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lt / MARS 2011 / N°186 / 7
«Lethéâtre,c’est
dusonetdurythme,
quifontsens.»Philippe Minyana
tt / PHILIPPE MINYANA
LES EPOPÉES DE L’INTIME
Qu’est-ce qui relie les cinq textes présentés dans
la salle des Abbesses du théâtre de la Ville ?
Philippe Minyana : D’abord la thématique. A tra-
vers tous ces textes, j’ai eu envie d’interroger les
notions de périples et de retrouvailles. Tous ont
donc un rapport avec quelque chose de l’intime,
© D.R.
avec les rêves, les souvenirs… Et puis, tous cor-
respondent à une forme nouvelle - le théâtre récit
- sur laquelle j’ai commencé à travailler lorsque la
Comédie-Française m’a commandé une adapta-
tion d’un extrait des Métamorphoses d’Ovide (ndlr,
Les Métamorphoses – La Petite dans la forêt pro-
fonde, mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo, en
2008, au Théâtre de Gennevilliers puis au Studio
Théâtre de la Comédie-Française). Il s’agit d’une
forme d’écriture au sein de laquelle la didascalie
est considérée comme un élément de récit.
L’expérimentation occupe une place impor-
tante dans votre théâtre…
Ph. M. : Oui, une place fondamentale. Je suis
comme un artisan qui travaille à son établi, sans
arrêt en recherche, sans arrêt en réflexion. Savoir
ce qu’est l’écriture, ce qu’on en fait, quelle forme
on lui donne… Toutes ces questions me passion-
nent. Il s’agit d’un champ d’investigation inépui-
sable. Évidemment, parallèlement à tout cela, mes
textes racontent des histoires. Mais le plus impor-
tant a toujours été pour moi de trouver comment
les raconter, comment les travailler. Et comme
je suis un lecteur effréné, une forme de porosité
s’est créée entre la littérature et moi-même. Je
suis imbibé de cette matière, de ces mouvements
que forment les mots assemblés.
Quels auteurs dramatiques ont été, pour
vous, particulièrement importants ?
Ph. M. : Michel Vinaver, par exemple. Lorsque j’ai
été acteur, dire du Vinaver a été pour moi une véri-
table révélation. Mon corps a alors compris que
pour dire cette écriture, un rythme était nécessaire,
qu’il fallait constituer une partition. J’ai compris à
ce moment-là que le théâtre, c’est du son et du
rythme, qui font sens. Après Michel Vinaver, des
auteurs comme Botho Strauss, Peter Handke, Tho-
mas Bernhard… ont également agi comme des
révélateurs. En s’éloignant radicalement de l’anec-
dote, ces auteurs ont tous interrogé la représenta-
tion des comportements humains. Il y a aussi, bien
sûr, Anton Tchekhov, qui a défini un nouveau cadre
pour l’artiste de théâtre. A travers eux, j’ai compris
qu’il ne faut jamais traiter un sujet mais un thème.
Quelle différence faites-vous entre ces deux
notions ?
Ph. M. : Le sujet, c’est la morale, les sentiments,
le compassionnel… Il s’agit d’un endroit d’exploi-
tation assez limité. Le thème, au contraire, offre un
domaine beaucoup plus vaste. C’est comme une
piste de ski que l’on dévale, une piste sur laquelle
peuvent se jouer toutes sortes de choses. Les
thèmes que j’interroge sont souvent des thèmes
génériques : le périple, la visite, les retrouvailles,
la réconciliation…
Des thèmes qui sont traversés par un travail
profond sur la langue. Comment pourriez-
vous caractériser « votre langue » ?
Ph. M. : Elle est faite de deux bruits : le premier
accueille le grotesque, le second recueille le funè-
bre. C’est la mise en présence de ces deux dimen-
sions qui fait que les choses deviennent vraies.
Je ne parle pas ici d’une volonté de reproduction,
d’imitation ou d’illustration, mais de l’émergence
d’une réalité qui déborde, qui va voir dans l’en-
tre-deux des choses, du côté des bordures, des
zones ombreuses.
