1ERE JOURNEE DE RECHERCHE RELATIONS ENTRE INDUSTRIE ET GRANDE DISTRIBUTION ALIMENTAIRE JEUDI 29 MARS 2007, AVIGNON STRATEGIES COLLECTIVES ET CONTRAINTES ENVIRONNEMENTALES RENFORCEES. UNE APPROCHE PAR LA PROSPECTIVE Isabelle GOZE-BARDIN Doctorante en Sciences de Gestion Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II) Centre de Recherche sur le Transport et la Logistique [email protected] Résumé Cet article a pour objet, au sein d’une problématique générale articulant entreprise, stratégie et développement durable (D.D.), d’étudier, en adoptant une démarche de type prospective, l’impact potentiel de contraintes environnementales renforcées sur la mise en œuvre de stratégies collectives au sein des chaînes logistiques étendues (CLE ou ‘supply chains’) du secteur de la distribution. La coopération inter-organisationnelle correspond, pour de nombreux auteurs, à une évolution inéluctable voire « naturelle » des relations au sein de la supply chain même si les démarches réellement collaboratives restent, dans les faits, encore limitées. Dans le même temps, différents acteurs de la supply chain sont amenés, de façon croissante, à tenir compte des contraintes et réglementations environnementales issues de la société et sont confrontés à une institutionnalisation rapide du concept de développement durable. Dans ce contexte, il nous est apparu intéressant d’évaluer l’influence éventuelle de la contrainte environnementale sur les relations des membres de la CLE et notamment de quelle façon, devenant un enjeu stratégique, elle pouvait influer sur le développement ou le renforcement de véritables stratégies collectives en leur sein. La distribution (commerce de détail et vente à distance), en forte interaction avec la société (relation de dépendance – influence) et reconnue comme un secteur particulièrement dynamique et novateur en matière d’organisation logistique, est apparue comme un terrain particulièrement pertinent pour mener cette recherche. Il restait cependant difficile d’évaluer l’incidence possible de la préoccupation de préservation de l’environnement sur la stratégie des organisations, tant la communication sans cesse renforcée des entreprises sur leur « éco-citoyenneté » ou leur « responsabilité sociétale » apparaît plus comme une stratégie marketing que comme un engagement sincère et durable. Nous avons donc opté pour le recueil des dires des acteurs, qui constitue une source valable de données dans le cadre d’un positionnement épistémologique interprétativiste, sous réserve cependant de bien circonscrire et décrire le contexte avant de recueillir les anticipations des praticiens et universitaires consultés. C’est pourquoi, nous avons choisi de donner corps à ce possible, par le biais d’une utilisation novatrice de la méthode des scénarios, en l’adaptant à notre démarche de recherche. Les scénarios élaborés n’ont en effet pas pour fonction primordiale de dessiner les futurs possibles de la distribution ; ce sont avant tout des outils : ils constituent des supports propices à la projection des acteurs dans un environnement volontairement affecté par d’importantes modifications, ceci afin de favoriser une réflexion pragmatique et féconde. Cet article se structure en trois parties. La première décrit le retentissement pour l’entreprise de la diffusion du concept de développement durable à l’ensemble de la société. Elle permet d’éclairer la démarche qui nous a conduit à prendre comme objet de recherche la relation entre contraintes environnementales renforcées et stratégies collectives. La seconde décrit les choix méthodologiques effectués et notamment l’utilisation de scénarios de type prospectif comme supports à la réflexion des acteurs. Enfin seront exposés quelques-uns des résultats obtenus. L’entreprise et le développement durable Le développement durable (D.D.) : un concept « polymorphe » (Boiral, 2001) en cours d’institutionnalisation. La Commission dite Brundtland (1987) propose la définition la plus communément admise du D.D. : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». « La définition élusive voire nébuleuse du développement durable » (Boiral & Croteau, 2001) a, d’une façon un peu paradoxale, contribué à sa large diffusion en favorisant son appropriation par les différents acteurs sociaux. Néanmoins, si le concept de D.D. apparaît désormais « comme la représentation dominante d’une nouvelle logique de développement économique et social » (Lauriol, 2004), on ne peut que constater l’instabilité doctrinale persistante qui continue de l’affecter. L’ensemble des acteurs sociaux est donc conduit à se positionner vis-à-vis d’un concept dont l’importance est établie mais dont la définition opérationnelle reste en discussion (Epstein & Roy, 2001 ; Ardouin, 2004). Jusqu’au milieu des années 1990, le D.D. pouvait apparaître comme une notion totalement étrangère à l’entreprise, à l’exception de quelques pionniers anglo-saxons (Aggeri et al., 2004). Ainsi, sur un plan managérial, une analyse de quarante années des grands modèles stratégiques - destinés à éclairer les décideurs - montre que les dimensions sociales et environnementales n’ont été prises en compte qu’assez progressivement (Martinet & Reynaud, 2004). Depuis lors a eu lieu une montée en puissance des préoccupations écologiques et sociales dans le management des entreprises, même s’« il est parfois difficile de distinguer les actions de fond des discours de façade » (Boiral, 1993) et si l’approche la plus courante dans les milieux d’affaires se limite au volet environnemental du D.D. (Persais, 2003). La mise en place progressive de réglementations ou incitations fortes, visant par exemple à normer la consommation de ressources ou à développer le reporting environnemental et social, a conduit les entreprises à adopter des stratégies variées : de réactives à proactives, de simples à sophistiquées (Hart, 1995 ; Russo & Fouts, 1997 ; Aragon-Correa, 1998 ; Sharma & Vredenburg, 1998 ; Sharma, 2000). L’application pratique de ces normes contraignantes (responsabilité engagée), parfois imprécises, constitue assurément un sujet de préoccupation pour les organisations.1 Surtout, le développement du reporting social et environnemental entraîne à terme pour l’entreprise une transparence accrue vis-à-vis de l’ensemble de ses parties prenantes2 à travers la mise à disposition d’informations de plus en plus riches et exploitables (Capron & QuairelLanoizelée, 2004), sous l’effet notamment d’une formalisation renforcée (indicateurs, définitions…) autorisant la comparabilité interentreprises et internationale3. 