Partie I/: Les fondements de l’État ou la légitimation du pouvoir: Titre 1: La Constitution: une légitimation par le droit: Chapitre 2: La constitutionnelle: Constitution au sommet de l’État: la justice Pour considérer les normes constitutionnelles au sommet de l’État il faut des mécanismes pour que les autres règles les respectent : le pouvoir législatif doit être encadré. Si les lois sont anticonstitutionnelles la Constitution n'a plus de caractère suprême. Ces mécanismes forment la Justice Constitutionnelle. Section préliminaire: L'autorité de la Constitution: La Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes. 1)Une supériorité affirmée par le droit positif Dans certains États, la Constitution affirme elle-même sa supériorité par rapport aux autres normes. Ex : Constitution de la République italienne de 1947 dans sa dernière phrase : ''la Constitution devra être fidèlement observée comme loi fondamentale de la République par tous les citoyens et par tous les organes de l’État.'' + article 188 de la Constitution du Royaume de Belgique de 1994. En France, ce sont les juridictions administratives et ministérielles qui affirment la supériorité constitutionnelle. Ex : Conseil constitutionnel dans sa décision de 2004 a réaffirmé que la Constitution française ''se place au sommet de l'ordre juridique interne'' malgré volonté d'une Constitution pour l'Europe (reste supérieure aux traités internationaux). Le Conseil d’État dans sa décision du 27 octobre 1998 Sarran et Levacher : ''la suprématie conférée par l'article 55 (de la Constitution française disant que les traités internationaux sont supérieurs à la loi) aux engagements internationaux ne s'applique pas dans l'ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle.''. Les lignes d'un traité international jugées anticonstitutionnelles ne seront pas applicables. Idem pour la Cour de Cassation dans l'arrêt du 2 juin 2000 Fraisse. 2)Une supériorité justifiée par les théories constitutionnelles – – légistes du 16e siècle, Jean Bodin – Les 6 livres de la République : puisque ou si la loi constitutionnelle exprime la volonté du souverain alors le respect de la parole du souverain implique obligatoirement le respect de la Constitution. On doit y obéir car on doit obéir au souverain, origine de cette loi constitutionnelle. La Constitution est conçue comme un acte juridique unilatéral. Cette théorie est défendue par le doyen Hauriou. Théorie de la hiérarchie des normes juridiques, inspirée par Hans Kelsen, selon laquelle l'ordre juridique de l'Etat se présenterait comme une ''pyramide'' composée de plusieurs étages chacun composés d'un type particulier de normes. La logique de cette pyramide est hiérarchique au sens où chaque règle doit être conforme aux règles qui lui sont supérieures, sinon la règle n'existe pas. La validité d'une norme inférieure est justifiée par sa conformité à la norme supérieure. Section 1: Les modèles de justice constitutionnelle: Définitions : – formelle : mécanismes juridictionnels qui assurent la suprématie de la Constitution. Ils font intervenir un juge et leur objectif est de faire respecter la Constitution par les différentes autorités étatiques. Il s'agit principalement du contrôle de constitutionnalité de la loi. (encadrer et sanctionner le parlement). Kelsen la définit comme ''la garantie juridictionnelle de la Constitution''. Pour Charles Heisenman ''la justice constitutionnelle est cette sorte de justice ou mieux de juridiction qui porte sur les lois.'' - La justice constitutionnelle et la haute cour d'Autriche. Les modèles de justice constitutionnelle européen/américain : critères : – l'organe ou les organes de contrôle => Qui ? => Contrôle diffus ou concentré ? La distinction repose surtout sur ce critère. – le moment du contrôle => Quand intervenir ? => Contrôle a priori (préventif) ou a posteriori (répressif)? – la nature du contrôle => abstrait ou concret ? (proximité avec les faits) – les modalités de saisine => déclenchement de la procédure – les effets du contrôle => portée ? 