L’épisode MALI : réflexions sur un cas de désobéissance civile au Maroc Mohamed – Sghir Janjar E & E, n° 6 Ce texte a été présenté en avril 2011 dans le cadre d’un séminaire qui s’est tenu à la Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales d’Aïn Sbaa (Casablanca) Les Etudes et les Essais du Centre Jacques Berque N° 6 - Novembre 2011 Rabat (Maroc) Etudes et Essais du CJB, n° 6 , 2011 L’épisode MALI : réflexions sur un cas de désobéissance civile au Maroc Mohamed-Sghir Janjar Directeur adjoint de la Fondation Abdul Aziz Al Saoud, Casablanca [email protected] Le vent de la contestation politique souffle violemment depuis le début de l’année 2011 sur les régimes arabes, dont deux (en Tunisie et Egypte) appartiennent déjà au passé, tandis qu’ailleurs (du Maroc au Yémen en passant par la Lybie et la Syrie), les soulèvements populaires redoublent d’intensité et inventent de nouveaux modes de mobilisation et de lutte contre des systèmes politiques autoritaires. La rupture était d’autant plus brutale que ces derniers avaient fini par acquérir l’image de systèmes indestructibles. N’ont-ils pas survécu aux multiples vagues de démocratisation depuis les années 1970, pour se retrouver ensuite doublement renforcés, à la fois par l’orientation sécuritaire qui s’imposa dans les démocraties occidentales au lendemain du 11 septembre 2001, et par le consensus mondial autour de la stratégie de lutte contre le terrorisme et l’endiguement de l’islamisme politique. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant qu’une avalanche d’essentialisme dévale des hautes sphères de la réflexion académique pour atteindre les médias les plus populaires, déversant ainsi des flots de discours culturalistes, allant des plus vulgaires stéréotypes sur le fatalisme des Arabes, jusqu’aux plus sophistiquées des constructions théoriques sur le « choc des civilisations » et le « conflit des cultures ». A présent, la séquence historique ouverte par les événements en question, est loin d’apporter des réponses satisfaisantes aux vieilles interrogations sur le devenir de la démocratie dans le monde arabe, mais elle a, au moins, le mérite de retourner la complexité de l’histoire contre le simplisme des explications dominantes fondées sur le « déterminisme culturaliste » 1 . Le contexte arabe conduit nécessairement à s’interroger sur les soubassements des évènements actuels et sur les multiples formes de la contestation politique et sociale qui les auraient préparés. Certes, de telles ruptures dans l’ordre social et politique ont à voir avec des maturations propres à des temporalités longues (la transition démographique, la scolarisation massive des populations, l’urbanisation, la mutation de l’ordre familial, le changement dans les rapports de genres, l’émergence de l’individu, etc.). Mais on est tenté de voir s’il n’y a pas, dans le passé récent, des traces de phénomènes sociaux marginaux ou d’actions politiques éphémères, susceptibles d’instruire l’intelligibilité des processus en cours ? L’entreprise est, sans doute, risquée dans le sens où elle expose l’observateur à la satisfaction illusoire de se croire plus avisé après coup. Et, fort de sa volonté de dompter la force de la surprise, ne risque t- il pas de voir des liens et des continuités là où ne règne qu’un chaos de contingences ! L’épisode MALI : essai de reconstitution des faits Le cas marocain de mouvement de contestation politique a eu, à mon sens, toutes les caractéristiques d’une action de désobéissance civile. Il s’agit du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI) ; réseau social qui s’est constitué virtuellement sur Internet, avant de passer à l’action en essayant d’organiser un piqueVoir : « La renaissance de l’espoir démocratique », entretien avec Pierre Hassner, in Esprit, n°3-4, marsavril, 2011, p. 17. 1 2 Etudes et Essais du CJB, n° 6 , 2011 nique en plein ramadan pour rompre le jeûne publiquement, et demander ainsi la réforme des lois en vigueur jugées liberticides et discriminatoires. Tout a commencé sur Facebook durant le mois d’août 2009 avec la rencontre virtuelle d’un groupe de jeunes habitués aux débats politiques et aux campagnes de mobilisation sur Internet pour la défense des libertés individuelles 2 . Ils se sont illustrés notamment dans les luttes pour la réforme du Code de la famille en 2000 ; la défense de Fouad Mourtada (créateur d’un pastiche du profil du prince Moulay Rachid sur Facebook) ou la création du groupe des 9%.) 