Le tissage recommencé: une lecture de Marguerite Duras

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Le tissage recommencé: une lecture de
Marguerite Duras
Nilza de Campos Becker
Doutoranda em Letras Modernas (Estudos Linguísticos, Literários e
Tradutológicos em Francês) na Universidade de São Paulo. Mestre em
Literatura e Crítica Literária pela Pontifícia Universidade Católica de
São Paulo e Especialista em Literatura pela mesma instituição.
RESUMO: SUMÉ:
PALAVRAS-CHAVE: MOTS-CLÉS:
O presente trabalho propõe-se, a partir do diálogo entre
algumas obras de Marguerite Duras, sobretudo Un
barrage contre le Pacique, L’amant e L’amant de la
Chine du Nord, constatar a intertextualidade na obra da
escritora, numa perspectiva autobiográca. Vericaremos
que a autotextualidade é um procedimento característico
na composição de Duras, uma estratégia que denuncia o
caráter paródico da obra. Este trabalho atesta uma prática
constante em Duras: a absorção de diversos elementos de
seus próprios textos literários, habilmente transformados
pela autora, no interior de outras de suas produções
artísticas, atribuindo-lhes, desta forma, novas signicações,
prevalecendo contudo, a força de sua escritura
Le présent travail se propose, à partir du dialogue entre
quelques ouvrages de Marguerite Duras, surtout Un
barrage contre le Pacique, L’amant et L’amant de la Chine
du Nord, de constater l’intertextualité chez l’écrivain, dans
une perspective autobiographique. Nous allons vérier
que l’autotextualité est un procédé caractéristique dans
la composition de Duras, une stratégie qui dénonce le
caractère parodique de l’ ouevre. Ce travail aeste une
pratique constante chez Duras: l’absorption de plusieurs
éléments des ses propres textes liéraires, habilement
transformés par l’auteur, à l’intérieur d’autres de ses
productions artistiques, en leur aribuant, de cee façon,
de nouvelles signications, en faisant prévaloir, cependant,
la force de son écriture.
Marguerite Duras autotextualité autobiographie
parodie - transformation
Marguerite Duras autotextualidade autobiograa
paródia - transformação
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Elle a cee manie-là, de reprendre toujours l’oeuvre pas-
sée, de lui injeter une autre sève, de lui désigner une au-
tre désignation. Elle sait que c’est dans l’inlassable tissage
qu’elle pourra démêler l’histoire vraie de sa vie.
(Alain Vircondelet, in: Duras. Biographie)
INTRODUCTION
Marguerite Duras, au cours de sa trajectoire
d’écrivain, fait usage de l’intertextualité. Il s’agit d’une
stratégie de l’auteur, dans le but de ne pas soumere son
oeuvre à une typologie, à un genre liéraire spécique et
d’essayer de “brouiller des pistes” pour assurer un certain
mystère autour de sa vie personnelle, ébranlée par la publi-
cation de L’amant.
Une question se pose: quelles seraient les raisons qui
mèneraiennt un auteur à réécrire ses textes qui passent à
acquérir diérentes signications à mesure où ils subissent
des transformations, des déplacements? Ce mécanisme de
répétition, évident dans toute l’ouevre de Duras, est signi-
catif.1
L’intertextualité, théorie conçue par Julia Kristeva et
reçue par plusieurs comparatistes comme un instrument
ecace pour le renouvellement de la liérature comparée,
servira de fondement à ce travail.2
Selon Julia Kristeva, “tout texte se construit com-
me mosaïque de citations, tout texte est absorption et
transformation d’un autre texte. À la place de la notion
d’intersubjectivité s’installe celle de l’intertextualité...”
(KRISTEVA, p. 68, 2005)3.
Dans ce travail, nous nous proposons de signaler
le caractère parodique de l’ouevre durassienne dans une
perspective autobiographique , d’évaluer comment cet as-
pect peut être perceptible dans le récit et juqu’à quel point
vie et oeuvre se mêlent et interviennent dans la construc-
tion de son écriture. Ainsi, nous allons nous appuyer sur
les idées exposées par Linda Hutcheon (1985), dans Une
théorie de la parodie.
