De l`existence des prédicats d`achèvements

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De l’existence des prédicats d’achèvements
Pauline Haas
Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, LDI, UMR 7187, F93430,
Villetaneuse, France
Anne Jugnet
Université Paris 7, Sorbonne Paris Cité, CLILLAC-ARP, EA 3967, F75205,
Paris, France1
Introduction
L’existence même de la catégorie aspectuelle des achèvements, telle qu’elle a été
définie par G. Ryle (1949) puis Z. Vendler (1957), a souvent été remise en cause
dans la littérature. Comme le rappelle F. Martin (2011), certains auteurs (dont H.J.
Verkuyl 1971, ou M. Egg 1995) ont argué que la distinction entre
accomplissements et achèvements est critiquable en ce qu’elle s’appuie sur la
notion de ponctualité, qui selon eux est une propriété extralinguistique des
situations. De nombreux auteurs (A. Kenny 1963/[1994], A. Mourelatos 1978, ou
E. Bach 1986 inter alia) ont noté que le critère de la durée ne permet pas de
distinguer rigoureusement les accomplissements des achèvements, enfin M.
Wilmet (2010 : §173) rejette la distinction accomplissement / achèvement en ce
qu'elle ne concerne pas le lexème pris isolément. Insistant sur le caractère flou de
ce critère et les difficultés de classification, ils ont abandonné la distinction,
fusionnant ces deux catégories en une seule classe d’éventualités dynamiques et
bornées.
Si les difficultés de classification sont indéniables (nous reviendrons sur ce
point dans la section 1), nous postulons que la classe des achèvements doit être
maintenue, car elle permet de définir un type d’éventualités conceptuellement et
linguistiquement distinct. Nous nous inscrivons ainsi dans la lignée de A. Freed
(1979), A. Mittwoch (1991), C. Piñon (1997) : les achèvements sont conçus
comme des bornes, qui correspondent au début ou à la fin d’une autre éventualité
(stative ou dynamique). La conception que C. Piñon (1997) défend exclut
l’attribution d’une durée à l’achèvement per se. En effet, selon lui, les
achèvements ne se distinguent pas des accomplissements par une durée très
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Haas & Jugnet
réduite, mais bien plutôt par le fait qu’ils sont complètement dépourvus de durée.
Cependant, comme le soutient C. Piñon (1997), même si les achèvements ne
peuvent se voir attribuer de durée, certaines bornes sont conceptualisées comme
impliquant l’activité qui précède l’avènement du changement d’état (bornes
droites – le lexème correspondant permet la référence à l’activité précédente
associée), alors que d’autres sont conceptualisées comme le début d’une situation
résultante (bornes gauches – la référence à l’état résultant est alors possible
linguistiquement)2. Les achèvements étant avant tout des bornes, on peut supposer
que certains d’entre eux sont des bornes « pures », excluant toute référence à
l’éventualité qui précède ou qui succède, tandis que d’autres permettent une
lecture en tant que borne droite et/ou borne gauche.
Nous tenterons de démontrer que l’hypothèse mentionnée supra est vérifiée en
français : la classe aspectuelle des achèvements se démarque d’autres classes
aspectuelles par un ensemble de propriétés linguistiques, et il est légitime de
postuler que trois catégories d’achèvements (achèvements purs, achèvements
droits, achèvements gauches) sont repérables dans le domaine verbal (cf. section
1) et dans le domaine nominal (cf. section 2).
Nous nous intéresserons ensuite à la question de l’héritage aspectuel lors du
passage du verbe au nom (cf. sections 3 et 4). Notre travail s’inscrit dans la lignée
du projet « Nomage »3 qui avait pour objectif d’annoter aspectuellement les
nominalisations déverbales repérées automatiquement dans le corpus French
Treebank (A. Abeillé 2003). Dans le cadre de ce projet, les verbes d’origine des
nominalisations étudiées ont reçu une spécification aspectuelle. Nous avons
récupéré, d’une part, la liste des verbes d’achèvements (indépendamment de la
classe aspectuelle des nominalisations correspondantes) et, d’autre part, la liste
des nominalisations d’achèvements (indépendamment de la classe aspectuelle des
verbes de base) de la base de données Nomage4. Nous avons ainsi obtenu un
corpus de 251 paires verbe-nom dans lesquelles le nom et / ou le verbe dénote(nt)
un achèvement5. Nous avons ainsi pu déterminer dans quelle mesure les propriétés
aspectuelles sont héritées par les noms dérivés, et établir différents schémas
d’héritage. Notre étude se concentre sur les propriétés aspectuelles des lexèmes,
dans une perspective de sémantique lexicale ; si les noms étudiés ont été
sélectionnés en raison de leur lien morphologique dérivationnel avec un verbe,
notre analyse n’intègre pas de réflexion morphologique : notre objectif est de
déterminer si verbes et noms dérivés peuvent partager des traits aspectuels, sans
résoudre la question des rôles respectifs de la base et du suffixe, ou encore de la
règle de construction morphologique.
De l’existence des prédicats d’achèvements
3
1. Des verbes d’achèvements
Notre étude suppose le maintien de la classe aspectuelle des achèvements, et
repose sur une conception proche de celle de C. Piñon (1997). Il s’agit de montrer
à l’aide d’un ensemble de tests linguistiques que les achèvements sont bien une
classe à part entière. Dans cette section nous rappellerons dans un premier temps
les traits linguistiques propres aux prédicats d’achèvements (traits qui les
distinguent des autres éventualités – i.e. les états, accomplissements, activités), et
les tests linguistiques qui permettent de les identifier.
Trois sous-classes de verbes d’achèvements seront ensuite examinées. Ces
classes sont définies en fonction de la compatibilité des verbes avec des structures
associées à l’attribution d’une durée à une éventualité : a) les verbes
d’achèvements purs (désormais ACH-P), incompatibles avec toute assignation de
durée (tels que confirmer, exécuter6 ou expédier) ; b) les verbes d’achèvements
droits (désormais ACH-D), compatibles avec l’attribution d’une durée à l’activité
précédant la borne seulement (par exemple évincer, fonder ou libérer) ; ou c) les
verbes d’achèvements gauches (désormais ACH-G), compatibles avec des
structures attribuant une durée à l’éventualité suivant la borne (par exemple
emprisonner, louer, ou s’abonner).
1.1. Des prédicats dynamiques et ponctuels
S’ils diffèrent conceptuellement (selon qu’ils sont ou non orientés vers
l’éventualité précédant ou suivant la borne) et linguistiquement (selon leur
compatibilité avec l’attribution d’une durée), tous les verbes d’achèvements sont
conçus comme dénotant des changements d’état, ils sont donc dynamiques7.
Tous les verbes étudiés sont ainsi compatibles avec les tests de dynamicité : ils
peuvent figurer dans les réponses aux questions qu’a fait x hier ? et qu’est-ce qui
est arrivé hier ?. La question qu’a fait x ? porte sur l’action d’un agent, i.e. elle
présuppose la présence d’un sujet agentif. Or l’agentivité est une condition
suffisante (mais non nécessaire) de dynamicité :
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
Qu’a fait Sarah hier ? – Elle a expédié le colis pour sa mère.
Qu’a fait Pierre à ce moment là ? – Il a décidé de ne rien dire à ce
sujet.
Qu’a fait le PDG pour évincer son concurrent ? – Il a répandu des
rumeurs peu flatteuses à son endroit.
Qu’a fait Pierre ? – * Il a su que ce travail était intéressant.8
Que fait Marie ? – * Elle ressemble à son père (de plus en plus).
4
Haas & Jugnet
Ainsi, expédier, décider et délocaliser peuvent être analysés comme des prédicats
dynamiques, alors que savoir ou ressembler ne le sont pas.
Le second test de dynamicité que nous avons appliqué, qu’est-ce qui est arrivé
(à x) hier ?, porte quant à lui non sur une action (et son agent), mais sur ce qui est
survenu (i.e. il s’agit d’un test d’événementialité). Ce test est moins restrictif que
le premier, puisqu’il permet d’identifier des prédicats dynamiques, qu’ils soient
agentifs ou non. Ainsi, il permet de distinguer les prédicats d’achèvements
(agentifs ou non agentifs) de prédicats statifs : les premiers peuvent figurer dans la
réponse, alors que les seconds en sont exclus :
(6)
(7)
Qu’est-ce qui est arrivé hier ?
a. – Marie a expédié un colis à un parent au Burkina.
b. – Pierre a décidé de partir en vacances à Prague.
c. – Jean s’est abonné à une nouvelle revue de philosophie.
Qu’est-ce qui est arrivé hier ? – * Pierre a été (aveugle / français /
intelligent).
Les deux tests précédents nous permettent de nous assurer du caractère
dynamique des verbes étudiés. Comme on l’a mentionné, l’ensemble des verbes
d’achèvements sont également caractérisés par le fait qu’il est impossible
d’attribuer une durée à l’action qu’ils dénotent. On mentionnera ici deux tournures
qui mettent en jeu la structure interne des événements. Les achèvements étant des
bornes, ils sont dépourvus de structure interne, et ne sont pas compatibles avec de
telles tournures. C’est pourquoi les verbes d’achèvements ne peuvent pas
compléter les verbes commencer et arrêter9.
La périphrase aspectuelle inchoative commencer à + VP infinitif « renvoie à la
première étape d’un parcours temporel et est intrinsèquement orienté ou
dynamique » (B. Peeters 2005 : 388). Etant donné qu’il permet de sélectionner la
phase initiale d’une éventualité, le prédicat commencer à doit prendre pour
complément des éventualités comprenant plusieurs phases (telles que des activités
ou des accomplissements), et exclut les éventualités dépourvues de structure
interne. Ce contraste nous permet de confirmer que se promener (prédicat
d’activité) ou réparer une radio (prédicat d’accomplissement) sont duratifs et
comportent différentes phases, tandis que constater, exécuter (quelqu’un) ou
confirmer sont des achèvements :
(8) Pierre a commencé à se promener là en début d’après midi.
(9) Julie a commencé à réparer sa radio hier soir.
