Compagnie le Glob/Jean-Luc Ollivier
PHÈDRE
Jean Racine
Saisons 2015/2016/2017
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue.
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler,
Je sentis tout mon corps et transir, et brûler.
Note d'intention.
Le choix de Phèdre trouve sa source dans l'histoire de la compagnie et un tournant
artistique assez radical sur ce qui pouvait inspirer la création.
Après plusieurs années de recherches d'écritures scéniques ne s'appuyant pas sur
un texte initial, j'ai entamé avec Quartett de Heiner Müller (2011) un cycle de
créations où la parole devient l'enjeu même de ce qui se joue. Des textes denses, à
la frontière du théâtre et de la poésie, comme dans Ce nuage à côté de toi de
Florence Vanoli (2013), déjà se posait la question du désir cu comme une
presque malédiction. Avec Phèdre, l'écriture dans sa forme remarquable,
l’alexandrin, est bien évidemment la matière même du spectacle, sa beauté
originelle. Et ce qui noue ici le lien tragique est bien la parole. Les aveux parallèles de
Phèdre et d'Hippolyte embrasent les corps et précipitent les évènements vers
l'inévitable issue. La tragédie racinienne est particulièrement spectaculaire car elle
joue sur l'explosive tension entre une forme très écrite, l'alexandrin aux contraintes
fortes, une langue sublime dont il faut respecter les lois, et des sentiments
exacerbés, les pulsions sauvages et meurtrières qui traversent les corps.
Car se pose bien sûr, essentiellement, la question de l'incarnation. Toute la
recherche de plateau est animée par cette question fondamentale. Comment cette
langue peut-elle prendre possession des corps pour les faire s'entrechoquer dans
l'énergie de la passion?
Et comment faire pour qu'aujourd'hui encore on puisse être bouleversé par cette
histoire?
Car ce n'est pas vrai, Racine n'est pas moderne, sa langue n'est plus la nôtre, mais
une langue étrange par laquelle il faut se laisser prendre. Et que faire de ce monde
peuplé de dieux et de monstres? Racine n'est pas notre contemporain et tant
mieux. La distance qui nous sépare de cette écriture est aussi une part importante,
essentielle, de sa beauté, et chercher les moyens de la rencontre, ici et maintenant,
est un des enjeux de cette aventure.
Je ne monte pas ce texte pour dire quoi que ce soit du monde tel qu'il va. Pas de
message caché. Je le monte en quête de sa beauté, qui ne peut se révéler
pleinement que sur la scène, dans le temps réel et incandescent du théâtre, porté
par les voix et les corps des comédiens. C'est écrit pour ça, Phèdre n'appartient à la
littérature qu'en tant que formidable livret à donner à des acteurs. C'est d'abord
cette recherche qui me passionne, qui est l'essence même du théâtre, pour la
beauté du geste, pour la poésie, avec au bout du chemin la rencontre décisive avec
les spectateurs. Là où l'expérience prend sens.
Jean-Luc Ollivier
Jean-Luc Ollivier
Elle a vingt ans. Elle entre. Elle est au comble de la faiblesse.
Elle parle, elle ne pense pas ce qu'elle dit. Oenone la pousse en avant,
alors elle marche en tous sens, les yeux fermés, très serrés.
Elle ne veut pas voir.
Oenone lui ordonne de mourir car elle sait,
Phèdre en tout cas croit qu'elle sait tout d'avance.
Dans la tragédie, même si les personnages ne savent rien,
le poète sait pour eux et anticipe et distribue
dans le texte les mots annonciateurs.
Tout est dit au début, et il faut être fou,
aveugle ou sourd,
aveugle et sourd,
pour ne pas comprendre.
Mais justement ils sont fous,
aveugles et sourds.
Antoine Vitez
Générale de PHEDRE. Théâtre National de Bordeaux Aquitaine. 25 janvier 2016. Photo : Guy Labadens
1 / 21 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !