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Margaret A. Somerville
Margaret Somerville, AM, MSRC, AuA (pharm), LL.B., D.D.C., LL.D., est titulaire de
la chaire Gale de droit et rattachee a la Faculte de medecine, directrice fondatrice
du Centre de medecine, d'ethique et de droit de l'Universite McGill, a Montreal.
Le present article a pam dans le journal Nationai Post le 16 ao(jt 1999 Reproduction autorisee
.
Val. 27, No } NOVENbRE 1999
mais permettraient une recherche
sur les embryons " de reserve "
c.-;1-d. ceux qui restent des proce
dures de fecondation in vitro. Ils
poseraient egalement une limite
;1 la recherche sur les embryons
humains aux quatorze premiers
jours de la division des cellules
apres fecondation.
embryons humains, et une interven-
tion deliberee est necessaire pour les
faire devier de leur developpement
propre. 11 nous faut donc nous poser
la question: quel est le statut moral
de l'embryon humain et des souches
de cellules embryonnaires humainesf
La reproduction humaine par
clonage -la production d'en-
fants genetiquement identiques
au donneur de cellules -suscite a
l'heure actuelle un questionnement
ethique majeur. Nous discutons
aussi de l'ethique du clonage
therapeutique humain, une proce-
dure consistant a produire des
clones d'embryon humain, puis a
utiliser leurs cellules souches
comme " generateurs de tissu
humain vivant. ou pour d'autres
recherches. Quelles sont donc les
questions ethiques qui se posent?
CERTAiNES pERSONNES
ESTiMENT QUE l'EMbRyON
hUMAiN possEdE UN STATUT
MORAl plEiNEMENT hUMAiN
LES FAiTs ET LE STATUT MORAL
Premierement, quels sont les faits au
sujet des souches de cellules embry-
onnaires humaines? Tout d'abord,
elles sonttotipotentes, c.-ii-d.
qu'elles sont capables de fonctionner
comme tout autre embryon humain.
Elles sont egalement multipotentes,
de sorte qu'elles peuvent etre mani-
pulees en vue de la production d'un
tissu ou d'un organe donne. Toute
cellule de notre organisme contient
tous nos genes, mais ii un stade pre-
coce, les genes de chaque cellule se
differencient, de sorte que, par
exemple, les cellules de notre foie
ne donnent que les genes de foie
qu'elles contiennent, ou celles de
notre peau, que les genes de peau.
Les experts cherchent donc ii inter-
venir sur les souches de cellules
embryonnaires humaines des leur
premier stade de formation, afin de
les empecher de se developper pour
l'ensemble de la personne humaine,
et de les amener ii se differencier en
un tissu ou un organe de leur choix.
En bref, jusqu'iiun certain stade, ces
cellules sont comparables aux
Certaines personnes estiment que
l'embryon humain possede unstatut
moral pleinement humain. Elles font
en effet valoir que depuis ses tout
debuts, toute vie humaine, ou tout
au moins ce qui est un produit ex
utero (ce qui differencie l'analyse
ethique de la recherche sur l'em-
bryon de celle sur l'avortement)
exige le meme respect. 11 en decoule
dans ce casqu'il ne faut entrepren-
dre aucune recherche destructive sur
les embryons humains.
LES QUESTiONS ETItiQUES
Les questions ethiques que souleve
le clonage therapeutique humain
sont les suivantes : est -ce que les
cellules embryonnaires humaines
sontdes embryons? Si la recherche
sur les embryons humains est per-
mise, est-il acceptable de multiplier
les embryons a condition de com-
mencer avec un embryon " de
reserve .? Si la cellule embryonnaire
n'est pas un embryon -ou qu'elle
ncest pas consideree comme telle ~
est-ce que l'interdiction ou les
restrictions touchant la recherche sur
les embryons lul son~ applicables?
Est-ce que la source de la cellule
embryonnaire est importante et,
dans l'affirmative, est-ce qu'il en va
de meme lorsque la cellule a ete
isolee? Par exemple, serait-il accep-
table de creer des cellules embryon-
naires humaines (ou dans ce cas,
des embryons) a partir de foetus
avortes en vue de les utiliser pour le
clonage therapeutique humain? Si ce
recours n'est pas acceptable, serait-il
admissible d'utiliser une lignee cel-
lulaire clonee developpee a partir
d'un tel embryon humain?
Moralement, pouvons-nous couper
ainsi ces cellulesde leur origine?
D'autres estiment que l'embryon
humain possede un statut moral
special en tant que forme la plus
precoce de vie humaine, mais ne
possede pas (encore) le meme
statut que le reste d'entre nous.