1 Voir à ce sujet le rapport de la mission d’évaluation sur l’application de la loi NRE, sur http://www.orse.org Les « parties prenantes » ou ‘stakeholders’ sont définies par Freeman (1984) comme « tout groupe ou individu qui peut affecter ou qui peut être affecté par la réalisation des objectifs de l’entreprise ». 3 Cf. la Global Reporting Initiative (GRI) qui vise à élaborer un standard de reporting international. 2 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon Si l’entreprise considère que le D.D. – ou au moins son pan « protection de l’environnement » - est appelé à devenir un critère de jugement déterminant aux yeux des P.P. et plus largement de la société, il lui faut se conformer à cette nouvelle convention, sans pour autant vraiment disposer vis-à-vis de ses actionnaires d’arguments financiers justifiant l’adoption d’une approche proactive en matière de stratégie environnementale.4 Le concept de développement durable, même restreint à son volet environnemental, apparaît donc profondément déstabilisant et source d’incertitude pour l’entreprise. L’institutionnalisation du D.D. nécessiterait même un changement paradigmatique. Ainsi Gladwin et al. considèrent que l’émergence du D.D. doit conduire à l’abandon du « technocentrisme » issu des Lumières (Gladwin et al., 1995). De plus, si l’on admet que la définition du D.D. est déjà source d’interprétation au niveau macroéconomique, il est assez évident qu’elle offre encore moins de pistes sur la façon dont l’entreprise peut l’intégrer à sa stratégie…(Reynaud, 2003). L’intégration du D.D. constitue néanmoins pour l’entreprise une impérieuse nécessité et l’incertitude générée par la diffusion de ce concept devrait inciter les organisations à développer des stratégies collectives. La nécessité pour les entreprises de déployer une « stratégie de légitimation » (Bourgeois et Nizet, 1995) vis-à-vis de l’institutionnalisation en cours du D.D. Le concept de D.D. conteste la primauté - et la séparation - de l’économique vis-à-vis de l’environnement et du social. La ré-insertion de l’économie dans la société et la Nature (Gladwin et al., 1995) conduit à envisager les entreprises comme « encastrées » (Granovetter, 1985) dans leur environnement social, ce qui permet de leur appliquer l’approche néoinstitutionnaliste illustrée par Meyer & Rowan (1977) et DiMaggio & Powell (1991). Ce courant s’intéresse particulièrement à la façon dont les organisations sont conduites à adopter, indépendamment de leurs besoins et contraintes, des pratiques et procédures du seul fait qu’elles sont institutionnalisées par la société (Rojot, 2002). L’adaptation aux règles institutionnelles n’engendre pas un déterminisme stratégique. Oliver (1991) distingue ainsi cinq manœuvres différentes qui peuvent permettre à l’organisation de modeler son environnement. Dans l’effort pour « énacter » son environnement et créer les normes externes qui serviront ensuite à évaluer sa légitimité, l’entreprise peut agir - soit directement et volontairement en essayant de transformer ses propres objectifs et méthodes en règles institutionnelles, - soit de manière indirecte, à travers l’influence de ses réseaux de relations interorganisationnelles. Dans l’optique néo-institutionnaliste, le volontarisme stratégique n’est pas tant le fruit d’un acteur isolé que celui d’un collectif. En effet, les organisations soumises à la pression d’un même environnement tendent à s’organiser en un « champ organisationnel »5 (DiMaggio & Powell, 1991) comprenant tous les acteurs pertinents qui interagissent dans cet environnement (concurrents, fournisseurs, clients, organismes de régulation…). Ce champ, en se structurant, est conduit à légitimer un ensemble de normes ou pratiques internes que l’exemple et l’action du collectif contribueront à transformer en conventions sociales. 4 En effet, si certains chercheurs soutiennent que les mesures en faveur de l’environnement génèrent des avantages économiques pour les entreprises (Porter & Van den Linde, 1995), d’autres estiment que, globalement, les bénéfices financiers ne compensent pas les coûts supportés (Walley & Whitehead, 1994). 5 Appellation qui se réfère à une unité d’analyse dépassant le seul marché économique et qui recoupe le « champ interorganisationnel » d’Aldrich (1972) ou le réseau interorganisationnel de Benson (1975). A rapprocher aussi du secteur sociétal de Scott & Meyer (1983). 