(10) * Pierre a commencé à constater qu’il avait peut-être tort il y a deux
heures.
De l’existence des prédicats d’achèvements
5
(11) * Henri a commencé à exécuter le prisonnier dès qu’on le lui a
demandé.
(12) * Paul a commencé à confirmer cette rumeur il y a deux ans.
De façon similaire, le prédicat arrêter, périphrase aspectuelle sélectionnant la
phase finale d’une éventualité, ne peut avoir pour complément un prédicat
d’achèvement, s’il désigne un événement spécifique. Cette propriété a été décrite
et expliquée par de nombreux auteurs, dont P. Caudal (1999) ou F. Martin (2011).
Elle permet de distinguer les prédicats d’activités (13) et d’accomplissements (14)
de l’ensemble des prédicats d’achèvements (achèvements purs (15), droits (16), et
gauches (17)).
(13) Jean a arrêté de lire vers seize heures.
(14) Paul a arrêté de tondre la pelouse en milieu d’après midi.
(15) a. * Julia a arrêté de constater l’erreur de calcul.
b. * Pierre a arrêté de confirmer la rumeur.
c.* Le bourreau a arrêté d’exécuter le prisonnier hier
(16) a. * Julia a arrêté de décider de partir hier.
b. * Romulus et Remus ont arrêté de fonder Rome.
c. * Pierre a arrêté d’évincer son concurrent.
(17) a. * La direction a arrêté de délocaliser cette machine.
b. #* Bob a arrêté de s’abonner à une revue de philosophie10.
Les différentes classes de verbes décrites dans cette section partagent ainsi les
caractéristiques de dynamicité et d’absence de structure interne.
1.2. Trois sous-classes de verbes d’achèvements
Comme on l’a déjà noté, les verbes d’achèvements n’ont pas un comportement
homogène. Ils ne sont pas tous compatibles avec les mêmes contextes
linguistiques. Nous allons à présent décrire et analyser le fonctionnement des
sous-classes d’achèvements.
1.2.1 Des verbes d’achèvements purs
Les achèvements purs peuvent être définis comme de simples bornes, des
éventualités qui ne peuvent impliquer ni une activité précédente, ni une situation
résultante. Parmi les prédicats désignant de telles éventualités figurent les verbes
suivants : brader, condamner, constater, déclencher, désigner, éclater, enlever,
exploser, franchir, hériter.
6
Haas & Jugnet
Comme tous les verbes d’achèvements, ces verbes sont (i) dynamiques – ils
sont compatibles avec les structures testant la dynamicité, (ii) ponctuels – ils sont
incompatibles avec les tests impliquant une structure interne. Ces points ont déjà
été illustrés précédemment (cf. section 1.1., exemples (1) à (17)).
Plus spécifiquement, les verbes ACH-P sont également incompatibles avec les
tests impliquant la description d’une phase précédant ou suivant l’achèvement
proprement dit : ils sont ainsi incompatibles avec être en train de11, avec les
compléments introduits par en, comme avec les compléments introduits par
pendant.
(18) a. ?? Jean est en train de confirmer qu’il détestait le chou quand il
était petit.
b. ?? J’ai vu le bourreau en train d’exécuter le meurtrier.
(19) a. * Jean a confirmé qu’il détestait le chou quand il était petit en un
quart d’heure.
b. * Le bourreau a exécuté le meurtrier en un quart d’heure.
(20) a. * Hier, Jean a confirmé qu’il détestait le chou pendant trois heures.
b. * Le bourreau a exécuté le meurtrier pendant un quart d’heure.
Les verbes ACH-P sont ainsi les prédicats les plus restrictifs, et correspondent le
mieux au prototype vendlérien des achèvements.
1.2.2. Les verbes d’achèvements droits
Les achèvements droits se démarquent des autres types d’achèvements en ce
qu’ils correspondent conceptuellement à une borne finale ; ils dénotent ainsi une
borne tout en impliquant une activité préalable. La définition de cette sous-classe
est justifiée linguistiquement par le fait que ces prédicats (dynamiques et
ponctuels, comme les autres types d’achèvements), diffèrent des autres verbes
d’achèvements en ce qu’ils sont compatibles avec la périphrase aspectuelle en
train de ainsi qu’avec les compléments prépositionnels introduits par en, deux
structures qui sélectionnent la phase préalable à l’achèvement. On peut ainsi
identifier les verbes ACH-D suivants: aboutir, achever, arriver, conclure,
déterminer, évincer, inciter, reconnaître, réapparaître.
Il a souvent été soutenu que les verbes d’achèvements ne sont pas compatibles
avec être en train de, forme qui exprime l’aspect progressif, et implique un
déroulement. La ponctualité des situations dénotées par des achèvements les
rendrait en effet incompatibles avec le sens aspectuel progressif. Toutefois, de
nombreux auteurs ont noté la prudence nécessaire à l’application de ce test : le
progressif peut être associé à un prédicat d’achèvement dans diverses
configurations. Le problème des « achèvements progressifs » a souvent été étudié
De l’existence des prédicats d’achèvements
7
(cf. S. Rothstein 2004 pour une analyse détaillée), nous ne mentionnerons ici que
quelques points nécessaires à la justification de notre classification.
Il est connu que certains contextes (les énoncés comprenant un argument
pluriel par exemple) impliquent l’itération d’une action. L’ensemble des actions
(habituellement analysées comme ponctuelles) peut alors être conçu comme une
éventualité pourvue d’une durée, que la périphrase aspectuelle peut sélectionner :
(21) a. Les soldats sont en train de franchir la frontière.
b. Le bourreau était en train d’exécuter les prisonniers quand le
gouverneur est intervenu.
Ainsi, certains éléments contextuels rendent la structure être en train de + V ACH
acceptable. Lors du classement des prédicats, nous avons pris soin d’éliminer les
contextes impliquant une lecture itérative, qui altèrent les résultats des tests
utilisés. L’aspect itératif relève en effet de l’aspect grammatical et ne doit pas
interférer dans un classement lexical.
En dehors de tout contexte itératif, un ensemble de verbes d’achèvements
semble – lexicalement, ou sans incidence du contexte – compatible avec la forme
progressive :
(22) a. Joe était en train de libérer l’otage quand la bombe a explosé.
b. Pierre est en train d’évincer son concurrent.
c. La star est en train de fonder un parti politique.
Plusieurs auteurs (dont C. Smith 1991 et F. Martin 2011) évoquent dans ce cas un
« progressif futuratif » ; être en train de peut être paraphrasé par être sur le point
de. On postule que la forme progressive sélectionne alors la phase précédant
l’achèvement, ou phase préparatoire. F. Martin (2011) rappelle que le progressif
associé à un verbe d’achèvement diffère du progressif habituel (associé à un verbe
d’activité ou d’accomplissement). En effet, il n’implique pas que l’action a été au
moins partiellement accomplie (23), alors que l’inférence est habituellement
observée avec les verbes d’accomplissements (24) ou d’activités (25) :
(23) a. Le fugitif est en train de franchir la frontière. → * Le fugitif a
partiellement franchi la frontière.
b. Cet animateur est en train de fonder un parti politique. → #* Il a
partiellement fondé un parti politique.
(24) Le fugitif est en train de fumer un cigare. → Le fugitif a partiellement
fumé un cigare.
(25) Le fugitif est en train de courir. → Le fugitif a couru.
Cette donnée confirme que le progressif futuratif ne sélectionne pas le procès
décrit par le verbe d’achèvement, mais plutôt une activité préalable, menant à
8
Haas & Jugnet
l’événement dénoté par le verbe. Cette activité, si elle est récupérable
linguistiquement, n’est pas lexicalisée (ce qui explique l’interprétation particulière
(non implicative) du progressif). Le test du progressif permet donc d’identifier les
ACH-D, et de définir leur spécificité : ces verbes décrivent une borne tout en
impliquant (voire en présupposant, selon F. Martin 2011) une activité préalable.
Un autre test présente un fonctionnement similaire à celui de être en train de,
et justifie lui aussi la délimitation de la classe des ACH-D : la complémentation par
un groupe prépositionnel introduit par en. Les compléments de temps introduit par
en sélectionnent normalement une action durative, accomplie en vue d’un telos,
d’où leur compatibilité avec les verbes d’accomplissements. Etant donné que les
verbes d’achèvements désignent des actions ponctuelles, il est attendu qu’ils ne
puissent avoir de tels compléments :
(26) a. * Pierre a affirmé qu’il n’était pas coupable en dix minutes.
b. * Pierre a appelé Marie en trois heures.
Toutefois, les ACH-D se démarquent ici encore, en ce qu’ils acceptent des
compléments de temps introduits par en. Cette possibilité est mentionnée par de
nombreux auteurs, dont D. Dowty (1979/[1991] : 59), C. Smith (1991) ou S.
Rothstein (2004 : 26) pour l’anglais :
(27) a. Léo a évincé son concurrent en quelques mois.
b. La star a fondé un nouveau parti politique en quelques mois.
Les compléments introduits par en sélectionnent ici la phase préparatoire, et non
l’action dénotée par le verbe d’achèvement (M. Moens & M. Steedman 1988 : 21,
F. Kiefer 1998 : 60). Ceci est montré par le fait que les paraphrases par y était en
train de VP pendant x temps, ou y a passé x temps à VP sont ici exclues (28), alors
qu’elles sont possibles avec les verbes d’accomplissements (29) :
(28) a. Jean a évincé son concurrent en quelques semaines.
b. * Jean était en train d’évincer son concurrent pendant ces dernières
semaines.
c. * Jean a passé ces dernières semaines à évincer son concurrent.
(29) a. Jean a réparé la voiture en deux heures.
b. Jean était en train de réparer la voiture ces deux dernières heures.
c. Jean a passé deux heures à réparer la voiture.
Dans ce cas en x temps peut être paraphrasé par au bout de, autrement dit on
comprend y a fait z en x temps comme signifiant cela a pris x temps à y de VP.
(30) a. Cela a pris quelques semaines à Jean d’évincer son concurrent.
b. Jean a évincé son concurrent au bout de quelques semaines.
