
RICSP, 2009, n. 2, p. 13-30
16 | S. Canivenc
Ici encore, les facteurs sociohistoriques déterminant les inégalités sont totalement
évacués, au prot cette fois-ci d’un déterminisme technophile survalorisant la capacité des
technologies de la communication à résoudre paciquement les dysfonctionnements et
conits. À la devise selon laquelle « tout problème trouve sa solution dans la consommation »
s’adjoint celle où « tout problème trouve sa solution dans la communication ».
Un mythe qui se traduit aujourd’hui directement dans une idéologie managériale qui
« tente de masquer les divisions et les écarts existants au sein de l’entreprise » pour faire de
l’entreprise un lieu « harmonieux, sans trace de dysfonctionnement interne, de division, de
conit (Le Goff, 2000, p. 35) ». Ici encore, nous est offerte une « vision édulcorée de la vie
sociale, dont l’état normal reposerait sur l’harmonie et l’intégration » et qui fait totalement
abstraction des « problématiques organisationnelles, économiques ou sociales (Brunel,
2004) ». Si dysfonctionnement il y a, il sera désormais « traduit en termes de manque de
compétences individuelles et relationnelles (Brunel, 2004) », de décit de compétences
communicationnelles.
À travers ces discours, les intérêts auparavant divergents convergent miraculeusement.
Dans la société de consommation, « en revendiquant le droit de mieux consommer, le
travail verrait ses aspirations rejoindre celles du capital, pour le plus grand bénéce de tous
(Ewen, 1983, p. 41) ». On retrouve ici trait pour trait les propos de Valérie Brunel (2004)
sur l’idéologie managériale contemporaine où « le bonheur de l’homme et le prot sont deux
nalités conciliables et même convergentes », où « non seulement il n’y a plus d’opposition
entre des logiques individuelles, sociales, politiques et économiques, mais celles-ci vont de
pair ».
On pourrait cependant se demander avec Catherine Loneux (2007, p. 112) si, dans ces
deux cas, cette miraculeuse convergence ne traduit pas en réalité l’extension de « l’application
des normes professionnelles et marchandes à l’ensemble de la société ». En effet avec la
société de consommation, « la logique marchande s’est généralisée, régissant aujourd’hui
non seulement les procès de travail et les produits matériels mais la culture entière, la
sexualité, les relations humaines jusqu’aux phantasmes et aux pulsions individuelles »
(Baudrillard, 1970, p. 308).
De même, face à la société de l’information, Gaëtan Tremblay (1996) s’interroge : « le
modèle de la société de l’information afrme que la nouvelle hégémonie de l’information
transforme la société industrielle. Ne faudrait-il pas se demander, à l’inverse si ce n’est pas
plutôt l’expansion de la logique capitaliste, plus que jamais triomphante, qui transforme
le monde de l’information et de la communication ? Le changement majeur ne réside-t-il
pas dans l’intégration de plus en plus poussée de l’information et de la communication au
fonctionnement de l’économie et de la société, dans la soumission de l’information et de la
communication aux règles qui régissent la société industrielle, bref dans la marchandisation
de l’information, de la culture et de la communication ? ».
L’intégration de la critique libertaire
Les discours qui accompagnent ces trois mythes (de la consommation, de l’information, du
management) ont également pour particularité de puiser au cœur de la critique libertaire.
Comme l’explique Stuart Ewen, le déploiement de la publicité dans les années 1920 aux
États-Unis est directement corrélé à l’épidémie de grèves de 1919 avec laquelle « les débats
sur l’autonomie et l’autogestion arrivaient en premier plan (Ewen, 1983, p. 191) ». Face à
cette « envahissante critique de la vie industrielle moderne », la publicité va alors proposer
« un monde de plaisirs et d’émotions, qui faisait concurrence aux remèdes drastiques