L’AUTOTEXTUALITÉ CHEZ DURAS
D’abord, revenons à la dénition du teme “intertextu-
alité”, eectuée par Gérard Genee dans Palimpsestes: La
liérature au second degré. Pour lui, l’objet de la poétique
est la transtextualité, ou transcendence textuelle du texte,
dénie par l’auteur par “tout ce qui le met en relation, ma-
nifeste ou secrète, avec d’autres textes”. Genee considère
cinq types d’intertextualité, qui ne sont pas de classes étan-
ches. Bien au contraire, leurs relations sont nombreuses et
déterminantes. À son avis, l’intertextualité est un type de
transtextualité. Il fait mention de Rifaterre qui, selon Ge-
nee, dénit l’intertextualité d’une manière plus vaste que
lui, dans Palimpsestes, en armant que “l’intertexte est la
perception, par le lecteur, de rapports entre une oeuvre ou
d’autres qui l’ont précédée ou suivie” (GENETTE, 1982, p.
7-8).
Un autre type de transtextualité mentionné par Ge-
nee est l’hypertextualité, qu’il dénit de la façon sui-
vante: “J’entends par toute relation unissant un texte
B (que j’appellerai hypertexte) à un texte antérieur A (que
j’appellerai, bien sûr, hypotexte)(GENETTE, 1982, p. 11).
Dans ce sens, un texte serait dérivé d’un autre texte prée-
xistant. Cee dérivation peut se présenter de deux façons:
un metatexte peut “parler” d’un texte ou le texte B résul-
ter de A en raison d’une transformation. Genee considè-
re l’hypertextualité comme une classe de textes englobant
certains genres canoniques tels que le pastiche, la parodie,
le travestissement.
Marguerite Duras parodie son propre texte. L’ “aveu
autobiographique” s’introduit dès le début de ses écrits,
mais d’une façon indirecte, voilée.
L’intertextualité chez l’écrivain constitue une ressour-
ce de composition de texte qui contribue à la réecriture de
son ouevre.4
Dès ses premiers écrits Marguerite Duras prati-
que l’autotextualité5. Lucien Dällenbach (1979), à partir
des études de Jean Ricardou et Gérard Genee, présente
l’intertextualité autarcique, qu’il nomme autotextualité.
L’autotexte peut se dénir comme une “réduplication in-
terne”, qui dédouble le récit (DÄLLENBACH, 1979, p. 52).
En nous reportant à plusieurs textes de Duras dès le
début de sa carrière liéraire, nous allons démontrer que
son écriture est autotextuelle, car l’écrivain pratique la
réécriture sur des textes à elle.
Aliee Armel (1990), en discutant l’autobiographie
chez Duras, avait déjà armé:
Marguerite Duras est donc passée de l’autisme à l’autarcie,
d’une écriture obéissant à des lois extérieures, cherchant
hors d’elle même la réponse à ses questions à une forme
autobiographique elle devient son seul référent, por-
teuse d’un étrange pouvoir de certitude (ARMEL, p. 53-4).
L’“aveu autobiographique” apparaît constamment à
peine suggeré dans les interlignes. Dans ce labyrinthe, ses
personnages s’éloignent pour se retrouver dans d’autres
livres; ils quient le monde réel et pénètrent l’imaginaire
avec le même naturel inouï.
Dans ses premiers romans, Les impudents et La vie
tranquille, Marguerite Duras ébauche déjà les thèmes qui
feront partie de son univers liéraire: les rapports d’amour
et de haine parmi les membres de la famille, la folie, la
mort.
Un barrage contre le Pacique, publié en 1950, a
comme sujet un drame réel vécu par sa famille; l’auteur y
présente plusieurs données autobiographiques. Le roman
parle de la construction d’un barrage contre le Pacique
qui protégerait la propriété de la mère et celle de ses voi-
sins, de petits paysans de la région qui, en partageant le
rêve de la mère, ont participé à cee aventure. Leur eort
a été inutile: les terres ont été envahies par le Pacique. La
folie de la mère se manifeste déjà et la rend de plus en plus
obsédée par ses idées. Dans ce livre apparaît un personna-
ge qui aura une grande importance dans l’oeuvre de Duras.
Il s’agit de M. Jo, un jeune homme riche et méprisable qui
habite aux environs et essaie de séduire Suzanne; il serait
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une caricature du Chinois de L’amant. Les éléments auto-
biographiques sont liés aux thèmes du roman, tels que la
construction et démolition des barrages, les rapports entre
mère et lle, les dicultés nancières de la famille, la misè-
re des habitants de la région, la mort précoce des enfants,
la vente de la bague. Malgré cela, l’écrivain se cache sous
le prénom de Suzanne et ses frères se trouvent condensés
dans un seul personnage: Joseph.
