HOMMAGE À SIEGI HIRSCH Intervention au colloque organisé par

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HOMMAGE À SIEGI HIRSCH
Intervention au colloque organisé par le CFTF de Liège
en l’honneur de Siegi Hirsch
Jacques Miermont
Lorsque nous pensons à Siegi Hirsch, nous pensons, à l’évidence, lui rendre hommage.
Mais les évidences sont souvent trompeuses. Voilà plus de vingt ans qu’une grande
partie des centres créatifs en thérapie familiale ont su tirer parti de son enseignement, de
sa formation, de son style, de sa personne. Par-delà l’hommage, se dessine une
reconnaissance qui dépasse les honneurs d’usage. Reconnaissance qu’un processus est
toujours en cours, celui de la constitution et du développement d’une école, ou plutôt de
plusieurs écoles qui peuvent se réclamer de l’héritage de Siegi Hirsch. A quoi se
reconnaissent ces écoles ? A la capacité de développer des modélisations ouvertes au
changement, à l’évolution, à la confrontation, et ce, au service des exigences de la
clinique, en se dégageant, autant que faire se peut, des enjeux de pouvoir, des relations
d’emprise, de la langue de bois, des clichés de la pensée.
Il s’agit ainsi d’une diversification de transmissions particulièrement originale : sans
faire l’économie de l’institutionnalisation de nombreux centres de formation, cette
diversification d’un genre particulier s’adresse à chaque thérapeute dans sa singularité,
ses qualités et défaillances propres ; c’est un processus de transmission en mouvement,
dont nous pouvons constater, après-coup, qu’il a bien été initié, et qu’il reste en plein
processus de croissance. Ce colloque en est le meilleur témoin. Siegi Hirsch a su, et
continue savoir libérer les forces créatrices des uns et des autres, sans méconnaître la
complexité de la question des modélisations, des théories, des styles, des techniques, des
modalités d’intervention.
D’où vient cette originalité ? Pour moi, Siegi Hirsch représente le prototype du
psychothérapeute de l’avenir : rompu au travail institutionnel, thérapeute de couple et de
famille hors pair, S. Hirsch est un systémicien dont les qualités tranchent avec celles
qu’il est souvent d’usage de rencontrer, pour les psychothérapeutes de sa génération.
Sachant limiter ses domaines de compétence et d’intervention, il a paradoxalement
ouvert un champ qui reste encore en grande partie à défricher : non seulement il a su
initier des dialogues fructueux entre psychanalystes et systémiciens, entre médecins et
travailleurs sociaux, à une époque où la guerre régnait entre thérapeutes, éducateurs,
etc., mais son style me semble largement dépasser la question de la psychanalyse et de la
modélisation systémique : on pourrait tout autant qualifier Siegi de psychothérapeute
humaniste. Siegi s’adresse à chaque fois à des personnes, dont il sait libérer les forces
vives, et dont il ne tire pas ombrage de la réussite: thérapeute de l’humain en son
extrême diversité, il sait mieux que quiconque la part d’inhumain dont il faut savoir
tenir compte pour pouvoir avancer : son intelligence de l’éthique me semble
extrêmement rare, en ce qu’elle combine une très large ouverture d’esprit et une grande
rigueur : tout le contraire d’une vision étroite moralisante et manichéenne.
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Je ferai pour ma part une distinction entre efficacité et efficience : je préfère, en
psychothérapie, la seconde à la première, dans la mesure où elle m’apparaît plus
respectueuse d’un dégagement d’une sorte d’adaptation sociale forcée: l’efficacité laisse
entendre la suppression des symptômes, le retour à un état normatif, la reprise d’une
inscription socialement estampillée. L’efficience pourrait être entendue comme la
reconnaissance de l’effet thérapeutique, qui respecte la fragilité, la symptomatologie,
l’ouverture vers de nouvelles formes de réalisation, qui n’ont pas à se réduire
nécessairement aux formes convenues de guérison ou de normalisation.