Jusqu’à, parfois, emprunter au mer-
veilleux…
Ph. M. : Oui, certains de mes textes sont des
fables, des contes. Au théâtre, le réel n’existe évi-
demment pas. C’est une illusion. Mes pièces se
composent de bribes de réel, d’un réel discontinu,
d’un réel par effraction. Pour moi, ce qu’il y a de
plus réel dans l’écriture, ce sont les évocations
que produit l’assemblage des mots.
Quel mouvement votre écriture a-t-elle suivi,
depuis vos débuts dans les années 1970
jusqu’à aujourd’hui ?
Ph. M. : Un mouvement qui va du maximalisme au
minimalisme. J’ai réduit l’espace de mes textes,
j’ai resserré le cadre et je l’ai déplacé. D’une cer-
taine façon, mon travail se rapproche aujourd’hui
de celui du photographe Gregory Crewdson, c’est-
à-dire d’un travail visant à réaliser des instantanés,
des vignettes : quelqu’un qui attend, quelqu’un qui
traverse une route, quelqu’un qui regarde au loin,
quelqu’un qui ne fait rien… Si on regarde bien cer-
taines scènes de nos existences, si on les regarde
longtemps et de près, elles deviennent étranges.
C’est cette étrangeté que je souhaite faire surgir
à l’intérieur de mes textes.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
* Ces cinq textes sont publiés par L’Arche éditeur. A lire
également, Epopées intimes, entretiens de Philippe Minyana
avec Hervé Pons, 2011, Les Solitaires Intempestifs.
Les rêves de Margaret, mise en scène de Florence
Giorgetti. Du 28 février au 12 mars 2011, à 20h30.
Tu devrais venir plus souvent, mise en scène de
Monica Espina. Du 1er au 5 mars 2011, à 18h30.
J’ai remonté la rue et j’ai croisé des fantômes, mise
en scène de Monica Espina. Du 8 au 12 mars 2011,
à 18h30.
De l’amour, mise en scène de Philippe Minyana et
Marylin Alasset. Du 16 au 19 mars, à 18h30.
Sous les arbres, mise en scène de Frédéric
Maragnani. Du 16 au 19 mars, à 20h30. Théâtre de la
Ville, salle des Abbesses, 31, rue des Abbesses, 75018
Paris. Réservations au 01 42 74 22 77.
Reprise à Théâtre Ouvert : Sous les arbres du
22 au 26 mars et le 2 avril 2011 ; De l’amour le
26 mars et du 29 mars au 2 avril 2011.
Réservations au 01 42 55 55 50.
«Cetexteretrace
avanttoutla
méditationintérieure
d’unhomme
aupouvoir,assailli
parlamort.»Olivier Py
tt / OLIVIER PY
LA POLITIQUE OU LE POUVOIR
DES IDÉES EN ACTION
Comment cette personnalité publique vous
concerne-t-elle intimement, en tant qu’hom-
me, poète, citoyen ?
Olivier Py : Mitterrand est l’homme politique
le plus importante de ma génération. Je n’étais
pas « mitterrandolâtre ». Dans Requiem pour
Srebrenica en 1998, j’avais convoqué sa figure
en scène. A l’époque, j’étais contre ses posi-
tions sur la guerre en Bosnie. J’avais alors
constaté que la présence de ce « personnage »
sur un plateau provoquait chez les spectateurs
un état de réception d’une rare intensité, qui
touche à l’inconscient collectif. Depuis, j’avais
le projet d’une pièce sur lui. J’ai lu ses discours,
ses écrits, des travaux d’historiens, des biogra-
phies, j’ai rencontré des gens. Peu à peu, je me
dérobe à la conscience » écrit Mitterrand*.
Qu’advient-il par le processus de la repré-
sentation qui nous échappe autrement ?
O. P. : Le théâtre peut relier la personne intime
aux faits. L’historien pourra expliquer mais pas
faire sentir l’inquiétude, le doute, le complexe
cheminement d’une décision… tout ce que tra-
hissent un silence dans la phrase, une hésitation
dans la voix, un tressaillement de la chair. L’im-
minence de la mort influe sur les choix que fait
alors le Président. L’incarnation le montre, elle
donne un corps aux idées et aux actes. Pour
suis composé « un » Mitterrand, où se glissent
inévitablement des projections personnelles. La
ligne entre la fiction et la vérité historique est
toujours étroite.