1 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon Ce collectif imprime une pression très forte sur les organisations qui le composent, et diminue dans le même temps celle exercée par l’environnement externe sur ses membres, au moyen d’un phénomène-clef, l’isomorphisme. L’intérêt des stratégies collectives en environnement incertain Dans le cadre d’une institutionnalisation du D.D., les entreprises ont donc tout intérêt à se conformer à la norme définie par leur champ organisationnel. Cette dernière n’étant cependant pas encore arrêtée, le rôle premier du décideur sera moins de s’attacher à essayer de la formaliser au sein de son organisation que de veiller à rester en phase avec les autres acteurs de son environnement. Dans un champ oligopolistique où aucune firme ne peut se prévaloir d’un réel leadership ou d’une expertise reconnue, il ne peut y avoir d’isomorphisme mimétique. Toutes les entreprises sont donc confrontées à une même incertitude du fait qu’elles ne peuvent pas préjuger des stratégies développées par les différents membres de leur champ. Elles vivent donc dans l’environnement « turbulent » décrit par Emery et Trist (1965) où les efforts faits par chacun pour s’adapter à un environnement mouvant ajoutent à sa complexité. Un courant de recherche en management stratégique s'est particulièrement penché sur le phénomène des « stratégies collectives »6 (Astley & Fombrun, 1983). Réhabilitant la notion de collaboration (Astley, 1984) dans un contexte académique encore très marqué par la lutte concurrentielle, les promoteurs de cette approche ont montré que la mise en oeuvre de stratégies collectives permettait aux organisations de mieux gérer leur interdépendance mutuelle et de survivre aux pressions menaçantes de l’environnement dont ils sont des membres actifs. Ces stratégies collectives peuvent - être réactives, visant à absorber les variations de l’environnement, ou proactives, devançant le comportement imprévisible d’autres organisations ; - concerner des organisations similaires (donc intrinsèquement concurrentes) ou différentes (complémentaires) ; - émerger spontanément ou être volontaires. La recherche menée La problématique choisie et son opérationnalisation La première partie de cet article nous a permis de constater que l’institutionnalisation en cours du D.D., se manifestant notamment par une attention de plus en plus soutenue accordée à la problématique environnementale, constituait tout à la fois pour l’entreprise une source d’incertitude majeure et un enjeu stratégique. L’étude de la littérature fait apparaître que les stratégies collectives pourraient constituer une réponse adaptée à ce contexte. Nous nous proposons donc d’étudier si des contraintes réglementaires et sociétales renforcées en matière de préservation de l’environnement se traduiraient par un essor des stratégies collectives, ceci au sein des Chaînes Logistiques Etendues (CLE) de la distribution. 6 « Du point de vue d’une organisation focale, une stratégie collective décrit les activités et échanges initiés par cette organisation pour essayer de contrôler, manipuler, ou simplement influencer les effets [outcomes] de l’environnement à travers la compréhension du réseau interorganisationel dans lequel elle s’insère. La mise en œuvre d’une stratégie collective passe par un réseau de relations – à la fois directes et indirectes – avec les autres organisations. Si chaque organisation focale peut élaborer et mettre en œuvre sa propre stratégie collective, c’est leur agrégation au niveau du réseau qui en déterminera les résultats pour chaque organisation particulière. » Astley et Fombrun, 1983, p.49, traduction personnelle. 2 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon Nous avons choisi de centrer cette étude sur la CLE (ou supply chain) car elle apparaît particulièrement concernée par les contraintes environnementales institutionnalisées par la société (Colin, 2002). La mise à disposition des produits au consommateur nécessite par ailleurs l’étroite interaction d’une pluralité d’acteurs (Paché, 2006). De plus, contrairement à ce qui est parfois tenu pour acquis, associer « naturellement » supply chain et partenariat (Gardner & Cooper, 1994) constitue une erreur (Paché, 2002). Les relations interentreprises au sein de la supply chain se développent en effet sur un continuum allant de la compétition armée à l’intégration verticale totale (Fulconis & Paché, 2002) et restent donc ambivalentes, témoignant de comportements compétitifs et coopératifs simultanés. La distribution (commerce de détail et vente à distance) est apparue comme un terrain particulièrement fécond pour mener cette recherche puisqu’en forte interaction avec la société (Benoun & Héliès-Hassid, 2003) et communiquant intensément sur le D.D. (Vernier, 2005) En outre, ce secteur présente des caractéristiques particulièrement intéressantes dans le cadre d’une problématique axée autour de la contrainte environnementale et des stratégies collectives. En effet - la logistique est, actuellement, une fonction stratégique pour sa rentabilité et sa compétitivité (Filser et al., 2001). Néanmoins nombre de pratiques logistiques actuelles apparaissent directement remises en cause par le D.D. (Colin, 2002) - L’existence d’une tradition de relations conflictuelles, d’une forte concentration et d’une concurrence acharnée au sein des canaux de distribution (Manzano-Mannarelli, 2000) pèse sur les relations entre industriels et distributeurs, dont les stratégies dites « coopératives » renvoient bien souvent à des tentatives plus ou moins ambitieuses de coordination des flux (Paché, 2002). Notre recherche vise à « tester » le lien entre un éventuel renforcement des contraintes environnementales et le développement de stratégies collectives au sein des CLE du secteur de la distribution. Si l’on considère – comme c’est notre cas - que la réalité est une construction et non une donnée extérieure aux sujets et que le monde est fait de possibilités et non de nécessités (Girod-Séville & Perret, 1999), l’absence d’une réalité observable, au sens positiviste du terme, ne constitue pas un obstacle. Les propositions élaborées à partir de la littérature peuvent être confrontées aux dires des acteurs qui constituent une source fiable de données. Il a cependant été nécessaire de bâtir un design de recherche approprié. En effet, nous ne sommes pas dans le cadre de l’expérimentation mais plutôt dans celui de la simulation qui, selon Frédéric Wacheux (1996), correspond à une recherche au sens plein du terme. Cet auteur précise que trois catégories de méthodologie sont généralement utilisées pour cette stratégie d’accès au réel : le jeu de rôle, la méthode des incidents critiques et le test projectif. Selon Alex Mucchielli (1994), les tests projectifs sont tout à fait utilisables pour expliciter les « attitudes, conception des choses, stratégies, intention d’action, valeurs… ». Après avoir effectué une revue méthodologique, nous avons décidé d’utiliser la méthode des scénarios, directement issue de la discipline prospective, sachant que le scénario constitue une variante du test projectif (Wacheux, 1996). 