermiane ? D'où naît la dispute ? La
troupe de jeunes a par ailleurs proposé de tisser un lien entre le propos de la pièce et les questionnements actuels autour de la
téléréalité, de la manipulation des images, de la dialectique de l'engagement et de l'inconstance, de la place de l'enfant dans la
famille, mais aussi les problématiques sadiennes de négation de la douleur de l'autre. Chaque jeune a également proposé son
propre prologue composé d'autres écrits de Marivaux.
Pour finir, la mise en scène se propose de placer la pièce dans le contexte d'un jeu alcoolisé, dans un décor proche de celui d'un
plateau de téléréalité (loft, jacuzzi), au milieu duquel un jeu de la vérité dérape. Hermiane et le prince veulent se marier, mais
le dialogue amène finalement Hermiane à se refuser. Parallèlement le public, d'abord inséré dans le même espace que les
acteurs, est évacué quand La Dispute commence.
SESSION 4 : LA DISPUTE RELIGIEUSE
(Compte-rendu par Pierre Labrune)
Anne G. GRAHAM : « L'Abraham sacrifiant (1550) de Théodore de Bèze ou la dispute au service de la “vive foy” »
Anne G. Graham a présenté son analyse de la tragédie de Théodore de Bèze, Abraham sacrifiant, théâtralisation du chapitre 22
de la Genèse rédigée à la demande de l'université de Lausanne. La brièveté du texte biblique, où Abraham obéit sans
véritablement discuter, contraste avec la tragédie de Bèze le patriarche, bien qu'il soit présenté comme un modèle de foi à
suivre pour les huguenots persécutés, affronte toutes les souffrances du fidèle éprouvé avant d'obéir. Ce point de départ permet
d'étudier plus précisément trois scènes dans la pièce de Bèze Abraham se dispute avec lui-même et se dispute avec Dieu.
Ces trois scènes entourent le problème principal de la pièce et semblent composer un triptyque puisque la scène centrale est la
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