Communiquer
Revue de communication sociale et publique
2 | 2009
Varia
La socié de l’information et l’extension du
domaine de la pub
The information society and the extension of the field of advertising
Suzy Canivenc
Édition électronique
URL : http://communiquer.revues.org/347
DOI : 10.4000/communiquer.347
ISSN : 2368-9587
Éditeur
Département de communication sociale et
publique - UQAM
Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2009
Pagination : 13-30
Référence électronique
Suzy Canivenc, « La société de l’information et l’extension du domaine de la pub », Communiquer [En
ligne], 2 | 2009, mis en ligne le 01 février 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://
communiquer.revues.org/347 ; DOI : 10.4000/communiquer.347
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
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Certains droits réservés © Suzy Canivenc (2009).
Sous licence Creative Commons (by-nc-nd). 13
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CS
Revue internationale
Communication sociale et publique
La société de l’information et l’extension du
domaine de la pub
Suzy Canivenc
Docteure, PREFics (EA 3207/UMR CNRS 8143), Université Européenne de Bretagne - Rennes 2, France
Résumé :
Cet article s’intéresse aux liens qui unissent la société de l’information au précédent régime
« de la consommation ». Nous développerons l’hypothèse selon laquelle la société de
l’information s’inscrit moins en rupture de cette dernière que dans son prolongement.
Les phénomènes contemporains semblent même témoigner de l’extension du régime de la
consommation qui, dans une étrange mise en abîme, fait retour sur son point d’origine en
inltrant le monde de l’entreprise.
En nous appuyant sur différents travaux des sciences humaines et l’étude communicationnelle
de deux entreprises caractéristiques de la société de l’information, nous soulignerons
ainsi les nombreuses similitudes qu’entretiennent la société de l’information, la société
de consommation et le management contemporain, se nourrissant d’un même mythe et
usant des mêmes techniques pour nalement assurer la reproduction d’un même système.
Cette extension du domaine de la pub rencontre cependant de vives critiques mais dont la
capacité de résistance semble s’amoindrir.
Mots-clés : société de l’information ; société de consommation ; management
contemporain ; mythe ; pratiques ; critique.
This article deals with the links which join information society with the previous
“consumption” regime. We shall develop the hypothesis according to which the society of
information registers less in break of the consumption society than in its extension.
Contemporary phenomena even seem to manifest the extension of the consumption regime
which, in a strange recursive curl, makes return on its point of origin by inltrating
rms.
Based on several studies in human sciences and the communicational analysis of
two characteristic rms of information society, we shall underline lots of similarities
which maintain the information society, the consumption society and contemporary
management. They all feed on the same myth and use of the same techniques in order to
reproduce the same system. However, this phenomenon meets a strong criticism but its
capacity of resistance seems to diminish.
Keywords: information society ; consumption society ; contemporary management ;
myth ; practices ; critic.
Dans les années 1970, alors que la société de consommation fait face à une contestation
galopante, une nouvelle « nomination » (Jeanneret, 2005) émerge pour qualier les sociétés
occidentales : « la société de l’information ». Issue conjointement de la révolution économique
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qui accompagne l’expansion du secteur tertiaire et de la révolution technologique qui voit
naître l’ordinateur, la société de l’information nous annonce des bouleversements majeurs :
« démocratisation, autonomie des individus, mobilisation, contraction de l’espace-temps
(Neveu, 2006, p. 51) ».
La société de l’information nous ferait ainsi entrer dans une nouvelle ère, au plus grand
prot de tous. Ce changement de « nomination » nous semble cependant occulter une
question centrale : quelle relation, au juste, entretient la notion de « société de l’information »
avec celle qui la précédait : la « société de consommation » ? Fait-elle réellement rupture ou
incarne-t-elle son simple prolongement voire, plus encore, son extension ?
C’est cette question que nous cherchons à éclairer dans cet article en privilégiant cette
dernière hypothèse.
Nous tenterons ainsi de montrer tout au long de ce texte les nombreuses similitudes
qu’entretiennent la société de consommation et la société de l’information, se nourrissant
d’un même mythe et opérant selon les mêmes modalités pour nalement assurer la
reproduction d’un même système.
Nous nous appuierons pour ce faire, sur les grands auteurs ayant étudié les discours
accompagnant l’émergence de ces deux « mythes » : Jean Baudrillard (1970) et Stuart Ewen
(1983) d’un côté ; Erik Neveu (2006) ou encore Yves Jeanneret (2005) de l’autre.
