êtres vivants comme les créations hybrides. Le Gestell définit l’époque dans laquelle
l’on ne fait pas que produire les choses, mais où on les provoque. La provocation met
la nature en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être accumulée.
C’est ce caractère d’accumulation qui distingue la machine traditionnelle d’une
centrale nucléaire. Le fonds accumulé n’est plus simple objet, mais stock en
puissance d’actualisation: l’avion est toujours et d’abord prêt à s’envoler. L’objet
commis perd son statut d’objet parce qu’il est débordé par sa fonction. L’avion, par
exemple, se définit d’abord par le fait qu’il est commis à assurer la possibilité d’un
transport ... La provocation technique est ainsi la forme par laquelle la volonté de
volonté apparaît, en imposant calcul et organisation de toutes choses. À l’ère du
Gestell, rien n’échappe à cette provocation, pas même la vie soumise à un processus
d’intensification ...
La production d’ersatz est le processus qui a pour effet de combler le vide de l’être en
tant qu’oublié. Seulement, l’ersatz n’est pas à la mesure du vide constitué par l’oubli
de l’être, qui est impossible à combler: la volonté qui se veut elle-même, la volonté de
volonté ne peut avoir de cesse; ça manquera toujours. La Technique est par
conséquent l’organisation de la pénurie, et se place d’elle-même dans un manque
abyssal. Le remplacement d’un étant par un autre devient pour le coup une nécessité.
Cette activité de remplacement n’est pas un effet secondaire, mais relève de part en
part d’une véritable organisation: le cercle de l’usure pour la consommation
(Kreisbewegung der Vernutzung um des Verbrauchs) est l’unique processus qui
caractérise l’histoire d’un monde devenu non-monde, immonde.
Il s’agit de produire des objets remplaçables, dont la remplaçabilité soit l’essence.
Être remplaçable, cela signifie être déjà remplacé, pensé au préalable dans son
remplacement à venir. Ce n’est pas simplement l’objet qui sera remplacé par un autre,
c’est la forme de l’objet qui intègre déjà la remplaçabilité, non comme quelque chose à
venir, mais dans sa constitution même, dans son passé. Cette intégration du passé
dans l’objet distingue l’étant consommable d’un objet ayant pour finalité, usage
futur, la consommation: celle-ci devient partie prenante non pas simplement de
l’utilisation que je puis en faire, mais de l’être de l’objet -la destination de l’objet est
branchée dans le processus de production. En bref, l’étant consommable est l’application
d’une forme auto-destructrice sur un matériau amorphe. C’est en ce sens que l’étant
consommable est déjà consommé. D’un objet déjà consommé, on n’attend aucune
réparation (ontologie de l’obsolescence programmée …).
Pourtant quelque chose subsiste: non l’objet, non ce qui pourrait se transmettre, mais
le toujours-nouveau du changement permanent. La volonté de changement fait
partie d’un dispositif global où l’être lui-même ne trouve son essence que dans la
volonté de changement. Le temps de l’objet est celui de l’actualité, dont le propre est
d’être déjà passée, déjà remplacée par l’actualité suivante. C’est en ce sens qu’il faut
entendre que la consommation est le visage actuel de l’être: le visage de l’être en tant qu’il
n’est plus qu’une actualité.
Heidegger note que le terme d’espace vert tend à se substituer à celui de forêt.
Espace et non plus objet. Flux dont l’objet remplaçable n’est que le point local, mais
flux ayant perdu sa part énergétique pour devenir forme dématérialisée. Les robots
domestiques qui peuplent notre confort moderne ont certes une tendance lourde à la
détérioration rapide. N’envisager ce phénomène qu’à partir de la marchandise, soit
de l’avantage pour l’entreprise à ce que nous renouvelions notre acte d’achat, fait