« La nature est mon maître. Le théâtre est ma vie »
Entretiens avec Sotigui Kouyaté 2003-2009
par Rosaria Ruffini
« Je suis africain, avant tout »
Moi, avant qu’être Sotigui, je suis africain. Ensuite je suis griot. Enfin je suis Sotigui. Griot c’est mon identité :
je suis issu d’une famille de griots. Etre griot n’est pas une profession, on y naît. Mon père était griot, ma mère
était griot. Le griot, ou bien le djeli come on l’appelle en Afrique, est conteur et, à la fois, dépositaire de la
mémoire de son peuple, historien, généalogiste, conseiller, maître des cérémonies, gardien des traditions et des
coutumes, et, surtout, médiateur. Le griot est celui qu’on épargne durant les batailles parce qu’on aura besoin de
lui ensuite pour faire la paix, celui aussi qui tente de résoudre les conflits au sein des familles, là où le chef n’a
pas à intervenir. Le clan Kouyaté est une grande famille de griots. Nous sommes des nyamakala, des artisans,
comme les cordonniers et les forgerons ; nous sommes les artisans de la parole, ou mieux les maîtres de la parole.
Mes parents sont originaires de la Guinée, mais ils sont nés au Mali, à Kita, ensuite ils sont partis à Bamako où je
suis né, le 19 juillet 1936. Après ma naissance, nous sommes émigrés au Burkina Faso qui à l’époque, sous la
colonisation, était la Haute-Volta. Mes parents sont toujours restés liés aux trois pays : la Guinée, le Soudan
Français (actuel Mali) et le Haute-Volta, trois pays qui ne faisaient qu’un avant l’arrivée des Français.
Ma mère était beaucoup, beaucoup plus âgée que mon père. Quand elle a marié mon père, elle était veuve d’un
premier mariage et elle n’était pas en mesure de pouvoir avoir d’autres enfants. Mon père était un jeune griot très
réputé, très charmant même. Il jouait le balafon pendant que ma mère chantait. Il a voulu épouser ma mère, à tout
prix, contre la volonté de ses parents. En effet, il y a eu une grande dispute : à l’époque on ne pouvait pas
imaginer un enfant dire « Non » à ses parents. Mais mon père a voulu ma mère au risque d’être maudit ou banni
de la famille.
Quand ma mère m’a conçu, personne n’y croyait. Son ventre montait et les gens disaient que c’était une maladie,
parce qu’ils ne croyaient pas qu’une femme, à son âge, pouvait être en grossesse. C’est pourquoi ils m’ont
nommé « la petite grande maladie ». Je suis un enfant-miracle.
Je suis le premier fils de mon père et le dernier fils de ma mère. Et cela a été très important pour moi et a
déterminé toute ma vie.
J’étais très attaché à ma mère. C’est elle qui soutenait toute la famille. Le chant était sa vie. Elle me portait
partout, même quand elle chantait aux fêtes, aux mariages. Je me rappelle très bien. Lorsqu’elle chantait, je
commençais à danser. Je ne suis passé par aucune école de théâtre, de cinéma ou de danse : mon école a été ma
mère, d’abord, et ensuite la grande école de la vie. Ma mère est morte quand j’étais encore enfant, j’avais sept
ans. À partir de ce jour là, j’étais toujours avec mon père.