tt / ARNAUD MEUNIER
UNE COMÉDIE
DE NOS TEMPS EN CRISE
Comment cette rencontre artistique à trois
a-t-elle pu avoir lieu ?
Arnaud Meunier : En 2006, j’ai mis en scène
La demande d’emploi de Michel Vinaver dans le
théâtre d’Oriza Hirata à Tokyo tandis que je créais
Gens de Séoul d’Oriza Hirata à Chaillot. À cette
occasion, j’ai provoqué à Paris la confrontation
entre ces deux écritures singulières, ironiques,
« banales », quotidiennes et dont la précision ryth-
mique ressemble à une partition musicale. Depuis,
l’entente continue entre Vinaver et Hirata.
de la dramaturgie de Vinaver, tout en restant fidèle
à la finesse naturelle de sa langue personnelle. On
obtient un théâtre fusion comme on parle de cuisine
fusion. Il s’agit d’une recréation puisque Vinaver est
allé au Japon et a continué l’adaptation en écrivant
« à la manière de Hirata » : la pièce finale a été modi-
fiée, un work in progress permanent…
Quel est le sujet de la pièce ?
A. M. : C’est une comédie sur la mondialisa-
tion, en référence à l’histoire du capitalisme et
C’est la version hyper-brève de Par-dessus
bord de Vinaver que vous avez choisie, tra-
duite en japonais, puis réécrite par Hirata à la
manière de Vinaver…
A. M. : Hirata a été sidéré par l’actualité de la
pièce au Japon et a proposé pour la « réécriture »
des principes d’adaptation sur lesquels nous nous
sommes mis d’accord. Des années 70 de la pièce
initiale, nous sommes passés aux années 2009 ; à
la société française produisant du papier toilette
– un signe essentiel de la comédie - bientôt rache-
tée par les Américains, nous avons substitué une
entreprise fabriquant les fameux sièges toilettes
automatisés, une maison familiale japonaise qui se
fera racheter par un fonds d’investissement dirigé
par un Français. De plus, le personnage du juif
est remplacé par un Rwandais ayant échappé au
génocide car le Japonais, profondément insulaire,
peut être « choqué » que sa fille se marie avec un
Noir comme dans la pièce initiale, le représentant
de commerce français voyait d’un mauvais œil le
mariage de sa fille avec un juif.
En quoi consiste l’écriture « à la manière de… » ?
A. M. : C’est un exercice de style qui a consisté pour
Hirata à conserver le morcellement du discours et
Arnaud Meunier
à la mythologie japonaise via le shintoïsme. Ce
questionnement dramaturgique est universel : que
représente l’entreprise pour l’individu en temps
de crise ? Ce n’est plus un sentiment d’apparte-
nance qui prévaut, mais la peur de se faire éjecter
du monde professionnel. Au Japon, la crise est
survenue relativement tard et les conséquences
sont dramatiques. La pièce interroge le rapport de
l’individu à l’entreprise, à l’avenir et à sa vie.
Propos recueillis par Véronique Hotte
Tori no tobu takasa, texte original de Michel Vinaver,
adaptation de Oriza Hirata, mise en scène d’Arnaud
Meunier, les 13 et 14 janvier 2010 à 19h30 au
Théâtre d’Hérouville, Comédie de Caen,
CDN de Normandie, 14200 Hérouville-Saint-Clair.
Tél. 02 31 46 27 27 et www.comediedecaen.com
Les 19, 20 et 22 janvier 2010 à 20h30, le 21 janvier
à 19h30 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
Scène nationale, place Pompidou Montigny-le-
Bretonneux, 78054 Saint-Quentin-en-Yvelines.
Tél. 01 30 96 99 00.
Le 28 janvier à 19h et le 29 janvier à 20h30 au
Forum du Blanc-Mesnil, place de la Libération,
93150 Le Blanc-Mesnil. Tél. 01 48 14 22 00
Du 15 au 20 février 2010 à 20h30 au Théâtre de
la Ville aux Abbesses, 31 rue des Abbesses,
75018 Paris. Tél. 01 42 74 22 77
et www.theatredelaville-paris.com
© Camille Duchemin et Florent Gilard
ppll / KRZYSZTOF WARLIKOWSKI
LA CONTRADICTION
AU CŒUR DU DÉSIR
«Un Tramway nommé Désir explore le lien
trouble, obscur, entre amour et humiliation,
entre pulsions destructrices et besoin de
l’autre. Une séparation, la perte d’un être aimé,
peuvent provoquer une déflagration intime plus
violente que la guerre. Après la mort de son
mari, homosexuel qu’elle sublimait en poète,
Blanche Dubois a glissé dans la débauche,
séduisant ses élèves. Elle vit la contradiction
entre l’image qu’elle veut donner d’elle et la
moiteur de ses désirs, entre les manières distin-
guées, prudes, de son milieu social bourgeois,
et la réalité de son existence. La masculinité
de Stanley Kowalski, le mari de Stella, lui fait
horreur en même temps qu’elle représente ce
qui lui a été refusé. Kowalski est d’origine polo-
naise. D’une manière générale, j’ai besoin de
garder un lien fort à mon identité. Et la relation
avec mon origine polonaise est contradictoire.