3 . Leurs échanges aboutissent à la création sur Facebook du groupe portant le nom de MALI. Après de longues délibérations, le groupe s’est doté d’une charte dans laquelle ont été définies les trois catégories de droits individuels à défendre : - La suppression de la peine de mort et la pénalisation de la torture ; - La liberté de pensée, de conscience et de culte ; - La liberté d’opinion et d’expression. Et comme c’était la veille du ramadan, le groupe décide que sa première action soit l’organisation, le 13 septembre 2009, d’un « pique-nique symbolique » dans une forêt près de la ville de Mohammedia, pour dénoncer l’article 222 du Code pénal marocain qui stipule ceci : « Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni d’un mois à six mois Il s’agit notamment de Zineb El Rhazoui (journaliste âgée de 27 ans résidant à Casablanca) et Ibtissam Lachgar (pédopsychiatre âgée de 34 ans, résidant à Rabat) ou de Najib Chaouki, jeune étudiant en philosophie, qui fut l’animateur sur Facebook du groupe connu sous le nom « Jeûneurs, non-jeûneurs, tous des Marocains ». 3 Les 9% représentent le taux des déçus du système révélé par un sondage sur la popularité du roi. Les magazines Tel Quel et Nichane qui avaient publié les résultats de ce sondage ont été saisis à l’imprimerie par le ministère de l’Intérieur, le 1er août 2009, et tous leurs exemplaires ont été détruits. 2 d’emprisonnement et d’une amende de 12 à 120 DH ». Les membres du groupe déclarent vouloir atteindre à travers cette première manifestation une série d’objectifs dont notamment : - Dénoncer les formes de ségrégation et d’intolérance dont sont victimes ceux qui ont choisi librement de ne pas jeûner ; - Profiter du pique-nique pour débattre « dans le calme » de la liberté de conscience avec la participation des deux parties (ceux qui mangent leur sandwich et les autres qui décident d’attendre l’heure de la rupture du jeûne pour manger) ; - Démarrer un plaidoyer pour l’abrogation de l’article 222 du Code pénal jugé opposé aux conventions internationales signées par la Maroc, aux droits humains tels qu’ils sont reconnus sur le plan international et auxquels se réfère le préambule de la constitution marocaine. Le 13 septembre, plusieurs dizaines de policiers investissent la gare de Mohammedia, lieu de rencontre des membres du MALI, les empêchant sous le regard de journalistes marocains et espagnols de se rendre au lieu du pique-nique, et les obligeant à rentrer chez eux. Le lendemain, les réactions de condamnation et de soutien se succèdent ainsi que les interrogatoires des personnes concernées dans les locaux de la police à Mohammedia. Outre les diverses prises de position sur Internet, notons les réactions suivantes : - La presse espagnole : El Mundo titre le soir même « Au Maroc, 100 policiers contre 10 sandwichs ». A cela, la MAP répond immédiatement par une dépêche se félicitant de la « mise en échec d’une tentative de rupture du jeûne à Mohammedia » et qualifiant le MALI « d’organisation inconnue » dont l’action est « appuyée par des étrangers ainsi que par certains organes de presse nationaux et étrangers ». La traditionnelle thèse du complot étranger est reprise le soir du 14 septembre par le Conseil provincial des ulémas de Mohammedia qui dénonce un « acte odieux ». Ils seront relayés 3 Etudes et Essais du CJB, n° 6 , 2011 par des idéologues de l’islamisme politique comme Abdelbari Zemzmi (député du Parti de la Renaissance et de la Vertu) et Mustapha Ramid (député du PJD). La tension monte d’un cran lorsque Mohamed Moâtassim, Conseiller du roi, convoque les chefs des principaux partis politiques pour les inciter à condamner « avec fermeté » l’initiative du MALI. C’était le signal qu’attendait un certain nombre d’acteurs (partis politiques, associations et groupes de presse, etc.) pour se lancer dans une surenchère de dénonciation et de condamnation. Le journal Al-Masaa reprend à son compte la thèse du complot et demande la traduction des membres du groupe MALI devant la justice. Ce discours est repris également par la Jeunesse du PJD. Quant à Khalid Naciri, ministre de la Communication et porte parole du gouvernement, il traite les initiateurs du « pique-nique de Mohammedia » de « jeunes immatures qui se cherchent un parapluie étranger ». Il n’hésite pas à établir le lien entre le système de protection économique par lequel les puissances européennes se sont introduites au Maroc au XIXe siècle, et les contestataires de l’article 222 du Code pénal, présumés manipulés par des forces étrangères qui agissent contre le pays sous couvert de défense des droits humains. « Le Maroc, poursuit-il, avait connu pareille situation durant la période précoloniale avec le système des