De l’existence des prédicats d’achèvements
9
Ainsi, la complémentation d’un prédicat d’achèvement par un groupe
prépositionnel introduit par en semble fonctionner comme son équivalent anglais :
si elle n’est pas exclue, elle reçoit une interprétation particulière, puisqu’elle
sélectionne une activité préalable à l’achèvement proprement dit, activité
habituellement implicite. La compatibilité avec le progressif ainsi qu’avec les
compléments introduits par en explique les difficultés rencontrées pour distinguer
un ensemble de prédicats ACH-D de véritables accomplissements. L’application
des tests traditionnels est rendue plus complexe : il est nécessaire de les combiner
à des tests complémentaires, qui permettent de déterminer la portée (du progressif,
ou du complément de durée).
Si les ACH-D semblent proches des accomplissements, ils s’en démarquent
clairement dans différents contextes : comme tous les achèvements, ils sont
incompatibles avec les prédicats aspectuels commencer et arrêter (comme illustré
en (10)-(12) et (14)-(17)). De plus, contrairement aux prédicats
d’accomplissements (31)-(32), les ACH-D sont incompatibles avec une
modification par pendant (33)-(34) :
(31)
(32)
(33)
(34)
Pierre a lu ce livre pendant deux heures.
Pierre a réparé sa voiture pendant tout l’après midi.
* Jean a découvert la chambre secrète pendant trois jours.
* Jean a atteint le sommet pendant quelques heures.
La compatibilité avec un groupe prépositionnel introduit par pendant (et le sens
d’une telle modification) est examinée dans la section suivante : ce critère permet
en effet de distinguer les achèvements gauches des autres types d’achèvements.
1.2.3. Les verbes d’achèvements gauches
Les achèvements gauches peuvent être conçus comme des bornes initiales, i.e. des
bornes impliquant un état résultant. Parmi les verbes ACH-G on peut citer :
adhérer, affecter, afficher, assigner, attribuer, concéder, disparaître, exclure,
interdire, renoncer.
Les verbes ACH-G ont la particularité, contrairement aux deux autres sousclasses d’achèvements (cf. D. Dowty 1979/[1991] : 60 inter alia), d’admettre les
compléments prépositionnels introduits par pendant, et ce, sans effet d’itération12.
On sait que la modification par un complément de durée en pendant, si elle est
naturellement possible avec les prédicats d’activités, est aussi possible avec les
prédicats d’accomplissements (cf. D. Dowty 1979/[1991] : 60, S. Rothstein 2004 :
24, F. Martin 2011 : 12 inter alia). Dans ce dernier cas, le prédicat reçoit une
interprétation atélique, i.e. une action durative est décrite, le telos étant à l’arrière
plan (comme le note F. Martin 2011, le telos peut être atteint, il n’y a donc pas
d’implicature de non complétion) :
10
Haas & Jugnet
(35) Jean a lu ce livre pendant deux heures, puis il est parti se promener.
Or, il est également possible de compléter certains prédicats d’achèvements par un
complément de durée13 :
(36) Ce propriétaire a loué ce studio à un prix modique pendant des
années.
(37) Ils ont emprisonné ce criminel récidiviste pour des années.
Mais, alors qu’avec un prédicat d’activité ou d’accomplissement, le complément
de durée porte sur l’action elle-même, dans le cas des ACH-G ce type de
complément porte sur la situation résultant de l’achèvement (et non sur l’action,
qui est par définition dépourvue de durée). Ainsi, dans les phrases où un verbe
d’achèvement est combiné à un complément en pendant ou en pour, il n’est pas
possible d’utiliser la périphrase (forme progressive) en train de, qui sélectionne un
prédicat dynamique et duratif. La durativité ne fait pas défaut (le complément de
durée est possible), c’est donc le caractère dynamique qui fait défaut à cette
durée :
(38) * Ce propriétaire était en train de louer ce studio à un prix modique
pendant des années.
(39) ?? Ils étaient en train d’emprisonner ce criminel récidiviste pour dix
ans.
F. Kiefer (1998) mentionne que pour x temps permet d’attribuer une durée à un
état :
(40) Ils ont occupé la maison pour une durée de trois jours. (F. Kiefer
1998 : 59)
L’auteur précise que cet énoncé « exprime la durée de l’occupation de la maison
mais l’événement de l’occupation est le point de départ de cette durée » ; plus
loin, l’auteur signale que occuper la maison pendant deux heures est « un état
plutôt qu’une activité » (F. Kiefer 1998 : 59-61). Cette analyse est à nuancer car
pour x temps ne permet pas de mesurer la durée d’un prédicat d’aspect lexical
ETAT (i.e. d’un prédicat statif) :
(41) a. * Pierre a été triste pour dix minutes.
b. * Pierre a su sa leçon pour deux ans.
L’exemple donné par F. Kiefer (occuper) n’est d’ailleurs pas un verbe d’état, mais
on peut utiliser ce verbe pour renvoyer à la période stative inaugurée par
l’événement ponctuel. Cette période stative (qu’on peut appeler « état résultant »)
peut effectivement être mesurée par pour x temps. Ce que décrit F. Kiefer revient
à dire que occuper est un verbe ACH-G: il y a un point de départ événementiel (un
De l’existence des prédicats d’achèvements
11
événement ponctuel) suivi d’une période stative mesurée par pour (une durée de)
x temps ou pendant x temps). A.-M. Berthonneau signale également que pour
construisant une durée est acceptable si pour x temps construit un intervalle dont
la borne initiale est une « transition d’état » et que dans l’intervalle on a « un état
associé à un processus discret » (l’auteur donne comme exemple il est revenu
pour quatre jours). De plus, cet état résultant doit être réversible (1989 : 604-605).
Pour x temps est donc un test supplémentaire pour distinguer les ACH-G.
Cette particularité mise à part, les verbes ACH-G présentent les propriétés
typiques des achèvements : outre leur compatibilité avec les tests de dynamicité et
leur incompatibilité avec commencer / arrêter (cf. (17)), on rappellera leur
incompatibilité avec les compléments introduits par en :
(42) * Le propriétaire leur a loué son appartement à un prix modique en
quelques semaines.
(43) * Le geôlier a emprisonné le criminel récidiviste dans une cellule
capitonnée en une journée.
Les verbes ACH-G sont ainsi similaires aux autres verbes d’achèvements en ce
qu’ils sont des prédicats dynamiques, mais s’en démarquent en ce que leur
sémantisme (ils désignent une borne gauche associée à une situation résultante)
leur permet d’être utilisés dans des phrases décrivant une situation résultante
durative.
1.3. Conclusion partielle
L’étude des ACH-D et ACH-G nous a permis de présenter des prédicats
d’achèvements compatibles avec la référence à l’action ou la situation qui
précède, ou qui suit, la borne. Ces verbes se démarquent de prédicats plus
restrictifs, les ACH-P.
Si, comme on l’a montré, la distinction entre accomplissements /ACH-D d’une
part et activités / ACH-G d’autre part est parfois difficile (ce qui a souvent mené à
la remise en cause de l’existence de la classe des achèvements), l’ensemble des
données présentées jusqu’ici justifient le maintien de la classe des achèvements.
La définition de sous-classes nous permet d’expliquer les résultats contrastés de
certains tests, et ainsi de ne pas rejeter des tests discriminants pour un sousensemble de verbes d’achèvements seulement.
12
Haas & Jugnet
ACH-P
franchir
en train de
ACH-D
Atteindre
+
Futuratif
+
au bout
de x tps
ACH-G
emprisonner
ACC
réparer
ACT
Promener
-
+
+
-
+
-
-
-
+
+
+
-
-
+/-
-
-
-
-
-
+
+
-
en x temps
pendant x
temps
pour
x
temps
commencer
à
arrêter de
Ainsi, l’application des tests permet de définir les spécificités linguistiques de
trois sous-classes de verbes d’achèvements. Il s’agit à présent de déterminer si la
classification adoptée pour les verbes d’achèvements peut être transposée au
domaine nominal, et si les nominalisations héritent de toutes les propriétés des
verbes dont ils sont dérivés.
2. Des nominalisations d’achèvements
Nous allons à présent étudier l’aspect lexical des noms en lien morphologique
avec les verbes d’achèvements. Parmi les noms dérivés de verbes, beaucoup ont
un emploi prédicatif dans lequel ils ont des propriétés aspectuelles (cf. J.
Grimshaw 1990, D. Van de Velde 1995, A. Alexiadou 2001 inter alia). A l’aide
de tests linguistiques adaptés au domaine nominal, nous souhaitons montrer (i)
que les noms d’achèvements existent (section 2.1.), et (ii) qu’il convient de
distinguer, comme dans le domaine nominal, trois sous-classes d’achèvements
(décrites en 2.2.1. à 2.1.3.). La plupart des tests que nous utilisons sont des tests
classiques fréquemment utilisés dans la littérature sur l’aspect lexical des noms,
cf. J. Grimshaw (1990), G. Gross & F. Kiefer (1995), D. Van de Velde (1995), D.
Jayez & J. Godard (1996), G. Gross (1996), A. Daladier (1999), D. Gaatone
(2004), E. Jacquey (2006), R. Huyghe & R. Marín (2008) inter alia.
De l’existence des prédicats d’achèvements
13
2.1. De l’existence des noms d’achèvements
Dans le domaine nominal, la dynamicité peut être mise en évidence au moyen de
structures sélectionnant un nom dynamique telles que avoir lieu, procéder à,
effectuer :
(44) L’affichage des résultats aura lieu à quatorze heures.
(45) Jacques Chirac a décidé de procéder à la dissolution de l’Assemblée
Nationale.
(46) Il faut se connecter au site de l’université avant minuit afin d’effectuer
la confirmation de votre inscription.
La ponctualité des noms est visible si on les associe à des prédicats comme durer
ou commencer, tous deux incompatibles avec les actions dépourvues d’étendue
temporelle :
(47) a. ?? L’affichage des résultats a duré deux jours.
b. * La candidature de Pierre à ce poste a duré trois heures.
