Septembre 2012 / 29
par Gérard Bérubé
Un tout autre environnement réglementaire se profile pour les
banques et les quasi-banques. Devant entrer en vigueur
progressivement à compter de janvier prochain, sous
l’étiquette de Bâle III, les nouvelles règles de liquidité et de
gestion des risques soumises à ces institutions ne seront pas
sans affecter, par ricochet, leurs clients et leurs contrepartistes.
LES RISQUES
DE LIQUIDITÉS
DES BANQUES
Les eets collatéraux sur
les caisses de retraite
30 / Septembre 2012
Parmi eux, les gestionnaires de caisse de
retraite tentent présentement de
circonscrire cet univers pour en identifier
les conséquences et y déceler les
occasions d’affaires. Mais déjà, en
première analyse, il ressort clairement
que l’augmentation du capital
réglementaire et qu’une demande accrue
pour des éléments d’actif de qualité, plus
liquides, sont les grands paramètres à
surveiller. Sans oublier de nouvelles
contraintes lorsque la transaction fait
appel aux produits dérivés.
La crise financière de 2008 a braqué les
projecteurs sur le risque de liquidité du
système financier et provoqué un vaste
mouvement de changements
réglementaires. Portant son attention sur
les institutions bancaires, la Banque des
règlements internationaux (BRI) a
accouché d’une série dinitiatives, de
propositions et de recommandations visant
à renforcer la capacité des banques à
résister aux chocs, à accroître la qualité de
leurs actifs et à ajouter plus de profondeur
à la gestion des risques, et ce, dans un
objectif de transparence. Ce nouvel
environnement doit prendre
graduellement forme à partir de janvier
prochain avec, pour objectif, une mise en
place entièrement complétée en 2018.
Lexercice de la BRI consiste en une
invitation faite aux institutions bancaires
de converger vers Bâle III. Et il est prévu
que des correctifs soient apportés en cours
de route. Au Canada, le système bancaire a
su démontrer sa solidité, mais il est tout de
même craint que le Surintendant des
institutions financières, reconnu pour son
conservatisme en matière de règles
prudentielles, pencherait plutôt vers un
« BâleIII+ ». On peut imaginer que
l’industrie bancaire puisse mener,
présentement, un important lobby auprès
d’Ottawa afin déviter ce qu’elle appellerait
une surréglementation. On le voit, l’image
finale de ce nouvel environnement
réglementaire nest pas figée, ce qui
n’atténue en rien la pertinence d’une
réflexion sur ses effets collatéraux
potentiels. Du point de vue de
l’investisseur institutionnel, les nouvelles
exigences, quelle que soit la forme finale
qu’elles prendront, auront une influence
certaine sur le marché des actions et des
obligations, sur les produits dérivés
négociés de gré à gré et sur les transactions
financières au sens plus large.
Trois grands thèmes
Patrick De Roy s’est livré à l’exercice.
L’associé et chef de la pratique nationale
de gestion des risques chez Morneau
Shepell, retient trois grands thèmes.
D’abord les régimes de retraite maison
des employés de ces institutions
bancaires, pour la plupart à prestations
déterminées. Le mouvement de
transformation vers des régimes hybrides
ou mixtes, à peine enclenché, pourrait
s’accélérer avec Bâle III, qui prévoit un
traitement asymétrique des surplus et des
déficits actuariels. « Même si les
institutions pourraient être incitées à s’en
remettre à d’autres types de régime, elles
ne peuvent se soustraire au poids du
passé », précise Patrick De Roy. Selon
l’actuelle mouture, le déficit des régimes
de retraite doit être déduit du capital
disponible. Au contraire, s’il y a surplus,
il demeure un coussin qui ne peut
cependant entrer dans le calcul et être
ajouté au capital. Pour le spécialiste de
Morneau Shepell, cette asymétrie ne sera
pas sans influencer la politique de
placement des caisses de retraite et
désavantager la prise de risque. « Dans
ces régimes maison, la politique de
placement tend déjà à s’éloigner du
risque de marché public. Bâle III devrait
accélérer ce processus. »
Les stratégies impliquant des éléments
d’actif moins liquides et faisant appel aux
produits dérivés seront également
touchées. Avec, transparence oblige, un
traitement différent selon que les
transactions se font de gré à gré ou
qu’elles sont compensées. « Les banques
servant souvent de contrepartie, des
Les risques de liquidités des banques
« Les banques servant souvent de
contrepartie, des exigences accrues
en capital deviendront synonymes
de coûts additionnels refilés aux
caisses de retraite impliquées dans
ce type de transaction. »
Patrick De Roy, Morneau Shepell
32 / Septembre 2012
exigences accrues en capital deviendront
synonymes de coûts additionnels refilés
aux caisses de retraite impliquées dans ce
type de transaction. » Patrick de Roy parle
d’augmentation des coûts, directs ou
indirects par le biais les fonds de
couverture, pour les caisses de retraite de
grande taille.
