Bernard Floris Université Stendhal-Grenoble 3 FRANCE Marketing informationnel et contrôle du client NOTA BENE _________________________________________________________ L'accès aux textes des colloques panaméricain et 2001 Bogues est exclusivement réservé aux participants. Vous pouvez les consulter et les citer, en respectant les règles usuelles, mais non les reproduire. Le contenu des textes n'engage que la responsabilité de leur auteur, auteure. Access to the Panamerican and 2001 Bugs' conferences' papers is strictly reserved to the participants. You can read and quote them, according to standard rules, but not reproduce them. The content of the texts engages the responsability of their authors only. El acceso a los textos de los encuentros panamericano y 2001 Efectos es exclusivamente reservado a los participantes. Pueden consultar y citarlos, respetando las pautas usuales, pero no reproducirlos. El contenido de los textos es unicamente responsabilidad del (de la) autor(a). O acesso aos textos dos encontros panamericano e 2001 Bugs é exclusivamente reservado aos participantes. Podem consultar e cita-los, respeitando as regras usuais, mais não reproduzí-los. O conteudo dos textos e soamente a responsabilidade do (da) autor(a). Le marketing informationnel MARKETING INFORMATIONNEL ET CONTROLE DU CLIENT Bernard Floris, Grenoble Cette contribution vise à traiter de l’introduction des TIC dans les relations entre producteurs, distributeurs et consommateurs. Que ce soit par les ordinateurs ou par le téléphone portable, le Web est en passe de devenir un instrument majeur du commerce, et ce malgré la relative étroitesse de sa pénétration chez les consommateurs solvables du monde entier. Faiblesse relative en proportion, mais d’ores et déjà énorme en nombre puisque des centaines de millions d’individus possèdent le moyen d’appartenir à la nouvelle “ communauté ” des internautes. Il me semble que la question du E commerce impose de revenir sur la question du statut de la technique, et en particulier des technologies de l’information et de la communication. Les positions ici défendues sont évidemment un éclairage parmi d’autres toujours soumis au débat entre chercheurs, mais je voudrais montrer combien les enjeux d’une épistémologie rigoureuse de la technique et des technologies est indispensable à la compréhension des phénomènes de la globalisation qui poussent l’interpénétration de l’économie capitaliste et des technostructures à un point inimaginable il y a peu de temps. Il n’est pas question de revenir ici sur l’ensemble de la problématique des tehnologies, mais d’en traiter deux aspects particuliers qui sont le rapport entre les technologies matérielles et intellectuelles, et la spécificité des technologies de l’information et de la communication Les TIC et la rationalisation technique de l’espace de consommation Les technologies de l’information et de la communication ont peu été analysées sous l’angle de la pénétration de l’espace domestique de consommation par les appareils industriels en général, et par les machines communicationnelles en particulier. Lorsqu’ils sont analysés comme usages de techniques, ces appareils sont analysés isolément du contexte de la consommation marchande et de l’ensemble du système technique de consommation. L’industrialisation de l’espace domestique n’a pas cessé d’accompagner celles de la production et de la distribution. Les unités de 2 Le marketing informationnel consommation ont vite acquis une structure homologique aux unités de production, avec leurs formes d’organisation de l’espace et du travail domestiques, dans lesquels les technologies ont pris une place de plus en plus importante dans la division du travail de consommation. 1.1 Structuration originelle de l’espace de consommation par l’audiovisuel et les télécommunications L’introduction d’appareils de communication est originellement consubstantielle de l’ensemble d’autres technologies dans le développement des consommations de masse (biens matériels et culturels). L’acquisition de la radio, du téléphone et du tourne-disque sont dès l’origine, les symboles emblématiques de l’unité familiale de consommation de masse, avec la machine à laver, le réfrigérateur, l’aspirateur et l’automobile. Les technologies de communication constituent un élément déterminant de structuration de l’espace domestique consommationniste. L’appareil radiophonique est une pièce originelle centrale dans la structuration de l’espace de consommation, qui a préfiguré le téléviseur. Il transmet de l’information (relayant ainsi la presse), diffuse des biens culturels (musiques, jeux, fictions), et véhicule de la publicité, comme moyen de vente des produits, et de production des consommateurs. Produit marchand et appareil de promotion marchande, la radio est indissolublement devenu le porte-voix quotidien du marché dans les foyers. Comme appareil industriel, elle a participé à la structuration de l’emploi du temps