(48) a. * Le 21 avril 1997, Jacques Chirac a commencé la dissolution de
l’Assemblée Nationale.
b. ?? L’étudiant a commencé la confirmation de son inscription à huit
heures.
Il existe donc bien une classe de prédicats nominaux d’achèvements. Les noms
d’achèvements n’ont pas un comportement homogène à l’égard des tests
linguistiques prouvant leur absence de durée. L’existence de sous-classes explique
que l’on ne trouve pas de test unique qui permette de distinguer la classe des noms
d’achèvements dans son ensemble. Les classes de noms d’achèvements sont
examinées dans la section suivante.
2.2. Trois sous-classes de noms d’achèvements
Comme dans le domaine verbal, nous distinguerons trois sous-classes
d’achèvements dans le domaine nominal. Les tests qui permettent de les identifier
sont précisés dans les sections suivantes.
2.2.1. Les noms d’achèvements purs
Les achèvements purs, conçus comme des bornes pures (sans association à une
activité préalable ou une situation résultante), peuvent être dénotés par des noms.
Les noms suivants ont ainsi au moins une acception ACH-P: abjuration,
aboutissement, accusation, admission, annulation, clôture, confirmation,
dérobade, entrée, exécution, facturation, inculpation, réception, remboursement.14
14
Haas & Jugnet
Les noms ACH-P sont des noms prototypiques de la classe des achèvements
puisqu’ils répondent favorablement aux tests de dynamicité n’impliquant pas de
durée (49), tout en rejetant tous les tests de durativité (50) :
(49) a. L’admission de Pierre au concours de professeur des écoles a eu
lieu en mars.
b. Pierre a effectué une facturation supplémentaire de cent euros
indûment.
c. Le commissaire de police a procédé à l’inculpation de Pierre.
d. Pierre a fait une entrée tonitruante.
(50) a. * L’admission de Pierre au concours de professeur des écoles a
duré deux heures.
b. * une facturation de deux heures
c. * L’inculpation de Pierre en trois heures a été stressante.
d. * Pierre a commencé son entrée à huit heures.
e. * Le commissaire a arrêté l’inculpation de Pierre au bout de deux
heures.
Les ACH-P sont donc dynamiques et ponctuels. Leur existence confirme la
pertinence du maintien d’une classe de prédicats d’achèvements dans le domaine
nominal.
2.2.2. Les noms d’achèvements droits
Un ensemble de noms peut, dans une acception au moins, dénoter des
achèvements droits (bornes associées à une activité préalable): on peut citer ici
acquisition, capitulation, déchirure, démission,
détermination, dissuasion,
éclosion, élimination, limogeage, recrutement, renversement.
Linguistiquement, les noms ACH-D se démarquent des autres classes
d’achèvements en ce qu’ils sont compatibles avec les compléments de temps
introduit par en. En cela, ils semblent se comporter comme des accomplissements
(ACC) :
(51) La réparation d’une voiture en moins deux heures est utopique.
(52) a. L’acquisition d’une maison en moins de deux ans n’est pas aisée.
b. L’élimination de Rafael Nadal en deux heures a surpris tout le
monde.
Ces exemples suggèrent que le nom réparation (ACC) d’une part et les noms
acquisition, élimination (ACH-D) d’autre part dénotent des situations duratives.
Pourtant, la similitude de complémentation entre ACC et ACH-D observée n’est
qu’apparente :
De l’existence des prédicats d’achèvements
15
(53) a. Pierre a fait la réparation de sa voiture en deux heures.
b. La réparation de sa voiture l’a occupé deux heures.
c. #? Pierre a fait la réparation de sa voiture au bout de deux heures.
(54) a. Pierre a fait l’acquisition d’une maison en deux ans.
b. Pierre a fait l’acquisition d’une maison au bout de deux ans.
c. ?? L’acquisition de sa maison l’a occupé deux ans.
(54)a n’implique pas que Pierre ait passé deux ans à acquérir une maison, mais
signifie qu’il a acquis une maison au bout de deux ans – l’acquisition étant
l’événement ponctuel qui clôture les deux années d’épargne, de paiement, de
démarches.
D’autres faits linguistiques permettent d’asseoir la différence conceptuelle
profonde qui existe entre les ACC (55) et les ACH-D (56) :
(55) a. La réparation de la voiture a duré deux jours.
b. La réparation de la voiture pendant deux jours m’a coûté huit cents
euros.
c. La réparation s’est bien déroulée.
d. Pierre s’est blessé pendant la réparation.
e. une réparation de deux heures
(56) a. * L’élimination de Rafael Nadal a duré deux heures.
b. * L’acquisition de la maison pendant trente ans m’a coûté cent
mille euros d’intérêts bancaires.
c. ? L’acquisition de ma maison s’est bien déroulée.
d. ?? Pendant l’élimination de Rafael Nadal, Pierre dormait dans les
gradins.
e. * une élimination de deux heures
A l’inverse de l’accomplissement réparation, les noms acquisition et élimination
ne dénotent pas des actions duratives, d’où le rejet de durer, pendant x temps et se
dérouler. Le fait que seuls les ACC puissent être arguments de la préposition
temporelle pendant en est une preuve supplémentaire, puisque cette préposition
fonde un intervalle fermé à droite et à gauche (A.-M. Berthonneau 1989), ce qui
implique que son complément nominal doit être duratif. Enfin, seuls les ACC
peuvent être mesurés par un complément de mesure du type de x temps. L’unique
test de durativité validé par les ACH-D est donc celui du complément de temps
introduit par en. Cela n’est pas surprenant puisque ce type de complément indique
le temps nécessaire pour atteindre le telos de la situation. La focalisation sur le
telos, i.e. sur la borne finale, laisse dans l’ombre ce qui précède, qui peut de ce fait
être une partie constitutive de l’action (ACC) ou une phase préparatoire menant au
telos (ACH-D).
16
Haas & Jugnet
L’ensemble des faits réunis de (53) à (56) prouvent que les ACC dénotent des
actions duratives alors que l’apparente durativité des ACH-D est à attribuer à leur
phase préparatoire qui n’est pas suffisamment saillante pour autoriser toutes les
tournures duratives, autrement dit cette phase préparatoire est linguistiquement
accessible mais non lexicalisée. Des noms comme élimination et acquisition
dénotent bien des situations dynamiques ponctuelles.
2.2.3. Les noms d’achèvements gauches
Certains noms renvoient à des situations dynamiques ponctuelles ouvrant sur une
situation durative, e.g. affichage, amodiation, abonnement, blocage, coupure,
décalage, délocalisation, disparition, expulsion, fermeture, interdiction,
réservation, etc.
On peut montrer la dynamicité (57) et la ponctualité (58) de ces noms au
moyen des tests utilisés précédemment :
(57) a. Combien de temps faut-il pour recevoir le premier numéro après
avoir procédé à l’abonnement ?
b. L’usine a effectué une délocalisation de sa production de pneus
mais a conservé sur site la production de moteurs.
c. (La coupure de courant / l’expulsion) a eu lieu ce matin à l’aube.
(58) a. ?? L’abonnement de Pierre à ce magazine en deux minutes est
impossible.
b. * L’électricien a commencé la coupure de courant à huit heures ce
matin.
c. * La police a arrêté l’expulsion de Pierre à dix heures du soir.
Ces noms sont néanmoins compatibles avec certains tours duratifs :
(59) L’abonnement de Pierre à ce magazine a duré deux ans.
(60) L’expulsion de l’ailier droit pendant dix minutes n’a pas empêché son
équipe de gagner.
Notons que durer (59) et pendant (60) permettent de mettre en évidence la
durativité d’une situation, que celle-ci soit dynamique (marcher, marche) ou
stative (triste, tristesse) :
(61) a. (Sa marche / Sa tristesse) a duré deux jours.
b. Pierre a (été triste / marché) pendant deux heures.
Afin de montrer que la situation durative qui suit l’achèvement proprement dit est
stative, observons l’emploi du verbe aspectuel commencer. Il faut distinguer la
construction agentive de commencer dans laquelle le verbe exige un complément
nominal dynamique et duratif (62), de sa construction inaccusative dans laquelle
De l’existence des prédicats d’achèvements
17
commencer exige un argument interne duratif qui peut être indifféremment
dynamique ou statif et qui se place en position syntaxique de sujet (63)15 :
(62) a. Pierre a commencé sa promenade à quatorze heures
b. Pierre a commencé son entrée à huit heures
c. * Pierre a commencé sa tristesse hier
Entrée dénote un ACH-P [+ dyn, - durée] et enfreint donc la contrainte de
durativité imposée par commencer agentif tandis que tristesse [- dyn, + durée]
enfreint celle de dynamicité. Ces deux noms sont par conséquent exclus en
position de complément de commencer agentif.
(63) a. La promenade a commencé à quatorze heures.
b. * Son entrée a commencé à huit heures.
c. Sa tristesse a commencé hier.
La seule contrainte aspectuelle imposée par commencer inaccusatif est celle de
durativité. Cela explique que entrée soit exclu alors que tristesse est acceptable.
Le fait que les noms ACH-G soient compatibles avec commencer inaccusatif (64),
mais pas avec commencer agentif (65), indique que ce type de noms comporte une
part de durativité mais que cette durativité est de nature stative :
(64) a. La coupure de courant a commencé à huit heures ce matin.
b. L’abonnement de Pierre commencera en mars.
(65) a. * L’électricien a commencé la coupure de courant à huit heures ce
matin.
b. #* Pierre a commencé son abonnement en mars.
Comme dans le domaine verbal, les noms d’achèvements gauches sont
compatibles avec les compléments de durée en pour qui permettent de mesurer
une période stative (cf. §1.2.3) :
(66) a. L’expulsion de l’ailier droit pour dix minutes a été vécue comme
une injustice par les supporters.
b. L’abonnement à ce magazine pour un an coûte cinquante euros.
c. Coupure d’eau pour quatre jours à Alger [web]
Comme dans le domaine verbal, il existe dans le domaine nominal des noms
dénotant un événement ponctuel ouvrant sur une situation stative durative.
