Dickens n’est pas un révolutionnaire. Il serait plutôt un conservateur, au mieux un
réformateur ; il ne se fait guère d’illusion sur les politiques, la bourgeoisie, les nobles ; il
ne les critique pas. C’est plutôt le comportement des gens qui est jugé (avec beaucoup
de générosité, par Dickens, en empathie avec ses personnages, surtout quand la
douleur et l’injustice sont dues à l’attitude égoïste d’autres êtres humains.) C’est ce
comportement qui empêche tout progrès. Car, au lieu de combattre les injustices, ses
personnages envient les riches, ceux qui réussissent, et ils veulent les imiter. Ils sont
victimes de leur complaisance et on ne peut pas voir en eux des persécutés. Et, même
s’ils se font de fausses illusions sur la générosité des nantis - Pip l’apprend à ses
dépends-, à tout le moins, ces derniers les font rêver. On ne tue pas le rêve. Aussi, rien
n’évolue car personne ne veut remettre en question l’ordre établi. Ils le renforceraient,
même. Pip découvrira plus tard que son désir de devenir un gentilhomme l’a amené à
dédaigner, un moment, certaines richesses de la vie.
Quel doit être notre comportement quand l’heure du choix arrive. Pip reniera-t-il
son passé, son milieu et ceux qui l’ont élevé ? Pour quel but ? Les Grandes
espérances sont-elles vouées à l’échec si elles vous éloignent de votre passé ?
Pour réussir faut-il (se) trahir ?
De grandes espérances raconte le parcours initiatique de deux orphelins -Pip et
Estella- leur éducation, leur relation à la famille, au milieu social où ils vivent. Passage
de l’enfance à l’âge adulte ; du conte de fées à la lutte pour la vie ; de l’innocence à la
culpabilité ; de l’amour à l’argent.
Dickens s’est toujours montré très critique vis-à-vis d’une éducation, d’un « dressage »,
qui ne prendrait pas en compte la personnalité des enfants, leurs aspirations, leurs
participations au processus de la connaissance ; à l’égalité des chances.
QUE PRIVILEGIER ?
Transposer en restant fidèle au texte ? Projet théâtral impossible, l’ensemble des signes
de la représentation : les personnages, décor, lumières, costumes, musique,
accessoires... constituent un sens, une rhétorique, une poétique théâtrale (métaphore,
métonymie), qui va au-delà de l’ensemble textuel.
Le choix esthétique de la mise en scène s’appuie délibérément sur le mode féerique qui
permet une mise à distance de la réalité –le texte étant ainsi théâtralisé- nous assistons
à une quête de la part de ces jeunes, une fuite éperdue vers on ne sait quelle issue.
Conte de fée, entre rêve et réalité : -le forçat Magwicht dans le rôle de l’Ogre qui veut
dévorer le Petit Poucet, Pip, surgissant, tel un diable, un revenant, un génie, non de la
lampe d’Aladin mais d’une tombe, pour jouer le rôle de Gepetto (Pinocchio), à la fois
Pygmalion /Frankenstein/ père ;
-une Ogresse, sa sœur (il y a même, au cimetière, outre les parents, cinq gosses, frères
et sœurs de Pip, toute la famille enterrée, sauf l’Ogresse !) ;
-Miss Havisham, la mauvaise Fée, la méchante reine ;
-Pip, Le Prince Charmant, qui vient délivrer la Princesse enfermée, Estella.