La pratique infirmière avancée: de quoi parle-t-on?

La pratique infirmière avancée s’appuie
sur les valeurs et les fondements des
soins infirmiers,il ne s’agit pas d’une
nouvelle profession, mais d’un dévelop-
pement de la profession infirmièrequi a
pour but de mieux répondreaux besoins
actuels en matièrede santé. Le Conseil
international des infirmières (CII) défi-
nit une infirmière de pratique avancée
comme «Une infirmièrespécialiste/ex-
perte diplômée d’Etat ou certifiée qui a
acquis les connaissances théoriques, le
savoir-faire nécessaire aux prises de déci-
sions complexes,de même que les com-
pétences cliniques indispensables à la
pratique avancée de son métier,pratique
La pratique infirmière avancée est très prisée à l’heure actuelle,
cependant ce concept n’est pas toujours bien compris par l’ensemble
des acteurs du système de santé. Cet article vise à décrire la vision
de la pratique infirmière avancée qui prévaut actuellement en Suisse,
ainsi qu’à illustrer les propos avec des exemples en Suisse romande.
Texte: Marie-José Roulin, Patricia Borrero, Elisabete Iori / Photos: Catia Guedes Queiros; màd.
avancée dont les caractéristiques sont
déterminées par le contexte dans lequel
l’infirmièreest autorisée à exercer.Une
formation de base de niveau maîtrise est
recommandée1
Pratique clinique et expertise
La pratique avancée est axée sur la pra-
tique clinique à l’interface entre l’infir-
mièreet le patient/famille.Elle suppose
une spécialisation, c’est-à-dire un élar-
gissement des compétences et le déve-
loppement d’habiletés dans un domaine
spécifique des soins infirmierstel que
les soins aux personnes âgées. Il s’agit
aussi d’une pratique experte,qui selon
Hamric et al. (2014) ne doit pas être
confondue avec la pratique experte
décrite par Patricia Benner. En effet,
Patricia Benner a décrit une expertise
basée sur l’expérience clinique et non
sur un rôle spécifique. Cette expertise
de l’infirmièrede pratique avancée (IPA)
est dite «avancée», car elle implique non
seulement une expertise pratique, mais
aussi des compétences acquises lors
d’études académiques post-graduées
qui permettent une autonomie de pra-
tique et de repousser les frontières pro-
fessionnelles traditionnelles. Il s’agit
de compétences cliniques étendues,
notamment dans le domaine de l’éva-
luation et de la prise en soins des situa-
tions complexes,ainsi que la capacité de
développer des soins basés sur des fon-
dements théoriques et des données pro-
bantes. L’élargissement du champ de
compétence peut se faire versd’autres
champs professionnels comme la méde-
cine,ce qui correspond au rôle d’infir-
mière praticienne avancée; ou dans le
champ des soins infirmiers,ce qui cor-
respond au rôle d’infirmière spécialiste
clinique ou d’infirmière clinicienne spé-
cialisée. Toutefois, quel que soit le rôle
des IPA, les compétences essentielles
sont similaires et attendues de chaque
IPA.
Les compétences des IPA
En Suisse, les différentes associations
professionnelles et les institutions de
formation ont conceptualisé la pratique
infirmière avancée à l’aide du modèle
proposé par Hamric et al. (2014). Dans
Marie-José Roulin,membredu
comité du GIC SwissANP,directrice
adjointe des soins, Hôpitaux Univer-
sitaires de Genève, chargée de cours
àl’Institut Universitairede Formation
et Recherche en Soins, Université
de Lausanne.
Patricia Borrero,infirmière spécialis-
te clinique en tabacologie, Hôpitaux
Universitaires de Genève.
Contact: patricia.borrer[email protected]
Elisabete Iori,infirmièreclinicienne,
CentreNeuchâtelois de Psychiatrie.
Les auteurs
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Profession
Un nouveau rôle infirmier
1Conseil international des infirmières. (2002).
Définition et caractéristiques des rôles des
infirmières spécialistes / expertes. Disponible
sur http://icn-apnetwork.org/
La pratique infirmière
avancée: de quoi parle-t-on?
ce modèle, la pratique infirmière avan-
cée est centrée sur le patient et/ou la
famille avec la pratique clinique direc-
te comme compétence centrale. Cette
compétence influence et détermine l’en-
semble des six compétences clefs du
rôle.Ces six compétences sont le coa-
ching, la consultation, la pratique basée
sur des données probantes, le leader-
ship, la collaboration et la prise de déci-
sion éthique.
