forcer l’autre actionnaire à racheter ses
parts.
Les défendeurs de l’approche
indemnitaire du prix, vision minoritaire
jusqu’à présent, estiment que le juge ou
l’expert doit également tenir compte
du comportement des parties dans la
détermination du prix. Selon eux, il serait
inéquitable d’imposer une décote à un
actionnaire alors qu’il a lui-même été lésé
par le comportement abusif du majoritaire,
et contraint de solliciter le rachat forcé de
ses parts devant la justice uniquement en
raison de l’attitude fautive de ce dernier.
La Cour de Cassation a mis fin à cette
polémique en consacrant la vision
économique dans un arrêt du 5 octobre
2012. Selon la Cour de Cassation, le juge
(et l’expert) amené(s) à déterminer la valeur
des titres ne peut en aucune façon tenir
compte des circonstances à l’origine de la
procédure ni du comportement des parties
à la cause.
2.- Un arrêt de la Cour d’appel de Gand
du 23 septembre 2013 va cependant mettre
à mal cette vision des choses.
La Cour était saisie d’un appel interjeté à
l’encontre d’une décision du 30 mars 2011
du tribunal de commerce de Dendermonde
ayant refusé d’appliquer une décote dans
le cadre d’une procédure de rachat forcé
d’actions. La procédure avait été initiée
par deux frères détenant une participation
minoritaire (20 et 23 %) à l’encontre de leur
sœur détenant directement et indirectement
via des sociétés qui lui étaient liées 57% des
parts de la société.
La sœur, appelante, estimait que c’était
à tort que le premier juge n’avait pas
retenu une décote dans la fixation du prix
dès l’instant où la participation de ses
deux frères représentait une participation
minoritaire et qu’elle détenait déjà la
majorité.
La Cour va déclarer l’appel non fondé sur
base d’une double argumentation.
Tout d’abord, la Cour précise que : « Dans le
cadre de la procédure de résolution des conflits
internes, le juge doit faire preuve d’une grande
prudence en cas d’application d’une réduction
de prix sur une participation minoritaire.
Il est en effet inéquitable de sanctionner un
actionnaire minoritaire qui s’est vu contraint,
en raison du comportement de l’actionnaire
majoritaire, de demander son retrait de la
société en l’obligeant à céder sa participation
au capital à une valeur inférieure à la valeur
réelle ».
Ensuite, la Cour poursuit en indiquant que suite au transfert des
titres, l’appelante détiendra directement 63 % et indirectement 100
% des titres de la société. S’il n’est pas contestable qu’elle disposait
déjà du contrôle de la société préalablement à l’introduction de la
procédure, le transfert des titres en question lui procure un avantage
certain dans la mesure où elle contrôle désormais à 100% la société
sans la moindre interférence d’actionnaires minoritaires.
3.- Cet arrêt nous parait intéressant à deux égards.
Premièrement, il constitue un revirement à 180° par rapport à la
jurisprudence de la Cour de Cassation dès l’instant où il consacre le
caractère indemnitaire voir « sanctionnateur » du prix. C’est par ce
que l’actionnaire majoritaire a adopté un comportement fautif qu’il
est sanctionné en ne pouvant prétendre, pour des raisons d’équité,
à une décote de minorité. On pourrait d’ailleurs imaginer des situations où la valeur de la
société a été fortement réduite de par le comportement du majoritaire (abus de biens sociaux,
transferts d’actifs ou de bénéfices, frais ou rémunérations démesurés, etc.), ce qui rendrait
encore plus « inéquitable » l’application d’une décote.
Deuxièmement, cet arrêt est également intéressant dans le cadre d’une approche exclusivement
économique de la fixation du prix. En effet, si la Cour ne conteste pas que le transfert des
titres n’entrainera pas une modification du pouvoir décisionnel de l’acquéreur puisqu’il était
actionnaire majoritaire avant la procédure, elle estime que la disparition de toute participation
minoritaire constitue un avantage évident. L’appelante se trouvera seule à la tête de la société
et la « nuisance value » que peut représenter un actionnaire minoritaire disparaitra : possibilité
de bloquer les décisions nécessitant une majorité spéciale à l’assemblée générale, possibilité de
solliciter la nullité d’une décision de l’assemblée générale ou la désignation d’un administrateur
provisoire,…
Cet avantage évident doit être pris en considération dans la fixation du prix des actions.
4.- Si cet arrêt penche en faveur d’une protection accrue des participations minoritaires dans le
cadre d’une procédure de rachat, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit encore là d’une décision
isolée.
Par ailleurs, dès l’instant où le sort de toute procédure dépend de la décision souveraine du
juge, les incertitudes demeurent quant à son issue : y a-t-il bien des justes motifs ? Quelle sera
la valeur retenue pour les titres par un expert? Quelles justifications à prendre en considération
pour éliminer ou réduire toute forme de décote ?
A ces incertitudes se rajouteront celles liées à la durée de la procédure ainsi que les frais
de justice, de conseil et d’expert à prendre en charge, sans compter les éventuels risques
d’insolvabilité de la partie condamnée à racheter les titres.
Notre expérience dans l’accompagnement d’actionnaires dans des entreprises familiales et à
caractère fermé nous a enseigné qu’afin d’éviter les aléas inhérents à toute procédure judiciaire,
il était préférable d’anticiper conventionnellement les demandes de sortie de capital.
A cet égard, nous accompagnons régulièrement des actionnaires familiaux dans le cadre de la
mise en place de pactes d’actionnaires réglant ces différentes problématiques : clauses de droit
et d’obligation de suite, processus de micro-liquidité, formule de valorisation des titres, clause
de retrait et d’exclusion,..
Par ailleurs, quand nous n’avons pas eu l’occasion d’intervenir en amont et qu’un conflit est
né, nous intervenons fréquemment en qualité de négociateur et de conciliateur en vue de
dégager une solution raisonnée et non judiciaire au conflit.
Enfin, lorsque Deminor intervient dans le cadre de la négociation d’une vente de participation
minoritaire, notre principale valeur ajoutée sera de réduire, voire même dans certains cas
d’exclure, toute forme de décote de minorité. Si on peut accepter la notion d’illiquidité, qui
est un facteur usuel dans toute méthode de valorisation d’une entreprise non cotée en bourse,
il nous parait plus difficile de concevoir qu’un actionnaire minoritaire désirant vendre sa
participation se voit imposer une décote de minorité sans qu’il soit pris en considération la
prime de contrôle qui s’exprimera lors d’une vente à 100% des actions.
Pour toute information complémentaire concernant cette jurisprudence récente, nous
vous invitons à contacter Pierre-Alexis Léonard (pierre-alexis.leonard@deminor.com).