3 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon La démarche prospective7 Le concept de prospective a été élaboré, avec une orientation essentiellement philosophique, par Gaston Berger (1959). Opérationnalisé en France dans les cadres de l’armée8 et de la planification publique9, son utilisation en entreprise s’est développée à compter des années 1980, sous l’impulsion notamment de Michel Godet qui promeut une prospective résolument stratégique. La prospective est également devenue un champ de recherche en sciences de gestion (Roubelat, 1998) et les techniques utilisées en prospective, et plus spécialement les scénarios, sont devenus des outils de décision stratégique classiques (Allouche et Schmidt, 1995). La prospective consiste, selon André-Clément Decouflé (1972, p.11), à « élaborer un corps d'hypothèses sur l'histoire en marche », ce qui nécessite d’après Hugues de Jouvenel (2002) une démarche pluridisciplinaire, d’inspiration systémique intégrant la dimension du temps long, passé et à venir et les ruptures. Pour Pierre Massé (1967, p. 100), « c'est d'abord une attitude qui refuse tout aussi bien la croyance aveugle que le scepticisme paralysant. (…) Voir loin, voir large, analyser en profondeur, prendre des risques, penser à l'homme, tels sont les caractères par lesquels Gaston Berger a tenté de la distinguer. » Depuis les années 70, les chercheurs et les praticiens recourent largement aux scénarios prospectifs pour gérer les nombreuses incertitudes qui entourent le futur des états, des secteurs économiques ou des entreprises. Dans les faits, la méthode des scénarios est employée sous des formes très diverses (Von Reibnitz, 1989 ; Van Notten et al., 2003). Il existe néanmoins, depuis une dizaine d’années, un certain consensus sur sa définition. « La méthode des scénarios vise à construire des représentations des futurs possibles, ainsi que les cheminements qui y conduisent. L’objectif de ces représentations est de mettre en évidence les tendances lourdes et germes de rupture de l’environnement général et concurrentiel de l’organisation. » (Godet, 2006, p. 38). Selon les auteurs, le scénario prospectif peut être soit envisagé comme guidant l’action stratégique, soit plutôt utilisé comme un moyen de remise en cause des schémas cognitifs des dirigeants. Pour Michel Godet, la méthode des scénarios vise avant tout l’action, la décision stratégique : « un scénario n’est pas la réalité future mais un moyen de se la représenter en vue d’éclairer l’action présente à la lumière des futurs possibles et souhaitables. » (Godet, 2006, p.28). C’est d’ailleurs pourquoi il préconise de s’appuyer sur une méthodologie rigoureuse et formalisée pour que les hypothèses des scénarios prospectifs remplissent in fine cinq conditions jugées essentielles : la pertinence, la cohérence, la vraisemblance, l’importance et la transparence. D’où l’intérêt aussi de probabiliser les scénarios. Tout un autre courant prospectiviste attend plutôt de cet outil qu’il permette aux décideurs de prendre conscience des incertitudes environnementales (Schwartz, 1993), ce qui permettra d’accélérer l’apprentissage organisationnel (Schoemaker, 1993 ; Van der Heijden et al., 2002). Son objet serait donc plutôt de proposer un glissement de paradigme en peignant des 7 La prospective ou étude du futur (‘future studies’) est une discipline jeune qui reste fragmentée. Il n’est pas dans l’objet de cet article de détailler et d’expliciter les divergences, notamment méthodologiques, entre les écoles française et anglo-saxonne ou encore de débattre de la nature épistémologique de la prospective. Nous nous contenterons donc de proposer ci-après les quelques définitions qui nous paraissent susceptibles d’éclairer notre démarche méthodologique. 8 Création en 1964 du Centre de Prospective et d’Evaluation. 9 En 1969, est élaboré « Le scénario de l’inacceptable », premier document de référence sur la prospective en matière d’aménagement du territoire. Ce travail se nourrissait « surtout d’études statistiques, de réflexions conceptuelles sur les structures productives, de méthodologies très formalisées, affirmant l’omnipotence d’un État-ingénieur » selon les dires même de la DIACT (ex-DATAR). 4 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon récits concrets et vifs du futur s’articulant autour des incertitudes principales qui modèleront la trame environnementale future (Schoemaker & Mavaddat, 2004). Dans ce cadre, il peut même être souhaitable de produire un scénario peu probable. C’est la position d’Herman Kahn (Kahn & Wiener, 1967), l'un des premiers chercheurs contemporains à élaborer et à utiliser la méthode des scénarios. Ce « scénario-technique » (Julien et al. pour la DATAR, 1975) est alors un moyen de forcer l'imagination, de stimuler la discussion, et d’attirer l'attention d'interlocuteurs spécifiques. C’est aussi celle d’AndréClément Decouflé (1978) pour qui le scénario doit avant tout provoquer l'imagination du lecteur, éventuellement en la forçant au désaccord avec les hypothèses implicites ou explicites qu'il admet, et qui va même jusqu’à écrire qu’un scénario « est par définition "inacceptable". » La méthodologie choisie « La recherche prospective est un effort de connaissance accompli en vue d'un projet. Elle a pour première tâche de définir ce qu'il serait