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2007,
AVIGNON
STRATEGIES COLLECTIVES ET CONTRAINTES ENVIRONNEMENTALES
RENFORCEES. UNE APPROCHE PAR LA PROSPECTIVE
Isabelle GOZE-BARDIN
Doctorante en Sciences de Gestion
Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II)
Centre de Recherche sur le Transport et la Logistique
Résumé
Cet article a pour objet, au sein d’une problématique générale articulant entreprise, stratégie et développement
durable (D.D.), d’étudier, en adoptant une démarche de type prospective, l’impact potentiel de contraintes
environnementales renforcées sur la mise en œuvre de stratégies collectives au sein des chaînes logistiques
étendues (CLE ou ‘supply chains’) du secteur de la distribution.
La coopération inter-organisationnelle correspond, pour de nombreux auteurs, à une évolution inéluctable voire
« naturelle » des relations au sein de la supply chain même si les marches réellement collaboratives restent,
dans les faits, encore limitées.
Dans le même temps, différents acteurs de la supply chain sont amenés, de façon croissante, à tenir compte des
contraintes et réglementations environnementales issues de la société et sont confrontés à une
institutionnalisation rapide du concept de développement durable.
Dans ce contexte, il nous est apparu intéressant d’évaluer l’influence éventuelle de la contrainte
environnementale sur les relations des membres de la CLE et notamment de quelle façon, devenant un enjeu
stratégique, elle pouvait influer sur le développement ou le renforcement de véritables stratégies collectives en
leur sein.
La distribution (commerce de détail et vente à distance), en forte interaction avec la société (relation de
dépendance influence) et reconnue comme un secteur particulièrement dynamique et novateur en matière
d’organisation logistique, est apparue comme un terrain particulièrement pertinent pour mener cette recherche.
Il restait cependant difficile d’évaluer l’incidence possible de la préoccupation de préservation de
l’environnement sur la stratégie des organisations, tant la communication sans cesse renforcée des entreprises
sur leur « éco-citoyenneté » ou leur « responsabilité sociétale » apparaît plus comme une stratégie marketing que
comme un engagement sincère et durable.
Nous avons donc opté pour le recueil des dires des acteurs, qui constitue une source valable de données dans le
cadre d’un positionnement épistémologique interprétativiste, sous réserve cependant de bien circonscrire et
décrire le contexte avant de recueillir les anticipations des praticiens et universitaires consultés.
C’est pourquoi, nous avons choisi de donner corps à ce possible, par le biais d’une utilisation novatrice de la
méthode des scénarios, en l’adaptant à notre démarche de recherche. Les scénarios élaborés n’ont en effet pas
pour fonction primordiale de dessiner les futurs possibles de la distribution ; ce sont avant tout des outils : ils
constituent des supports propices à la projection des acteurs dans un environnement volontairement affecté par
d’importantes modifications, ceci afin de favoriser une réflexion pragmatique et féconde.
Cet article se structure en trois parties. La première décrit le retentissement pour l’entreprise
de la diffusion du concept de développement durable à l’ensemble de la société. Elle permet
d’éclairer la démarche qui nous a conduit à prendre comme objet de recherche la relation
entre contraintes environnementales renforcées et stratégies collectives. La seconde décrit les
choix méthodologiques effectués et notamment l’utilisation de scénarios de type prospectif
comme supports à la réflexion des acteurs. Enfin seront exposés quelques-uns des résultats
obtenus.
L’entreprise et le développement durable
Le développement durable (D.D.) : un concept « polymorphe » (Boiral, 2001) en
cours d’institutionnalisation.
La Commission dite Brundtland (1987) propose la définition la plus communément admise du
D.D. : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité
des générations futures à répondre aux leurs ».
« La définition élusive voire nébuleuse du développement durable » (Boiral & Croteau, 2001)
a, d’une façon un peu paradoxale, contribué à sa large diffusion en favorisant son
appropriation par les différents acteurs sociaux. Néanmoins, si le concept de D.D. apparaît
désormais « comme la représentation dominante d’une nouvelle logique de développement
économique et social » (Lauriol, 2004), on ne peut que constater l’instabilité doctrinale
persistante qui continue de l’affecter. L’ensemble des acteurs sociaux est donc conduit à se
positionner vis-à-vis d’un concept dont l’importance est établie mais dont la définition
opérationnelle reste en discussion (Epstein & Roy, 2001 ; Ardouin, 2004).