Je partage, avec Jacques Beaujean, la réhabilitation de la théorie, ou des théories dans le
champ qui est le nôtre. Une partie de notre travail consiste effectivement à ouvrir les
choix pour les patients et leur entourage. Dans les situations extrêmes ou complexes,
nous avons intérêt à présenter notre capacité à apprendre, à évoluer face aux options
théoriques qui nous confrontent à nos propres limites conceptuelles : nous n’avons pas
de théorie unifiée à proposer, et nous-mêmes faisons des choix qui se révèlent plus ou
moins fiables et heureux.
Lorsque Siegi Hirsch est venu former les premiers thérapeutes familiaux en France, une
véritable guerre civile régnait : l’hégémonie de la psychanalyse se traduisait par une
lutte passionnelle entre freudiens et lacaniens ; tout ce qui n’était pas considéré comme
psychanalytiquement correct était voué aux gémonies , ou réduit à des pratiques de
seconde zone, sous-produits abâtardis de l’expérience insurpassable de la cure-type. En
réaction à cette situation, les systémiciens de la première génération (française)
affichaient des résultats triomphalistes, et proposaient des recettes miraculeuses, dont
l’apprentissage relevait d’une transmission magique simplificatrice. Les déboires
cliniques n’ont pas manqué, et ont conforté les psychanalystes purs et durs dans leurs
positions.
L’ambiance qui régnait dans les groupes de formation de Siegi Hirsch détonnait
franchement, face à cette agitation et ces débats stériles. Face aux oukases en tous
genres, Hirsch prend le temps d’écouter les personnes en formation, sollicite le
dialogue, ouvre à la nuance, à la subtilité, à l’intelligence des émotions et des réflexions.
"Le groupe de formation est une caravane : certains sont des éclaireurs, à l’avant ;
d’autres ont besoin de plus de temps, et ferment le peloton. Il faut respecter le rythme de
chacun." nous disait S. Hirsch. Loin d’avoir à craindre de se voir briser dans ses envols
plus ou moins maladroits, chaque apprenti thérapeute se sent soutenu, à son rythme
propre, dans l’exploration de ses propres potentialités. Bien plus, Hirsch sait respecter
l’identité de chacun, et supporter la crise d’identité qui ne manque pas de surgir : la
confrontation des modélisations, par-delà les questions théoriques, questionne, au plus
profond d’entre nous, les appartenances qui nous donnent une raison de vivre. Peut-on
transformer son identité comme on change de casquette ?
La confrontation des modélisations
La confrontation des modélisations peut s’entendre de diverses manières :
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- modélisations multiconfessionnelles : médicales, psychologiques, socio-éducatives et
judiciaires
- modélisations en psychothérapie : psychodynamiques, écosystémiques,
comportementalo-cognitivistes, humanistes
- modélisations individuelles et collectives : institutionnelles, personnelles, conjugales,
parentales, familiales, groupales.
Un point mérite d’être ici souligné : il n’existe pas de théorie unifiée qui permette,
aujourd’hui, de rendre compte de l’ensemble des faits auxquels sont confrontés les
thérapeutes. Et rien n’est plus difficile que de gérer cette situation. Le positionnement et
l’attitude de S. Hirsch restent pour moi une référence pour aborder ces questions, qui
restent, plus que jamais, d’actualité. Je souhaite en donner quelques exemples :
Modélisations multiconfessionnelles : un des enjeux les plus passionnants est de
coordonner les démarches médicales et judiciaires, sans pour autant les réduire l’une à
l’autre. Le paradigme des thérapies familiales se révèle un instrument particulièrement
heuristique dans cette coordination. En pratique, la création de fédérations de services
en thérapie familiale permet d’envisager sous un jour nouveau et prometteur les clivages
traditionnels entre thérapeutes et travailleurs sociaux. J’ai la chance de travailler, sur le
terrain, avec Mr. Hervé Hamon, juge en premier du Tribunal pour enfants de Créteil, et
Mr. Paul D’All Aqua, Directeur du Service de Protection Judiciaire de la Jeunesse du
Val de Marne, pour qui l’œuvre de S. Hirsch n’est pas une référence inconnue.