utile de connaître de l'avenir au regard de la décision à éclairer. » (Massé, 1962, p. 308) La méthode des scénarios s’est révélée tout à fait adaptée à notre problématique : - Le pouvoir reconnu de représentation du scénario est particulièrement opportun quand on sait que « la première difficulté que nous rencontrons pour explorer le futur est notre manque d'imagination, la faiblesse de notre faculté représentative. » (Berger & Bertaux, 1959 p. 213) ; - Par ailleurs, la méthode des scénarios permet de relever trois défis particuliers, rarement traités par les autres techniques de prévisions : l'incertitude, la complexité et le changement de paradigme (Schoemaker & Mavaddat, 2004). Compte tenu de notre projet de recherche, les scénarios élaborés ont pour fonction de modéliser une situation complexe et virtuelle (l’institutionnalisation du D.D. dans sa partie environnementale) en la rendant suffisamment concrète pour que les acteurs puissent l’interpréter et s’exprimer sur son éventuel impact sur le développement de stratégies collectives. Ils doivent constituer des supports propices à la projection des acteurs dans un environnement volontairement affecté par d’importantes modifications et n’ont pas pour objet d’aider à la décision stratégique. Néanmoins, estimant à l’instar de Schoemaker (1993) que l’acceptation d’un scénario est liée à sa plausibilité et sa cohérence et que la qualité du raisonnement causal doit être soignée si l’on veut que l’expert interrogé accepte de s’investir dans l’image du futur décrite, nous avons jugé utile de nous astreindre à suivre la méthodologie préconisée par Michel Godet (Godet, 2004a ; 2004b) afin de produire des images du futur plausibles. Michel Godet (2003) préconise notamment d’adopter un cheminement logique (délimitation du système, analyse rétrospective, stratégie des acteurs, élaboration des scénarios) en s’appuyant sur l’utilisation de « méthodes cartésiennes d’analyse de système » héritées de la Rand Corporation, complétée d’une « touche de vision historique globale et volontariste ». Le prospectiviste souligne néanmoins que ce parcours peut être aménagé et modulé selon les besoins de l’étude. Cela a été notre cas puisque, au vu de la mission assignée aux scénarios, nous avons choisi d’élaborer les scénarios à partir des corpus théorique, statistique et prospectif, très fournis sur ce thème, les experts n’intervenant qu’au stade de leur utilisation en tant qu’outils projectifs. Le schéma ci-dessous présente les grandes étapes ayant conduit à l’élaboration des scénarios destinés à servir de support à la réflexion des acteurs. 5 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon Schéma 1 : Méthodologie suivie par le chercheur pour l’élaboration des « scénarios-outils ». 1- ANALYSE RETROSPECTIVE Corpus théorique de la distribution et de la logistique Evolution des pratiques logistiques de la distribution Etudes et projections officielles sur les données macro-économiques françaises 2 - REPRESENTATION DU PRESENT Repérage par le chercheur des éléments constitutifs du système « Distribution : organisation et logistique » Sélection et définition de 70 variables caractérisant et/ou agissant sur l’organisation logistique de la distribution : - invariants et tendances lourdes, - germes de changement ou faits porteurs d’avenir, - positionnement stratégique des différents acteurs impliqués. 3 - ANALYSE STRUCTURELLE Mise en relation, de façon systématique, des différentes variables entre elles dans un tableau à double entrée (matrice d’analyse structurelle), sur la base des influences directes actuelles ou potentielles. La matrice ainsi élaborée sert de base de données à partir de laquelle l’ensemble des relations directes mais aussi indirectes (via d’autres variables), constatées ou potentielles - entre les différentes variables peut être analysé et décrit, via l’utilisation du logiciel Micmac du LIPSOR. Mise en évidence des principales variables influentes et dépendantes et, par là, des variables essentielles à l’évolution (ou à la stabilité) du système. 4 - ANALYSE MORPHOLOGIQUE 42 variables sont finalement retenues et regroupées sous huit thèmes : 4 constituent des incertitudes majeures (Evolution démographique et sociétale, Evolution du cadre économique français, Innovations, Environnement) alors que les 4 autres se positionnent plus comme des « relais » (Conjoncture économique, Pouvoir d'achat, Mode de vie, Consommation). La position de chaque variable au sein du système (ses relations d’influence et de dépendance) est explicitée. Chaque variable se voit affecter 3, 4 ou 5 hypothèses d’évolution à l’horizon 25/30 ans. A partir de la combinaison « cohérente » des hypothèses se rapportant à l'évolution de chaque variable, des scénarios spécifiques à chacun des thèmes sont élaborés. 5 – SCENARIOS FINAUX Les scénarios thématiques construits sont agrégés sous forme de 7 scénarios globaux. Ils sont soumis à la Commission du Predit qui sélectionne les environnements lui paraissant les plus intéressants à explorer. 3 scénarios d’anticipation à 25/30 ans, contrastés, sont détaillés et le cheminement y conduisant est explicité. Ils serviront de support à la réflexion des experts consultés (praticiens et universitaires) qui devront se prononcer sur les modifications qu’engendreraient de telles « images du futur » en termes de distribution et de logistique. 