Jusqu’au milieu des années 1990, le D.D. pouvait apparaître comme une notion totalement
étrangère à l’entreprise, à l’exception de quelques pionniers anglo-saxons (Aggeri et al.,
2004). Ainsi, sur un plan managérial, une analyse de quarante années des grands modèles
stratégiques - destinés à éclairer les décideurs - montre que les dimensions sociales et
environnementales n’ont été prises en compte qu’assez progressivement (Martinet &
Reynaud, 2004). Depuis lors a eu lieu une montée en puissance des préoccupations
écologiques et sociales dans le management des entreprises, même s’« il est parfois difficile
de distinguer les actions de fond des discours de façade » (Boiral, 1993) et si l’approche la
plus courante dans les milieux d’affaires se limite au volet environnemental du D.D. (Persais,
2003).
La mise en place progressive de réglementations ou incitations fortes, visant par exemple à
normer la consommation de ressources ou à développer le reporting environnemental et
social, a conduit les entreprises à adopter des stratégies variées : de réactives à proactives, de
simples à sophistiquées (Hart, 1995 ; Russo & Fouts, 1997 ; Aragon-Correa, 1998 ; Sharma &
Vredenburg, 1998 ; Sharma, 2000).
L’application pratique de ces normes contraignantes (responsabilité engagée), parfois
imprécises, constitue assurément un sujet de préoccupation pour les organisations.
1
Surtout, le
développement du reporting social et environnemental entraîne à terme pour l’entreprise une
transparence accrue vis-à-vis de l’ensemble de ses parties prenantes
2
à travers la mise à
disposition d’informations de plus en plus riches et exploitables (Capron & Quairel-
Lanoizelée, 2004), sous l’effet notamment d’une formalisation renforcée (indicateurs,
définitions…) autorisant la comparabilité interentreprises et internationale
3
.
1
Voir à ce sujet le rapport de la mission d’évaluation sur l’application de la loi NRE, sur http://www.orse.org
2
Les « parties prenantes » ou ‘stakeholders’ sont définies par Freeman (1984) comme « tout groupe ou individu
qui peut affecter ou qui peut être affecté par la réalisation des objectifs de l’entreprise ».
3
Cf. la Global Reporting Initiative (GRI) qui vise à élaborer un standard de reporting international.
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Si l’entreprise considère que le D.D. – ou au moins son pan « protection de l’environnement »
- est appelé à devenir un critère de jugement déterminant aux yeux des P.P. et plus largement
de la société, il lui faut se conformer à cette nouvelle convention, sans pour autant vraiment
disposer vis-à-vis de ses actionnaires d’arguments financiers justifiant l’adoption d’une
approche proactive en matière de stratégie environnementale.
4
Le concept de développement durable, même restreint à son volet environnemental, apparaît
donc profondément déstabilisant et source d’incertitude pour l’entreprise.
L’institutionnalisation du D.D. nécessiterait même un changement paradigmatique. Ainsi
Gladwin et al. considèrent que l’émergence du D.D. doit conduire à l’abandon du
« technocentrisme » issu des Lumières (Gladwin et al., 1995). De plus, si l’on admet que la
définition du D.D. est déjà source d’interprétation au niveau macroéconomique, il est assez
évident qu’elle offre encore moins de pistes sur la façon dont l’entreprise peut l’intégrer à sa
stratégie…(Reynaud, 2003).
L’intégration du D.D. constitue néanmoins pour l’entreprise une impérieuse nécessité et
l’incertitude générée par la diffusion de ce concept devrait inciter les organisations à
développer des stratégies collectives.
La nécessité pour les entreprises de déployer une « stratégie de légitimation »
(Bourgeois et Nizet, 1995) vis-à-vis de l’institutionnalisation en cours du D.D.
Le concept de D.D. conteste la primauté - et la séparation - de l’économique vis-à-vis de
l’environnement et du social. La ré-insertion de l’économie dans la société et la Nature
(Gladwin et al., 1995) conduit à envisager les entreprises comme « encastrées » (Granovetter,
1985) dans leur environnement social, ce qui permet de leur appliquer l’approche néo-
institutionnaliste illustrée par Meyer & Rowan (1977) et DiMaggio & Powell (1991). Ce
courant s’intéresse particulièrement à la façon dont les organisations sont conduites à adopter,
indépendamment de leurs besoins et contraintes, des pratiques et procédures du seul fait
qu’elles sont institutionnalisées par la société (Rojot, 2002).