18
Haas & Jugnet
2.3. Conclusion partielle
Les sous-classes d’achèvements distinguées dans le domaine verbal se retrouvent
dans le domaine nominal et expliquent les difficultés à discriminer la classe des
achèvements. Néanmoins, l’application de tests « en batterie » et en prêtant une
attention particulière à la portée des compléments de temps permet de les
discriminer.
ACH-P
admission
durer
x
temps
un N de x
temps
en x temps
pendant
x
temps
pendant le N
commencer
N
(V agentif)
le
N
a
commencé
(V
inaccusatif)
pour x temps
Une période
de N
ACH-D
acquisition
ACH-G
abonnement
ACC
réparation
ACT
promenade
-
-
+
+
+
-
-
+
+
+
-
+
au bout de x
tps
-
+
-
-
-
+
+
+
-
-
+
+
+
-
-
-
+
+
-
-
+
+
+
-
-
+/-
-
-
-
-
+/-
-
-
Les tests présentés dans les sections précédentes ont permis d’établir d’une part
qu’un ensemble de verbes (présentant des traits aspectuels spécifiques les
démarquant des autres verbes dynamiques) peuvent être caractérisés comme des
verbes d’achèvements, et d’autre part qu’un ensemble de nominalisations peuvent
être analysées comme des noms d’achèvements. Trois classes d’achèvements ont
été distinguées dans les deux domaines.
Ces classes ne sont pas exclusives : les achèvements sont avant tout des bornes,
certains impliquent une phase préparatoire (ACH-D), d’autres impliquent une
situation résultante (ACH-G), mais certains impliquent à la fois une phase
préparatoire et une situation résultante (ACH-D-G). Ce cas de figure n’a pas été
détaillé dans cet article car il ne fait pas intervenir de tests spécifiques : ces
prédicats peuvent apparaître dans des contextes favorisant une lecture ACH-D
De l’existence des prédicats d’achèvements
19
(par exemple, un complément de durée introduit par en), mais peuvent aussi être
employés dans des contextes qui favorisent une lecture ACH-G (par exemple, ils
peuvent avoir un complément de durée introduit par pendant). Parmi ces
prédicats, on pourra citer ou réintroduire / réintroduction ou délocaliser /
délocalisation :
(67) Cette entreprise a délocalisé sa production en quelques mois, en 1989.
Ils ont délocalisé pendant des années en Chine avant de changer
d’avis et de reprendre la production en France.
(68) La réintroduction de l’ours en quelques semaines a été très
médiatisée. Cette réintroduction n’a finalement duré que quelques
mois, car elle a déplu à de nombreux éleveurs.
Nous allons à présent déterminer si les noms héritent des propriétés aspectuelles
associées aux verbes dont ils sont dérivés16.
3. Des verbes aux noms : héritage aspectuel fidèle
Dans la majorité des cas, les propriétés d’aspect lexical des verbes d’achèvements
se retrouvent à l’identique dans les noms dérivés (§3.1). Néanmoins, même
lorsque que verbes et noms appartiennent à la même classe aspectuelle, on peut
observer un décalage sémantique entre ces deux catégories syntaxiques (§3.2).
3.1. Héritage aspectuel fidèle : le cas le plus fréquent
Dans notre corpus, le schéma d’héritage fidèle et complet représente environ 64%
des verbes ACH-D, 65% des verbes ACH-G, et 89% des verbes ACH-P. Les noms
dérivés de verbes d’achèvements désignent ainsi une action conçue comme une
borne (noms dérivés de verbes ACH-P, les noms suivants illustrent le schéma
V ACH-P → N ACH-P : abjuration, aboutissement, accusation, admission,
annulation, clôture, confirmation, dérobade, exécution, facturation, inculpation,
réception, remboursement), mais peuvent également désigner la phase
préparatoire ou la situation résultant de l’action, comme le verbe dont elles
dérivent (le schéma V ACH-D → N ACH-D est ainsi observé avec : acquisition,
capitulation, déchirure, démission,
détermination, dissuasion, éclosion,
élimination, limogeage, recrutement, renversement, le schéma V ACH-G →
N ACH-G peut être illustré par les exemples suivants : affichage, abonnement,
20
Haas & Jugnet
blocage, coupure, décalage, délocalisation, disparition, expulsion, fermeture,
interdiction, réservation).
Le fait que les nominalisations héritent dans la majorité des cas des propriétés
aspectuelles des verbes mène à supposer que les distinctions aspectuelles dans les
sections précédentes relèvent bien de l’aspect lexical, et non grammatical. Ces
données confortent ainsi l’hypothèse de traits aspectuels spécifiques à la classe
des achèvements, traits partagés par les verbes et les noms qui en dérivent.
Toutefois, même en cas d’héritage fidèle, des différences sémantiques peuvent
apparaître entre la catégorie des verbes et celle des noms. C’est le cas de la classe
des achèvements gauches.
3.2. Achèvements gauches verbaux vs nominaux
Nous souhaitons montrer que le sémantisme des éventualités complexes que sont
les achèvements gauches (alliant un input dynamique ponctuel et une période
durative stative) ne s’articulent pas de la même façon dans les domaines verbal et
nominal.
3.2.1. Les achèvements gauches verbaux
Rappelons que les verbes d’achèvements gauches permettent d’interpréter la
phrase dans son ensemble comme une situation stative (nous reprenons ici les
exemples (36) et (37) du §1.2.3) :
(69) a. Ce propriétaire a loué ce studio à un prix modique pendant des
années.
b. Ils ont emprisonné ce criminel récidiviste pour très longtemps.
D’où l’impossibilité d’adjoindre la forme progressive malgré la durativité de la
situation en (70) et la relation de paraphrase existant entre (69) et (71) :
(70) a. * Ce propriétaire était en train de louer ce studio à un prix modique
pendant des années.
b. ?? Ils étaient en train d’emprisonner ce criminel récidiviste pour
dix ans.
(71) a. Ce studio a été loué à prix modique pendant des années.
b. Ce criminel récidiviste a été emprisonné (pendant /pour) des
années.
Néanmoins, s’il est possible que la phrase, dans son ensemble, décrive une situation
stative durative (la stativité relevant alors de l’aspect grammatical), on doit préciser
que le verbe reste un verbe dynamique, i.e. un verbe d’action. Ainsi, il peut être
De l’existence des prédicats d’achèvements
21
repris ou annoncé par le verbe support faire (72), figurer dans une structure
causative (73), et le groupe verbal dont il est la tête peut être repris par un nom
désignant une éventualité dynamique, tel que action (74). :
(72) Ce qu’ils ont fait l’année passée, c’est qu’ils ont fermé le café
(pendant / pour) deux ans pour travaux.
(73) Les autorités ont fait fermer ce bar (pendant / pour) deux ans, jusqu’à
ce que les travaux soient terminés.
(74) Fermer ce pub (pendant / pour) deux ans est l’action la plus
courageuse qu’ils aient accomplie.
Les verbes d’achèvements gauches, s’ils peuvent être modifiés par un adjoint
indiquant une durée, ne doivent donc pas être analysés comme des éléments
polysémiques. Il paraît plus satisfaisant de proposer que les achèvements gauches
profilent une situation résultante stative (en arrière plan), qui peut être
sélectionnée par un complément de durée. Au niveau lexical il s’agit bien de
verbes d’achèvements, dynamiques17.
3.2.2. Les achèvements gauches nominaux
Contrairement à ce qui a été observé dans le domaine verbal, il semble qu’on
puisse dissocier, dans certains contextes au moins, l’acception dynamique
ponctuelle de l’acception durative stative des noms d’achèvements gauches.
Dans leur emploi duratif statif, les noms d’achèvements gauches peuvent
dénoter une période de temps (75) ou encore recevoir un complément de durée
introduit par pour (76) :
(75) a. Une période d’expulsion de dix minutes sanctionne tout joueur
commettant une faute grave.
b. Le chantier se déroulera sous circulation alternée et comprendra
une période de coupure de la circulation de trois semaines.
(76) a. Le tribunal militaire israélien de Beit El (Cisjordanie) a ordonné en
appel lundi soir l'expulsion pour deux ans de Kifah Adjouri. [web]
b. Une coupure de courant est prévue lundi pour toute la matinée.
Une période de temps, définie comme une étendue temporelle pendant laquelle la
situation décrite par le nom n’évolue pas, est par définition stative et nous avons
montré que les compléments du type pour x temps permettent de mesurer un état
résultant. Dans les exemples (75)-(76), le nom dénote uniquement une situation
durative et stative.
D’autre part, on peut construire des énoncés où seule l’acception dynamique
est mobilisée :
22
Haas & Jugnet
(77) a. La fermeture du bar par les forces de police a eu lieu ce matin.
b. ?? La fermeture du bar pour deux ans par les forces de police a eu
lieu ce matin.
Enfin, les noms d’achèvements gauches permettent généralement la
création d’énoncés dans lesquels il y a une coprédication où l’un des prédicats
sélectionne l’acception [+dyn, -durée] et l’autre l’acception [-dyn, +durée] du
nom :
(78) a. Son abonnement à ce magazine, auquel il avait procédé par
Internet, a duré cinq ans sans qu’il ne le renouvelle jamais.
b. L’expulsion de l’ailier droit s’est produite à la 53ème minute du
match pour une durée de dix minutes.
Si l’on se réfère aux travaux de J. Pustejovsky (1995), la possibilité d’une
coprédication associée à la possibilité d’utiliser chacune des acceptions
indépendamment définit « un type sémantique complexe » (ou dot object). Nous
proposons de considérer les noms d’achèvements gauches comme des types
sémantiques complexes : ACH*SITS mis pour « Achèvement*Situation Stative»18.