Attiré par la France, où j’ai étudié la philoso-
phie à la Sorbonne, mais incapable d’y rester,
d’assumer le destin d’un immigré, je sens tou-
jours une dichotomie : en Pologne, la France
me manque et inversement. C’est le théâtre
qui m’a permis de rester moi-même. Dans tous
les textes que je mets en scène, il y a des tra-
ces de ma vie. J’ai toujours travaillé avec les
acteurs sur nos blessures. Isabelle Huppert,
avec Mikael Haneke, en particulier dans La
Pianiste, a poussé cette exploration aux extrê-
mes. De même que Andrzej Chyra avec moi.
J’attends beaucoup de leur rencontre sur le
plateau.»
Propos recueillis par Gwénola David
Un Tramway nommé Désir, de Tennessee Williams ;
mise en scène de Krysztof Warlikowski.
Du 4 février au 3 avril 2010 au Théâtre de l’Odéon,
75006 Paris. Tél. 01 44 85 40 40.
tt / PASCAL RAMBERT
ACTEURS ÉCONOMIQUES…
SUR LA SCÈNE
Le discours économique fréquente peu les
plateaux. Pourquoi décaler le lieu du propos
et le placer au cœur du théâtre ?
Pascal Rambert : Tout d’abord, n’étant pas
spécialiste de l’économie, m’aventurer sur un
terrain de non-savoir m’intéresse artistiquement
« réelle », des non-professionnels issus ate-
liers d’écriture et des choristes, celle d’un
spécialiste, et celle, fictionnelle, du théâtre.
Comment ces paroles jouent-elles ensemble ?
et rejoint une position que je cherche de plus
en plus : ne pas être dans le savoir-faire mais
me mettre en recherche, en risque, inventer
à même le plateau, laisser advenir en temps
réel. Ensuite, les ateliers d’écriture, que je
mène à Gennevilliers depuis 2007, montrent
l’emprise de l’économie sur les gens au quoti-
dien. J’avais envie de restituer une parcelle de
ces échanges.
Est-ce une façon de se re-saisir d’une pen-
sée, confisquée par ceux qui savent, les spé-
cialistes, alors que tout citoyen est acteur de
l’économie ?
P. R. : Les gens deviennent ici les acteurs d’une
fiction qui les dépasse, qui nous dépasse large-
ment parce que nous n’en comprenons pas tous
les enjeux alors que nous en payons les effets
parfois catastrophiques, comme pour la crise
des sub-primes. Cette (micro) histoire parcourt
quelques jalons de l’économie mondiale comme
les Coffee House londoniennes, préfigurations
des bourses d’échanges, les théories d’Adam
Smith sur le libre-échange, le don et le contre-
don analysés par l’anthropologue Marcel Mauss,
les expériences de microcrédits menées en Inde
par Muhammad Yunus ou encore les tentatives de
Mallarmé de financer son « Livre ». Pour autant,
ce n’est pas une pièce pédagogique. Partant de
situations économiques, nous les introduisons
dans le théâtre et questionnons les attentes et
la nature de l’échange, symbolique, monétaire,
entre celui qui se présente au regard et celui qui
regarde.
Vous croisez trois types de parole : celle,
Pascal Rambert
P. R. : J’ai écrit des trames de saynètes drama-
tiques sur lesquelles quatre performeuses de la
compagnie improvisent, tandis qu’Eric Méchou-
lan, directeur du programme « Esthétique et
économie politique » au Collège international
de philosophie, commente et met les situations
en perspective en temps réel. Les non-profes-
sionnels font des gestes très simples, suivant
leur rythme. Je ne cherche pas à les embrigader
dans une pensée ni dans un système esthéti-
que. Leur façon de ne pas être en représentation
d’eux-mêmes, la liberté et la variété des corps
qui ne sont pas formatés, apportent beaucoup
de beauté et d’émotion sur le plateau. Entre ces
trois paroles nous essayons d’établir un réseau
de correspondances.
Qu’est-ce que faire du théâtre pour vous ?
P. R. : Chercher, chercher la vie.
Entretien réalisé par Gwénola David
Une (micro) histoire économique du monde,
dansée, texte, conception et réalisation de
Pascal Rambert en collaboration avec
Eric Méchoulan, du 8 au 22 janvier et du 9
au 20 février 2010, à 20h30 sauf mardi et jeudi
à 19h30, dimanche à 15h, relâche lundi, au Théâtre
de Gennevilliers, 41 av. des Grésillons, 92230
Gennevilliers.
Rens. 01 41 32 26 26
et www.theatre2gennevilliers.com
© Patrick Imbert
© Anne Deniau