L’adaptation aux règles institutionnelles n’engendre pas un déterminisme stratégique. Oliver
(1991) distingue ainsi cinq manœuvres différentes qui peuvent permettre à l’organisation de
modeler son environnement. Dans l’effort pour « énacter » son environnement et créer les
normes externes qui serviront ensuite à évaluer sa légitimité, l’entreprise peut agir - soit
directement et volontairement en essayant de transformer
ses propres objectifs et méthodes en règles institutionnelles,
- soit de manière indirecte, à travers l’influence de ses réseaux de
relations interorganisationnelles.
Dans l’optique néo-institutionnaliste, le volontarisme stratégique n’est pas tant le fruit d’un
acteur isolé que celui d’un collectif. En effet, les organisations soumises à la pression d’un
même environnement tendent à s’organiser en un « champ organisationnel »
5
(DiMaggio &
Powell, 1991) comprenant tous les acteurs pertinents qui interagissent dans cet environnement
(concurrents, fournisseurs, clients, organismes de régulation…). Ce champ, en se structurant,
est conduit à légitimer un ensemble de normes ou pratiques internes que l’exemple et l’action
du collectif contribueront à transformer en conventions sociales.
4
En effet, si certains chercheurs soutiennent que les mesures en faveur de l’environnement génèrent des
avantages économiques pour les entreprises (Porter & Van den Linde, 1995), d’autres estiment que, globalement,
les bénéfices financiers ne compensent pas les coûts supportés (Walley & Whitehead, 1994).
5
Appellation qui se fère à une unité d’analyse dépassant le seul marché économique et qui recoupe le « champ
interorganisationnel » d’Aldrich (1972) ou le réseau interorganisationnel de Benson (1975). A rapprocher aussi
du secteur sociétal de Scott & Meyer (1983).
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Ce collectif imprime une pression très forte sur les organisations qui le composent, et diminue
dans le même temps celle exercée par l’environnement externe sur ses membres, au moyen
d’un phénomène-clef, l’isomorphisme.
L’intérêt des stratégies collectives en environnement incertain
Dans le cadre d’une institutionnalisation du D.D., les entreprises ont donc tout intérêt à se
conformer à la norme définie par leur champ organisationnel. Cette dernière n’étant cependant
pas encore arrêtée, le rôle premier du décideur sera moins de s’attacher à essayer de la
formaliser au sein de son organisation que de veiller à rester en phase avec les autres acteurs
de son environnement. Dans un champ oligopolistique aucune firme ne peut se prévaloir
d’un réel leadership ou d’une expertise reconnue, il ne peut y avoir d’isomorphisme
mimétique. Toutes les entreprises sont donc confrontées à une même incertitude du fait
qu’elles ne peuvent pas préjuger des stratégies développées par les différents membres de leur
champ. Elles vivent donc dans l’environnement « turbulent » décrit par Emery et Trist (1965)
les efforts faits par chacun pour s’adapter à un environnement mouvant ajoutent à sa
complexité.
Un courant de recherche en management stratégique s'est particulièrement penché sur le
phénomène des « stratégies collectives »
6
(Astley & Fombrun, 1983). Réhabilitant la notion
de collaboration (Astley, 1984) dans un contexte académique encore très marqué par la lutte
concurrentielle, les promoteurs de cette approche ont montré que la mise en oeuvre de
stratégies collectives permettait aux organisations de mieux gérer leur interdépendance
mutuelle et de survivre aux pressions menaçantes de l’environnement dont ils sont des
membres actifs.
Ces stratégies collectives peuvent
- être réactives, visant à absorber les variations de l’environnement, ou proactives,
devançant le comportement imprévisible d’autres organisations ;
- concerner des organisations similaires (donc intrinsèquement concurrentes) ou différentes
(complémentaires) ;
- émerger spontanément ou être volontaires.
La recherche menée
La problématique choisie et son opérationnalisation
La première partie de cet article nous a permis de constater que l’institutionnalisation en cours
du D.D., se manifestant notamment par une attention de plus en plus soutenue accordée à la
problématique environnementale, constituait tout à la fois pour l’entreprise une source
d’incertitude majeure et un enjeu stratégique. L’étude de la littérature fait apparaître que les
stratégies collectives pourraient constituer une réponse adaptée à ce contexte. Nous nous
proposons donc d’étudier si des contraintes réglementaires et sociétales renforcées en matière
de préservation de l’environnement se traduiraient par un essor des stratégies collectives, ceci
au sein des Chaînes Logistiques Etendues (CLE) de la distribution.