Protections, sauf que cette fois l’histoire ne peut pas se répéter ». Saisissant l’occasion de la tenue du onzième congrès de l’Organisation de la jeunesse istiqlalienne, Abbas El-Fassi, Secrétaire général du Parti et chef du gouvernement, s’est attaqué à l’Association Marocaines des Droits de l’Homme qui s’est solidarisée avec les jeunes du MALI, et a appelé la jeunesse de son parti à « affronter avec fermeté et courage les choix laïcs et anti religieux de l’AMDH ». Il a également réaffirmé « le refus de son parti de défendre ceux qui rompent le jeûne le jour et publiquement ». De même qu’il a rappelé l’attachement de son parti à « la liberté contre la licence et la débauche sous leurs diverses formes » et aux « valeurs et principes de l’islam modéré ». Dans le sillage de ces réactions, se sont constitués sur Internet plusieurs groupes dont l’unique motivation était de s’opposer aux positions du groupe MALI. C’est le cas notamment du Mouvement « Ne touche pas à ma religion » (matqisch dini). Par ailleurs, le groupe avait reçu le soutien de l’AMDH et l’OMDH, de Bayt alHikma ou d’Human Rights Watch, ainsi que celui des partis de la gauche radicale et de certains organes de presse locaux comme Tel Quel ou Al-Ahdath al-Maghribiya. Lors des traditionnelles séances d’interrogatoire, les questions de la police judiciaire de Mohammedia ont porté sur les liens éventuels des jeunes du MALI avec l’étranger, leurs sources de financement ou leurs positions vis à vis de la religion. Mais une grande partie des questions avait à voir, selon les déclarations des concernés, avec le fonctionnement de cet outil « magique » qui était à l’origine de leur mouvement : Facebook. Après de nombreux allers-retours entre leur domicile et le local de la police judiciaire, les candidats au pique –nique avorté ont été relâchés sans qu’aucune poursuite judiciaire ne soit engagée contre eux. Interviewée par l’hebdomadaire Tel Quel, Ibtissam Lachgar, membre fondateur du groupe MALI, déclara ceci : « Nos convictions n’ont pas changé, mais si nous devons tout reprendre de zéro, nous nous y prendrions autrement, de manière plus structurée – peut- être en organisant des tables rondes, des débats » (n° 391 du 26 septembre 2009). Faut-il s’étonner de revoir, un peu plus d’une année plus tard, ces mêmes jeunes profiter de la conjoncture créée par les soulèvements en Tunisie et en Egypte, pour participer à la création de plusieurs réseaux sociaux qui donneront naissance au « Mouvement du 20 février : jeunes pour le changement » dans lequel se sont retrouvés des jeunes sans appartenance politique, ainsi que des opposants politiques de tous bords 4 . Il s’agit de jeunes militants de l’Association marocaine des droits de l’homme, des islamistes de Adl wa AlIhsan (Justice et Bienfaisance), des gauchistes d’Al4 4 Etudes et Essais du CJB, n° 6 , 2011 Ce mouvement, qui vient à peine de naître, compte déjà à son actif l’initiation d’une forme inédite de contestation politique ; la provocation d’une réforme constitutionnelle et le lancement d’une dynamique de changements politiques dont il est encore trop tôt pour en mesurer tous les effets politiques. Le cas MALI et la désobéissance civile En quoi l’initiative du MALI peut-elle être assimilée à une action de désobéissance civile ? Dans sa Théorie de la justice, John Rawls reprend et approfondi la réflexion initiée par Hugo A. Bedau au début des années 1960 sur la question de la désobéissance civile 5 , et lui donne ainsi l’une des formulations théoriques les plus élaborées. C’est donc, à la lumière de cette approche rawlsienne que nous essayerons de lire l’épisode « MALI » et de dégager certains éléments qui en font une des premières expériences de désobéissance civile dans l’histoire récente du Maroc indépendant. Notons d’abord que Rawls inscrit sa justification de la désobéissance civile dans le cadre global de sa théorie de la justice. Or, celle-ci s’adresse, en premier lieu, aux citoyens de sociétés démocratiques, dans lesquelles règne l’Etat de droit. Il s’agit, aux yeux de Rawls, de sociétés où la justice serait presque achevée si certaines violations des droits des personnes ne viennent pas ternir leur image. Il va de soi, selon lui, que dans les régimes despotiques et corrompus, l’action de désobéissance civile est une forme de dissidence ou de résistance non violente légitime qui n’exige pas une justification particulière. Cette distinction nous paraît importante pour l’intelligibilité du cas marocain, car il faut souligner que le MALI, à l’instar de mouvements plus anciens de lutte Nahj Dimaqrati (La Voie démocratique), ainsi que des jeunes des autres partis politiques. 