La société contemporaine nous paraît toutefois marquer une étape supplémentaire dans
le déploiement de la société de consommation. Ce processus d’expansion prend cependant
la forme étrange d’une boucle récursive : après avoir envahi notre quotidien, la société de
consommation semble faire retour sur son point d’origine, l’espace de production. La société
de l’information qui émerge dans les années 1970 s’accompagne en effet d’une idéologie
managériale elle aussi très proche du mythe de la consommation et qui va directement
s’inspirer des techniques façonnées par les publicitaires pour les appliquer au monde de
l’entreprise.
Pour « mettre à l’épreuve » cette hypothèse, nous nous baserons sur l’étude de deux
entreprises caractéristiques de la société de l’information du fait de leur activité centrée
sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) : l’agence
régionale d’une SSII1 (que nous nommerons SI) et un éditeur de logiciels (que nous
nommerons Log).
La procédure d’enquête qui a guidé ces analyses se base sur une étude conjointe des
discours et des pratiques de ces deux organisations.
L’étude des discours repose sur une analyse qualitative des chartes d’entreprise, site
Internet et Intranet, vidéos, articles, revues et ouvrages réalisés par ces deux entreprises.
L’objectif de ce premier travail d’analyse sera de déterminer « de quelles(s) conception(s)
des entreprises et des organisations ils sont porteurs (Le Moënne, 2006) » pour souligner
leur inscription dans le mythe de la société de consommation.
L’étude des pratiques s’inspire quant à elle du champ de la communication
organisationnelle prenant place au sein des sciences de l’information et de la communication
(SIC). Observations et entretiens ont ainsi accordé une place centrale aux thématiques
informationnelles et communicationnelles (telles la circulation de l’information,
l’organisation des réunions, les relations internes) que nous appréhendons comme des
« indices » (Taylor, 1988), des traces des phénomènes organisationnels renseignant sur le
1. Société de services en ingénierie informatique
La société de l’information et l’extension du domaine de la pub | 15
style de leadership des encadrants et dirigeants, la nature des liens interhiérarchiques ou
encore la « culture » de l’entreprise.
Ces études ont débuté par une période d’immersion d’un mois dans les locaux de ces
deux entreprises, qui ont ensuite été suivies pendant un an. Les entretiens réalisés ont porté
sur un échantillon large et représentatif de l’ensemble des membres. À Log (composée de
treize membres), dix personnes réparties dans les trois pôles de l’entreprise (technique,
commercial et administratif) on été interrogées, dirigeant et directeur technique compris. À
l’agence régionale de SI (composée de onze membres), sept personnes ont été interviewées,
soit le directeur d’agence et six ingénieurs.
Un ensemble de données empiriques que nous ferons ici « dialoguer » avec divers
travaux en sciences humaines et sociales portant sur les nouvelles formes d’organisation,
pour mieux appréhender la portée des discours étudiés et des pratiques observées.
Ces deux terrains nous permettront ainsi d’accéder à la traduction empirique du mythe
contemporain de « la société de l’information » et de « l’idéologie managériale » pour
analyser concrètement les multiples liens qu’ils entretiennent avec celui de la consommation.
Ils nous permettront également de constater les réactions que suscite cette extension du
« domaine de la pub » et les formes de résistance qui s’y opposent.
Le mythe d’une société égalitaire et pacique
Les discours accompagnant l’émergence de la « société de l’information » et de l’idéologie
managériale qui lui est consubstantielle semblent entretenir d’étranges similitudes avec le
mythe de la « société de consommation ». De part et d’autre, s’offre en effet l’image d’une
société égalitaire, pacique et démocratique puisant au cœur de la critique libertaire.
La n des inégalités
Les discours entourant le mythe de la consommation et de l’information ont tout d’abord
pour point commun d’« euphémiser » (Brunel, 2004) les inégalités et les conits existant
au sein de la société. Un phénomène d’euphémisation que l’on retrouve en entreprise avec
l’idéologie managériale contemporaine.
Jean Baudrillard présente en effet le « mythe du bonheur », au fondement de la société
de consommation, comme l’héritier de la « révolution qui érige en principe l’égalité des
hommes (Baudrillard, 1970, p. 60) ».
La société de consommation offre ainsi la promesse d’une « plus large satisfaction
des besoins humains en abolissant les barrières de classe entre les ’’possédants’’ et les
’’prolétaires’’ » grâce à une « homogénéisation sociale au plus haut niveau (Baudrillard,
1970, p. 89) ». Désormais, les inégalités sociales peuvent se résorber grâce à la consommation
qui offre ainsi une « explication pacique et dépolitisée » (Ewen 1983, p. 58) du monde
social. Jean Baudrillard attribue ainsi au mythe du bonheur et du bien-être « une puissante
fonction idéologique de résorption, d’effacement des déterminations objectives, sociales et
historiques de l’inégalité (Baudrillard, 1970, p. 61) ».
