société dans son ensemble qui souffre de l’inceste. Ses fondations sont attaquées..!». Il
importe ici de rappeler que l’inceste est inhérent à la nature humaine, et que la société
humaine n’a pu se construire qu’à partir de l’inceste. Il suffit de se pencher sur les
cosmogonies gréco-latines.
La mythologie grecque nous apprend que, du chaos, serait sortie la déesse terre, mère
nourricière!: Gaïa, ainsi qu’Eros, une sorte de principe d’attraction qui pousse les éléments à
s’agréger et à se combiner. Gaïa va engendrer Ouranos, qui devient son époux, donc
incestueux. De toute façon, le début de la vie ne peut être qu’incestueux!: l’Unité primordiale,
qu’elle soit déesse ou cellule, doit s’autoféconder pour se diviser, pour passer à trois avant de
pouvoir se multiplier à l’infini. Ouranos va avoir beaucoup d’enfants avec Gaïa!: les Titans,
les Cyclopes, les Géants. Mais pour conjurer le risque d’être détrôné par ses fils, il les faisait
disparaître après leur naissance, «!en les précipitant dans le sein de la terre!». Gaïa, la terre-
mère, lasse de voir ses enfants disparaître les uns après les autres, décide de châtrer son mari.
C’est le dernier né des Titans, Kronos, qui va s’en charger. Ouranos prédira ensuite à son fils
qu’il sera à son tour évincé par un de ses enfants.
Kronos épouse sa sœur Rhéa. Il n’a guère d’autre choix qu’une union incestueuse Ils vont
avoir beaucoup d’enfants, que Kronos avale au fur et à mesure de leur naissance pour ne pas
être éliminé un jour par eux (certains chercheurs parlent à ce sujet d’inceste oral). Comme sa
mère, Rhéa voudrait bien sauver au moins un de ses enfants, et sur le conseil d’Ouranos et de
Gaïa, elle accouche en cachette d’un certain Zeus, puis apporte à son mari une pierre
emmaillotée qu’il s’empresse d’avaler.
Kronos, rescapé d’un premier génocide, devient lui-même génocidaire. Zeus rescapé d’un
second génocide, va devenir le maître de l’Olympe. Lui aussi, va épouser sa sœur, Héra, qu’il
va tromper allègrement, faisant des enfants à droite et à gauche, et séduisant aussi les enfants
qu’il aura eus de ses conquêtes.
La création du monde racontée dans la Genèse est aussi un récit rempli de violences et
d’inceste. Violence de Yahvé qui punit le premier homme pour sa désobéissance, violence de
Caïn qui tue son frère. Et s’il est bien dit dans le premier récit que «!l’homme quitte son père
et sa mère et s’attache à sa femme!», lorsque «!Caïn connut sa femme qui conçut et enfanta
Hénok!», de quelle femme s’agit-il sinon de sa mère elle-même!? De même, on ne note
aucune colère de Yahvé, mais au contraire une grande tolérance lorsque les filles de Lot
décident d’enivrer leur père pour coucher avec lui dans le but d’assurer une descendance et
donc de poursuivre le dessein de Yahvé. Quant à Abram, dans un monde où la polygamie est
à l’évidence permise, il refuse que son fils Isaac «!prenne une femme parmi les filles des
cananéens au milieu desquels il habite!», et il choisit «!dans sa parenté!» Rebecca, qui n’est
autre que la cousine d’Isaac, la petite fille du frère d’Abram, sans que cela provoque la
moindre colère de Yahvé.
Ce que nous disent les auteurs de ces récits mythologiques, c’est que la violence et l’inceste
sont au cœur de l’homme. Et c’est la culture qui nous apprend à canaliser cette violence, pour
la limiter à une agressivité de bon aloi, et même si elle est trop ancrée en nous pour pouvoir
l’éradiquer complètement.
Et le tabou de l’inceste apparaît dans l’histoire des sociétés lorsque la famille, qui n’était que
matriarcale à l’origine, est devenue patriarcale et quand la question de la filiation paternelle a
remplacé la seule filiation maternelle.