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pédagogique
D’après Don Juan de Molière
Mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti
> Reprise d’une création de la troupe du TNS
Du lundi 28 avril au mercredi 7 mai 2003
tous les jours à 20 heures ; relâche les jeudi 1er et dimanche 4 mai
Durée du spectacle : 2 heures sans entracte
Salle Bernard-Marie Koltès
Contact TNS
Patrick Lardy
03 88 24 88 47
06 61 40 66 91 (avant 20h, merci…)
p
[email protected] Site internet : www.tns.fr
un dossier réalisé
par le TNS
Le Festin de pierre
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LE CIEL DE PIERRE
par Giorgio Barberio Corsetti
Commence alors la chute de Dom Juan, son voyage vers la fin.
Sa course en avant trouve toujours de nouveaux empêchements –tous viennent
lui demander des comptes, des dettes non payées– et sa façon de se tirer d’affaire
dans un monde couvert des signes de la défaite, de l’impossibilité, l’amène
toujours plus près de la fin. Lui qui est dangereux et aime le danger, est suivi d’un
Sganarelle effrayé et continuellement surpris.
Des objets inutilisables remplissent les étagères de la chambre de Dom Juan,
symbole de son incapacité à prendre, à saisir les choses. Les choses peuvent
seulement être dévorées, car c’est le seul moyen de les faire disparaître. Les
femmes notamment sont dévorées et chaque conquête amoureuse est une
femme de moins dans la grande réserve de vivres du monde qui doit être
consommée jusqu’au bout par le grand Dom Juan angélique, boulimique et
sombre.
Les personnages changent autour de lui tandis qu’il voyage, Sganarelle à ses
côtés, vers la mort en prenant tout et en ne donnant rien, toujours fidèle à son
nihilisme absolu. C’est un monde à dévaster qu’il a devant lui, et sa dévastation
génère la transformation des autres.
La pièce repose sur les épaules d’un ange noir, dont le dos correspond au plateau.
Sganarelle assiste et écoute, c’est ce qu’il doit faire ; son regard et son oreille sont
ceux du public, un public privé –cet Autre synthétisé justement en Sganarelle,
figure merveilleuse de la simplicité, de la surprise, du bon sens chargé de banalité
poétique et de superstition.
Sur l’écran du fond se projettent les pensées, les paroles ; la parole domine
comme un souverain absolu, mais la parole, sujette à la censure et à
l’autocensure, laisse toujours échapper le merveilleux des profondeurs –la
censure pratiquée par les ennemis de la parole libre laisse toujours échapper des
mots qui trahissent la vraie nature des censeurs.
Paroles projetées, paroles déchirées.
Le monde devient parfois une roue fermée sur elle-même (faisant pédaler les
petits animaux en cage) ou encore une bande de pelouse avec deux chaises.
[…]
Le Festin de pierre est le moment de la perte ; l’attachement à la vie porte à
l’extrême dérision l’apostasie, l’hypocrisie, dernier acte de mépris à l’égard du
monde et de ses faiblesses, et seule stratégie possible pour ne pas payer ses dettes
quand on est au pied du mur.
Une fièvre s’empare de Dom Juan après la visite au cimetière ; le fond du puits
dans lequel se déroule la pièce est obscurci par le visage du commandeur qui se
découpe là-haut sur le cercle de ciel qu’on arrive à voir. Un visage d’or comme un
masque mortuaire. Un ciel de pierre comme le puits qui se referme et se
transforme en tombeau.
Traduction Angela De Lorenzis
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UN PEU DHISTOIRE
Dom Juan est créé le 15 février 1665 au théâtre du Palais-Royal. La pièce remporte
un très grand succès. Mais obéissant probablement à des ordres venus d'en haut,
elle est censurée dès le deuxième jour et disparaît de l'affiche au bout de quinze
représentations. Dom Juan ne sera pas rejouée avant 1841, au théâtre de l'Odéon,
puis en 1847 à la Comédie-Française : pendant plus d'un siècle et demi, c'est la
transcription en alexandrins du texte de Molière, réalisée en 1677 par Thomas
Corneille, qui fut jouée sous le titre de Dom Juan.