Ainsi s'opposeraient-ils a la creation
d'embryons humains aux seules fins
d'une recherche sur ces derniers, Une intervention essentiellement inad.
missible d'un point de vue seculier?
LA PHARMACULWRE dJembryons humains
Une des approches a l'analyse
ethique du clonage therapeutique
humain consiste a se demander si ce
genre d'intervention est essentielle-
ment inadmissible. Si elle I'est, il ne
faut pas s'y adonner, quel que soit le
bien qui puisse en resulter. Les avan-
tages medicaux extraordinaires qu'elle
laisse entrevoir ne justifieraient pas
l'utilisation d'embryons humains.
tion,il faut pouvoir identifier les dom-
mages qu'il peut produire et evaluer
ces derniers en regard des avantages.
transmission de la vie humaine.
Manifestement, meme si elle cons-
titue un manque de respect pour
une vie humaine individuelle, la
creation de multiples embryons ii
partir d'un meme embryon porte
atteinte ii la vie humaine elle-meme,
ainsi qu'ii la transmission de la vie
humaine. 11 faut donc conclure que
le clonage therapeutique humain est
essentiellement inadmissible.
Les personnes religieuses sont sou-
vent portees a donner ou non un
caractere essentiellement mauvais a
une action en fonction de leurs
croyances. Mais dans nos societes
multiculturelles, nous ne partageons
pas tous les memes croyances
religieuses. voila pourquoi il
importe de trouver un fondement
seculier qui nous permette d'evaluer
le caractere essentiellement bon ou
mauvais d'un acte. Ce fondement
pourrait consister en deux valeurs
sur lesquelles pratiquement tout le
monde s'entend. Est-ce que le clo-
nage therapeutique humain va a
l'encontre du respect pour la vie
humaine? Et, une telle procedure de
clonage porterait -elle prejudice a
notre conception de l'esprit humain
(au sens seculier du terme) -cette
realite essentielle, intangible, invisi-
ble et incommensurable dont nous
avons be so in pour vivre une vie
pleinement humaine, cette .entite .
grace a laquelle nous trouvons un
sens a nos vies.
Premierement, le clonage therapeu-
tique humain rendrait le clonage
reproductif humain plus probable, et
certainement plus difficile a interdire
effectivement; il nous placerait en
terrain glissant. Mais une telle objec-
tion ne vaut, evidemment, que si
nous croyons que le clonage repro-
ductif humain doit etre prohibe.
UNE AppROchE SiTUATioNNELLE
Deuxiemement, le clonage therapeu-
tique humain ouvre la porte (tout
comme le clonage reproductif) aux
risques de valorisation et de deva-
lorisation genetique, ainsi que
d'alteration de la cellule germinative
humaine, c.-a-d. de ces facteurs
d'heredite transmis d'une generation
a I'autre. Ceux qui estiment que ces
types d'intervention sont mauvais
souhaiteront sans doute les rendre
plus difficiles a entreprendre.
Le fait d'utiliser des embryons
humains comme de simples instru-
ments pour faire du bien aux autres
porte atteinte au respect tant de la
vie humaine que de la realite que
constitue l'esprit humain. Cette nou-
velle poussee scientifique nous force
maintenant a considerer trois aspect
differents, mais interdependants, de
la vie humaine que nous devons
respecter (ou pouvons mepriser) : la
vie humaine d'un individu, la vie
humaine elle-meme en general, et la
Troisiemement, le clonage therapeu.
tique comporte un manque de
respect par le fait qu'il donne aux
embryons humains un caractere de
denree, et qu'illes utilise comme
des fabriques de produits humains.
Mais le clonage therapeutique
humain, meme avec cette approche
ethique situationnelle, peut-il etre
immoral? Pour repondre a cette ques-
Quatriemement, le clonage therapeu-
tique (tout comme, encore une fois,
le clonage reproductif) porte atteinte
~
Mais il existe une autre forme
d'analyse qui se fonde sur l'ethique
situationnelle selon laquelle rien
n'est essentiellement mauvais, mais
depend des circonstances. Avec une
telle approche, « faire du bien " par
le clonage therapeutique humain
peut constituer une justification du
dommage inevitable fait aux
embryons utilises. Ce bien se
presentera sous la forme, par exem-
pIe, de la production d'organes et
de tissus a des fins de transplanta-
tion, de reparation de nerfs brises et
de traitement de la sclerose en
plaques. 11 faudra beaucoup de
courage pour refuser a long terme
de tels bienfaits.