Enfin, Bâle III ajoute au principe de
gestion de risque de liquidité deux ratios
de liquidité, dont un servant à définir le
niveau de souplesse à court terme
nécessaire pour faire face à un manque de
liquidité selon un scénario pessimiste. Ici,
l’horizon est de 30 jours. « Cela va se
traduire par une diminution de la prise de
risque sur le bilan des banques et des
arbitrages impliquant les titres
obligataires. On devrait observer une
sensibilité plus grande favorisant les
obligations très liquides ou des titres à très
court terme. Par ricochet, des pressions
baissières sur les taux obligataires
pourraient avoir une influence sur le passif
actuariel des caisses de retraite. » Patrick
De Roy parle d’un effet pointu, dont la
conséquence sur les caisses de retraite
serait amoindri si cet effet touche la
portion à court terme de la courbe de
rendement.
Dans un sens plus large, le spécialiste de
Morneau Shepell peut très bien imaginer
la multiplication de partenariats ou
doccasions d’affaires entre les banques et
les caisses de retraite. Ne serait-ce que
pour faciliter les arbitrages entre les
besoins de liquidité des banques et
l’horizon à plus long terme des
gestionnaires de caisse de retraite. Ne
serait-ce, aussi, que pour bénéficier de la
cote de solvabilité supérieure de ces
caisses. « Je n’ai pas regardé cela de plus
près et je ne sais pas comment ces
occasions vont se développer. Mais, oui, il
y a là un potentiel réel. »
La Caisse de dépôt
La Caisse de dépôt et placement du
Québec s’y est penchée. « Ce qui affecte
nos contreparties nous affecte
également », résume Dominique Vézina,
vice-présidente conseil, gestion des
risques à la Caisse. Bâle III va avoir une
incidence sur la liquidité de marché, sur
les arbitrages entre les titres et les
échéances. Donc, sur les stratégies de
portefeuille des gestionnaires. Il ressort
clairement qu’une augmentation du
capital réglementaire s’accompagne d’une
hausse des coûts associés aux activités
afférentes. Un coût pouvant fluctuer selon
les catégories de produits, selon que l’actif
est de qualité, et qu’il est liquide ou non
liquide. « Les banques vont refiler la
facture aux caisses de retraite et autres
investisseurs institutionnels », estime
Mme Vézina. Du moins, il s’agira d’un
réflexe naturel.
Mais en retour, des joueurs comme la
Caisse de dépôt, qui s’appuient sur une
cote triple A, vont pouvoir monnayer la
qualité de leur solvabilité. Bâle III
s’attarde aussi longuement aux produits
dérivés et autres actifs titrisés, en
distinguant entre les opérations
spéculatives et les transactions de
protection ou de couverture. En ciblant
également le risque de marché des
transactions de gré à gré en y ajoutant le
concept de risque de crédit des
Des joueurs comme
la Caisse de dépôt,
qui s’appuient sur
une cote triple A, vont
pouvoir monnayer
la qualité de
leur solvabilité.
Les risques de liquidités des banques
PERSPECTIVES STRATÉGIES SOLUTIONS
Le magazine de la gestion des caisses de retraite et des avantages sociaux au Québec
TOP 30 DES
CAISSE DE
RETRAITE
AU QUÉBEC
Migrer sans heurt d’un régime PD
vers un régime CD
Conseils pour améliorer un régime CD
Investir en fonction du passif du régime
LES NOUVELLES TECHNOLOGIES
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contreparties. « La qualité de
contrepartie impliquant les banques
devrait s’améliorer, abaissant d’autant
le risque de contrepartie », explique la
spécialiste de la Caisse de dépôt, ce
qui peut encore une fois favoriser une
institution comme la Caisse en
comparaison des compagnies
d’assurance, par exemple. Par contre,
les mesures de transparence invitant à
la compensation des transactions, et
abaissant l’attrait des opérations de
gré à gré, exerceront une pression à la
hausse sur les coûts. « Les dérivés de
gré à gré vont devenir plus exigeants
pour nous. Il faudra mettre plus de
collatéral, accroître la marge »,
renchérit son collègue Philippe
Tremblay, directeur principal, mesure du
risque à la Caisse de dépôt. On peut très
bien imaginer une prolifération des
opérations de conversion du collatéral,
modifiant le paysage des prises en pension
et des prêts de titres. « Il va falloir revoir
nos stratégies, identifier des mesures pour
atténuer les coûts. Mais aussi explorer les
occasions qui s’offrent à nous, optimiser
notre pouvoir d’émettre à moindre coût
sans s’exposer au levier, passer en revue
notre structure de passif. Sans oublier un
des enseignements de la crise de 2007-
2008. Elle a démontré que le risque de
liquidité est important, même pour les
caisses de retraite. »
Les banques étant appelées à travailler
sur leur bilan et sur le hors-bilan, il
s’ensuivra un ménage de l’actif. On peut
anticiper plus démissions d’actions sur le
marché, et une demande accrue pour des
titres obligataires, avec un biais favorisant
les obligations gouvernementales, les
obligations couvertes et celles des
entreprises de première qualité. Ou, à
défaut de recourir aux émissions d’actions,
une implication plus grande des bénéfices
Les actifs non liquides des banques, comme
l’immobilier, étant destinés à coûter plus
cher, les caisses de retraite vont probablement
être plus sollicitées à y investir.