5 Hugo A. Bedau, “On Civil Desobedience” in The Journal of Philosophy, vol. 58, n° 21, p. 653-665. John Rawls consacre une grande partie du 6e chapitre de son ouvrage intitulé Devoir et obligation (p. 375-434) à l’examen de la question de la désobéissance civile en rapport avec celle de l’objection de conscience. Voir : John Rawls, Théorie de la justice, trad. française de Catherine Audard, Paris : Seuil, 1987. pour les droits de l’homme, ceux des femmes ou les droits culturels amazighes, etc., présentent un trait commun : leur action présuppose l’existence d’un cadre démocratique qui est certes incomplet, mais réformable. A l’exception de voix très minoritaires et marginales, la majorité des membres du mouvement refusent d’assimiler le système politique marocain à un régime despotique fermé et irréformable. Ce postulat de base se traduit par une série d’éléments constitutifs de la culture de lutte pour les droits, qui a prévalu au Maroc durant les trois dernières décennies ; culture dont le MALI porte la marque profonde, et à laquelle, il ajoute sa touche propre. Citons parmi ces éléments : - La conviction quasi constante chez les acteurs de revendiquer des réformes de nature politique et qui soient réalisables avec des moyens politiques dans le contexte institutionnel marocain. Cela est valable même quand il s’agit de projets de réformes mettant en question des lois supposées fondées sur des données religieuses (le cas du Code de la famille ou l’article 222 du Code pénal, etc.) - Le maintien, en dépit des multiples défaillances du processus démocratique national, du dialogue avec les autorités (gouvernement, parlement, administration territoriale, etc.) en tant qu’institutions d’un Etat légitime puisque fondées sur des principes constitutionnels partagés par la majorité des citoyens. - L’attachement à une stratégie de plaidoyer qui a été initiée par le mouvement des femmes dans les années 1990, et qui s’est révélée très efficace, notamment lors du grand débat public autour de la réforme du Code de la famille. Les résultats obtenus sont d’autant plus importants que l’environnement sociopolitique était généralement hostile aux revendications des réformateurs. C’est une stratégie qui consiste, entre autres, à rappeler systématiquement à l’Etat ses engagements internationaux en matière des droits de l’homme, en s’appuyant à la 5 Etudes et Essais du CJB, n° 6 , 2011 fois sur la norme internationale et sur le préambule de la constitution marocaine. Rawls définit la désobéissance civile « comme un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement » 6 . Mais avant de voir dans le détail, et à la lumière de cette définition de Rawls, ce qui fait de l’initiative du MALI un acte de désobéissance civile, notons d’abord qu’il y a eu des précédents dans l’histoire contemporaine du Maroc. En effet, le mouvement national de lutte pour l’indépendance avait recouru, notamment dans les années 1950, à plusieurs formes d’action de désobéissance civile tel le boycotte de certains produits comme le tabac. Il n’a, d’ailleurs, pas hésité à l’imposer à la population par des moyens coercitifs. Un acte public de nature politique : au Maroc, comme dans la majorité des pays musulmans, surtout ceux dépourvus de minorités religieuses importantes, la nécessité de se conformer à l’obligation du jeûne dans l’espace public durant le mois du ramadan s’imposait aux non- pratiquants par deux moyens : la pression sociale collective de la majorité pratiquante, et la loi (article 222 du Code pénal marocain). Dans les rares occasions où la question du respect de la liberté des non-pratiquants s’est posée dans le débat public 7 , l’attitude récurrente des défenseurs du maintien de l’ordre des choses tel qu’il est, consistait à dire : rien n’empêche les non-pratiquants de rompre le jeûne chez eux, car compte tenu du fait que la religion occupe largement l’espace public durant le mois du ramadan, tout acte public transgressif risque de constituer une provocation pour la majorité des jeûneurs dont les conséquences seraient incontrôlables. Paradoxalement, cette position défendue par un large éventail d’acteurs (une forte sensibilité de l’opinion public, les religieux modérés, certains dirigeants du PJD et plus officieusement par les autorités publiques) fait passer sous silence la dimension religieuse, pour ne mettre l’accent que sur l’aspect paix civile et sécurité publiques 8 . L’initiative du MALI (pique-nique et rupture du jeûne en public) s’attaque frontalement au consensus tacite qui a