1)Le modèle américain a – les caractéristiques Modèle original, le contrôle peut être effectué par tous juges à l'occasion d'un procès, on le qualifie de diffus. La Cour suprême ne dispose pas d'un monopole dans ce domaine. Le juge va intervenir quand la loi produit déjà ses effets dans la vie juridique c'est-à-dire après sa promulgation et son entrée en vigueur, on parle d'un contrôle a posteriori ou répressif. Le litige porte sur l'interprétation d'une loi par rapport à la Constitution et sur l'application d'une loi à des faits qui ont conduits à un litige. Le contrôle est alors qualifié de concret. Le contrôle peut être déclenché par tous justiciables devant tous juges. Lors d'un procès tous juges peut être amené à trancher sur la constitutionnalité d'une loi. On appelle cela l'exception d'inconstitutionnalité. Mais l'objet principal du procès est de régler le litige. Le contrôle est déclenché par voie d'exception. Les effets sont limités car si une loi est déclarée inconstitutionnelle elle est simplement écartée en l'espèce mais pas abrogée et continue donc de produire des effets juridiques. Elle a donc un effet relatif ou inter-partes, limité aux parties en procès uniquement. De même une loi déclarée conforme peut être plus tard déclarée non-conforme par un autre juge. La Cour suprême peut opérer une harmonisation de la jurisprudence. b – l'origine du modèle Les règles ne sont pas prévues par la Constitution américaine du 17 Septembre 1787. Ceci est étonnant dans la mesure où les pères fondateurs et surtout Hamilton étaient plutôt favorables aux mécanismes de contrôle du Parlement par les juges mais ces idées n'ont pas trouvé de traduction. (cf Le Fédéraliste). Le contrôle de constitutionnalité est en fait d'origine jurisprudentielle. La Cour Suprême des EU a reconnu la nécessité de ce contrôle dans un arrêt de 1803 Marbury contre Madison dans lequel on soulignera le rôle de Marshall alors Président de la Cour Suprême, cet arrêt écarte une loi de 1789 relative à l'organisation judiciaire pour motif qu'elle est contraire à la Constitution et donc ne l'applique pas. L'argumentation est un syllogisme (2 prémices et une conclusion), dans la majeure le juge déclare que la Constitution est la norme suprême du pays, dans la mineur la Cour constate que la loi de 1789 est contraire à la Constitution, et enfin dans la conclusion la Cour déclare que la loi contraire à la Constitution n'existe pas et doit être écartée, ceci est la conclusion logique sinon la majeure n'aurait plus aucun sens ou serait contradictoire. Les juges ont également défini les règles en matière de justice constitutionnelle. c – l'influence du modèle Au sens stricte, la diffusion du modèle américain est très limitée voire nulle car il semble qu'il n'est été transposé nulle part ailleurs à l'identique. En revanche, on peut lui reconnaître une réelle influence mais comme source d'inspiration : par exemple, le Canada, le Brésil, l'Argentine, le Mexique, la Norvège, la Suède, le Danemark, la Suisse, l'Australie et même le Japon. Dans ces différents États on trouve plutôt un contrôle de constitutionnalité diffus mais très souvent les modalités varient, en Australie par exemple, le contrôle est diffus en principe mais dans les faits les juges ordinaires demandent à la Haute Cour de régler elle-même les questions de constitutionnalité. L'influence du modèle est donc limitée et relative. 2)Le modèle européen a – les caractéristiques La justice constitutionnelle est confiée à un organe juridictionnel unique et spécialisé. Cet organe se nomme le plus souvent une Cour constitutionnelle. On parle donc de contrôle concentré. On peut citer le Tribunal constitutionnel en Espagne ou le Conseil constitutionnel en France. Le contrôle s'effectue soit a posteriori soit a priori (avant la promulgation de la loi, au cours de la procédure législative). Le contrôle a priori se déroule alors que la loi ne produit pas encore d'effet juridique, elle n'existe pas encore juridiquement. On parle également de contrôle préventif. En France par exemple le contrôle de constitutionnalité a été traditionnellement depuis 1958 était préventif (ART 61 de la version originale de la Constitution), ce n'est que depuis la révision constitutionnelle du 23 Juillet 2008 que la Constitution prévoit un contrôle a posteriori en plus du contrôle a priori (ART 61-1 de la Constitution). C'est une loi organique de 2009 qui lui a donné un nom : la QPC applicable depuis 2010. Le contrôle de constitutionnalité peut être concret, dans le cas d'un litige entre des particuliers, mais le plus souvent, il peut aussi se manifester par un contrôle abstrait ou objectif, c'est-à-dire qu'il peut être déclenché en dehors de tout procès ou indépendamment des faits qui ont conduit au procès, c'est le cas de tout contrôle a priori. En règle générale la saisine est confiée à des autorités politiques (représentants du pouvoir exécutif et/ou législatif). Parfois elle peut également être ouverte à l'opposition parlementaire (c'est le cas de la France depuis la révision constitutionnelle de 1974). Certains États prévoient la saisine par des Tribunaux ordinaires, c'est la question préjudicielle. En France la QPC permet justement à un juge de transmettre à la juridiction suprême de son ordre juridictionnel une question qui porte sur la constitutionnalité