En 1954, paraît Des journées entières dans les arbres.
L’histoire d’une vieille dame riche et folle, et de son ls
préféré, nous rappelle la relation de la mère de Duras et de
son ls aîné.
Dans Moderato Cantabile, paru en 1958, Marguerite
Duras essaie de raconter une expérience personnelle. C’est
dans les interviews qu’elle fait des allusions à des leçons
de piano qu’elle imposait à son s. Anne Desbarèdes, per-
sonnage de ce roman, consomme de l’alcool et boit jusqu’à
l’ivresse. L’écrivain, aussi bien que ses personnages, ai-
ment l’alcool; il les aide à oublier leur solitude.
Le ravissement de Lol V. Stein et Le vice-consul
sont publiés en 1964; ils inaugurent “le cycle de l’Inde”.
Les lieux se déroulent les histoires sont dépourvus de
toute réalité géographique. On y constate la présence de
certains thèmes qui laissent leurs marques dans l’oeuvre
durassienne. La folie a toujours hanté Duras; elle a témoig-
la perte de lucidité de sa mère. Lol, ainsi que d’autres
personnages, est victime de la folie.
François Peraldi dans “Les Indes Impossibles”,
nous parle de ce pays lointain et mythique où a lieu
“...l’interminable voyage du retour vers les origines...”
(PERALDI, 1981, p. 121). C’est les personnages de
Duras se rencontrent, indépendamment de leur âge, leurs
idées ou de leur condition sociale. C’est l’on trouve
Anne-Marie Streer (personnage créé à partir du souvenir
d’Elizabeth Striedter, femme de l’administrateur général à
Vinh-Long) et son double, la mendiante, dans son éternelle
pérégrination.
L’image de la mendiante est toujours présente chez
Duras et se perpétue dans ses livres. Elle est, selon Made-
leine Borgomano, la
cellule génératrice de l’oeuvre entière; (...) l’histoire de
la mendiante indienne resurgit dans le texte et devient
le thème central des livres et des lms les plus réussis de
Marguerite Duras: Le Vice-consul, India Song et L’Amour
(BORGOMANO, 1981, p. 481).
La mère lui soigne le pied malade et garde son en-
fant, qui meurt ensuite. C’est l’histoire de la mendiante que
l’écrivain raconte dans un enregistrement discographique.
Devant la diculté de continuer le roman Le vice-consul,
elle accepte de parler à l’improviste devant le micro, sur
les dicultés qu’elle trouve pour donner suite à son tra-
vail. Cet épisode la libère de toute contrainte et elle nit
son livre.
Dès lors, la pratique de l’interview va l’encourager
à raconter des particularités sur sa vie et son oeuvre,
jusqu’alors inavouées.
Avant la publication de L’amant, elle prenait déjà
la parole dans les journaux, à la radio ou à la télevision,
sous une certaine réserve pourtant. Dans sa présentation à
Apostrophes, émisssion litéraire très renommée en Fran-
ce, Duras révèle un remarquable charisme médiatique, qui
l’aide à faire libérer plus aisément la parole autobiographi-
que.
Dans toute sa production artistique, Duras semble
semer le doute, confondre le lecteur ou spectateur, qui ne
saura jamais si les faits présentés correspondent ou non à
la réalité ou s’ils expriment de diérents points de vue à
propos des événements vécus par l’écrivain selon chaque
phase de sa vie.
Dans son oeuvre, Duras fait usage de la parodie com-
me artice dans la construction du discours.
Malgré les analogies entre L’amant et de L’amant de
la Chine du Nord à l’égard de l’énoncé de Un barrage con-
tre le Pacique, on pourrait plutôt détecter une dynamique
spéciale dans le procédé de création liéraire chez Duras
qui privilégie une absorption de plusieurs éléments du ro-
man écrit en 1950, subtilement transformés à l’intérieur de
L’amant et de L’amant de la Chine du Nord.
Dans Un barrage contre le Pacique Duras plonge
dans son passé et revit l’épopée de la mère. Malgré les res-
semblances entre les épisodes vécus par l’écrivain et Su-
zanne, personnage du roman, le texte présente plusieurs
informations qui dièrent de la réalité de l’auteur. Par-
mi celles-ci nous pouvons citer la mort prématurée de la
mère, le personnage Joseph qui réunit les caractéristiques
de deux frères de l’écrivain. Il s’agit d’un roman autobio-
graphique, où l’expérience tragique de la mère est mise en
évidence. Duras signe ici le pacte romanesque par “la prati-
que patente de la non-identité (l’auteur et le personnage ne
portent pas le même nom” (LEJEUNE, 1975, p. 27).
