de retour au théâtre à texte et de réintégration de la figure de l’auteur sur la scène catalane (Belbel étant non seulement
auteur, mais aussi metteur en scène). L’année 1989 marque, quant à elle, le début de l’échange artistique qui s’est noué
entre les deux dramaturges. Le Centre Dramàtic de la Generalitat propose à Benet d’écrire une pièce avec la
collaboration d’un metteur en scène ; le texte qui voit le jour s’intitule Desig ; pour « tuteur », selon le terme qu’il
emprunte lui-même5, Benet choisit Belbel. L’écriture de Desig ouvre alors une voie nouvelle dans la dramaturgie de
Benet : la pièce marque un véritable tournant, ainsi qu’un évident renouvellement formel, technique et stylistique, et il se
produit en particulier une évolution notable dans le traitement des référents spatiaux et temporels6. La rareté des
référents spatiaux et temporels, dans les pièces écrites entre 1989 et 2006, constitue l'un des traits communs aux deux
auteurs, avec des exceptions particulièrement criantes au cours de la période considérée, surtout dans deux pièces écrites
par Benet, Olors (1998) et Salamandra (2005). On s’autorise une seule (quasi) entorse à la période retenue, en intégrant
Elsa Schneider au corpus, parce que la pièce fait figure d’exception du point de vue du traitement des référents en
question. Comme toute exception, celle-ci mérite que l’on s’y attarde quelque peu. Du reste, un tel choix se justifie assez
aisément puisque la pièce a certes été écrite en 1987, mais n'a été créée qu'au cours de la saison 1989-1990.
On n’a pas eu pour ambition de prendre part aux débats linguistiques autour du terme et de la notion de référent, ni,
bien entendu, de retracer de manière complète l'évolution de cette notion. Cependant, afin de pouvoir aborder la question
et le « problème du référent »7 tels qu'ils se posent au théâtre, on a estimé indispensable de mettre l'accent, de manière
synthétique, sur la définition du référent en linguistique, ainsi que sur les origines et les fondements théoriques de cette
notion. L'emploi que la critique théâtrale réserve au terme de référent, en effet, n'est pas si étranger aux études
linguistiques qu'on puisse faire l'économie d'un tel examen. Parmi les nombreux travaux consacrés à la question, on a
choisi de ne retenir que les plus significatifs, ceux qui illustrent les conceptions les plus marquantes dans le champ des
études linguistiques (Saussure, Frege, Ogden et Richards, Pierce, Jakobson, Morris, etc.). On observe des divergences
majeures entre les différentes théories du processus de signification : à la suite de Saussure, par exemple, tous les
structuralistes défendent la clôture linguistique, c’est-à-dire que le structuralisme écarte la référence de son champ
d’étude8 ; pour le Groupe µ, en revanche, non seulement le référent fait partie du processus de signification, mais il
apparaît même comme un terme du signe9. Quant à l’approche et à la définition retenues dans le cadre du présent travail,
on considère que le référent ne fait pas à proprement parler partie du signe ; c’est en cela une notion bien distincte de
celle de signifié. Le référent est néanmoins incontestablement lié au signe dans un parcours qui rapporte ce signe au
monde. Mais, si l’on admet ainsi la nature extralinguistique du référent, on doit en même temps prendre conscience
5 « […] vaig demanar-lo a ell com a tutor d’una nova peça que jo havia d’escriure per a l’aleshores existent Centre Dramàtic de la
Generalitat, amb seu al Teatre Romea i dirigit per Domènec Reixach. El text es titulava Desig […]. » BENET I JORNET, Josep M.
Material d’enderroc. Barcelone : Edicions 62, 2010, p. 271. Ce rôle consiste non seulement à mettre en scène la pièce, mais aussi,
en amont, à en accompagner l’écriture.
6 À propos de ce tournant ou de cette évolution, voir (entre autres) BATLLE I JORDÀ, Carles. « El darrer teatre de Benet i Jornet : un
cicle ». In Josep M. Benet i Jornet i la fidelitat al teatre de text. Barcelone : Eumo, 2001, p. 93-119. Enric GALLÉN synthétise cette
évolution dans les termes suivants, à travers l’exemple d’El gos del tinent : « con-fusió entre realitat i ficció ; ambigüitat de la
situació dramàtica central, embolcallada d’una atmosfera intemporal carregada d’intriga i suggestions ; quatre personatges (dos
homes i dues dones) aparentment anònims, abstractes i essencialitzats, actuen fortament condicionats per una història del passat que,
explicada de forma personal per cadascun d’ells, es converteix en la base del conflicte central i de la possible resolució de l’obra »
(« Pròleg ». In BENET I JORNET, Josep M. El gos del tinent. Barcelone : Edicions 62, 1997, p. 11).
7 UBERSFELD, Anne. Lire le théâtre. Paris : Éditions sociales, 1978, p. 37.
8 Voir (entre autres) BENVENISTE, Émile. Problèmes de linguistique générale, 1. Paris : Gallimard, 1966 ; et GREIMAS, Algirdas
Julien. Sémantique structurale. Paris : PUF, 1986.
9 Voir (en particulier) GROUPE µ. Traité du signe visuel. Paris : Le Seuil, 1992.