6
« Du point de vue d’une organisation focale, une stratégie collective décrit les activités et échanges initiés par
cette organisation pour essayer de contrôler, manipuler, ou simplement influencer les effets [outcomes] de
l’environnement à travers la compréhension du réseau interorganisationel dans lequel elle s’insère. La mise en
œuvre d’une stratégie collective passe par un réseau de relations – à la fois directes et indirectes avec les autres
organisations. Si chaque organisation focale peut élaborer et mettre en œuvre sa propre stratégie collective, c’est
leur agrégation au niveau du réseau qui en déterminera les résultats pour chaque organisation particulière. »
Astley et Fombrun, 1983, p.49, traduction personnelle.
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Nous avons choisi de centrer cette étude sur la CLE (ou supply chain) car elle apparaît
particulièrement concernée par les contraintes environnementales institutionnalisées par la
société (Colin, 2002).
La mise à disposition des produits au consommateur nécessite par ailleurs l’étroite interaction
d’une pluralité d’acteurs (Paché, 2006).
De plus, contrairement à ce qui est parfois tenu pour acquis, associer « naturellement » supply
chain et partenariat (Gardner & Cooper, 1994) constitue une erreur (Paché, 2002). Les
relations interentreprises au sein de la supply chain se développent en effet sur un continuum
allant de la compétition armée à l’intégration verticale totale (Fulconis & Paché, 2002) et
restent donc ambivalentes, témoignant de comportements compétitifs et coopératifs
simultanés.
La distribution (commerce de détail et vente à distance) est apparue comme un terrain
particulièrement fécond pour mener cette recherche puisqu’en forte interaction avec la société
(Benoun & Héliès-Hassid, 2003) et communiquant intensément sur le D.D. (Vernier, 2005)
En outre, ce secteur présente des caractéristiques particulièrement intéressantes dans le cadre
d’une problématique axée autour de la contrainte environnementale et des stratégies
collectives. En effet
- la logistique est, actuellement, une fonction stratégique pour sa rentabilité et sa
compétitivité (Filser et al., 2001). Néanmoins nombre de pratiques logistiques actuelles
apparaissent directement remises en cause par le D.D. (Colin, 2002)
- L’existence d’une tradition de relations conflictuelles, d’une forte concentration et d’une
concurrence acharnée au sein des canaux de distribution (Manzano-Mannarelli, 2000)
pèse sur les relations entre industriels et distributeurs, dont les stratégies dites
« coopératives » renvoient bien souvent à des tentatives plus ou moins ambitieuses de
coordination des flux (Paché, 2002).
Notre recherche vise à « tester » le lien entre un éventuel renforcement des contraintes
environnementales et le développement de stratégies collectives au sein des CLE du secteur
de la distribution. Si l’on considère comme c’est notre cas - que la réalité est une
construction et non une donnée extérieure aux sujets et que le monde est fait de possibilités et
non de nécessités (Girod-Séville & Perret, 1999), l’absence d’une alité observable, au sens
positiviste du terme, ne constitue pas un obstacle. Les propositions élaborées à partir de la
littérature peuvent être confrontées aux dires des acteurs qui constituent une source fiable de
données.
Il a cependant été nécessaire de bâtir un design de recherche approprié. En effet, nous ne
sommes pas dans le cadre de l’expérimentation mais plutôt dans celui de la simulation qui,
selon Frédéric Wacheux (1996), correspond à une recherche au sens plein du terme. Cet
auteur précise que trois catégories de méthodologie sont généralement utilisées pour cette
stratégie d’accès au réel : le jeu de rôle, la méthode des incidents critiques et le test projectif.
Selon Alex Mucchielli (1994), les tests projectifs sont tout à fait utilisables pour expliciter les
« attitudes, conception des choses, stratégies, intention d’action, valeurs… ». Après avoir
effectué une revue méthodologique, nous avons décidé d’utiliser la méthode des scénarios,
directement issue de la discipline prospective, sachant que le scénario constitue une variante
du test projectif (Wacheux, 1996).
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