et de l’espace domestiques (voir Radio days). Avant la télévision, la radio s’est substituée ainsi partiellement à des pratiques traditionnelles d’information (le journal), de loisir (la fête, la veillée), de culture (le chant, les instruments musicaux, les contes), et de promotion marchande (la réclame). Le passage à la télévision a évidemment démultiplié toutes ces caractéristiques. Il a beaucoup plus structuré l’emploi du temps et l’organisation de l’espace domestique, il a permis aux actualités télévisées de dominer le champ de l’information, et il a donné à la publicité sa force symbolique maximale. Mais ces technologies d’information et de communication n’ont pas seulement structuré des pratiques et des espaces sociaux. Dans l’imaginaire marchand et consommationniste, ces appareils sont autant des moyens fonctionnels que des marques de statut social et des symboles d’un mode de vie et de raison d’être. 1.2 L’informatique dans l’espace domestique L’apparition de l’ordinateur n’a pas bouleversé la cellule familiale. Cet appareil d’exécution de tâches immatérielles ou intellectuelles ne pouvait s’introduire dans les foyers qu’a condition de remplir des tâches d’information, de loisir, de culture ou de relations marchandes, à l’image des appareils audiovisuels. L’informatique est d’abord massivement entrée dans 3 Le marketing informationnel les foyers comme activité ludique pour les enfants et les jeunes avec les consoles de jeu, dont la play station est aujourd’hui le symbole d’un marché planétaire. Ce qui manquait à l’ordinateur pour devenir un appareil familial était tout d’abord une liaison avec le monde extérieur, comme la télévision ou le téléphone, et des contenus spécifiques aptes à constituer une demande ou à répondre à des besoins différents des deux médias précédents. Et Internet fut. C’est l’intégration en réseau des télécommunications, de l’audiovisuel et de l’informatique, grâce à la numérisation, qui a permis un début de pénétration massive des “ autoroutes de l’information ” dans les catégories les plus aisées et les plus cultivées de la sphère domestique. On peut dire que ce qui s’est vendu est autant le concept d’Internet, et l’imaginaire correspondant au mythe de la communication, que les nouveaux contenus véhiculés. Mais il est certain que la messagerie électronique et la masse des informations culturelles, ludiques et commerciales diffusées par le Net ont permis de constituer une demande solvable correspondant à des besoins ou les encadrant dans le même mouvement. Cependant, il est apparu que le taux de pénétration des micro-ordinateurs risquait d’être assez vite saturé au seuil des catégories les plus populaires, au moins pour un temps et malgré le forcing de la grande distribution. Néanmoins, un nouvel équipement technique est venu occuper avec une ampleur importante l’espace domestique de consommation. 1.3 Le miracle du téléphone portable Il a fallu trois années à peine pour que le petit appareil devienne le compagnon inséparable de plus de la moitié des individus dans les pays industriels. Et on parle déjà de la troisième génération dont personne n’avait prévu qu’elle intégrerait un appareil téléphonique dans le réseau des télécommunications, de l’audiovisuel et de l’informatique. L’ordinateur avait intégré l’audiovisuel puis les télécommunications. Le portable est en passe d’intégrer le tout, comme on peut l‘observer au Japon. Et il semble bien désormais que le contenu du nouvel appareil soit structuré par les échanges marchands. Les possibilités de consultation informative, ludique et culturelle par le Web sont en passe de confirmer la logique de financement par la publicité et le commerce. L’explosion du téléphone portable a surpris en France comme dans tous les pays. On peut raisonnablement penser qu’autre chose s’est passé au delà du simple besoin des communications conviviales, ou tout au moins que la communication téléphonique a changé de nature lorsqu’elle est devenue mobile et peut-être surtout à la fois plus ostentatoire et plus individuelle que le téléphone familial dans la maison. En moins de dix ans, ce seront donc deux appareils nouveaux qui auront pénétré dans le système technique des unités de consommation de masse. Et cela ne constitue pas à l’évidence simplement l’addition de nouveaux 4 Le marketing informationnel appareils, comme avaient pu l’être le micro-onde ou le magnétoscope. Il pourrait s’agir d’une mutation sociale qu’il faut essayer de comprendre. Pour cela, un détour théorique me semble indispensable. Rapports sociaux techniques et société Par le balayage rapide de la question d’ensemble, il s’agit surtout de caractériser la mutation politique, économique et sociale introduite par les “ TIC ” et de montrer son lien profond avec le nouveau cours du capitalisme néolibéral à l’ère de la globalisation. 