Comment avez-vous travaillé à partir de ces
matériaux ?
O. P. : Je n’écris pas un documentaire histori-
que. Ce texte ne se veut pas exhaustif et ne suit
pas la chronologie. Il reprend essentiellement des
propos de Mitterrand, reconstitue certaines scè-
nes. Il retrace avant tout la méditation intérieure
d’un homme au pouvoir, assailli par la mort, qui
essaie de mettre la réalité à la hauteur de ses
convictions.
Vous déplacez ainsi la figure forgée par les
commentateurs et vous dégagez la politique
de la pratique politicienne.
O. P. : Mitterrand a, comme les autres, fait de la
politique politicienne. Ces roueries ne m’intéres-
sent pas ici. Je montre la politique comme ques-
tionnement philosophique, comme réflexion sur
l’histoire, je travaille sur la valeur des combats,
sur l’exercice du pouvoir en tant que capacité
d’action sur le présent et sur l’avenir. Il m’im-
porte que le théâtre se saisisse de ces sujets-là.
L’actuel mépris pour la classe politique menace
la démocratie. Il décrédibilise le métier de poli-
tique. Sans doute ce discrédit résulte-il du glis-
sement de la politique vers la communication,
qui a d’ailleurs commencé avec Mitterrand et
Jacques Ségéla. L’autre mutation majeure est
l’accélération de l’histoire, qui se faisait avec le
temps voici deux décennies et se fait maintenant
en quelques mois. Cette immédiateté décon-
certe la classe politique. A la fin de son mandat,
Mitterrand avait compris ce décalage de tempo.
Les événements allaient « andante » quand lui
restait « allegro ».
« Ce n’est pas un traité de sagesse dont
nous avons besoin, mais d’une représenta-
tion. Représentation est le mot juste, ren-
dre présent à nouveau ce qui toujours se
comprendre ce qu’est l’action, il faut agir. La
politique est un combat qui engage tout l’être.
Mitterrand a toujours ferraillé. Son action part
de ses idées.
Comment guidez-vous le comédien Philippe
Girard, qui incarne Mitterrand ?
O. P. : Philippe Girard ne lui ressemble pas phy-
siquement mais possède à la fois l’autorité de
la parole et quelque chose de dur, de combatif,
d’inquiet, de douloureux. Il peut porter la dualité
des images de Mitterrand, qui apparaissait très
sûr de lui tout en vivant une tempête intérieure.
Philippe Girard s’est beaucoup documenté
jusqu’à bien connaître tous les dossiers et les
faits que le texte évoque. Je lui ai demandé
d’oublier l’imitation et de trouver une autre voie,
non pas dans les paroles intimes mais dans les
allocations publiques. En travaillant à partir des
archives, Philippe Girard s’est imprégné du
rythme et des intentions des discours sans sin-
ger la couleur de la voix.
Qu’avez-vous appris de la fréquentation de
cet homme par l’écriture ?
O. P. : Que l’exercice du pouvoir exige d’avoir
une distance, non pas un détachement, ni une
désinvolture, mais une capacité de replacer
l’anecdote dans la perspective historique, à
prendre du champ pour retrouver la force des
idées.
Entretien réalisé par Gwénola David
(*) Préface de La mort intime, Ceux qui vont mourir
nous apprennent à vivre, de Marie de Hennezel
(Robert Laffont, 1995).
Adagio [Mitterrand, le secret et la mort], texte
et mise en scène d’Olivier Py. Du 16 mars
au 10 avril 2011, à 20h, sauf dimanche à 15h,
relâche lundi. Odéon-Théâtre de l’Europe,
place de l’Odéon, 75006 Paris.
Rens. 01 44 85 40 40 et www.theatre-odeon.eu
Le théâtre d’Olivier Py est publié
chez Actes Sud-Papiers.
© Carole Bellaiche