En 1984 Marguerite Duras publie L’amant et inaugu-
re ainsi une période nouvelle dans son écriture. L’amant
apparaît comme un livre autobiographique”, qui présen-
te, explicitement, des données personnelles de la vie de
l’auteur, jusque-là, parsemées dans plusieurs de ses livres
(ARMEL, 1990, p. 13).
Le but de cee étude n’est pas de discuter si L’amant
doit ou non être considéré comme une autobiogra-
phie. Aliee Armel a déjà très bien discuté les contra-
dictions à propos de ce sujet dans Marguerite Duras et
l’autobiographie. Nous allons nous restreindre à mention-
ner certains déplacements procédés par l’auteur, dans que-
lques-uns de ses ouvrages, pour mieux aester l’exercice
de l’autotextualité chez l’écrivain.
Quelques personnages de L’amant, dejà parus dans
Un barrage contre le Pacique sont modiés: Suzanne de-
vient “l’enfant” qui perd son innocence et découvre un uni-
vers jusqu’alors inconnu. M. Jo évolue: l’aspect caricatural
du personnage fait place à un lyrisme et à une fascination
qui séduisent l’enfant et lui font découvrir la jouissance.
Leur relation, plutôt physique, n’exclut pas la tendresse. Le
Chinois est l’élément révélateur qui contribue à la libéra-
tion de l’enfant. L’écriture durassienne est imprégnée du
désir qui rôde parmi les personnages.
Le récit rétrospectif de L’amant ne suit pas un ordre
chronologique. Le temps de l’imaginaire s’intercale dans le
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temps linéaire. Des histoires parallèles vécues par l’écrivain
dans des moments diérents de sa vie s’entrecroisent dans
le récit et sont séparées les unes des autres par des espaces
en blanc.
Selon Mireille Calle-Gruber, “deux dimensions ten-
dent aussi, dans le roman, à rivaliser : avec le récit linéaire,
un eet de réel (synthétique) se produit; avec le récit para-
digmatique, un eet d’imaginaire (fragmentaire) ébranle le
premier” (CALLE-GRUBER, 1986, p. 111). La lisibilité du
texte étant compromise, s’installent le silence et le non-dit,
qui constituent une caractéristique de l’écriture durassien-
ne.
Lorsque le narrateur débute son récit, il se situe à
un âge avancé et rééchit sur les marques laissées par le
temps dans son visage “dévasté”. C’est l’image de soi que
l’écrivain met en évidence au début de L’amant. Plusieurs
images de la jeunesse lui viennent à l’esprit. Ces images
rétrospectives, archivées dans la mémoire se succèdent de-
vant l’auteur comme des photos feuilletées dans un album.
Duras y trouve les souvenirs de la pension à Saigon, les
rêves de la mère à l’égard des souvenirs de ses enfants et
surtout la traversée du bac du Mékong.
Avec cee introduction autobiographique, Mar-
guerite Duras invite le lecteur à participer à ce voyage
vers le passé, vers son “ombre interne”, d’où elle extrait
des faits révélateurs. En pénétrant des zones obscures de
l’inconscient elle fait appel à des réminiscences pour y
trouver l’inspiration pour son travail. Avant L’amant elle
avait déjà écrit sur sa famille d’une façon voilée; elle avait
écrit “autour d’eux, autour de ces choses sans aller jusqu’à
elles”. (DURAS, 1984, p. 14)
D’après Mireille Calle-Gruber, L’amant oscille “entre
l’autobiographie et l’autographie: entre l’histoire de ma vie
et l’histoire de mes écrits” (CALLE-GRUBER, 1986, p. 107).
Le pacte initial signé avec le lecteur aeste, dans ce
livre, l’intention de l’auteur de dire la vérité, de raconter
son histoire personnelle quoique, selon Duras, elle soit
inexistante. “L’histoire de ma vie n’existe pas”. (DURAS,
1984, p.14) On se trouve donc devant les contradictions de
l’auteur qui laisse dans l’air le dessein de confondre le lec-
teur.
La question de l’identité est un point très controversé
dans l’autobiographie de Duras. Le jeu établi par l’écrivain
autour de l’identité peut être mieux éclairci à la lumiè-
re d’autres réexions faites par Lejeune dans Moi aus-
si (1986). L’auteur y condamne l’aspect trop normatif du
“Pacte” présenté dans Le pacte autobiographique6.