dominé jusque là. En transposant le débat autour du droit à manger en public durant le ramadan, le MALI conteste la définition établie du public/privé, et en fait par conséquent un objet de débat politique. Cela se traduit par la contestation de la loi 222 du Code pénal jugé injuste, liberticide et discriminatoire à l’égard des personnes nonpratiquantes soumises à l’obligation du jeûne pendant le mois de ramadan. A partir de là, s’ouvre une large délibération obligeant les différents acteurs – y compris les pouvoirs publics – à se positionner. Le pique-nique auquel ont été invités les pratiquants du jeûne, contribue à la dramatisation de l’événement et à sa publicité dans l’espace public (débat sur Internet, dans la presse, invitation de journalistes marocains et étrangers sur le site à Mohammedia). Un acte personnel et pacifique : dès les échanges préparatoires sur Facebook, les initiateurs du MALI ont affiché leurs vraies identités. En passant du virtuel à l’action sur le terrain, ils ont engagé leur responsabilité en tant qu’individus conscients de procéder à une transgression de la loi, et mesurant la nature des sanctions liées à l’infraction qu’ils s’apprêtaient à commettre. Par contre, ils étaient surpris, selon leurs témoignages dans la presse, par l’ampleur des réactions condamnant leur geste, et par les conséquences politiques de celui-ci. Un acte de portée générale : les membres du MALI engagent leur responsabilité personnelle dans le cadre d’une action d’une portée générale qui fait appel à une conception universelle de la justice et de Il aurait été difficile de justifier l’article 222 du Code pénal par le fait que le jeûne constitue un des cinq piliers de l’islam, et qu’en tant que tel, il s’impose à tous les marocains de confession musulmane. Il faudrait, dans ce cas là, expliquer l’absence de textes similaires relatifs aux autres piliers de la religion comme les cinq prières quotidiennes ou l’aumône légale (zakat). 8 John Rawls, ibid, p. 405. 7 Ce sont surtout des organes de presse francophone comme le magazine Tel Quel et Le Journal, qui ouvrent régulièrement ce débat avec l’approche du ramadan. Compte tenu de ses liens avec Tel Quel, l’hebdomadaire arabophone Nichane y a aussi participé. 6 6 Etudes et Essais du CJB, n° 6 , 2011 la liberté. Contrairement aux objecteurs de conscience qui ne s’appuient que sur les principes de leur morale personnelle, les membres du MALI conteste l’article 222 du code pénal, au nom des principes des droits de l’homme auxquels se réfère le préambule de la constitution et qui sont inscrits dans une série de conventions internationales ratifiées par l’Etat marocain. Le MALI, précurseur du Mouvement du 20 février : il est frappant de voir que l’expérience du MALI présente, par de nombreux aspects, une sorte d’esquisse de ce qui prendra forme avec le Mouvement du 20 février au Maroc. On notera tout d’abord, le rôle joué par les réseaux sociaux sur Facebook. Inutile d’insister sur l’importance qu’a eu l’usage des réseaux sociaux chez les jeunes, et sur les nouvelles formes qu’a prise la liberté d’expression et la contestation politique dans les sociétés arabes 9 . Mais l’intérêt particulier de l’expérience du MALI réside notamment dans le fait qu’elle a joué comme test du passage de l’initiative virtuelle à l’action sur le terrain. Elle a aussi servi à faire émerger des individualités qui, par la technique des blogs, ont poursuivi l’animation du débat sur la question des libertés. La vague de contestation politique incarnée par le Mouvement du 20 février présente à l’évidence, de nombreux traits communs avec les différentes formes de soulèvement que connaissent actuellement les pays arabes. Par ailleurs, la plupart des observateurs n’hésitent pas à pointer la particularité de l’expérience marocaine, même si leurs avis divergent dès qu’il s’agit de préciser le contenu propre de cette particularité. Or, il ressort de l’expérience pionnière du MALI, que cette spécificité devrait être cherchée du côté de la culture et de la mémoire des luttes pour les droits qui se sont constituées au cours des trente dernières années grâce notamment aux associations des droits de l’homme, au mouvement des femmes, aux réseaux de lutte pour la reconnaissance des droits linguistiques et culturels amazighes ou aux luttes des diplômés chômeurs pour le droit au travail. Depuis l’avènement du soulèvement tunisien et la chute du régime de Ben Ali (décembre 2010 - janvier 2011), de nombreuses publications (livres et revues) ont mis l’accent sur le lien entre révolution numérique et « Printemps arabe ». 9 7