Le coaching et la consultation touchent
aussi bien les patients que les membres
de l’équipe interdisciplinaire. Pour ce
faire,les IPAse basent sur des approches
qui ont fait leurs preuves et adaptées au
contexte dans lequel elles exercent. Le
témoignage de Patricia Borrero (lire en-
cadré p. 70) montre bien cette nécessité
pour offrir des interventions infirmières
pertinentes en tabacologie auprès de la
personne avec une maladie coronarienne
en milieu hospitalier ou pour développer
de nouvelles offres de soins.
Le développement de pratiques basées
sur des données probantes est probable-
ment la compétence la plus reconnue
chez les IPA. Elle se traduit notamment
dans la rédaction de protocoles de soins,
dans l’élaboration de standards de
bonnes pratiques ou dans l’animation
de projets de développement des soins.
Les IPA créent des ponts entre théorie-
recherche et pratique en synthétisant les
résultats de recherche pour les clini-
ciens.Elles favorisent l’adoption des in-
novations dans les milieux de pratique
par un travail quotidien de proximité,
dans le cadredes formations continues
ou de colloques, comme l’illustre le té-
moignage d’Elisabete Iori (lireencadré
p. 71). Des travaux récents au Canada et
en Irlande montrent que les IPA avec
une formation académique post-grade
favorisent l’introduction de pratiques
basées sur des données probantes dans
les services de soins (Killpatrick et al.,
2013; Gerrish et al., 2012). En effet, les
IPA avec un master sont bien outillées
pour analyser les résultats de recherche
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www.sbk-asi.ch >Pratique infirmière avancée >Expertise >Leadership
«Les six compétences clefs de l’IPA sont le
coaching, la consultation, la pratique basée
sur des données probantes, le leadership,
la collaboration et la prise de décision éthique.»
Sonja Vincent Suter
est infirmière spé-
cialiste clinique
dans le domaine
du VIH et titulaire
d'un Master.
pertinents au milieu de soins concernés
et plus crédibles que leurs collègues
sans formation universitaire.
Une réelle plus-value
Le leadership clinique et professionnel
est l’une des compétences clefs des IPA.
Au niveau micro, les IPA peuvent, grâce
àleur expertise, aider les équipes de
soins à développer la réflexion autour
des situations de soins et à choisir les
soins optimaux pour un patient donné.
Au niveau meso, les IPA sont des agents
de changements qui œuvrent en inter-
disciplinarité pour transformer les sys-
tèmes de soins,afin de mieux répondre
aux besoins de santé des individus et de
leur famille. Au niveau macro, elles sont
actives dans la politique sanitaire et pro-
fessionnelle pour défendre les intérêts
des bénéficiaires et des infirmières.
Au niveau éthique, les IPA facilitent les
échanges autour de questions éthiques
en utilisant des modèles basés sur
des principes éthiques.Elles vont aussi
au-delà en développant une éthique
préventive pour prévenir les dilemmes
et la détresse morale chez les soignants.
Par exemple,en initiant une réflexion en
équipe interdisciplinaireaboutissant à
une stratégie d’équipe autour du retrait
thérapeutique, comme l’illustre le tra-
vail réalisé par Valérie Gardaz (2011).
Il existe de nombreux travaux qui expo-
sent la plus-value et les résultats pour
les patients et leurs familles de la pra-
tique infirmière avancée (Newhouse et
al., 2011, Donald et al., 2013). Ils sont
cependant essentiellement centrés sur
le rôle d’infirmière praticienne et com-
parent les résultats des IPA avec ceux
des médecins. Il existe peu de travaux
sur les résultats pour les patients liés
àla présence d’une IPA dans un rôle
d’infirmière spécialiste clinique. Finale-
ment, il est parfois difficile d’identifier
qu’une IPA est l’initiatrice et le leader
d’un projet d’innovation.