Modélisations en psychothérapie : quatre grandes mouvances se partagent le champ des
théories et des pratiques : psychodynamiques, écosystémiques, comportementalo-
cognitivistes, humanistes. L’attitude de Hirsch reste ici pour moi une source
d’inspiration et un soutien méthodologique précieux : non pour réduire les théories à un
syncrétisme illusoire, mais au contraire pour mettre en tension ces polarités
indispensables à l’établissement du cadre thérapeutique. S’agit-il pour autant d’être
éclectique et intégratif ? Je n’en suis pas sûr.
Quatre grands courants ont été décrits, explorés et commentés. Il sont centrés sur des
aspects particuliers :
- inconscient et niveaux de conscience (hypnose, psychanalyse) : pour ceux qui se
sentent sexuellement entravés par le poids du passé, par des scénarios répétitifs
inaccessibles à la conscience, qui les ramènent inexorablement à des schémas
relationnels infantiles.
— conduites et symptômes (comportementalo-cognitivisme) : pour ceux qui ont un
problème précis à résoudre, non nécessairement lié à une implication subjective, et qui
réclament des programmes d’apprentissage, relevant de procédures éducatives et
rééducatives.
- personne et autonomie (psychothérapie humaniste) : pour ceux qui réclament une
reconnaissance de leurs singularités, l’épanouissement de leurs propres ressources, le
dégagement de dépendances aliénantes, l’accomplissement de leur personnalité.
— interaction et contextes (modélisation écosystémique) : pour ceux qui restent
vitalement intriqués à leur environnement familial et social, qui sollicitent la création de
nouveaux contextes, la mise en projet de procédures compatibles avec leur handicap
mental.
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Voici quelques variables opérantes :
ù imitation, imagination, hypnose, suggestion, persuasion, remaniements associatifs,
remémoration, abréaction, transfert, identification, apprentissage de l’attachement /
détachement
— contention, canalisation, isolation, dérivation, apprentissage de l’isolation / relation,
institutionalisation, placebo, schismogenèse, double-bind, meta-binding, recadrage
contextuel
éducation, rééducation, changement de vision du monde, de référence cognitive,
— rencontre interpersonnelle, relation d’aide, de soutien empathique, ouverture au
choix, dégagement des changements obligés, enrichissement mutuel, approfondissement
réciproque des ressources personnelles.
Dans les faits, il existe des interférences plus ou moins intenses entre ces différents
courants, conduisant à des turbulences, des intégrations partielles, des éclectismes
labiles, des tensions synergiques et antagonistes.
Modélisations individuelles et collectives : inventer, à chaque fois, de nouvelles formes
d’intervention s’avère une entreprise passionnante, certes périlleuse, mais indispensable
dans les situations complexes. Comment mettre en œuvre une psychothérapie
individuelle chez quelqu’un dont l’individualité se trouve morcelée, répartie sur toute
une série de personnes qui participent à sa survie ? Comment combiner la contention, la
canalisation, la dérivation des passions déchaînées et le surgissement de la liberté de la
personne ? Comment réactiver une famille décomposée autour d’un patient confronté à
la perte de ses repères identitaires ? Comment articuler thérapie institutionnelle, thérapie
familiale et psychothérapie individuelle ?
Dans les faits, la situation est évidemment moins claire : chaque courant s’est nourri
d’influences entrecroisées ; il est dès lors envisageable de partir d’un autre point de vue,
et de considérer que chaque psychothérapeute ajustera ses modalités d’intervention en
réglant ses actions selon un triple référentiel méthodologique : subjectif, objectif,
projectif. Ce triple référentiel est nourri par les apports d’une vision éco-étho-
anthropologique (J. Miermont, “Écologie des liens”, ESF, 1993, “L’homme autonome”,
Hermès, 1995, “Psychose et thérapie familiale, ESF, 1997).
