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Revue internationale: Éditoriaux et Chroniques
3% et alors?
C'était promis, juré, intangi-
ble, irréversible… Et puis
non finalement ! En dépit
des engagements cent fois
répétés, le déficit public
français ne descendra pas
sous la barre fatidique des 3
% de produit intérieur brut
(PIB) en 2013. En cause,
une croissance plus faible que prévu, et donc
des recettes plus basses qu'escompté.
Contrairement à ce que suggère sa mise en
scène médiatique, la nouvelle n'est
cependant ni une surprise ni un drame: nous
l'écrivions déjà dans notre numéro de
septembre dernier et nous étions loin d'être
les seuls. Les marchés financiers l'ont
d'ailleurs accueillie avec une souveraine
indifférence. Non par manque de vigilance,
mais parce qu'ils savent que le surcroît de
sacrifices qu'il faudrait s'infliger pour
atteindre un tel objectif serait
potentiellement pire que le mal. Même le
Fonds monétaire international a fini par se
ranger à cette opinion en reconnaissant au
passage ses erreurs passées.
C'est dire ! Mais à défaut
d'être un événement écono-
mique, cette nouvelle cons-
titue un sérieux problème
politique. Car elle redonne
des arguments aux partisans
d'un nouveau tour de vis.
De ce côté-ci du Rhin, pour
exiger en urgence des coupes supplémentai-
res dans les dépenses publiques. Et de l'autre
côté, pour faire, à quelques mois des
prochaines élections législatives, une
démonstration d'intransigeance devant
l'opinion publique. Il y a pourtant de bonnes
raisons de s'opposer à un nouvel ajustement
budgétaire, outre qu'il serait économique-
ment et socialement dévastateur dans un
pays qui compte désormais plus de trois
millions de chômeurs. La première est que,
si l'on s'en tient aux règles du traité de
stabilité, il n'est pas absolument indispensa-
ble : le traité permet en effet de différer
l'effort d'ajustement en cas de conjoncture
particulièrement défavorable. C'est
clairement le cas aujourd'hui. La seconde
raison est politique : l'Hexagone a déjà fait
une bonne partie du chemin en acceptant de
signer le traité de stabilité sans le renégocier
(contrairement aux promesses de François
Hollande), en augmentant substantiellement
les impôts et en s'apprêtant à transcrire dans
la loi les réformes du marché du travail
décidées par les partenaires sociaux le 11
janvier dernier. Quoi qu'on pense de ces
décisions- et certaines ont été âprement criti-
quées ici mêm -, elles constituent des gages
assez significatifs pour que Bruxelles et
Berlin acceptent à présent de mettre de l'eau
dans leur vin. Il ne s'agit nullement
d'enterrer la nécessité de réduire les déficits
publics, mais simplement de se donner un
peu plus de temps pour le faire et de cueillir
ainsi les fruits de la confiance retrouvée.
Celle-là même qui, à force de concessions
mutuelles, a permis de mettre un terme, au
moins provisoire, à la crise de l'euro.
Alternatives Économiques
La Silicon Valley décline-t-
elle ou perd-elle seulement
sa spécificité?
Point historique de rencontre entre les
campus universitaires, la contre-culture c
alifornienne et l’esprit d’entreprise
américain, la Silicon Valley est devenue
depuis les années 1970 un des principaux
technopoles de l’innovation économique, un
centre mondial du capitalisme high-tech en
même temps qu’un mythe de l’économie
dite «de la connaissance». Apple, Hewlett-
Packard, Intel et, plus tard, Google et
Facebook: la Valley a fait émerger les plus
grandes success stories de l’économie post-
industrielle. Et puis, écrit James McQuivey
sur All Things D, c’est quand même le seul
lieu au monde où même les surfeurs rêvent
de devenir millionnaires, comme en
témoigne le succès de la GoPro. «En réalité,
les acteurs de la Silicon Valley sont en train
de planter les graines de leur propre
disparition», poursuit pourtant cet analyste,
spécialiste de l’innovation numérique et
vice-président de la société de conseil
Forrester Research. Les facteurs qui ont
amené la Valley à développer et faire
fructifier autant d’innovations radicales dans
le domaine des technologies de l’informa-
tion et de la communication vont
être, selon McQuivey, de moins
en moins exclusivement présents
sur place. Pour le développe-
ment de l’économie de la
connaissance, la concentration
d’informations et de savoirs est un élément
essentiel. Or, ce fut longtemps une denrée
rare. La Silicon Valley, à travers de nom-
breuses innovations, contribue à scier la
branche sur laquelle elle se tient en ayant
rendu gratuites, libres et foisonnantes
quantité d’informations. Certains de ces
outils sont en effet devenus des armatures de
base pour le développement de nouveaux
services. Qu’on pense aux partenariats avec
Amazon, aux applications mashup qui
utilisent les informations et données
contenues sur d’autres, ou encore au
paiement par téléphone, qui facilite le
commerce de proximité. Par ailleurs, la
Silicon Valley avait su attirer du capital-
risque pour faire de ses petites start-ups des
géants mondiaux, mais aujourd'hui, le
développement d’une société innovante
nécessite beaucoup moins de capital qu’il y
a dix ans, selon l’auteur, qui a interrogé des
vétérans du business. En somme, c’est bien
moins un déclin de la Silicon Valley que
l'auteur entrevoit qu’une généralisation de
son modèle à d’autres technopo-
les. C’est donc un déclin relatif,
précise-t-il, et un rattrapage du
reste du monde. Une silicon-
valleyisation générale? Ce que
l'article ne dit pas, et qui en
revanche ne changera pas avec la généralisa-
tion des nouvelles technologies et en
particulier l’accès à Internet, c’est le rôle
prédominant des métropoles innovantes dans
le processus de création de valeur. Car les
travailleurs intellectuels diplômés et les
centres de recherche sont de plus en plus
concentrés géographiquement dans quelques
centres urbains, ce qui rend quelque peu
utopique la croyance en une société de
l’innovation et de la connaissance hors sol,
qui se contenterait des réseaux à distance
pour fonctionner. C'est même tout l'inverse.
En cela, le modèle de la Silicon Valley est
adaptable, mais reste indépassable. Et c’est
là que, d’une certaine façon, l’idéologie
californienne reste dominante. A l’image de
son gourou le plus célèbre, Steve Jobs, qui
valorisait énormément l'hybridation des
disciplines, des idées et des hommes. Un
rocessus qui nécessite des contacts
fréquents, souvent informels, que seule la
ville «créative» rend possibles.
La Tribune