Ce mythe se retrouve parfaitement dans les discours contemporains sur la société de
l’information étudiés par Erik Neveu mettant en scène une « société plus égalitaire »,
une « société paciée (…) moins fracturée par les idéologies et les antagonismes
sociaux » grâce à la réduction « des inégalités de savoir, de pouvoir, de responsabilité
(Neveu, 2006, p. 65, p. 81) » qui accompagne la diffusion des NTIC au sein du tissu social.
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Ici encore, les facteurs sociohistoriques déterminant les inégalités sont totalement
évacués, au prot cette fois-ci d’un déterminisme technophile survalorisant la capacité des
technologies de la communication à résoudre paciquement les dysfonctionnements et
conits. À la devise selon laquelle « tout problème trouve sa solution dans la consommation »
s’adjoint celle où « tout problème trouve sa solution dans la communication ».
Un mythe qui se traduit aujourd’hui directement dans une idéologie managériale qui
« tente de masquer les divisions et les écarts existants au sein de l’entreprise » pour faire de
l’entreprise un lieu « harmonieux, sans trace de dysfonctionnement interne, de division, de
conit (Le Goff, 2000, p. 35) ». Ici encore, nous est offerte une « vision édulcorée de la vie
sociale, dont l’état normal reposerait sur l’harmonie et l’intégration » et qui fait totalement
abstraction des « problématiques organisationnelles, économiques ou sociales (Brunel,
2004) ». Si dysfonctionnement il y a, il sera désormais « traduit en termes de manque de
compétences individuelles et relationnelles (Brunel, 2004) », de décit de compétences
communicationnelles.
À travers ces discours, les intérêts auparavant divergents convergent miraculeusement.
Dans la société de consommation, « en revendiquant le droit de mieux consommer, le
travail verrait ses aspirations rejoindre celles du capital, pour le plus grand bénéce de tous
(Ewen, 1983, p. 41) ». On retrouve ici trait pour trait les propos de Valérie Brunel (2004)
sur l’idéologie managériale contemporaine « le bonheur de l’homme et le prot sont deux
nalités conciliables et même convergentes », où « non seulement il n’y a plus d’opposition
entre des logiques individuelles, sociales, politiques et économiques, mais celles-ci vont de
pair ».
On pourrait cependant se demander avec Catherine Loneux (2007, p. 112) si, dans ces
deux cas, cette miraculeuse convergence ne traduit pas en réalité l’extension de « l’application
des normes professionnelles et marchandes à l’ensemble de la société ». En effet avec la
société de consommation, « la logique marchande s’est généralisée, régissant aujourd’hui
non seulement les procès de travail et les produits matériels mais la culture entière, la
sexualité, les relations humaines jusqu’aux phantasmes et aux pulsions individuelles »
(Baudrillard, 1970, p. 308).
De même, face à la société de l’information, Gaëtan Tremblay (1996) s’interroge : « le
modèle de la société de l’information afrme que la nouvelle hégémonie de l’information
transforme la société industrielle. Ne faudrait-il pas se demander, à l’inverse si ce n’est pas
plutôt l’expansion de la logique capitaliste, plus que jamais triomphante, qui transforme
le monde de l’information et de la communication ? Le changement majeur ne réside-t-il
pas dans l’intégration de plus en plus poussée de l’information et de la communication au
fonctionnement de l’économie et de la société, dans la soumission de l’information et de la
communication aux règles qui régissent la société industrielle, bref dans la marchandisation
de l’information, de la culture et de la communication ? ».
L’intégration de la critique libertaire
Les discours qui accompagnent ces trois mythes (de la consommation, de l’information, du
management) ont également pour particularité de puiser au cœur de la critique libertaire.
Comme l’explique Stuart Ewen, le déploiement de la publicité dans les années 1920 aux
États-Unis est directement corrélé à l’épidémie de grèves de 1919 avec laquelle « les débats
sur l’autonomie et l’autogestion arrivaient en premier plan (Ewen, 1983, p. 191) ». Face à
cette « envahissante critique de la vie industrielle moderne », la publicité va alors proposer
« un monde de plaisirs et d’émotions, qui faisait concurrence aux remèdes drastiques
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