La pièce ne fut pas imprimée du vivant de Molière. Elle ne paraîtra qu'en 1682,
dans le tome VII des Œuvres posthumes de Molière, mais dans une version déjà
"adoucie" par La Grange, comédien interprète de Dom Juan et responsable de
l'édition de ses œuvres complètes. La censure interviendra encore, ce qui fait que
le texte de Dom Juan nous est parvenu dans deux états, datant tous deux de 1682 :
le premier correspond à l'édition de La Grange précédant la censure, le second
présentant le texte modifié.
Théâtre
PRINCIPALES mises EN SCENE
1947. La mise en scène de Louis Jouvet à l’Athénée réhabilite une pièce que la
critique avait pris l’habitude de trouver mal ficelée, ou trop compliquée. Jouvet
qui interprète lui-même le séducteur a alors 60 ans.
1953. Bertold Brecht adapte le Dom Juan de Molière pour le Berliner en
supprimant tout ce que les lectures romantiques du mythe de Don Juan ont
ajouté à la pièce. Cette lecture entend revenir au Molière original strictement
comique, sans rien de tragique. Moins libertin qu’épicurien, Don Juan n’est plus
qu’un parasite social, et tous les personnages viennent à la fin passer devant le
trou qui l’a englouti
1953. Jean Vilar monte Dom Juan au festival d’Avignon. Il est « un Don Juan
silencieux », écrira Roland Barthes, « et c’est ce silence de Vilar qui fonde
l’athéisme de Don Juan ».
1969. Patrice Chéreau habille Dom Juan de cuir et, voulant recréer en esprit la
surprise du spectateur de 1665 devant le merveilleux à machines, le confronte
simultanément à deux statues du commandeur.
1978. Philippe Caubère (le Molière du film d’Ariane Mnouchkine) met en scène et
joue Dom Juan au théâtre du Soleil, poussant le comique de la pièce, dans la
tradition des tréteaux et de la farce à laquelle Molière avait été formé.
1979. Antoine Vitez met en scène un Dom Juan malade, intellectuel au bord de la
crise de nerfs (tel Hamlet, il entre un livre à la main), d’emblée marqué par le Ciel.
1980. La mise en scène de Roger Planchon forme un diptyque avec celle d’Athalie
de Racine qui se termine également par un deus ex machina. Une pièce sur
l’impiété, l’autre sur une foi sans faille, pourrait-on croire : Roger Planchon
rassemble les deux volets et met en scène la religion mortifère du XVIIe siècle
dans un même décor, en une unique série de tableaux hantés par la mort et la
souffrance.
1993. Mise en scène de Jacques Lassalle à Avignon, puis à la Comédie Française.
4
LE SILENCE DE DON JUAN (EXTRAIT)
par Roland Barthes
« C’est curieux cette manie de vouloir nous persuader que le Don Juan de Molière
est un athée historique, local, circonstanciel. […] Pourtant d’ordinaire, on nous
assure que les types du théâtre classique sont éternels, que ses avares, ses amants
et ses jaloux n’ont pas d’histoire et que tout le monde a le droit de retrouver son
temps dans ces peintures de l’homme essentiel. Or, dès qu’il s’agit de l’athée,
toute une pudique relativité empourpre nos critiques : Molière n’a pas peint
l’athée, mais seulement une variété d’athées, fleurie autrefois au climat d’un
siècle dont on se plait à souligner les contrastes.
Les raisons de cet assaut critique sont faciles à comprendre : dans la bonne
conscience bourgeoise, tout ce qui est entaché d’histoire est discrédité.