d'une loi et c'est ensuite le CE ou la CC° qui vont décider de transmettre ou non cette question au CC, elle se rapproche donc de la question préjudicielle. Les citoyens ou les individus eux-mêmes peuvent parfois bénéficier d'un recours direct. La justice constitutionnelle a un effet absolu ou erga omnes : la loi déclarée anticonstitutionnelle n'est pas simplement écartée du procès si procès il y a, elle est supprimée de l'ordre juridique dans le cas du contrôle a posteriori ou elle n'entre pas en vigueur dans un contrôle a priori. Par exemple, la France prévoit ces effets dans la Constitution à l'article 62 alinéa premier concernant le contrôle a priori considérant qu'une loi jugée anticonstitutionnelle ne peut être promulguée ou mise en application et à l'article 62 alinéa 2 qui concerne le contrôle a posteriori dans lequel il est dit qu'une disposition jugée anticonstitutionnelle est abrogée. L'article 62 alinéa 3 précise la portée des décisions du CC : ''Les décisions du CC ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent au pouvoir public et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles'', les décisions du CC disposent donc de l'autorité absolue de la chose jugée. b - l'origine Les mécanismes de contrôle de constitutionnalité sont toujours prévus dans la Constitution. Les Constitutions vont instituer une Cour constitutionnelle et la définir comme un organe juridictionnel spécialisé dans le contrôle de la conformité des lois à la Constitution. L'origine philosophique est plus ancienne, les idées vont se cristalliser au début du XXe siècle. Il y a donc un décalage entre les 2 modèles. Les premières véritables Cour constitutionnelle apparaissent en Autriche et en Tchécoslovaquie en 1920 puis en Espagne en 1931. Ce développement est marqué par l'influence d'Hans Kelsen qui a également été juge constitutionnel, si bien qu'on parle parfois de modèle Kelsenien. Le mouvement a été interrompu par la 2nd GM. c - l'influence La diffusion du modèle se déroule après la 2 nd GM principalement à partir de 1950 : en Italie en 1947, l'Allemagne en 1949, la France en 1958, le Portugal en 1976, l'Espagne en 1978 ou encore en Belgique en 1980. Ce qu'on appelle le modèle européen a joué un rôle pour le développement du contrôle concentré dans certains États d'Amérique latine comme le Panama ou le Costa Rica et dans certains États asiatiques comme la Corée du Sud et la Thaïlande ou dans certains États africains comme le Bénin ou le Gabon. Depuis la chute de l'URSS et du mur de Berlin, on note également une généralisation du modèle en Europe centrale et orientale. 3)Les limites de la classification traditionnelle Si elle permet d'analyser elle est d'abord une construction théorique et beaucoup d’États utilisent des mécanismes qui relèvent à la fois du modèle américain et du modèle européen. Par exemple le Portugal où le contrôle de constitutionnalité s'exerce soit par tous les juges soit par le Tribunal constitutionnel (coexistence entre contrôle diffus et concentré). Cette combinaison des modèles se retrouve également dans certains États d'Amérique latine. De plus, la classification traditionnelle doit être nuancée au regard de la finalité du contrôle (dans la perspective de la protection des droits et libertés fondamentaux). Au sens formel dans lequel on a abordé la justice constitutionnelle, la distinction entre les 2 modèles repose sur la forme de la justice constitutionnelle et non sur le contenu. Mais dans une approche matérielle, du point de vue du contenu, la distinction peut être nuancée : La justice constitutionnelle au sens matériel se définit comme la protection des droits et libertés fondamentaux. Or en France par exemple, les droits et libertés fondamentaux sont garantis par la Constitution mais également par les normes de droit international et notamment des règles européennes (par exemple la C°EDH adoptée en 1950 en vigueur en 1953). En France le CC contrôle uniquement la conformité de la loi par rapport aux normes constitutionnelles prévues par la Constitution. Ce sont les juges ordinaires qui contrôlent la conformité des lois par rapport aux normes internationales, il s'agit du contrôle de conventionnalité des lois, du point de vue formel (plus précisément du point de vue de l'organe de contrôle) celui-ci est distinct du contrôle de constitutionnalité. Cette distinction date d'une décision du CC du 15 Janvier 1975 relative à la loi sur l'IVG dans laquelle le CC refuse de contrôler la conventionnalité des lois et par conséquent il confit cette mission aux juges ordinaires. Dans la continuité de cette jurisprudence la CC° va assumer et assurer ce rôle à partir de