Impossible de saisir intellectuellement l’essence de cette œuvre, de l’enfermer dans un genre. Bien
sûr, il est question du déracinement, de la pauvreté qui exclue, de la famille, du poids de l’Histoire sur
les destinées, de survie, d’héritage, d'aspiration à la liberté, et tous ces thèmes entrelacés viennent
étoffer une intrigue impossible à réduire à aucun d’eux. La beauté profonde, la force du théâtre de
Koltès n’est sans doute pas dans ce qu’on croit comprendre qu’il nous dit, mais dans ce qu’on
ressent de ce qu’il ne dit pas.
C’est sans concession, et c’est bouleversant.
La langue, vigoureuse, énigmatique, dense, est de toute évidence la matière même de la fable, avec
le jeu trouble des relations humaines, des «corps à corps». Le spectateur est toujours en équilibre
entre ce qu'il (re)connait et ce qui perpétuellement semble lui échapper. C’est cela qu’il faut tenter de
mettre sur le plateau. En prenant garde de ne rien réduire à une pensée préalable. A fleur de peau.
Résister à la tentation de penser le texte avant de le jouer, agir en homme de spectacle plus qu’en
homme de discours.
Koltès a donné des pistes pour monter ses textes et éviter les pièges, du pathos exacerbé, du
misérabilisme, du trop-plein de mise en scène. Des indications précieuses qu’il est nécessaire de
retenir. Et impérativement se souvenir à quel point il insistait sur l'ironie et l'humour de ses textes.
Il est capital pour moi, pour nous, de montrer que cette œuvre s’ouvre au large, dans la totalité du
spectacle, accessible à tous.
Comme à chaque fois, il s'agit de tenter de traduire en langage scénique une partition, en mettant la
présence et la recherche des acteurs au-dessus de toute autre considération, et avec eux, avec leur
énergie, leur talent, leur passion, d’explorer ce territoire, afin que nous trouvions ensemble la juste
proposition pour que la rencontre avec les spectateurs soit à chaque fois un évènement poétique et
spectaculaire …