3.3. Conclusion partielle
Lors du passage des verbes aux noms, le cas de figure majoritaire est celui où le
nom hérite de toutes les propriétés aspectuelles du verbe de base. Néanmoins, le
changement de catégorie entraîne une différence au niveau de l’articulation
sémantique des deux sens constituant les achèvements gauches. Ainsi, dans le
domaine verbal, nous sommes en présence d’une éventualité complexe (les deux
sens sont indissociables l’un de l’autre), alors que dans le domaine nominal les
deux sens peuvent être employés indépendamment l’un de l’autre. Nous rendons
compte de cette différence conceptuelle en utilisant l’étiquette soudée « ACH-G »
dans le domaine verbal vs le type sémantique complexe « ACH*SITS » dans le
domaine nominal.
L’héritage total, s’il est largement observé et permet de conforter les
hypothèses initiales, n’est toutefois pas le seul schéma observé en corpus :
l’héritage de propriétés aspectuelles peut ne pas être intégral, ou parfaitement
fidèle. Ces différents niveaux de décalage sont analysés dans les sections
suivantes.
De l’existence des prédicats d’achèvements
23
4. Héritages partiels & décalages
4.1. Le filtre de la nominalisation: l’héritage de propriétés centrales
Comme on l’a déjà mentionné, le transfert de propriétés aspectuelles peut n’être
que partiel ; la nominalisation hérite d’une partie seulement des traits associés au
verbe initial. Parmi les trois types de verbes définis dans la section 1, deux sousclasses d’achèvements ne désignent pas des bornes simples : ces verbes désignent
avant tout une borne (éventualité ponctuelle dynamique), borne à laquelle est
associée, à l’arrière-plan, une phase préparatoire (ACH-D, cf. §1.2.2) et/ou une
situation résultante (ACH-G, cf. §1.2.3). Or les noms dérivés de ces deux classes de
verbes peuvent hériter uniquement de l’élément saillant de l’entrée lexicale de
départ en ne désignant que la borne (et non la phase qui la précède ou la suit). Les
cas examinés dans cette section n’impliquent pas de décalage aspectuel (cas
étudiés dans la section suivante), mais nous renseignent plutôt sur les propriétés
essentielles des verbes concernés.
Dans notre corpus environ 30% des nominalisations dérivées de verbes ACH-D
ont été analysées comme correspondant à des noms ACH-P; parallèlement, environ
21% des noms dérivés de verbes ACH-G désignent des ACH-P. Parmi les noms
dérivés de verbes ACH-D qui dénotent seulement une borne, on pourra mentionner
aboutissement, compréhension, décision, fondation, invention, réaction,
reconnaissance. Ces noms ne sont pas compatibles avec une assignation de durée
(un groupe prépositionnel en x temps portant sur la phase préparatoire),
contrairement aux noms ACH-D : ils se comportent comme des noms ACH-P :
(79) ?? La fondation de l’équipe de football du FLN en quelques semaines
a satisfait la population.
(80) #* La reconnaissance de son fils en quelques mois lui a permis de
vivre plus sereinement.
L’autre sous-ensemble qui nous intéresse ici est l’ensemble de noms dérivés de
verbes ACH-G mais qui désignent un ACH-P. Parmi ces noms figurent abstention,
accusation, approbation, compensation, concession, consentement, inculpation,
inscription, rentrée. Ces noms ne peuvent pas désigner une situation stative
succédant à une action, ne désignent qu’une borne :
(81) * L’approbation de ce plan pendant quelques semaines a été remise
en question par ces révélations.
(82) * Son inscription à ce parti, qui a duré des années, a terni sa
réputation.
24
Haas & Jugnet
(83) * La rentrée parlementaire pendant trois jours a permis de travailler
sur ce projet de loi.
L’analyse des exemples précédents nous mène à conclure que la nominalisation
peut être considérée comme un indice des propriétés aspectuelles centrales du
verbe initial. Même s’ils peuvent profiler une phase préparatoire ou une situation
résultante, les verbes ACH-D et ACH-G sont avant tout des verbes désignant une
borne, les noms qui en sont dérivés peuvent ne reprendre que cette propriété
centrale.
Toutefois, le processus de nominalisation ne correspond pas toujours à un filtre
révélant les propriétés aspectuelles du verbe ; différentes formes de décalages sont
également observées. Ces schémas sont analysés dans les § 4.2. et 4.3.
4.2. Les nominalisations partielles
Les schémas de « nominalisation partielle » (P. Haas, R. Huyghe & R. Marín
2008) relèvent de cas où le verbe d’achèvement (quelle que soit la sous-classe à
laquelle il appartient) présente une polysémie alors que la nominalisation
correspondante ne prend en charge que l’un des sens du verbe. Le phénomène de
nominalisation partielle s’observe dans environ 12% des cas de notre corpus.
Nous laissons de côté les cas où la polysémie se produit entre deux sous-classes
d’achèvements car cela ne concerne que 4 paires V-N de notre corpus. Nous nous
concentrons sur les cas où le verbe est « polyaspectuel », c’est-à-dire a deux
acceptions relevant de classes aspectuelles distinctes, e.g. couper dénote un ACH-G
(84) ou un ACC (85) :
(84) EDF nous a coupé l'électricité pendant 3 jours dans notre immeuble.
[web]
(85) Pierre a coupé cette grosse branche en moins de 10 minutes !
La nominalisation coupure est dite partielle car seul le sens ACH-G est conservé :
(86) a. EDF a procédé à une coupure de courant.
b. une coupure de courant de deux heures
(87) Pierre a procédé à une coupure de courant pour deux heures.
Le sens ACC étant pris en charge dans ce cas par une autre nominalisation : coupe
(88) a. La coupe de cette branche a eu lieu il y a au moins 5 ans, peut-être
plus. [web]
b. La coupe de cette branche l’a occupé plus de deux heures.
De l’existence des prédicats d’achèvements
25
Les cas de nominalisation partielle sont difficilement prédictibles et nous n’avons
pas pu observer de régularité. Un groupe de verbes cependant mérite une attention
particulière. Il s’agit d’une classe de prédicats psychologiques qui présentent de
manière systématique une polysémie entre une acception d’achèvement
(correspondant à l’entrée dans un état qui est dynamique et ponctuelle) et une
acception stative19 :
(89) Pierre a agacé Marie (en disant cela). ACH-G
(90) Cette affaire a agacé Marie. ETAT
Lors de la nominalisation, l’acception dynamique est perdue :
(91) Marie a ressenti un vif agacement en apprenant cette nouvelle.
(92) a. * L’agacement de Marie par Pierre à cause des propos de ce
dernier est injustifié.
b. * Pierre a procédé à l’agacement de Marie.
c. * L’agacement de Marie s’est produit à cet instant précis.
La compatibilité de agacement avec le prédicat ressentir en (91) montre la
stativité de ce nom ; à l’inverse, son incompatibilité avec les tests de dynamicité
en (92) confirme que cette nominalisation est partielle, l’acception dynamique
n’étant pas réalisée dans le domaine nominal. Dans notre corpus, cela concerne
agacer, décevoir, désespérer, étonner, indigner mais le phénomène est plus vaste
et concerne tous les prédicats psychologiques à expérienceur objet.
4.3. Création de sens
Le processus de nominalisation peut être associé à la perte d’un trait sémantique,
voire d’une acception du sens du verbe initial (cette possibilité a été examinée
dans les §4.1. et §4.2). Il peut également être associé à la perte de tout trait
aspectuel, associée à l’apparition d’un sens que ne possède pas le verbe initial : le
nom dérivé peut désigner un OBJET (éventuellement abstrait) ; ou il peut être
associé à des traits aspectuels absents de la structure événementielle du verbe
initial, lorsque le nom désigne un ETAT.
4.3.1. Nominalisations OBJET
Dans de nombreuses approches, on associe la catégorie verbale à la description
d’actions, la catégorie nominale étant associée à la désignation d’objets, ou
d’éléments dépourvus de propriétés aspectuelles. Le fait qu’un nom dérivé puisse
désigner un objet (abstrait ou non) est donc attendu. Il est connu que les
nominalisations de verbes téliques peuvent désigner l’objet résultant de l’action
26
Haas & Jugnet
dénotée par le verbe (cf. J. Grimshaw 1990 ou C. Smith 1991 inter alia) : ainsi,
construction ou traduction peuvent désigner une action, mais aussi le résultat de
cette action :
(93) a. La construction de cet immeuble a été très rapide.
b. Cette construction est typique du style des années 70
Il semble que de nombreuses nominalisations de verbes d’achèvements
connaissent la même ambiguïté, entre lecture dynamique et lecture
d’objet (résultant).
L’interprétation en tant qu’objet (non dynamique) est identifiée grâce à des
propriétés linguistiques : (i) la nominalisation n’est plus compatible avec des
prédicats sélectionnant des éventualités dynamiques, tels que avoir lieu, procéder
à, effectuer (94) ; ii) l’objet (concret) ne peut que difficilement être localisé dans
le temps (95) ; (iii) le nom ne peut que difficilement être modifié par un adjectif
de fréquence (96) :
(94) a. * Le juge a contacté l’association de consommateurs qui avait eu
lieu lundi.
b. * Le juge n’a pas tenu compte des recommandations loufoques
auxquelles Pierre avait procédé lundi.
(95) a. * Hier, Marie a déchiré son inscription au colloque à laquelle elle
avait procédé lundi.
b. * En raison de cette faillite, Pierre a perdu l’investissement de 200
euros auquel il avait procédé il y a six mois.
(96) a. * Jean a encadré les distinctions fréquentes de son frère.
b. * L’association a perdu les dotations fréquentes des adhérents dans
des placements hasardeux.
Les nominalisations de verbes d’achèvements peuvent donc désigner non
seulement des actions, mais aussi différents types d’objets. L’examen du corpus a
permis de distinguer deux schémas :
(i)
Certains verbes d’achèvements sont associés à des nominalisations
polysémiques (désignant des achèvements ou des objets – concrets
et/ou abstraits). Ce schéma concerne environ 31% des nominalisations
de notre corpus. Parmi les noms désignant des bornes ou des objets
figurent : acquisition, affichage, affirmation, amendement, appellation,
association, assurance, autorisation, avertissement, barrage,
certification, citation, compensation, concession, conclusion,
cotisation, coupure, craquement, déclaration, délégation, démission,
distinction, édition, enregistrement, fixation, invention, investissement,
majoration, référence, rémunération, publication.