La pratique infirmière
avancée en Suisse
En Suisse, il y avait environ 400 infir-
mières formées au niveau master à la fin
2013. Les résultats d’un questionnaire,
envoyé à l’ensemble des infirmières titu-
laires d’un master en sciences infir-
mières en 2013, montrent qu’environ
51% de ces infirmières occupent un pos-
te d’IPAet 69% sont employées dans
des institutions de soins2.Il est intéres-
Profession
70 Krankenpflege ISoins infirmiers ICure infermieristiche 4/2014
Patricia Borrero
En lien avec mon champ d’expertise, je
fais des consultations auprès des pa-
tients fumeurs qui souhaitent profiter
de leur hospitalisation pour arrêter de
fumer.Mon rôle est aussi de sensibiliser
les équipes de soins à saisir cette op-
portunité qu’est l’hospitalisation pour
offrir au patient un soin de prévention.
J’anime également des sessions sur
le tabagisme auprès de groupes de pa-
tients en psychiatrie et dans le program-
me de réadaptation cardiovasculaire. Je
mets en place des formations-actions
adaptées aux demandes du terrain com-
me la prise en charge du patient fumeur
en orthopédie,où le tabagisme du pa-
tient a des conséquences sur le proces-
sus de cicatrisation et la consolidation
osseuse.
Travail interdisciplinaire
Auniveau institutionnel, j’exerce la pré-
sidence du Groupe Tabac ou Santé des
HUG, ce qui m’amène à travailler en
interdisciplinarité avec des architectes,
des agents de sécurité, le service de
communication, des médecins, des in-
firmières, le service de médecine du
personnel, le service d’exploitation, la
direction et le réseau externe.Une vi-
sion transversale et institutionnelle est
donc indispensable pour cette mission,
où j’ai pu développer des compétences
en gestion de projet et comme agent de
changement. Par exemple, j’ai consti-
tué, avec le groupe tabac, un dossier
basé sur des données probantes qui a
permis à la direction de l’établissement
de prendredes mesures de protection
contre le tabagisme passif. Je constate
que le regard des interlocuteurs change
lorsque l’infirmière se positionne avec
des données solides, contribuant ainsi à
un changement culturel de la percep-
tion des infirmières comme des parte-
naires crédibles au niveau scientifique.
De nouveaux outils
Le Master en sciences infirmières m’a
permis d’acquérir des outils pour criti-
quer une recherche et pouvoir appli-
quer ses résultats en tenant compte du
contexte.Ainsi, une étude menée au
sein des HUG a montré que la prise en
charge systématique du patient fumeur
coronarien hospitalisé était plus efficace
qu’une prise en charge à la demande.
Cette nouvelle donnée renvoyait l’équi-
pe soignante à un problème éthique:
n’allait-on pas ôter au patient son libre
arbitre? Les compétences acquises dans
les cours d’éthique au Master m’ont
permis d’accompagner l’équipe dans
cette réflexion.
Hormis mon champ d’expertise,j’ai de
nouveaux mandats comme l’enseigne-
ment de la pratique infirmière basée sur
des données probantes ou l’animation
de journal-clubs sur des articles scien-
tifiques.La connaissance des fonde-
ments de la discipline infirmièreme
permet de travailler avec l’équipe de
soins sur le contenu de cette future
consultation: sur quelles valeurs vont-
elles fonder la consultation infirmière?
Quelles compétences doivent-elles dé-
velopper pour répondre aux besoins
de cette population, souvent âgée, qui
souffre d’une maladie chronique
asymptomatique? Quels indicateursse-
raient pertinents pour évaluer cette
consultation?
«J’accompagne le changement»
J’ai commencé il y a 28 ans ma carrière d’infirmière et depuis 1999, j’occupe un
poste d’infirmière spécialiste clinique en tabacologie. Après plusieurs formations,
j’ai souhaité approfondir mes compétences dans le domaine infirmier avec un
master en sciences infirmières.
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«Je dois faire ma place»
Elisabete Iori
Je travaille auprès d’équipes en charge
de patients âgés avec des affections
psychiatriques en milieu hospitalier,
EMS, hôpital de jour et consultation
ambulatoire.