6 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon Le recueil des données Les trois scénarios, mettant en scène des ruptures potentielles dans le mode de fonctionnement de la société, retenus, ont été décrits à travers une fiche synthétique, permettant aux experts de mieux se représenter l’environnement général dans lequel pourraient évoluer la distribution et sa logistique à l’horizon 25-30 ans. Dans le scénario A (Sc. A), la France parvient, en misant sur son patrimoine culturel et géographique, à transformer sa recherche personnelle de confort de vie en une activité économique moyenne, basée sur la « douceur de vivre à la française ». Le scénario B (Sc. B), « Un dynamisme importé et ségrégatif » correspond à la sauvegarde du modèle français de protection sociale (retraites et maladie) grâce notamment à un fort apport migratoire (flux multiplié par 2 durant les quinze dernières années du scénario) encouragé par l’Etat. Le scénario C (Sc. C) décrit une redynamisation en profondeur de la société française grâce à un apport – varié - de population s’intégrant bien dans une société convertie, sous la pression des générations les plus jeunes, à une Europe supra-nationale. L’économie française bénéficie pleinement de ce cadre plus vaste et, d’une façon plus globale, du caractère beaucoup plus dynamique de sa société (démographie, efforts en R&D, formation, capitalisation des savoirs, emploi des seniors…). Le tableau ci-dessous permet de visualiser (très schématiquement) ces trois scénarios. Le scénario A est celui qui témoigne de la plus forte institutionnalisation du pilier environnemental du D.D. Tableau 1 : Synthèse rapide des différents scénarios servant de supports au questionnaire Sc. A « Une certaine douceur de vivre » Sc. B « Un dynamisme importé et ségrégatif » Le maintien des Vieillissement Démographie / acquis sociaux des tendanciel de la Valeurs plus de 60 ans grâce à population / dominantes au un flux migratoire fort Recherche sein de la depuis les PVD / d’harmonie, de biensociété Individualisme / être. Société centralisée. Intégration européenne Intégration européenne forte économiquement. Pas de réels changements Economie Croissance Eco. tournée vers le Eco. peu spécialisée, tourisme et les peu innovatrice. Coûts services / du travail en baisse. Croissance moyenne Croissance moyenne Territoire Une certaine reconquête du « désert français » avec croissance des Des tropismes divergents entre actifs et retraités (littoral vs grandes 7 Sc. C « Une société pluriculturelle redynamisée » Immigration forte et vieillissement freiné / Ouverture et recherche d’équité sociale / Société décentralisée. Intégration européenne très forte (économie et politique) Eco. mixte (tertiaire – industrie) dynamique technologiquement / Croissance économique forte Polycentrisme avec une organisation en réseau autour de quelques grandes métropoles Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon villes moyennes agglomérations) Très forte sensibilité de la Politique Pas de réelle politique population et des environnement d’où une situation pouvoirs publics à ale Sensibilité proche de l’asphyxie l’environnement / à (pollution, congestion) Réglementations l’Environneme / Apparition de restrictives / Fortes nt tensions sur les tensions sur les ressources ressources naturelles Politique jusque là plus incitative que restrictive, pollutions et nuisances en augmentation en dépit des progrès techno. / Fortes tensions sur les ressources naturelles Vingt-six experts (65 % professionnels – 35 % universitaires) ont été interrogés durant le premier semestre 2006. Les personnes consultées l’étaient à titre d’experts, leur avis n’est donc pas considéré comme représentant celui de l’organisation d’appartenance (grande distribution, distribution spécialisée, cabinets de consulting, PSL, aménageurs d’espaces commerciaux ou logistiques, universités et centres de recherche). Chaque expert est désigné par une lettre de l’alphabet. Schéma 2 : La répartition des personnes consultées par domaine d’expertise. Logistique Distribution 5 11 Prospective 2 7 1 Différentes méthodes ont été mobilisées pour collecter les données, dans une optique toujours qualitative. Point fondamental, les réponses aux différents questionnaires (ouverts et/ou fermés) ont systématiquement été retranscrites sous forme littéraire, le compte-rendu étant ensuite soumis pour validation, approfondissement et enrichissement aux experts. Le schéma de collecte des données a été bâti dans l’optique de conjuguer exhaustivité des données recueillies et économie de temps pour les experts. Il repose sur l’articulation : ♦ d’un questionnaire ouvert (4 à 6 questions) portant sur la propre vision prospective de l’expert à l’horizon 25/30 ans. Il a été complété par 25 experts, par écrit ou oralement ; ♦ de trois questionnaires fermés (identique, un par scénario), le plus souvent auto-administrés. Ces derniers questionnaires visaient à recueillir l’avis de l’expert sur les évolutions que pourraient connaître les schémas d'organisation logistique du commerce, au vu de chacune des trois « images possibles du futur » proposées. 17 experts se sont prononcés, à travers une échelle bipolaire, en 7 points, via ce support. ♦ Les experts se voyaient aussi proposer la possibilité d’un entretien en face-à-face ou par téléphone, que ce soit dans la phase de recueil des données ou de validation. Dix entretiens semi-dirigés (durées comprises entre 35mn et 1h25) ont été menés. ♦ Le processus de validation devait aussi participer au processus de recueil des données. Il a effectivement permis (pour 17 experts) d’enrichir notablement les informations collectées via des questions complémentaires et/ou des précisions sollicitées. Les résultats Afin de présenter synthétiquement les résultats obtenus, nous reprendrons ci-après les 6 propositions élaborées suite à la revue de littérature et discuterons ensuite de leur degré de confirmation. 