1.4 Techniques, rapports sociaux et capitalisme André Leroy-Gourhan a montré combien l’interaction entre la main et le cerveau, entre la technique et le langage ont constitué un processus unique dans lequel deux éléments à jamais liés se sont autonomisés progressivement. Le langage et la technique ne sont cependant pas les seules caractéristiques fondatrices de l’espèce humaine. La faiblesse des traces de modes de vie de nos ancêtres ne peut faire l’ombre d’un doute sur le caractère nécessaire d’une organisation sociale complexe et évolutive différente de celle des singes supérieurs. Le culte des morts, les activités artistiques et l’habitat en sont des marques incontestables. La survie de l’homo sapiens tient donc à la fois de l’outil, du langage et des formes d’organisation sociale qui permettent de produire et reproduire les moyens d’existence. C’est sur ces trois axes d’évolution en constante interaction que les conditions d’existence humaine n’ont cessé d’être historiquement transformées. Le langage, la technique et l’organisation sociale sont donc les trois axes de l’évolution de l’homo sapiens. On ne peut jamais perdre de vue l’intégration de ces trois axes au fur et à mesure de l’autonomisation de chacune d’elles dans le processus de division du travail social. Si l’on considère généralement la technique comme la création continue de moyens permettant d’atteindre des fins, les techniques matérielles ne sont qu’un aspect autonomisé du processus technique. Il y a aussi de la technique dans le langage et dans l’organisation sociale. Aucune technique matérielle n’a d’existence sans techniques intellectuelles et organisationnelles. La science est devenue la base indispensable du développement de la technique. Le machinisme ou les télécommunications ne sont apparues qu’avec les formes d’organisation industrielle de l’entreprise et du travail, qui sont aussi des procédés organisationnels d’usage des techniques matérielles. Comme l’a remarqué Cornélius Castoriadis, le réseau réglé des rapports sociaux comme institutions, dont les formes étatiques ou marchandes sont les plus complexes, est l’appareil le plus puissant créé par l’homme comme moyen d’atteindre tous ses objectifs de reproduction de l’existence. Si les institutions sont évidemment bien autre chose que de la technique, elles contiennent des procédés organisationnels et juridiques de rationalisation des relations sociales, qui possèdent depuis longtemps leurs experts en 5 Le marketing informationnel organisation et en management. Les technologies institutionnelles et politiques visent à coordonner efficacement les individus et les techniques matérielles. Il y a donc indissolublement des technologies matérielles, intellectuelles et organisationnelles. Historiquement, les technologies industrielles sont inséparables de leur forme économique capitaliste de production et de consommation. Les États ont été pour un temps à l’origine du développement scientifique. Mais sa mise en œuvre technique s’est faite pour l’ essentiel dans le cadre de la production et de la consommation capitalistes. Comme moyen de production, la rationalisation du travail machinique et énergétique s’est prolongée depuis vingt ans par l’informatique et les réseaux numériques. On peut donc véritablement parler de technologies du capitalisme, même si leur signification imaginaire sociale se pare de l’universalisme et du bon ou du mauvais usage des techniques. Ce sont des technologies dont l’efficacité économique directe vise à la rationalisation conjointe de la production et de la consommation. 1.5 Le sens de la technique Comme l’a signalé Max Weber, la rationalisation des formes de domination en bureaucraties étatiques et industrielles a produit un “ désenchantement des images du monde ”, c’est-à-dire des valeurs et des significations transcendantes que les hommes attribuaient à leur monde. Le règne de la Raison cartésienne conduisant l’homme à devenir “ maître et possesseur de la nature ” s’est transformé en fantasme d’une rationalisation scientifique et technique absolue du monde objectif et du monde social, dont on ne cesse de mesurer autant les extraordinaires réalisations que les abominables catastrophes. Il n ‘y a pas de technique purement fonctionnelle ou neutre. Toute technique véhicule du sens qu ‘elle intériorise indirectement par l’attribution imaginaire et symbolique des individus. Les technologies modernes sont porteuses des croyances rationalisées de leur époque, dont dépendent les usages. On n’accorde pas autant d’importance à l’automobile seulement parce qu’elle est un moyen de se déplacer, mais aussi pour le statut social qu’elle représente et pour les fantasmes de séduction, de puissance et de course contre le temps qu’elle symbolise. Et on utilise un portable à travers l’idéologie de la communication totale dont il est le support. Dès leur conception, les techniques matérielles sont non seulement porteuses des visions et des intérêts de leurs producteurs, des formes d’organisation dans lesquelles elles vont s’insérer, mais tout aussi bien du sens que leur attribueront leurs utilisateurs. 