l'arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975 : la CC° et toutes les juridictions judiciaires assurent bien la protection des droits fondamentaux reconnus par les traités internationaux. Dans l'ordre administratif il a fallu attendre un arrêt Nicolo du CE du 20 Octobre 1989 qui se reconnaît compétent (ce décalage signifie qu'en matière administrative on a mis plus de temps à reconnaître la supériorité des traités internationaux sur les normes françaises). Du point de vue matériel, on peut se demander si ces 2 contrôles (de constitutionnalité et de conventionnalité) n'ont pas le même objectif – garantir le respect des droits et libertés fondamentaux ? Limité à la définition matérielle (finalité) la distinction entre modèles américain et européen perd de son sens car comme aux EU tous justiciables français peut demander lors d'un procès qu'une loi contraire à un droit fondamental reconnu par un traité international soit écartée. Section 2: La légitimité de la justice constitutionnelle: Elle pose de nombreux problèmes. Il s'agira ici de donner des pistes de réflexion qui font débat au sein de la doctrine. 1)Les modes de désignation des juges constitutionnels ou la légitimité organique Le mode de désignation des juges constitutionnels pose problème car il est lié à la question de leur indépendance, caractéristique essentielle du magistrat. En France par exemple le mode de désignation des membres du CC est très souvent critiqué par la doctrine (Philippe Blachèr – machisme). Les membres de droit et à vie (anciens présidents de la République) font également débat car depuis l'instauration de la QPC le CC est appelé très souvent à statuer pour des lois ayant été prises sous le mandat de ces membres de droit. L'article 56 de la Constitution du 4 Octobre 1958 précise que le CC comprend 9 membres nommés par des autorités politiques pour 9 ans et renouvelables par tiers tous les 3 ans. Ils sont désignés par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat. Or ceci pose problème car il est essentiellement politique (actuellement tous les membres sont de droite). Or, du point de vue de la légitimité, les gardiens de la constitution sont censés être au dessus des clivages politiques et représenter l'ensemble de l'opinion public. C'est pour cette raison que d'autres États ont choisi d'autres modes de désignation comme : – l’élection par les parlementaires à la majorité qualifiée pour dégager un consensus comme en Allemagne, au Portugal ou en Hongrie. – une combinaison entre une nomination par les autorités politiques et l'élection par les parlementaires comme en Autriche ou en Belgique. Ces modes de désignation alternatif sont plus démocratiques car ils intègrent dans le processus les élus du peuple et permettent de régler en principe le problème de la légitimité de la justice constitutionnelle. 2)La remise en question de la loi ou la légitimité fonctionnelle Le contrôle de constitutionnalité de la loi pose problème en ce sens qu'il constitue une remise en question de la loi alors qu'elle est l'expression de la volonté générale. Il y a ici encore un problème de légitimité démocratique. Pourquoi serait-il acceptable que la loi votée par les représentants du peuple élus démocratiquement puisse être censurée par un organe désigné de manière moins démocratique que les députés qui votent la loi ? Cette opposition à l'égard du contrôle de constitutionnalité a été particulièrement forte pendant les régimes précédant la Ve République signifiant le refus de la suprématie de la Constitution elle-même. Ceci s'explique par le légicentrisme, cette tendance à privilégier la loi, issu de la Révolution, qui a mené du point de vue institutionnel à ce que Carré de Malberg appelle le Parlementarisme absolu incarné sous la IIIe République. Cette idée de légicentrisme reste encore encrée dans la doctrine malgré tout la nécessité du contrôle de constitutionnalité et sa légitimité ce sont imposées progressivement car l'Histoire a montré que la Parlement même s'il est élu démocratiquement est capable d'erreurs (parlements européens des années 1930 qui ont conduit à l'accession au pouvoir de dictateurs). Il s'agit d’empêcher les pouvoirs publics de remettre en cause les droits et libertés fondamentaux par des mécanismes juridictionnels. Du point de vue conceptuel, on est ainsi passé du légicentrisme (''la loi est l'expression de la volonté générale'') au constitutionnalisme (''la loi votée […] n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution'', citation tirée de la décision du CC du 23 août 1985, loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie). Cependant, ceci ne signifie pas que la suprématie de la Constitution soit acceptée par tous.