8 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon P.1 : Les acteurs économiques anticipent une nette accentuation des contraintes sociétales et/ou réglementaires en matière de protection de l'environnement exercées sur les entreprises. Les données qualitatives fournies par les experts concernant leur propre vision de l'avenir, indépendamment des scénarios proposés, indiquent que 21 des 26 experts interrogés anticipent de fortes tensions sur les ressources naturelles.10 Cette anticipation d’un contexte environnemental beaucoup plus contraignant se retrouve dans le degré de vraisemblance accordé aux différents scénarios proposés. Le tableau ci-dessous présente les résultats obtenus à la question de synthèse qui portait sur le caractère vraisemblable, envisageable de chaque scénario proposé à l’horizon 25-30 ans. Tableau 1 : Caractère envisageable des différents scénarios11 Scénario A Scénario B Scénario C Taux de répondants positifs (non neutres, non négatifs) 70,6 % 66,6 % 56,2 % Devançant les autres 6 fois 4 fois 1 fois Rappel : les avis pouvaient aller de + 3 à – 3, avec un neutre à 0 Ce résultat confirme la nécessité pour la CLE de remettre en cause certains de ses choix antérieurs si elle « ne veut pas subir les conséquences d’un décalage culturel grandissant avec la société ambiante » (Colin, 2002, p.68). P2 : Un renforcement marqué des contraintes environnementales engendre une remise en cause profonde des schémas de distribution et de logistique actuels. Pour 14 experts sur 17 (la question était posée dans le questionnaire fermé), l’évolution de la société et de l’économie française vers l’image décrite en A engendrerait une remise en cause profonde des schémas de distribution et logistique actuels. P3 : Une société contraignante en matière de protection de l'environnement constitue un cadre favorable à l'émergence et au renforcement de stratégies collectives. Tous les experts interrogés considèrent que le Sc. A constitue, en première approche, le cadre le plus favorable au développement de la coopération entre les acteurs d’une même CLE (moyenne de 1,83). La seule réponse neutre (choix 0) vient d’un expert pour qui le renforcement des coopérations au sein des CLE est déjà « une tendance de fond très lourde ». Tableau 2 : Rôle favorable du scénario dans la mise en place de stratégies collectives intra CLE Scénario A Scénario B Scénario C Moyenne globale des réponses 1,83 10 0,33 1,3 Sur les 5 experts restants : 2 tablent sur une institutionnalisation du développement durable en insistant fortement sur sa dimension écologique ; 2 n’abordent pas le thème environnemental ; un seul considère qu’« à 30 ans, une crise globale environnementale est un mythe, même s'il peut y avoir des crises partielles (cf. Tchernobyl). » (Expert P). 11 Les chiffres repris dans les différents tableaux reposent, du fait du choix d’une démarche qualitative, sur un échantillon réduit d’experts : les moyennes présentées visent donc simplement à illustrer des tendances et n’ont pas de valeur statistique. 9 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon P4 : Des contraintes environnementales renforcées conduisent les décideurs à déployer des stratégies logistiques collectives au sein des chaînes logistiques étendues de la distribution. La discussion de la proposition 3 ci-dessus montre que le scénario A constitue un cadre très favorable au renforcement des stratégies collectives intra CLE. Une autre interrogation, située en fin de questionnaire, a permis de voir que ce scénario aboutirait très probablement selon les experts (moyenne de 1,75) à leur mise en œuvre concrète. En dépit de ce chiffre positif, il nous semble cependant que la proposition 4 n’est que partiellement confirmée. Deux éléments nous font relativiser cet essor annoncé de la coopération au sein de la supply chain. 1/ Tout d’abord, le caractère largement imposé de ces stratégies mérite peut-être que l’on s’interroge, à l’instar de l’expert N, sur l’emploi des termes « collaboration » ou « coopération ». En effet, les experts jugent que, pour ce scénario environnemental, la collaboration intra CLE se concrétiserait plus sous l’influence de contraintes externes (choix + 1,83) que par choix stratégique (+1). L’expression « contraints et forcés » a été spontanément employée à l’oral par plusieurs des experts. Les coopérations porteraient alors en priorité sur des activités non directement sources de valeur ajoutée ou de différenciation. Comme l’illustre le tableau 3, les activités techniques «cachées» aux yeux du consommateur apparaissent ainsi les plus susceptibles de faire l’objet de coopérations ; tous les savoir-faire liés au marketing restent plus sensibles. Tableau 3 : Les domaines vraisemblables de mise en œuvre de stratégies collectives pour le Sc. A Une collaboration portant vraisemblablement sur … 12 Experts12 Avis sur les SC intra CLE Moyenne Ecart -type 1,92 0,67 Elaboration Elaboration des de l’offre produits commerciale 0,67 1,23 0,92 1,00 Le gestion recyclage, La gestion Les des la collecte des S.I. appros emballages des déchets 1,83 1,67 2,25 1,92 0,94 0,89 0,75 0,79 Commentaires sur le tableau : Les experts n’anticipent, en moyenne, qu’un léger renforcement des collaborations en matière d’élaboration des produits ou de l’offre commerciale, avec des avis qui restent assez partagés (écart-type >1). En revanche, dans les domaines apparaissant moins « sensibles » - gestion des approvisionnements et des emballages et surtout la collecte / recyclage des déchets - les stratégies collectives devraient assez fortement se renforcer. Les actions collectives en matière de système d’information (S.I.) devraient se poursuivre. 2/ Surtout, l’étude prospective menée révèle que le principal souci des distributeurs à cette échéance sera moins l’optimisation de la gestion de la CLE qu’une réforme profonde de leur offre en fonction des attentes et besoins nouveaux des consommateurs. 12 L’expert K n’est pas intégré aux calculs car son mode de notation est différent de celui des autres répondants (choix 0 = renforcement continu) et les « fausserait » un peu, sans toutefois remettre en cause les tendances de fond constatées. 