1.6 La révolution des technologies de l’information et de la communication La machine industrielle avait permis de reproduire des activités physiques humaines. La vapeur et l’électricité avaient permis de remplacer des énergies physiques humaines ou animales. L’ordinateur a permis de reproduire des activités intellectuelles, ouvrant ainsi la vaste perspective de 6 Le marketing informationnel l’automatisation et des robots “ intelligents ” qui rattraperont bientôt ceux de la science fiction. L’informatique constitue une révolution technique au sens où la machine reproduit des capacités intellectuelles de plus en plus complexes après avoir reproduit l’activité manuelle et la motricité énergétique. Mais on n’a pas vu que les machines informationnelles reproduisent (et non pas produisent) aussi des formes organisationnelles et une technologie proprement politique qui structurent des formes de relations. L’informatique ne fait pas aujourd’hui qu’effectuer des tâches de calcul, d’écriture, de classement, de graphisme, de pilotage robotisé, d’expertises diverses, etc… A un niveau supérieur les systèmes d’information et des logiciels sont spécifiquement dédiés à des tâches d’organisation, systèmes experts, groupware, ERP, ou autres, qui s’accompagnent des nouvelles formes de domination du travail. Intellectuellement, l’ordinateur est doublement porteur de sens : comme tout objet technique et comme toute technologie, il est porteur d’idéologie et de valeurs (ici l’objectivation de la subjectivité se fait indirectement par attribution sociale de sens) ; comme machine informationnelle, des capacités intellectuelles sont directement “ mécanisées ”, c’est-à-dire matériellement objectivées. Et on ne peut pas séparer les modes de fonctionnalité des ordinateurs tels qu’ils sont conçus actuellement, des formes d’organisation et des processus symboliques qui les portent. Diverses voies de conception sont toujours possibles et elles dépendent de rapports de forces économiques, de formes d’organisation et de cadres idéologiques concurrents. L’intégration de la production et de la consommation par les “ TIC ” et la fabrication du client informatonnel. Je voudrais démontrer maintenant que les nouvelles technologies de l’information et de la communication participent au niveau symbolique d’une intégration rationalisée de la production et de la consommation, et de la fabrication d’un nouveau type de consommateur intégré, où se mêle organisation de la consommation, encadrement informationnel et idéologie de la communication. Je le ferai à travers l’élément qui me paraît aujourd’hui central a la fois dans les pratiques organisationnelles et symboliques, celui de la relation au client. Cela est aussi rendu possible par l’extension de la production des biens et des services à la production industrielle de relations et même d’expériences vécues. On sait que la différence concurrentielle réside de moins en moins dans les produits eux-mêmes que dans le service aprèsvente et dans l’image qu’elle véhicule. 1.7 L’ingénierie symbolique du marketing Avant de passer à l’avènement du client informatisé, mon propos est de montrer ici que la jonction du travailleur et du consommateur par une organisation rationalisée de l’entreprise et du marché est tout aussi fortement liée à la signification imaginaire sociale du bonheur par la consommation, dont 7 Le marketing informationnel l’entreprise et le marché seraient les uniques dispensateurs. Celle-ci s’ajoute à l’utopie d’un monde naturel et social qui serait toujours plus rationnellement maîtrisable grâce à l’efficacité conjointe des technologies produites par la science et de la gestion économique produite par le management. Sans ce système de représentations, les sociétés capitalistes ne pourraient pas “ fonctionner ”. Les grandes significations imaginaires sociales sont le produit inintentionnel de l’histoire des civilisations. En même temps, elles ont toujours été utilisées par les forces politiques, économiques, militaires ou religieuses comme fondements pour légitimer leur domination. Ainsi les rois ont-ils été longtemps les représentants de la volonté divine sur terre, ou les secrétaires généraux des partis totalitaires les dépositaires de la pensée révolutionnaire. La propagande a été la première technique de communication destinée à convaincre les masses de la légitimité religieuse ou/et politique de leurs dirigeants. Mais le marketing et la publicité ont porté la rationalisation de ces démarches à un point d’efficacité inégalée. Les causes et les raisons de cette efficacité résident à mon sens dans la capacité du marketing à mettre en cohérence l’organisation de l’entreprise et du marché, les pratiques des consommateurs et de la concurrence et les éléments symboliques qui se rattachent aux significations imaginaires sociales du marché et de la consommation (en sachant que celles-ci phagocytent les grandes