De l’existence des prédicats d’achèvements
27
(ii)
Quelques nominalisations ne semblent pas polysémiques ; elles ne
désignent pas d’actions mais seulement des objets (ces noms ne
conservent pas de propriétés aspectuelles). Ce schéma concerne 4%
des nominalisations. Parmi les nominalisations monosémiques OBJET
figurent :
abréviation,
appellation,
assurance,
fourniture,
surinvestissement, couverture, intéressement.
Ainsi, la nominalisation peut référer à un objet identifié par son rapport (étroit)
à l’événement décrit par le verbe initial (cet objet peut correspondre à l’objet du
verbe initial, en particulier lorsque le nom dérivé désigne un objet créé ou un
changement affectant l’objet initial. Par exemple, invention désigne l’objet y dans
[x a inventé y], enregistrement désignant une modification d’un objet initial (par
exemple un discours) dans une relation [x a enregistré y]). Plus précisément, les
référents des nominalisations peuvent correspondre à deux types d’objets : des
objets concrets (tels que les référents possibles de assignation, association,
barrage, invention, dotation etc.), ou des objets abstraits, plus difficilement
localisables dans l’espace et dans le temps (objets propositionnels,
informationnels : référents de noms tels que affirmation, citation, déclaration,
etc.). Parmi les verbes associés à des nominalisations d’objets résultants figurent
les couples suivants : abréger / abréviation, adhérer / adhésion, assigner /
assignation, associer / association, autoriser / autorisation, barrer / barrage,
doter / dotation, s’engager / engagement, enregistrer / enregistrement, inventer /
invention, investir / investissement, juger / jugement, réduire / réduction,
rembourser / remboursement, rémunérer / rémunération.
Certains noms dérivés peuvent être doublement polysémiques, en ce qu’ils
peuvent désigner une action comme un objet, cet objet pouvant être concret ou
abstrait. Cette double lecture concerne un ensemble de verbes propositionnels,
sélectionnant des compléments phrastiques (e.g. affirmer / affirmation, citer /
citation, conclure / conclusion, confirmer / confirmation, contredire /
contradiction, déclarer / déclaration, recommander / recommandation, etc.). Plus
précisément, si le nom dérivé peut avoir une lecture en tant qu’objet abstrait, il
peut souvent également recevoir une interprétation en tant qu’objet concret. Cette
propriété n’est pas spécifique aux noms dérivés : l’interprétation concrète de
certains objets abstraits semble relever d’un processus plus général de
transposition métonymique (cf. A. Bisetto & C. Melloni 2005 inter alia). En effet
un contenu abstrait et son support physique sont souvent désignés par un même
nom :
(97) a. J’ai mis ce roman et la thèse de Jean au grenier : personne ne
voulait les lire.
b. De rage, Marie a déchiré tous les poèmes de Paul.
28
Haas & Jugnet
Ce même processus est observé avec les noms dérivés de verbes propositionnels :
(98) Marie a déchiré la déclaration du témoin, qu’elle n’avait même pas
lue, devant le juge.
Nous ne développerons pas plus l’analyse de ces noms désignant des objets. Notre
propos est seulement de montrer que les noms dérivés de verbes d’achèvements
peuvent, comme d’autres noms dérivés, ne pas conserver de propriétés
aspectuelles, en d’autres termes, référer non à des éventualités mais à des entités
(concrètes ou abstraites).
4.3.2. Nominalisations ETAT
Les cas où la nominalisation dérivée d’un verbe d’achèvement a un sens ETAT (en
plus ou à la place du sens ACH) représentent environ 16% des cas de notre corpus.
Les noms suivants sont des exemples de nominalisations présentant un sens ETAT
absent du sémantisme de leur base verbale : assurance, défaillance, détachement,
détermination, reconnaissance, relâchement. Nous employons ETAT pour désigner
l’ensemble des noms dénotant des situations statives, comme le faisait Vendler
(1957) pour les verbes. Il est possible de déterminer l’appartenance d’un nom à
cette classe aspectuelle de deux manières non exclusives l’une de l’autre :
(i) désigne un ETAT un nom qui n’est ni un objet ni un prédicat dynamique,
(ii) désigne un ETAT un nom qui valide l’un des tests de stativité présentés en (99)
(il s’agit de tests connus dans la littérature, cf. entres autres D. Van de Velde
(1995), N. Flaux & D. Van de Velde (2000), R. Huyghe & A. Jugnet (2010), E.
Melnikova (2010) :
(99) a. Pierre a fait preuve de compréhension face à cette situation
extraordinaire.
b. Cet homme est dans un tel état de déchéance qu’on ne peut plus le
sauver.
c. Elle a une grande détermination pour réussir.
d. Pierre a éprouvé une grande déception en apprenant cette nouvelle.
e. Marie a ressenti du découragement en voyant l’ampleur de la tâche
demandée.
Observons le verbe déchoir :
(100) Les dirigeants ont déchu Pierre de ses fonctions.
(101) a. Qu’ont fait les dirigeants ? – Ils ont déchu Pierre de ses fonctions.
b. * Les dirigeants ont commencé à déchoir Pierre de ses fonctions en
1987.
c. ?? Les dirigeants sont en train de déchoir Pierre de ses fonctions.
De l’existence des prédicats d’achèvements
29
d. Les dirigeants ont déchu Pierre de ses fonctions pendant 2 mois afin
de lui faire prendre conscience de ses erreurs.
Les tests utilisés en (101) nous indiquent qu’il s’agit d’un verbe ACH-G. Lors de la
nominalisation, le sens dynamique disparaît (sauf dans le cas particulier évoqué en
(103)) et il y a création d’un sens ETAT (cf. (102)) :
(102) a * Les dirigeants ont procédé à la déchéance (de ses fonctions) de
Pierre.
b. Pierre est dans un état de déchéance lamentable.
c. Pierre est tombé dans une telle déchéance !
(103) Le gouvernement a décidé de procéder à la déchéance de nationalité
systématiquement.
Ainsi, on passe de déchoir ACH-G à déchéance ACH-P (sens spécialisé) / ETAT (sens
principal). Ce schéma ne concerne qu’un ensemble très restreint de noms (parmi
lesquels adhésion, engagement, exigence ou investissement), et ne peut
certainement pas recevoir d’explication en termes d’héritage aspectuel simple.
4.4. Conclusion partielle
L’examen des schémas d’héritage partiel, de décalage ou de création de sens nous
permettent de nuancer l’hypothèse d’un héritage fidèle de propriétés aspectuelles
lors de la nominalisation. Toutefois ces données ne nous mènent pas à remettre en
question l’idée d’un partage de traits entre verbes et noms : les propriétés des
noms examinés peuvent dans la plupart des cas s’expliquer par les propriétés des
verbes dont ils sont dérivés.
5. Conclusion générale
Ce travail nous a permis de conforter l’idée que la classe aspectuelle des
achèvements est motivée en sémantique lexicale : des verbes comme des noms
peuvent désigner des bornes, éventualités dynamiques dépourvues de durée. Plus
précisément, l’identification d’un ensemble de propriétés distinctives justifie la
définition de trois sous-classes d’achèvements (ACH-P, ACH-D et ACH-G /
ACH*SITS). Ces trois classes ne correspondent pas à des catégories strictes ou
hermétiques, certains prédicats peuvent d’ailleurs permettre des lectures en tant
qu’achèvement droit ou en tant qu’achèvement gauche. C’est le cas notamment
30
Haas & Jugnet
des couples arriver /arrivée, ou restreindre /restriction, comme l’illustrent les
exemples suivants :
(104) a. Paul est arrivé en deux heures. (= au bout de quelques heures)
b. L’arrivée de Paul en deux heures a surpris beaucoup de coureurs.
(105) a. Son parrain qu'elle n'a pas vu depuis des mois est arrivé pour
quelques jours (= est resté quelques jours). [web]
b. Cette famille "sans histoires" va voir son quotidien bouleversé par
l'arrivée pour quelques jours d'un général chilien. [web]
(106) a. Ils ont restreint l’impact de la crise en quelques semaines.
b. La restriction de l’impact de la crise en quelques semaines a
impressionné les observateurs étrangers.
(107) a. Ils ont restreint l’accès à ce parking pendant quelques heures.
b. La restriction d’accès à ce parking pendant quelques heures a gêné
beaucoup de riverains
La possibilité de référer à l’activité préparatoire, ou à la situation ultérieure, d’une
borne est prévisible : une borne étant par définition précédée et suivie d’une
éventualité, il est attendu que certains verbes permettent de récupérer l’éventualité
qui précède la borne, ou celle qui lui succède. Si ces deux possibilités sont
prévues lexicalement, c’est le contexte qui active l’une ou l’autre des lectures : en
contexte, l’activité préalable, ou la situation stative résultante, peut être focalisée
par une unité linguistique relevant de l’aspect grammatical (par exemple, un
groupe prépositionnel attribuant une durée permet de récupérer une situation
stative résultante).
L’examen des différentes classes retenues nous a permis d’établir que dans la
plupart des cas les propriétés aspectuelles des verbes sont héritées dans le
domaine nominal (en tenant compte des spécificités du domaine nominal, cf. le
cas des achèvements gauches). Quelques décalages ou héritages partiels ont
toutefois été notés : si la nominalisation est parfois associée à un léger décalage,
on assiste souvent à un maintien des propriétés aspectuelles centrales, ou des
propriétés associées à l’une des acceptions du verbe (héritage partiel).
Deux schémas ne correspondent pas aux généralisations définies ci-dessus : il
est des cas où la nominalisation présente un sens supplémentaire par rapport à son
verbe d’origine. On distinguera l’ajout d’un sens ETAT (relevant de l’aspect) de
l’ajout d’un sens OBJET, qui est réservé au domaine nominal et n’est plus en lien
avec la structure aspectuelle.