10 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon L’étude, qui porte sur l’évolution générale de la distribution et de sa logistique à l’horizon 25 / 30 ans et dépasse donc la problématique de la coopération intra CLE, montre que l’amélioration du pilotage des flux ne constituera sans doute pas, à l’échéance étudiée, une priorité stratégique pour la distribution. Il s’agira moins d’être approvisionné « au bon moment, au bon endroit, au moindre coût et avec la meilleure qualité » que, déjà, de rester en phase avec les consommateurs (offre, localisation, légitimité sociétale…). L’acteur perçu comme « naturellement » moteur dans l’initiation et la conduite stratégique des démarches coopératives, le distributeur, devrait donc être particulièrement « obnubilé » par la partie aval de la CLE. Les prestataires de services logistiques (PSL), qui pourraient se voir déléguer leur gestion pratique, s’emploieraient, eux, à passer de modèles de massification à des modèles de capillarité tout en maintenant les coûts, dans un contexte général peu favorable. Pour résumer, si « les entreprises ne pourront faire dans l’avenir l’économie de stratégies collectives » (expert Q), ces dernières devraient rester très ponctuelles et largement techniques. P5 : Des relations traditionnellement conflictuelles au sein de la chaîne de valeur, tout comme un historique de concurrence exacerbée entre distributeurs, sont susceptibles d’entraver le développement des collaborations au sein des chaînes. Les obstacles au développement de stratégies collectives au sein des CLE de la distribution les plus fréquemment cités ont été l’historique des relations entre producteurs et distributeurs, ainsi qu’une forte culture d’entreprise (culture du rapport de force notamment) qui augmente la distance avec les éventuels partenaires. Certains experts signalent cependant que l’arrivée de nouveaux acteurs pourrait faire évoluer la situation, d’autres qu’elle devra forcément être dépassée13. Ont ensuite été mentionnés la difficulté à partager la valeur ajoutée créée, le coût induit par la mise en œuvre des partenariats ainsi que la moindre réactivité et la perte de marge de manœuvre que la coopération tend à entraîner pour les acteurs. A noter qu’une autre variable, le contexte global du marché, centrale dans la littérature stratégique, a été mentionnée à plusieurs reprises mais … un même environnement était décrit comme incitatif par les uns et défavorable par les autres. Une analyse complémentaire serait nécessaire pour pouvoir comprendre la contradiction apparente des avis exprimés. P6 : Les prestataires de services logistiques peuvent se positionner en tant que pilotes des stratégies logistiques collectives intra supply chain. Les experts anticipent, sur le papier, un rôle très actif (choix + 1,75 sur un maximum de +3) des prestataires tiers dans l’initiative et la mise en œuvre des stratégies collectives au sein de la supply chain. En effet, le contexte environnemental décrit en A est jugé favorable à la poursuite des phénomènes d’externalisation des activités logistiques et de concentration des prestataires ; les relations historiquement conflictuelles au sein de la chaîne plaideraient, également, pour une médiation par le PSL. Néanmoins nombre d’experts doutent de la capacité des PSL à tenir un autre rôle que celui d’exécutants. Le rapport des PSL avec les distributeurs serait appelé à rester déséquilibré. Surtout, la direction de la chaîne échoirait naturellement à celui qui est en contact direct avec le client et les distributeurs conserveraient ce lien, source de pouvoir, Conclusion : L’incertitude que génère pour les décideurs l’institutionnalisation en cours du concept de développement durable, même limité à son pilier environnemental, est de nature à inciter les entreprises à développer des stratégies collectives afin de pro-agir sur leur environnement 13 L’expert I indique ainsi que « Si les distributeurs actuels ne sont pas capables de passer outre l’histoire et la culture de leur secteur, d’autres le feront et s’imposeront. » 11 Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon (Partie I). Notre objet de recherche - l’étude des possibles interactions entre stratégies collectives et contraintes environnementales renforcées - nous a conduits à utiliser de manière novatrice les méthodes développées par la prospective, en les articulant avec des outils plus classiques de recueil d’information (Partie II). L’exposé des données recueillies sur le terrain (Partie III) témoigne qu’un très net renforcement des contraintes environnementales est anticipé et que les modes d’organisation actuels de la supply chain devront être revus. Cet environnement est jugé particulièrement favorable au développement de stratégies collectives au sein de la chaîne logistique étendue, même si la mise en œuvre pratique de ces dernières pourrait être en partie freinée par l’historique conflictuel des relations entre distributeurs et industriels. Dans le contexte décrit (réglementations environnementales sévères et défiance entre les acteurs), les prestataires pourraient voir leur rôle renforcé jusqu’à éventuellement se voir confier le pilotage opérationnel des chaînes logistiques. Néanmoins l’analyse des résultats globaux de l’étude prospective menée dans le cadre du PREDIT14 conduit à relativiser le caractère stratégique du renforcement de la coopération au sein du canal de distribution. A l’horizon 25 / 30 ans, les aspects logistiques ne seront pas discriminants par rapport à la profonde révision de l’offre imposée par l’évolution des attentes et besoins des consommateurs. Bibliographie Aggeri, F., Pezet E., Abrassart C. et al. (2004), L'entreprise à l'épreuve du développement durable, [rapport en ligne]. Disponible sur le site de l’ADEME. Allouche J. et G. Schmidt (1995), Les outils de la décision stratégique, Paris : La découverte, Aragon-Correa, J.A. 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