Etudes et Essais du CJB, n° 6 , 2011
Ce mouvement, qui vient à peine de naître,
compte déjà à son actif l’initiation d’une
forme inédite de contestation politique ; la
provocation d’une réforme constitutionnelle
et le lancement d’une dynamique de
changements politiques dont il est encore trop
tôt pour en mesurer tous les effets politiques.
Le cas MALI et la désobéissance civile
En quoi l’initiative du MALI peut-elle
être assimilée à une action de désobéissance
civile ?
Dans sa Théorie de la justice, John Rawls
reprend et approfondi la réflexion initiée par
Hugo A. Bedau au début des années 1960 sur
la question de la désobéissance civile5, et lui
donne ainsi l’une des formulations théoriques
les plus élaborées. C’est donc, à la lumière de
cette approche rawlsienne que nous
essayerons de lire l’épisode « MALI » et de
dégager certains éléments qui en font une des
premières expériences de désobéissance civile
dans l’histoire récente du Maroc indépendant.
Notons d’abord que Rawls inscrit sa
justification de la désobéissance civile dans le
cadre global de sa théorie de la justice. Or,
celle-ci s’adresse, en premier lieu, aux citoyens
de sociétés démocratiques, dans lesquelles
règne l’Etat de droit. Il s’agit, aux yeux de
Rawls, de sociétés où la justice serait presque
achevée si certaines violations des droits des
personnes ne viennent pas ternir leur image. Il
va de soi, selon lui, que dans les régimes
despotiques et corrompus, l’action de
désobéissance civile est une forme de
dissidence ou de résistance non violente
légitime qui n’exige pas une justification
particulière. Cette distinction nous paraît
importante pour l’intelligibilité du cas
marocain, car il faut souligner que le MALI, à
l’instar de mouvements plus anciens de lutte
Nahj Dimaqrati (La Voie démocratique), ainsi que des
jeunes des autres partis politiques.
5 Hugo A. Bedau, “On Civil Desobedience” in The
Journal of Philosophy, vol. 58, n° 21, p. 653-665. John
Rawls consacre une grande partie du 6e chapitre de son
ouvrage intitulé Devoir et obligation (p. 375-434) à
l’examen de la question de la désobéissance civile en
rapport avec celle de l’objection de conscience. Voir :
John Rawls, Théorie de la justice, trad. française de
Catherine Audard, Paris : Seuil, 1987.
pour les droits de l’homme, ceux des femmes
ou les droits culturels amazighes, etc.,
présentent un trait commun : leur action
présuppose l’existence d’un cadre
démocratique qui est certes incomplet, mais
réformable. A l’exception de voix très
minoritaires et marginales, la majorité des
membres du mouvement refusent d’assimiler
le système politique marocain à un régime
despotique fermé et irréformable.
Ce postulat de base se traduit par une
série d’éléments constitutifs de la culture de
lutte pour les droits, qui a prévalu au Maroc
durant les trois dernières décennies ; culture
dont le MALI porte la marque profonde, et à
laquelle, il ajoute sa touche propre. Citons
parmi ces éléments :
- La conviction quasi constante chez les
acteurs de revendiquer des réformes de
nature politique et qui soient réalisables
avec des moyens politiques dans le
contexte institutionnel marocain. Cela est
valable même quand il s’agit de projets de
réformes mettant en question des lois
supposées fondées sur des données
religieuses (le cas du Code de la famille ou
l’article 222 du Code pénal, etc.)
- Le maintien, en dépit des multiples
défaillances du processus démocratique
national, du dialogue avec les autorités
(gouvernement, parlement, administration
territoriale, etc.) en tant qu’institutions
d’un Etat légitime puisque fondées sur des
principes constitutionnels partagés par la
majorité des citoyens.
- L’attachement à une stratégie de plaidoyer
qui a été initiée par le mouvement des
femmes dans les années 1990, et qui s’est
révélée très efficace, notamment lors du
grand débat public autour de la réforme
du Code de la famille. Les résultats
obtenus sont d’autant plus importants que
l’environnement sociopolitique était
généralement hostile aux revendications
des réformateurs. C’est une stratégie qui
consiste, entre autres, à rappeler
systématiquement à l’Etat ses
engagements internationaux en matière
des droits de l’homme, en s’appuyant à la