Exposition La ronde des saints * Quand les murs de Florence avaient la parole FRESQUES DE FLORENCE, Musée du Petit-Palais septembre-novembre 1970. C'est un voyage rapide, mais saisissant, à travers la peinture de l'Italie centrale entre Giotto et le début du )(vie siècle, que nous propose l'exposition du Petit-Palais. Déjà présentée avec un succès considérable à New York, où elle accueillit des centaines de milliers de visiteurs, à Osaka et dans plusieurs grandes villes européennes, cette exposition a été organisée par le gouvernement italien pour remercier les pays qui l'ont aidé à réparer les dommages causés au patrimoine historique de Florence par l'inondation du 4 novembre 1966. Elle compte soixantehuit fresques ou fragments de fresques, la modestie relative de certains de ces fragments étant compensée par leur haute qualité artistique et par le fait que des ensembles entiers ont été reconstitués de façon spectaculaire, tels la Chapelle de la Vierge de Lorenzo di Bicci ou le Tabernacle de la Visitation de Benozzo Gozzoli. Il n'est pas question de commenter l'ensemble de ces fresques : cela reviendrait à. faire l'histoire de la peinture florentine depuis ses débuts jusqu'au maniérisme. Limitons-nous à ce qui nous a paru le plus éélatant: Voici d'abord Giotto, avec le fragment de 4i Joachim parmi les bergers » (n° 4), et les « Giottesques », Taddeo Gaddi et Orcagna. •Taddeo Gaddi est représenté par une œuvre admirable, la « Madonna del Part'o » (la Vierge enceinte), dont la puissance monumentale est équilibrée par la sérénité familière du geste de la Vierge faisant allusion à sa grossesse, comme une femme du peuple, comme la plus simple et naïvement orgueilleuse des mères. L'énergie plastique, la vigueur expressive, transmises par Giotto à ses élèves, se manifestent de façon particulièrement frappante Cians la •grande fresque du « Triomphe de la Mort ›, peinte Par Orcagna, après l'épidémie de peste qui ravagea Florence en 1348. Vu geste trop hardi Dans la même salle, face à Orcagna et à l'âpreté florentine, Ambrogio Lorenzetti et la douceur sien- • noise. Douceur qui peut s'accompagner d'accents singulièrement modemes et expressifs, comme le montre la sinopia de « l'Annonciation » Page 44 Lundi 5 octobre 1970 (n° 6) : épouvantée par la révélation que lui apporte l'Ange, la Vierge, sur le point de défaillir, s'agrippe à un pilier, geste sans équivalent dans l'iconographie - mariale, et qui partit à l'époque si hardi qu'il n'a pas été conservé dans la fresque. Et voici le XV ° siècle avec quelques délicieux Masolino, le charmant « Saint Ansanus » (n° 22) de Francesco d'Antonio, où l'influence de Masaccio tempère les grâces un peutrop fleuries du gothique international, et . une très amusante lunette de Fra Angelico, « -Saint Pierre martyr -» (n° 27), le geste du saint qui porte un doigt à ses lèvres ne se rapportant à aucune tradition, mais rappelant seulement aux moines un peu trop, bavards de San Marco le silence qu'il convient d'observer dans les lieux saints. Certaines des fresques de cette époque sont dans un état de conservation à peu près parfait : ainsi la « Vie de saint Nicolas », de P.arri Spinelli (n° 30), remarquable par son élégance encore toute gothique, son- mouvement, sen agitation dramatique, et les « Miracles de saint Benoît » (n" 34, 36) qui sont vraisemblablement dus à un.. artiste- d'origine portugaise, tant leur ascétique singularité paraît étrangère à là tradition florentine. • , ; - La Vierge paniquée Deux chefs-d'oeuvre : le « Saint Julien » de Piero della Francesca (ii» 42), stupéfiant de présence, de beauté lumineuse, de dignité intemporelle, bien qu'il donne presque l'impression d'un portrait, du visage d'un jeune paysan. Et surtout le « Saint Jérôme » (n° 39), d'Andrea del Castagno, où l'on voit l'artiste, à l'apogée de ce style farouche et teridu, de cette « terribilità » qui fait de lui une personnalité exceptionnelle dans la Florence du milieu du siècle, où l'on était un peu trop sensible à l'élégance bavarde et passablement mièvre de .Benozzo Gozzoli. On ne sait ce qu'il faut admirer le plus dans cette œuvre : l'équilibre et la force de la composition, scandée Par l'éloquence des draperies des deux saintes qui entourent le personnage principal, le pathétique expresionnisme du visage et du corps de saint Jérôme, le raccourci prodigieux de la Trinité qui domine la scène. Le « Saint Jérôme » est une de ces images si fortes si caractérisées d'Andrea del Castagno qu'elles ne s'effacent jamais de la mémoire et, ne seraitce qu'à cause de cette oeuvre, vous ; a L'ANNONCIATION >> (DÉTAIL) DE PONTORMO Une tradition bousculée seriez impardonnables, chers lecteurs, de manquer à ce devoir artistique sacré que représente pour vous la visite de l'exposition du Petit Palais. Après la « terribilità » du saint Jérôme, la « Visitation » et les <4 Scènes de la vie de saint JeanBaptiste » d'Andrea del Sarto nous montrent toutes les 'qualités du classicisme florentin en ses plus beaux jours : le sérieux, la décence et le naturel dans l'expression des passions ; une sorte de gravité tragique, 'majestueuse et simple qui fait penser à Racine: Les gestes mesurés de la douleur et de l'effroi, la rigoureuse architecture de l'espace scénique dans lequel se groupent et se déplacent avec aisance les personnages définissent à la perfection ce style noble auquel on ne peut reprocher que des emprunts unpeu trop évidents aux maîtres de l'époque. Mais l'allégorie de la « Justice », et surtout l'admirable « Espérance », sont les créations parfaitement originales d'un homme qu'une « certaine timidité d'esprit,- un tempérament réservé et simple », pour parler comme Vasari, n'empêchaient pas d'être «.un peintre sans erreurs _»;.• - • Pontormo ne"fut pas un peintre sans. erreurs, mais un. de . ces artistes de génie qui, avec Une audace inouïe,. tels -Lucain ou-Caravage; renouvellent une tradition- -épuisée, scandalisent leurs contemporains et s'arrêtent à la lisière . de . l'honorabilitéhistorique. rea del Pontormo fut un . élève d'And Sarto, comme le montre e la Vierge avec l'Enfant et quatre- 'saints » (n° 64). Mais ce 'qui était 'chez *An. drea del Sarto clarté- rythmique et équilibre lumineux des formes -devient ici entassement, tumulte ostentatoire, empiètement des volumes lés ims sur led autres - sainte Lucie hypnotise les spectateurs de son regard _aguichant en brandissant sur un pia-.' teau les yeux arrachés qui rappellent son martyre, la sainte à ses côtés paraît en proie à une_ abominable colique qui provoque nie torsion de tout son être, l'archange brandit ses - . - -