En adoptant une position plus souple, Lejeune nit
par accepter la diculté de s’établir des frontières rigide-
ment dénies entre “roman autobiographioque” et “auto-
biographie”.7
L’amant est considéré comme “un tournant dans
l’oeuvre et dans la lecture de l’oeuvre” (ARMEL, 1990, p.
13). L’auteur y présente l’origine de ses personnages. Duras
puise dans son pays natal l’inspiration pour son oeuvre.
Elle en garde des souvenirs tels que l’image d’Elizabeth
Striedter et de la mendiante. Celle-ci apparaît dans Un
barrage contre le Pacique et devient forte présence dans
L’amant et dans d’autres livres de l’écrivain: “J’ai peuplé
toute la ville de cee mendiante de l’avenue (...). Elle est
venue de partout. Elle est toujours arrivée à Calcua, d’où
qu’elle soit venue”. (DURAS, 1984. p. 106). C’est dans ce
pays de son enfance, peuplé de rêves et de cauchemars
se situe l’image de la mendiante.
Le drame familial est un thème récurrent et qui devi-
ent une hantise dans l’oeuvre durassienne. Orpheline à
l’âge de 6 ans, sa famille se restreint à la mère, femme do-
minatrice avec qui elle a des rapports réticents et contradic-
toires8, et à ses deux frères. Le frère aîné, voyou et agressif,
mais le s préféré de la mère, eraie toute la famille, sur-
tout le petit frère. Celui-ci, un garçon fragile, éveille chez sa
soeur un sentiment fort qui dépasse l’amour fraternel. La
mère observe la lle habillée de façon extravagante; selon
la narratrice, elle feint ignorer “cee tenue d’enfant prosti-
tuée” car, dans la maison, face à l’extrême misère, l’enfant
“saura peut-être un jour comment on fait venir l’argent
dans cee maison” (DURAS, 1984, p. 33).
Les condences sur la mère, les châtiments qu’elle im-
pose à sa lle sont exprimés, dans L’amant, par des verbes
dont le contenu agressif augmente progressivement: “elle
est à enfermer, à bare, à tuer...” . Le temps, loin d’aénuer
la forte présence de la famille et surtout celle de la mère, les
transforme en personnages et les perpétue; la mère devient
“écriture courante” (DURAS, 1984, p. 32-8)
Après le succès de L’amant, Marguerite Duras exploi-
te encore la “liérature personnelle” et publie en 1985 La
douleur. L’écrivain arme l’avoir écrit en 1944. Ce livre,
abandonné dans sa maison de campagne, a été exposé,
pendant des années, aux inondations et a résisté quand
même.
Marguerite Duras fait revivre ce texte grâce à la revue
Sorcières qui lui demande un texte de jeunesse. Ce livre est
divisé en deux parties: la première se présente sous la for-
me d’un journal et la deuxième contient quatre nouvelles.
Avec La douleur Duras exploite un genre avoisinant
l’autobiographie: le journal intime9. Quant à la dénomina-
tion de ce type d’écriture personnelle, on peut le désigner
de plusieurs façons: “jounal intime”, “journal personnel”,
ou tout simplement “journal”. Les journaux ne sont pas
abondants sur le marché car ils ne sont pas écrits pour être
diusés. Duras a écrit son journal dans un moment dicile
de sa vie; elle l’a fait sans l’intention de le publier. Le texte
aurait pu se perdre s’il n’y avait pas eu la demande de la
revue Sorcières.
L’autobiographie est le récit rétrospectif d’une vie,
alors que le jounal intime présente une légère rétrospection
puisqu’il y a un certain écart entre les événements relatés et
le moment où l’on narre. La rédaction du journal peut être
quotidienne ou intermiente. La discontinuité caractérise
le journal écrit par Marguerite Duras.
L’écrivain inaugure son journal le mois d’avril, en
1945, quand elle est à la recherche de Robert Antelme, son
mari. On ignore le jour elle commence son journal vu
que rarement elle le spécie. Pendant quelques jours du
mois d’avril elle raconte sa pérégrination, les dangers aux-
quels elle s’expose pour découvrir se trouve son mari.
Il apparaît, dans le récit, sous le nom de Robert L. et sa
femme est, par conséquent, Mme. L. L’usage de la pre-
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