Développer les pratiques
Dans mes nouvelles fonctions, je suis
activesur plusieursprojets de dévelop-
pement des pratiques.Je collabore
actuellement à la révision du système
d’infirmier référent dans une équipe de
soins pour rechercher des pistes de
solution, afinque ce mode de dispen-
sation des soins soit plus efficient. J’ai
identifiéles besoins et les difficultés de
l’équipe, puis, en collaboration avec
les responsables des soins, proposé un
autre mode d’organisation.
J’anime une fois par mois une séance
d’analyse de la pratique, dont l’objectif
est de réfléchir autour de situations de
soins perçues comme problématiques
par les soignants.C’est une opportuni-
té de développer une approche réflexi-
ve chez les soignants tout en intégrant
des données issues de la recherche.
Finalement, je développe aussi des ses-
sions de formation continue à l’inten-
tion de l’ensemble du personnel des
soins de mon institution sur des théma-
tiques comme les soins et l’accompa-
gnement de la personne démente ou
l’examen clinique de l’aîné.
Je suis la première avec un master en
sciences infirmières dans mon insti-
tution et je dois fairema place.Mes
partenaires, aussi bien les soignants
que le corps médical, sont curieux et
découvrent ce nouveau rôle. Dans l’en-
semble,il est bien accepté et je com-
mence à être perçue comme une res-
source par tous. Cependant à l’heure
actuelle, je développe surtout des pra-
tiques de soins indirects,il me reste à
développer ma pratique clinique direc-
tement auprès des patients pour pleine-
ment occuper mon rôle d’IPA.
sant de relever que la majorité des IPA
sont employées dans des hôpitaux de
soins somatiques et 27% dans le domai-
ne de l’oncologie. Par contre, seules 3%
des IPA interrogées sont actives dans
les soins à domicile, alors que c’est un
secteur de soins en pleine expansion.
Plusieurs institutions de soins ont déve-
loppé des cahiers des charges pour les
IPA, où énoncé des visions du rôle. Les
IPA sont souvent appelées à occuper
des postes d’infirmières spécialistes cli-
niques, ou d’infirmières cliniciennes spé-
cialisées, et font évoluer ces fonctions.
Cependant, on retrouve aussi en Suisse
des IPA avec des profils d’infirmières pra-
ticiennes qui effectuent des actes médi-
caux définis, adaptent les ordonnances,
prescrivent et interprètent des tests
diagnostiques (voir l’article Bögli, Stau-
dacher et Ziegler dans la partie alleman-
de de Soins infirmiers 1/2014). Il s’agit à
l’heure actuelle de délégation de tâches
médicales qui sont le fruit d’un accord
individuel entrele médecin répondant
et l’IPA. En effet, il n’existe pas de bases
légales dans ce domaine en Suisse ni de
nancement prévu via les DRG pour les
soins aigus ou de l’ordonnance sur les
prestations des soins (OPAS).
Un modèle à développer
La pratique infirmière avancée se dé-
veloppe actuellement en Suisse, c’est
pourquoi il devient important de définir
un cadre législatif permettant de clarifier
les conditions d’obtention du titre d’in-
firmière de pratique avancée pour ga-
rantir la qualité des prestations et pro-
téger les patients. D’autre part, l’ASI
demande un registreprofessionnel actif
distinct pour ces professionnelles, car
les IPAdisposent de davantage de com-
pétences et il y a donc un risque plus
important en cas de mauvaise pratique.
Finalement, un groupe d’intérêts com-
muns (Swiss ANP) s’est même constitué
au sein de l’ASI dans le but de promou-
voir la pratique avancée et d’offrir une
communauté de pratique aux IPA.
Auniveau conceptuel, le modèle de pra-
tique avancée d’Hamric a été développé
aux Etats-Unis et certains éléments sont
peu adaptés à la Suisse. Il est donc pro-
bable qu’un modèle Suisse se développe
ces prochaines années.
Références
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http://swiss-anp.ch/w/media/Akutelles/2013_
05_20_Masterumfrage_2013_Bericht_4S_final.pdf
J’ai obtenu ma licence en soins infirmiers au Portugal en 2007 et un master en
sciences infirmières en 2013. Après une expérience de 4 ans comme infirmière en
EMS, suivie de deux ans en psycho-gériatrie aiguë, je suis employée, depuis janvier
2014, comme infirmière clinicienne au sein du Centre Neuchâtelois de Psychiatrie.
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