Historicisons donc l’athée, nous lui attacherons ainsi un opprobre
supplémentaire, nous supprimerons dans l’œuf l’image possible d’un Molière
infernal, puisque l’enfer, on le sent bien, ce n’est même pas de suivre Don Juan,
c’est seulement de le faire exister, c’est de poser comme réel un athée cohérent,
durable et silencieux.
Donc, faisons tout pour que Don Juan n’existe pas, étouffons le sous la
convention et l’anecdote ; dans les livres, les manuels, minimisons la pièce,
arguons sans cesse de son caractère hâtif, décousu, anecdotique, proclamons
bien haut l’hostilité de Molière au cynisme de Don Juan et à l’hypocrisie de
Sganarelle. Et sur la scène (et notamment au Français qui représente le dogme en
matière de théâtralité bourgeoise), donnons un Don Juan distingué, dont
l’indolence ne sera d’ailleurs nullement gratuite, puisqu’elle tendra à émasculer
l’athéisme de Don Juan, à lui substituer sagement un agnosticisme de bonne
compagnie. Je jurerais que rien n’empêche ce Don Juan-là d’aller à la messe de
onze heures, et pour le public du Français, c’est ce qui importe.
Vilar a fait tout le contraire : il lui a suffi d’extraire Don Juan des Limbes de
l’anecdote, de lui donner une consistance biologique, pour que chaque soir, deux
mille spectateurs reçoivent bouche bée en pleine poitrine une présence de
l’athée. Cet athée là, c’est enfin notre affaire, il nous concerne, nous l’écoutons, il
nous aspire dans sa modernité, et ne consent à être qu’au prix d’une complicité,
non avec ses sources, bien qu’on l’en somme à grands cris, mais avec la mémoire
même de son public. […]
« A propos d’une mise en scène du Dom Juan de Molière par Jean Vilar »,
texte publié dans la revue Les Lettres nouvelles, n° 12, février 1954
5
RECEPTION DUNE PIECE
Indomptable, Molière afficha, le 15 février 1665, sa propre version du thème bien
connu du Festin de Pierre. Mais il suffisait que Molière y touchât pour qu’il devint
brûlant. La foule se rua au Palais royal pour applaudir la nouvelle incarnation du
« grand seigneur méchant homme ». Bien que, dès la seconde représentation
l’étonnante scène du pauvre1
eût été supprimée, une avalanche de pamphlets
d’une violence terrifiante s’abattit sur Paris, clamant l’impiété de Molière et
appelant sur lui le châtiment de Dieu et des hommes. Aucune interdiction ne fut
prononcée contre le Festin de Pierre, mais en dépit de son éclatant succès, la
pièce ne fut pas reprise après la clôture de Pâques et ne fut pas publiée. Les
furieuses attaques n’en continuèrent pas moins contre Molière. En ces
circonstances périlleuses, la protection de Louis XIV s’affirma avec éclat. Le 14
août 1665, le roi déclara qu’il voulait que la troupe de Monsieur désormais lui
appartînt et prît le nom de « La Troupe du Roi au Palais Royal ».
SUR LE FESTIN DE PIERRE
Sonnet2
Tout Paris s’entretient du crime de Molière ;
Tel dit : j’étoufferai cet infâme bouquain
L’autre : je donnerai à ce maître faquin
De quoi se divertir à grands coups d’étrivière.
Qu’on le jette lié au fond de la rivière
Avec tous ces impies compagnons d’Arlequin ;
Qu’on le traite en mot comme dernier coquin,
Que ses yeux pour toujours soient privés de lumière.
Tous ces maux différents ensemble ramassés
Pour son impiété ne seraient pas assez ;
Il faudrait qu’il fût mis entre quatre murailles,
Que ses approbateurs le vissent en ce lieu,
Qu’un vautour, jour et nuit, déchirât ses entrailles,
Pour montrer aux impies à se moquer de Dieu.
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2 Bibliothèque Nationale. Manuscrit f. fr. 15012 (cité par Sylvie Chevalley, Molière, sa vie son œuvre, éditions
Frédéric Birr.
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