Les risques de liquidités des banques
MONTRÉAL
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Les risques de liquidités des banques
non répartis dans l’accroissement de la
capitalisation, ce qui induirait
potentiellement une diminution du
dividende. À l’opposé, le jeu des
titrisations sera défavorisé. « Dans le
nouvel environnement qui se dessine, la
titrisation devient très exigeante en capital
réglementaire. Donc très coûteuse. Les
banques voudront sortir le risque de leurs
livres, ce qui désavantage les produits
structurés », souligne PhilippeTremblay.
Les actifs immobiliers
Autre segment d’intérêt: l’immobilier.
L’actif non liquide étant destiné à coûter
plus cher, les caisses de retraite vont
probablement être plus sollicitées, croient
les analystes de la Caisse. Même constat
pour les investissements en
infrastructures, où les banques sont
également très présentes. Dans ce jeu des
arbitrages autour de la liquidité des
éléments d’actif et de l’appariement des
flux monétaires, la réflexion des banques
va devoir s’élargir pour couvrir l’ensemble
de leur modèle d’affaires, avec un accent
mis sur les activités qui, tels l’affacturage
et les lignes de crédit, exercent une
pression sur la tranche à court terme des
besoins de financement. « Les relations
d’affaires vont devenir plus importantes.
Nous allons recevoir des demandes qui
nétaient pas là avant. Nous aurons à
analyser de nouvelles occasions sans
mettre en péril notre rendement, dans un
univers de coûts de financement plus
élevés qu’avant », résume Philippe
Tremblay.
Les deux analystes de la Caisse
insistent toutefois pour préciser qu’un
tel regard sur Bâle III ne constitue
qu’une tentative pour analyser le nouvel
encadrement réglementaire qui se
profile pour les banques. Il n’y a rien de
coulé dans le béton pour l’instant. Tout
reste encore à déterminer, même au plan
des coûts, insistent-ils. « Nous sommes
dans une période d’ajustement, une
période dobservation qui s’étend de
2013 à 2018. Nous essayons de
comprendre cet environnement qui se
dessine, pour être prêt. »
Le capitaL régLementaire et
Les instruments financiers*
Plusieurs mesures seront mises en place progressivement
à partir du 1er janvier 2013 afin d’augmenter le niveau de
capital requis :
- Augmentation des niveaux minimums de capital requis
(autant Tiers 1 Common, Tiers 1 Capital que Total
capital);
- Ajout d’un coussin de capital contra cyclique allant de 0
à 2,5 %;
- Ajout d’un coussin de conservation du capital de 2,5 %;
- Ajout d’un coussin pour les institutions bancaires
présentant un risque important pour le système
financier de 1 à 2,5 %;
- Nouvelles restrictions concernant les dividendes,
primes de rendement et les rachats d’action si le niveau
de capital n’est pas supérieur au minimum requis.
Tiers 1 Common est composé principalement des actions
ordinaires et des bénéfices non répartis :
- Les instruments Tiers 3 (dettes à court terme
subordonnées) ne sont plus acceptés;
- Les instruments de Tiers 1 autres que les actions
ordinaires
- Les instruments de Tiers 2 émis par une banque
internationale doivent comporter une clause exigeant
qu’ils soient, au gré de l’autorité compétente, annulés
ou convertis en actions ordinaires lorsqu’un événement
déclencheur se produit.
Le ratio de liquidité, qui définit le niveau de liquidités
nécessaires pour couvrir un besoin de sortie de fonds
pendant 30 jours, englobe deux niveaux d’actif :
- Le niveau 1, qui comprend l’encaisse et certaines
obligations d’émetteurs souverains, se voit accorder un
facteur 100 %;
- Le niveau 2, qui s’étend aux obligations de société de
première qualité, aux obligations couvertes et aux
obligations d’émetteurs souverains, reçoit un facteur de
85 %.
Le ratio de liquidité de stabilité, qui définit le niveau de
liquidités nécessaire pour faire face à un manque
prolongé, basé sur un horizon de un an, consiste à diviser
l’actif qui devrait rester au bilan même en période de
crise, par l’actif ne pouvant être monétisé en période de
crise prolongée.
* Tiré d’une présentation faite par la Caisse de dépôt et placement du Québec.
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