significations imaginaires sociales anthropologiques associées à l’amour, la mort, la beauté, la puissance, la liberté, etc.). Cette mise en cohérence n’est pas le fruit d’une analyse théorique, mais la jonction pratique et organisée dans le mix-marketing de la chaîne des différentes phases de la production marchande : produit, prix, distribution et publicité. Le fondement théorique de cette jonction rationalisée a été mis à jour par la sémiologie. Roland Barthes a montré que les objets comprenaient indistinctement une fonction d’utilité et une fonction symbolique. Avec leurs finalités d’usage, les objets véhiculent toujours du sens. Et ce sens ne transmet jamais uniquement de l’information sur l’objet mais aussi des significations qui dépassent l’objet et qui sont liées métaphoriquement à des cultures, à des traditions ou à des schèmes symboliques comme l’argent pour la richesse ou le blanc pour la pureté. La valeur symbolique est acquise en même temps que la valeur d’usage. Elle est aussi une marchandise puisque le coût de la publicité qui a la fonction de les transmettre est à la fois payé par les médias qui la véhiculent et par les consommateurs qui achètent les biens ou les services, dans le cadre des significations imaginaires du marché capitaliste. Aucun objet n’est ainsi acheté uniquement pour son simple usage mais pour toutes les fonctions symboliques qu’il remplit : par association avec les grandes significations imaginaires sociales, par le statut social qu’il est censé représenté, par l’idéologie pratique qu’il véhicule, par la puissance qu’on lui attribue. 8 Le marketing informationnel 1.8 La symbolique du client communicationnel dans le marketing en réseau L’orientation client est devenue primordiale à la fois dans la gestion des entreprises et dans celle du marché. Il faut rappeler ici que le marketing s’est imposé aux Etats-Unis puis en Europe à partir de l’articulation la plus proche possible de la production avec la “ demande ” des consommateurs ”. Nous sommes aujourd’hui dans l’étape nouvelle de l’articulation avec le client, qui englobe à la fois l’acte de consommation et celui d’achat dans une relation permanente avec la production, et qui recherche des segments de marché plus personnalisants pour fidéliser le plus grand noyau possible de clientèle. La personnalisation englobe à la fois la marchandise, le service au client autour de la marchandise jusqu’à l‘établissement d’une relation la plus permanente possible. C’est de plus en plus en fonction de ces impératifs que sont organisées les capacités flexibles des entreprises. Le management de la qualité totale a introduit depuis une dizaine d’années la relation client-fournisseur au centre des procédures de contrôle de la production des biens et des services, au point de tendre à en faire un modèle de relation interne. Nombreux sont les Pdg ou les directeurs des ressources humaines qui affirment que désormais “ le patron c’est le client ” et que c’est de lui et seulement de lui que dépendent les succès ou les échecs de l’entreprise dans le marché globalisé. L’organisation en flux tendu est le premier dispositif qui a connecté directement la production sur la “ demande ”, elle même de plus en plus diversifiée et personnalisée. La flexibilité des organisations et du travail est la réponse la plus réactive aux fluctuations du marché. Les comportements surdéterminés de la clientèle sont devenus de fait les guides du management. L’orientation client est aussi devenue le nouveau credo du marketing et en particulier de son dernier avatar, le marketing direct ou de réseau, qui aboutit au Customer management relationship (CRM ou gestion de la relation client). Le E commerce est aujourd’hui l’aboutissement de la déjà longue histoire du marketing direct et relationnel. Depuis cinquante ans déjà, la vente par correspondance, le mailing et le marketing téléphonique ont instauré une relation personnalisée à la clientèle. Parallèlement, les entreprises ont recherché de nouvelles formes de conquête et de fidélisation de la clientèle en développant la relation au-delà de la simple vente du produit par le service après-vente, les services annexes, les clubs d’avantage, les cartes maison, etc. Ce développement du service au client a aussi été l’occasion d’un immense extension des bases de données informatisées qui font de la gestion de l’information individuelle une capacité stratégique. Le marketing direct, aussi nommé communication directe, occupe aujourd’hui plus du tiers du chiffre d’affaire de l’industrie publicitaire, et il se développe sans cesse. Il est à l’origine du traitement individualisé du consommateur avec la vente par correspondance. Son principe réside dans la “ mise en réseau dynamique et opérationnel de données informatisées (faits, 9 Le marketing informationnel valeurs, concepts) sur les individus consommateurs ”. Il constitue un véritable marketing de réseau. Monique Wahlen a évoqué l’’apparition