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Ângulo 131 - Literatura Comparada v.II, out./dez., 2012. p.
temps linéaire. Des histoires parallèles vécues par l’écrivain
dans des moments diérents de sa vie s’entrecroisent dans
le récit et sont séparées les unes des autres par des espaces
en blanc.
Selon Mireille Calle-Gruber, “deux dimensions ten-
dent aussi, dans le roman, à rivaliser : avec le récit linéaire,
un eet de réel (synthétique) se produit; avec le récit para-
digmatique, un eet d’imaginaire (fragmentaire) ébranle le
premier” (CALLE-GRUBER, 1986, p. 111). La lisibilité du
texte étant compromise, s’installent le silence et le non-dit,
qui constituent une caractéristique de l’écriture durassien-
ne.
Lorsque le narrateur débute son récit, il se situe à
un âge avancé et rééchit sur les marques laissées par le
temps dans son visage “dévasté”. C’est l’image de soi que
l’écrivain met en évidence au début de L’amant. Plusieurs
images de la jeunesse lui viennent à l’esprit. Ces images
rétrospectives, archivées dans la mémoire se succèdent de-
vant l’auteur comme des photos feuilletées dans un album.
Duras y trouve les souvenirs de la pension à Saigon, les
rêves de la mère à l’égard des souvenirs de ses enfants et
surtout la traversée du bac du Mékong.
Avec cee introduction autobiographique, Mar-
guerite Duras invite le lecteur à participer à ce voyage
vers le passé, vers son “ombre interne”, d’où elle extrait
des faits révélateurs. En pénétrant des zones obscures de
l’inconscient elle fait appel à des réminiscences pour y
trouver l’inspiration pour son travail. Avant L’amant elle
avait déjà écrit sur sa famille d’une façon voilée; elle avait
écrit “autour d’eux, autour de ces choses sans aller jusqu’à
elles”. (DURAS, 1984, p. 14)
D’après Mireille Calle-Gruber, L’amant oscille “entre
l’autobiographie et l’autographie: entre l’histoire de ma vie
et l’histoire de mes écrits” (CALLE-GRUBER, 1986, p. 107).
Le pacte initial signé avec le lecteur aeste, dans ce
livre, l’intention de l’auteur de dire la vérité, de raconter
son histoire personnelle quoique, selon Duras, elle soit
inexistante. “L’histoire de ma vie n’existe pas”. (DURAS,
1984, p.14) On se trouve donc devant les contradictions de
l’auteur qui laisse dans l’air le dessein de confondre le lec-
teur.
La question de l’identité est un point très controversé
dans l’autobiographie de Duras. Le jeu établi par l’écrivain
autour de l’identité peut être mieux éclairci à la lumiè-
re d’autres réexions faites par Lejeune dans Moi aus-
si (1986). L’auteur y condamne l’aspect trop normatif du
“Pacte” présenté dans Le pacte autobiographique6.
En adoptant une position plus souple, Lejeune nit
par accepter la diculté de s’établir des frontières rigide-
ment dénies entre “roman autobiographioque” et “auto-
biographie”.7
L’amant est considéré comme “un tournant dans
l’oeuvre et dans la lecture de l’oeuvre” (ARMEL, 1990, p.
13). L’auteur y présente l’origine de ses personnages. Duras
puise dans son pays natal l’inspiration pour son oeuvre.
Elle en garde des souvenirs tels que l’image d’Elizabeth
Striedter et de la mendiante. Celle-ci apparaît dans Un
barrage contre le Pacique et devient forte présence dans
L’amant et dans d’autres livres de l’écrivain: “J’ai peuplé
toute la ville de cee mendiante de l’avenue (...). Elle est
venue de partout. Elle est toujours arrivée à Calcua, d’où
qu’elle soit venue”. (DURAS, 1984. p. 106). C’est dans ce
pays de son enfance, peuplé de rêves et de cauchemars où
se situe l’image de la mendiante.
Le drame familial est un thème récurrent et qui devi-
ent une hantise dans l’oeuvre durassienne. Orpheline à
l’âge de 6 ans, sa famille se restreint à la mère, femme do-
minatrice avec qui elle a des rapports réticents et contradic-
toires8, et à ses deux frères. Le frère aîné, voyou et agressif,
mais le s préféré de la mère, eraie toute la famille, sur-
tout le petit frère. Celui-ci, un garçon fragile, éveille chez sa
soeur un sentiment fort qui dépasse l’amour fraternel. La
mère observe la lle habillée de façon extravagante; selon
la narratrice, elle feint ignorer “cee tenue d’enfant prosti-
tuée” car, dans la maison, face à l’extrême misère, l’enfant
“saura peut-être un jour comment on fait venir l’argent
dans cee maison” (DURAS, 1984, p. 33).
Les condences sur la mère, les châtiments qu’elle im-
pose à sa lle sont exprimés, dans L’amant, par des verbes
dont le contenu agressif augmente progressivement: “elle
est à enfermer, à bare, à tuer...” . Le temps, loin d’aénuer
la forte présence de la famille et surtout celle de la mère, les
transforme en personnages et les perpétue; la mère devient
“écriture courante” (DURAS, 1984, p. 32-8)
Après le succès de L’amant, Marguerite Duras exploi-
te encore la “liérature personnelle” et publie en 1985 La
douleur. L’écrivain arme l’avoir écrit en 1944. Ce livre,
abandonné dans sa maison de campagne, a été exposé,
pendant des années, aux inondations et a résisté quand
même.
Marguerite Duras fait revivre ce texte grâce à la revue
Sorcières qui lui demande un texte de jeunesse. Ce livre est
divisé en deux parties: la première se présente sous la for-
me d’un journal et la deuxième contient quatre nouvelles.
Avec La douleur Duras exploite un genre avoisinant
l’autobiographie: le journal intime9. Quant à la dénomina-
tion de ce type d’écriture personnelle, on peut le désigner
de plusieurs façons: “jounal intime”, “journal personnel”,
ou tout simplement “journal”. Les journaux ne sont pas
abondants sur le marché car ils ne sont pas écrits pour être
diusés. Duras a écrit son journal dans un moment dicile
de sa vie; elle l’a fait sans l’intention de le publier. Le texte
aurait pu se perdre s’il n’y avait pas eu la demande de la
revue Sorcières.
L’autobiographie est le récit rétrospectif d’une vie,
alors que le jounal intime présente une légère rétrospection
puisqu’il y a un certain écart entre les événements relatés et
le moment où l’on narre. La rédaction du journal peut être
quotidienne ou intermiente. La discontinuité caractérise
le journal écrit par Marguerite Duras.
L’écrivain inaugure son journal le mois d’avril, en
1945, quand elle est à la recherche de Robert Antelme, son
mari. On ignore le jour où elle commence son journal vu
que rarement elle le spécie. Pendant quelques jours du
mois d’avril elle raconte sa pérégrination, les dangers aux-
quels elle s’expose pour découvrir où se trouve son mari.
Il apparaît, dans le récit, sous le nom de Robert L. et sa
femme est, par conséquent, Mme. L. L’usage de la pre-
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