a la transmission de la vie humaine,
et pourrait affecter la conception
meme que nous nous en faisons. Len
Blum, dans un article publie dans le
National Post sur le film de Stanley
Kubrick " Eyes Wide Shut », ecrit en
rapport avec l'intimite sexuelle
exprimee dans le film :
11 est possible que d'autres progres de
la science apportent une reponse au
probleme ethique que souleve le
clonage therapeutique hurnain. Si
nous pouvions obtenir des cellules
embryonnaires de la personne meme
qui a besoin d'un tissu ou d'un
organe ou d'une autre personne, nous
ne serions pas forces d'utiliser un
embryon. Le probleme est que nous
avons besoin de temps pour develop-
per les elements scientifiques qui
resoudraient ces problemes ethiques.
que se fassent les nouveaux progres
scientifiques, parce que ceux qui
souffrent au qui meurent, et qui
pourraient etre aides grace a la
recherche sur la cellule embryon-
naire humaine, ant besoin des main-
tenant de traitements. Par contre, il
nous sera impossible de reparer au
d'inverser le mal que nous ferions
du point de vue du sentiment de
respect pour la vie humaine aussi
bien que de l'admiration pour cette
vie, si nous utilisons les embryons
humains de maniere immorale.
" Ces evenements m'ont pam reels, et
j'en ai savoure chaque instant. On
n'en est pas emu, on en est sexualise.
On est rendu conscient de la sexua-
lite. Etant donne que la sexualite
est la force transmettrice de la vie
humaine, j'en ai retire une conscience
plus vive de la vie elle-meme ».1 Si nous autorisons le clonage
therapeutique humain (ou le clo-
nage reproductif humain), nous en
modifierons de fa<;:on irreversible la
realite morale ou metaphysique, et
du meme coup, notre fa<;:on de con-
cevoir l'esprit humain qui est si cru-
cial a la vie pleinement humaine
que nous pouvons vouloir mener.
Nous avons besoin de cette realite,
et nous nous en servons pour don-
ner a la vie humaine et a son mode
de transmission tout le respect pos-
sible. C'est dans cet esprit egalement
que nous puisons le sens de la vie
humaine. Et cette realite, cet esprit,
est le seul moyen dont nous dispo-
sions pour transmettre ce respect et
ce sens de la vie -nos valeurs
humaines les plus importantes et
anciennes -aux generations futures.
LA TRANSMissioN dE LA viE,
UN ACTE SEXUEl OU ASEXUEl?
Qu'alTiverait-il de ces perceptions, et
de certaines autres experiences
humaines les plus profondes, si la
transmission de la vie humaine deve-
nait asexuelle, et si ce mode de trans-
mission devenait une simple proce-
dure de fabrication? Cette pensee
devrait nous mettre sur nos gardes et
nous faire reflechir serieusement a ce
que nous perdrions : une source d'e-
motions profondement subtiles et
nuancees, rnais extraordinairement
importantes. La transmission sexuelle
de la vie humaine fait partie integrante
de la perception que nous avons de
nous-memes, comme individus autant
que comme societe, de meme que de
la vie humaine. Pouvons-nous nous
permettre de passer a une transmis-
sion asexuelle de la vie, quel qu'en
soient les avantages envisages?
Nous disposons d'un pouvoir qu'au-
cune generation humaine anterieure
n'a jamais possede. Le pouvoir d'in-
tervenir au coeur de la vie humaine
elle-meme et de ses moyens de
transmission, et meme de modifier
ces derniers. Les travailleurs scien-
tifiques peuvent en effet maintenant
modifier, en quelques secondes,
notre genome humain, lequel a pris
des millions d'annees a evoluer.
Nous devons nous demander ce que
ce pouvoir exige de notre part,
quelle doit en etre l'utilisation
ethique, et a quelles responsabilites
ethiques il nous engage. ]usqu'a
quel point sommes-nous tenus, par
obligation envers les generations
futures, de maintenir le plus profond
respect de la vie humaine?
ChANGER lA REALiTE
11 faut preter une grande attention
aux interets divergents qui entrent
en jeu dans le clonage therapeutique
humain. 11 s'agit, d'une part, du fait
que nous ne pouvons pas attendre
Nous ne pouvons pas nous payer le
luxe de faire des essais ou du roclage.
Tout dommage a cette realite morale
ou metaphysique aurait presque
fatalement des effets irreversibles. 11
est donc essentiel de se demander
s'il est justifiable de proceder a ce
changement -lequel resulterait .
inevitablement de la decision d'aller
de l'avant avec le clonage therapeu-
tique humain -a cette realite aussi
fonclamentale. Sinon pour toujours,
au moins aujourd'hui ou demain? .
1 BLUM, Len. " Going to the Movies,
Eyes Wide Shut. dans National Po..'t,
(vendredi 30 juillet 1999), p. B1.
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