Le repérage de ce triple référentiel permet une première clarification :
L’avènement des processus de subjectivation
La démarche psychanalytique cherche à développer le statut de sujet du patient, sa
capacité à resituer ses difficultés au travers de sa propre histoire, à prendre conscience
de ses fantasmes inconscients et à faire advenir son activité d’être désirant, en faisant
essentiellement retour au passé, en réactualisation les effets de la sexualité infantile pour
tenter de les infléchir. La psychanalyse suppose un engagement interpersonnel intense,
l’exploration des ressorts les plus intimes de l’affectivité, l’implication dans une
aventure où le sujet qui advient n’est pas réductible au "moi" conscient. Encore faut-il
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que le "sujet" soit suffisamment assujetti à un corps de règles auquel le psychanalyste
est lui-même assujetti.
Les psychothérapies humanistes sont également préoccupées de favoriser l’expression
libre des sentiments, mais cette expression est centrée sur le problème. Il s’agit de
favoriser la réalisation, l’indépendance et l’intégration de la personne, par l’acceptation
et la clarification des sentiments négatifs, l’explicitation des décisions des modes
d’actions possibles, et l’initiation progressive aux actions positives les plus minimes. Le
psychothérapeute cherche à valider l’expérience du moi potentiel, et de favoriser le
renforcement et l’intégration de la personnalité de manière à la rendre la plus
indépendante et la plus autonome possible.
Les processus de subjectivation ne sont pas au centre du travail comportementalo-
cognitiviste. Ils interfèrent de manière incidente avec la qualité des prescriptions et des
tâches proposées au patient. On pourrait souligner que plus les corrélations objectives
entre le symptôme et ses causes sont congruentes avec les apprentissages nouveaux
proposés au patient, et plus celui-ci peut se sentir impliqué par la résolution de son
problème.
Les thérapies éco-systémiques et les thérapies familiales ne sont pas en reste face à la
question du statut du "sujet". L’expérience, souvent réitérée, d’une prise de parole
audible et intelligible d’un patient réputé "hors-sujet" (délirant, glossolalique, confronté
à des barrages, des fadings, etc.), pour peu qu’il s’exprime en présence des proches dont
il dépend vitalement, tendrait à confirmer la fonction spécifique de subjectivation que de
telles thérapies initient. Le patient en vient à terminer ses phrases, à forcer la voix, à
laisser entendre que ses idées délirantes présentent une valeur méta-communicative, ou
que son galimatias verbal est ajusté à un contexte qui fonctionne comme chambre
d’écho, ou caisse de résonance.
L’accès à des expériences objectivables
On peut considérer deux formes d’objectivation : l’objectivation développée plus ou
moins spontanément par l’intermédiaire des expériences personnelles ; l’objectivation
qui naît de procédures artificielles, techniques, expérimentales, scientifiques. Les divers
courants de psychothérapie traitent cette question de manière différente.
Le phénomène de l’objectivation de la réalité interne et externe est vraisemblablement
étroitement lié à la constitution-même de la personnalité. Il permet la reconnaissance
partageable avec autrui de patterns, de schèmes de comportements, d’attitudes
catégorisables, de traits de caractères, de profils de personnalité, de styles de relation.
Cette reconnaissance peut s’élaborer à partir de perceptions, d’impressions, d’intuitions,
d’interprétations. Mais elle nécessite un dégagement de ces expériences plus ou moins
immédiates, en reposant sur la constitution de modélisations mentales plus ou moins
abstraits, qui permettent de schématiser les régularités des phénomènes appréhendés.
Elle se cristallise à partir de la médiatisation des symboles. L’expérience princeps de
cette médiatisation s’opère lors de la déixis, qui permet l’acquisition du sens des mots.
La désignation d’un référent (objet matériel, personne, situation, etc.) est indiquée par
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