d’un phénomène de “ communicalisation ” abrité par l’idéologie de la communication. La communicalisation “ accroît la rationalisation efficace des échanges marchands en ce que chaque individu participe volontairement et activement, sous couvert d’un idéal de communication, à sa propre mise en réseau à des fins de marketing ” (Thèse de doctorat, Grenoble 3, 1998). L’informatisation des bases de données a été une première étape de développement du marketing direct. Le stockage des informations permet de reconstituer des historiques de consommation, des tris croisés, des analyses multicritères et des simulations statistiques de comportements de consommation. L’efficacité publicitaire est ainsi passée à la prévision, au calcul et à l’estimation mathématique. En même temps que les pratiques sociales se sont individualisées à travers tout l’appareil technique de la sphère domestique, le marketing direct a contribué à la développer à travers la personnalisation des produits ou de la relation au client. La notion d’interactivité entre prestataire et client a renforcé la communicalisation de la relation e t l’idée que la communication directe est un facteur supplémentaire de choix libre et rationnel du consommateur grâce au développement des TIC. Le marketing relationnel ou le one to one alimentent cette croyance. Comme le signale Monique Wahlen, on aboutit à un système de mise en réseau. Le système commercial tisse autour des individus un maillage d’informations recueillies, mémorisées et interconnectées. Grâce à ces données, on peut passer au stade d’une “ servuction ” ou le consommateur intervient en amont du processus de production, lui faisant ainsi assumer des tâches coûteuses pour les annonceurs. Le ciblage devient de plus en plus précis et la relation commerciale prend l’apparence d’un échange (informations individuelles contre services) qui attribue au marketing une dimension consensuelle et humaine. La médiation informationnelle démultiplie les possibilités du contact direct avec le client. L’interactivité directe et permanente, la prise en compte des caractéristiques individuelles et l’infinité des possibilités de choix s’intègrent dans la sociodicée du client roi et de la communication libératrice, tout en installant le marketing comme outil essentiel du contrôle social. 1.9 L’articulation de deux significations imaginaires sociales : le client individualisé et les TIC Lorsque cette relation est systématisée par le E commerce, on passe à une autre étape innovatrice. L’apparition du E commerce sur Internet a décuplé les capacités de relation personnalisée avec les clients. L’accumulation de données sur les clients par les réponses aux multiples questionnaires diffusés sur les sites commerciaux et non commerciaux s’est tout à coup trouvée surmultipliée. Elle a ouvert la possibilité d’un partenariat entretenu entre l’entreprise et le client personnalisé (en oubliant jamais que ce 10 Le marketing informationnel qui est perçu comme personnalisation par le client n’est toujours que la modularisation de segments standardisés du côté de l’entreprise). Le marketing direct, c’est-à-dire le marketing de la relation directe avec le client (marketing relationnel ou one to one) est un marketing de réseau. C’est pourquoi il est appelé à devenir un élément central dans la plupart des activités commerciales. Du coup, le marketing tend lui-même à devenir une activité directe de liaison entre l’entreprise et le marché. Le passage de l’orientation consommateur à l’orientation client correspond au passage d’un lien indirect et aléatoire originel entre entreprise et marché à un lien de plus en plus direct, contrôlé et rationalisé. Le marketing tend ainsi à devenir directement producteur de valeur. Mon hypothèse est que l’articulation des technologies intellectuelles et informatisées du marketing direct sont la clé de voûte de ce processus dont le Customer relationship management est l’expression concrète. La commission de Bruxelles a été récemment saisie du problème de la violation du droit de la clientèle par le spam. Cette technique publicitaire consiste à immiscer intrusivement dans les communications des internautes des messages publicitaires et des offres commerciales. Mais déjà les entreprises ont trouvé une réponse “ éthique ” à cette intrusion en développant le concept du permission marketing. Il s’agit ici d’obtenir le consentement du client avant de lui transmettre des propositions commerciales en échange d’avantages divers dans sa consultation des sites, ou bien de remises sur les achats, voir de rémunération au nombre de consultations de sites commerciaux ou à l’inscription d’autres internautes sur ces sites. Ainsi la boucle est-elle bouclée par le commerce informationnel avec la jonction des deux idéologies du client-roi et de l’individu communicationnel, dans le même temps où la relation production/consommation est de plus en plus intégrée par l’intermédiaire des TIC. 11