Les données examinées justifient la définition d’une classe lexicale à part
entière, classe de verbes et de noms désignant des bornes, i.e. des actions
dépourvues de toute extension temporelle.
De l’existence des prédicats d’achèvements
31
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Résumé – De l’existence des prédicats d’achèvements
L’existence des achèvements (définis comme des éventualités dépourvues de durée) est
régulièrement remise en question dans la littérature, c’est pourquoi, notre premier objectif est
de montrer que cette classe aspectuelle existe bien, dans le domaine verbal comme dans le
domaine nominal. A l’aide de tests, nous distinguons trois sous-classes d’achèvements : les
34
Haas & Jugnet
achèvements purs (simples bornes), les achèvements droits (bornes précédées d’une phase
préparatoire) et les achèvements gauches (bornes ouvrant sur une période stative). Cette
classification aspectuelle nous a servi de base pour étudier l’héritage sémantico-aspectuel lors
du passage des verbes d’achèvements aux noms morphologiquement liés.
Summary – On the existence of achievement predicates
The very existence of achievements (defined as instantaneous eventualities) is often
questioned in the literature, which is why our first objective is to maintain that this aspectual
class does exist, in the verbal as in the nominal domains. Thanks to a series of tests, we
distinguish three subclasses of achievements: pure achievements (mere boundaries), rightboundary achievements (boundaries that are preceded by preparatory activity), and leftboundary achievements (boundaries that are followed by a stative interval). We use this
aspectual classification as a basis to study aspectual inheritance from verbs to
morphologically related (derived) nouns.
Authors’ addresses:
Pauline Haas
Université Paris 13-Nord
Laboratoire LDI UMR 7187
99, av Jean-Baptiste Clément
F-93430 Villetaneuse
France
[email protected]
Anne Jugnet
Université Paris 7 Diderot
UFR Etudes Anglophones
10 rue Charles V
F-75004 Paris
France
[email protected]
1
L'ordre dans lequel apparaissent les noms des auteurs n’est autre que l’ordre alphabétique, et n’a pas
valeur de classement des auteurs, le travail ayant été réalisé en collaboration étroite.
2
C. Piñon (1997) se démarque ainsi de la conception des achèvements en tant qu’éventualités
culminantes (similaires à des accomplissements) : si certains achèvements sont bien conçus comme
l’atteinte d’un telos (bornes droites), d’autres sont plutôt conçus comme le début d’une situation
résultant d’un changement (bornes gauches).
De l’existence des prédicats d’achèvements
3
35
ANR JC : « Analyse sémantique et codification lexicale des nominalisations », co-dirigé par R. Marín
& A. Balvet (Laboratoire STL, Université Lille 3), 2007-2010. Nous remercions Rafael Marín,
Richard Huyghe et Lucie Barque pour leurs remarques et leurs réflexions sur le thème de cet article.
4
La ressource Nomage est téléchargeable à l’adresse :
http://sites.google.com/site/nomagesite/delivrables.
L’interface de consultation se trouve quant à elle à l’adresse :
http://nomage.recherche.univ-lille3.fr/nomage/.
5
Bien que notre liste de paires verbe-nom ait été constituée à partir de la base de données Nomage, qui
repose sur l’étude du corpus French Treebank, les exemples que nous utilisons dans cet article ne sont
pas tirés de ce corpus. En effet, pour des raisons de clarté nous avons privilégié des exemples plus
simples qui sont soit attestés (trouvés sur la toile), soit des exemples construits élaborés à partir
d’exemples attestés. Enfin, nous précisons que notre propos n’est pas de proposer un travail
statistique : étant donné que le corpus French Treebank est de taille restreinte (± 1.000.000 de mots) et
qu’il appartient au registre journalistique (où dominent les thématiques politico-économiques), il aurait
été dommageable de limiter nos analyses aux seules acceptions illustrées dans ce corpus. La taille
restreinte du corpus ne nous a pas non plus permis de formuler des hypothèses sur le caractère plus ou
moins fréquent d’une acception.
6
L’acception du verbe exécuter qui est retenue ici est celle du verbe sélectionnant un objet animé,
sémantiquement proche de abattre par exemple. Dans d’autres acceptions, ce verbe peut être analysé
comme un verbe d’accomplissement (e.g. exécuter une tâche difficile en quelques heures).
7
Pour une discussion sur la validité et la portée des tests de dynamicité dans les domaines verbal et
nominal, cf. P. Haas (2009).
8
L’astérisque * est attribuée aux énoncés asémantiques (exclus en tout contexte, en raison d’une
incompatibilité aspectuelle en particulier), ?? est associé aux énoncés très improbables (énoncés pour
lesquels il faut construire un contexte élaboré particulier pour justifier un emploi qui semble par
ailleurs dans la grande majorité des cas déviant), ? étant limité aux énoncés peu naturels (soit des
énoncés pour lesquels quelques contextes peuvent être envisagés, mais l’interprétation requiert un
effort particulier). # précède les énoncés acceptables mais exclus dans l’interprétation souhaitée.
9
Plusieurs auteurs, dont B. Lamiroy (1987), B. Peeters (2005) et P. Kreutz (2005 : 434), mentionnent
le fait que les périphrases aspectuelles peuvent être suivies d’un verbe d’achèvement dans certains
contextes, si un élément, tel qu’un objet ou un sujet pluriel, permet une lecture itérative du GV
complément (e.g. Les invités ont commencé à arriver vers 20 heures / Lucie a arrêté de découvrir de
nouveaux groupes et à s’intéresser à la scène métal vers 1999). Le GV infinitif ne décrit alors pas un
événement spécifique, et l’itération nous fait en effet percevoir la série d’événements comme pourvue
d’une durée, qui, en tant que telle, peut être commencée ou interrompue. Cette configuration n’a pas
été prise en compte dans l’annotation, car elle est contrainte par le contexte et ne relève pas des
propriétés lexicales du verbe examiné.
10
Le dièse indique qu’une lecture différente de celle voulue est possible. Il s’agit généralement d’une
lecture itérative de l’événement qui autorise l’adjonction d’un complément de durée. Dans la lecture
souhaitée (lecture unique de l’événement), le complément de durée rend la phrase asémantique, d’où la
présence de l’astérisque.
11
Les verbes d’achèvements purs sont incompatibles avec le progressif futuratif ; par contre il semble
que le progressif utilisé dans un contexte itératif n’est pas exclu :
i. * Il est en train d’affirmer qu’il est innocent.
ii. Il est en train d’affirmer des choses qu’il sait fausses avec un aplomb extraordinaire !
iii. * La bombe est en train d’éclater près du jardin public rempli d’enfants.
36
Haas & Jugnet
iv. Des bombes sont en train d’éclater près du jardin public rempli d’enfants.
S. Rothstein (2004 : 25) mentionne le fait qu’une modification par un complément de durée est
possible avec certains verbes d’achèvements notamment en présence d’un argument pluriel ou d’un
élément contextuel favorisant une lecture itérative :
i. Les invités arrivèrent pendant une heure.
ii. Jean a affirmé qu’il adorait le saumon (à de nombreuses reprises) pendant des années.
Mais, comme nous l’avons déjà signalé, l’aspect grammatical itératif modifie les restrictions de
sélection imposées par le verbe sur ses compléments. C’est pourquoi ces contextes ont été exclus de
notre analyse.
13
M. Moens & M. Steedman signalent que les situations qu’ils appellent culminations – définies
comme des événements atomiques suivis d’un état conséquent et qui correspondent donc, en partie au
moins, à notre classe de ACH-G – peuvent se combiner avec for sans effet d’itération et qu’alors
l’adverbial de durée en for porte sur « a time period following the culmination » (1988 : 20). Les
auteurs ajoutent que ce for serait traduit par pour plutôt que par pendant.
14
Un certain nombre de noms d’achèvements ont aussi une acception dans laquelle ils dénotent un
accomplissement :
(i)
?? Lors du baptême de Jean, la bénédiction de la médaille a duré deux heures (ACH)
(ii)
La bénédiction (sens : la cérémonie de bénédiction) a duré deux heures (ACC)
De manière générale, lors de l’application des tests de durativité, il faut veiller à ne pas confondre les
diverses acceptions que peut avoir un nom.
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A propos de la possibilité pour certains noms statifs d’apparaître en position sujet de commencer cf.
A. Borillo (2005 : 68) ; sur l’emploi inaccusatif de commencer cf. P. Haas (2009 : 137-138, 168-169),
sur l’emploi inaccusatif d’autres opérateurs aspectuels nominaux (être em cours de, achever de) cf. A.
Borillo (2006 : 30-36).
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Notre objectif est d’observer des régularités dans l’héritage aspectuel, et non de prédire quels noms
héritent de tout ou partie des propriétés aspectuelles du verbe dont ils sont dérivés (nous ne tenterons
ainsi pas d’expliquer des vides lexicaux).
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R. Huyghe, dans le cadre du projet Nomage, a proposé d’étiqueter ce type de verbes ACHs (pour
« achèvements statifs ») ce qui correspond bien aux ACH-G.
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Comme le rappelle M. Aurnague, « Les dot objects ne sont pas le résultat de l’« intersection » entre
deux types plus élémentaires […]. Un opérateur (d’élaboration) permet de se focaliser sur l’une des
facettes du type complexe, ses autres caractéristiques n’étant pas pour autant écartées mais demeurant,
en quelque sorte, en arrière-plan » (2008 : 23). Les noms ACH*SitS sont constitués du triplet
contenant les deux facettes ACH et SITS ainsi que le type complexe lui-même ACH*SITS : {ACH, SITS,
ACH*SITS}.
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Les verbes à expérienceur objet ont régulièrement deux emplois : un emploi agentif (et donc
dynamique, cf. (89)) et un emploi non-agentif (cf. (90)) dont le statut aspectuel fait débat, comme le
soulignent L. Barque, A. Fabregas & R. Marín (2012). Suivant en cela G. Ramchand (1997), M. Arad
(1998), I. Landau (2010), A. Alexiadou (2010), M. Marín & L. McNally (2011), nous considérons que
l’emploi non agentif relève de la stativité.
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