Faut-il protéger la nature?
Introduction rédigée
1 Opinion commune
Bien sûr. La culture, la civilisation, se définit par la séparation de l’homme d’avec la
nature et dans l’exploitation de celle-ci, comme on le ferait d’une mine. Il convient
alors de bien gérer cette ressource.
2 Nuance
Mais dans la mesure où la technique n’est pas simple prélèvement, comme dans la
prédation animale, mais modification réglée de la matière, la seule ressource dont on
ne peut se passer ultimement, qui est ainsi l’horizon, la destination, la définition,
lessence de la technique [sa cause finale, dans le vocabulaire d’Aristote], est une
matière brute ouverte à des transformations illimitées. L’idée d’une protection de la
nature comprise comme gestion avisée de ressources finies et toujours renaissantes
s’avère alors inconsistante.
3 Problématique
Le technocosme, et indissolublement l’économie comme destruction créatrice
(Schumpeter) touche à une limite de fait: nul ne peut plus affirmer que n’importe pas
la destruction des abeilles, de la biodiversité, de la Terre -puisqu’il serait toujours
possible de fabriquer des abeilles artificielles, une biodiversité artificielle, une Terre
artificielle. Nous n’avons pas le temps. Cette limite de fait ouvre à une question de
droit: la crise écologique entraîne la évaluation du dualisme philosophique, qui
sépare absolument l’être humain du reste de la création.
4 Conclusion et enjeux
Que deviennent alors l’humanisme et les droits de l’Homme, qui se fondent sur la
dignité absolue de l’homme, incomparable à toute chose? Leur déni serait-il vraiment
le prix à payer pour que nous puissions prendre soin de la nature, en nous et hors de
nous?
*
Comment utiliser des textes dans un plan détaillé.
On peut commencer par rendre des exemples d’actualité: développement durable, tri
sélectif, semaines vertes … Des solutions qui n’en sont pas, dérisoires.
Remonter alors à la question de droit:
Texte 1
Présentation de la philosophie de Martin Heidegger
Il s’agit désormais de penser la question de l’être à partir de la consommation de
l’étant: Les slogans de mai 1968 contre la société de consommation vont-ils jusqu’à
reconnaître dans la consommation le visage actuel de l’être?
Nouvelle figuration de l’être qui porte précisément le nom de Gestell -Dispositif, soit
l’ultime figure du destin de l’être. Ouverture qui révèle la triple trame du concept de
consommation. La première est économique: usage ayant pour fin de satisfaire des
besoins. La seconde fait résonner le terme de consumation (de destruction). La
troisième est ontologique: entendue étymologiquement (consummare), la
Consommation est le recueil final de toutes les possibilités d’un être, le moment et le
lieu de leur ultime accomplissement. La Consommation, c’est la fin (Tout est
consommé).
Rendre compte du visage actuel de l’être, c’est penser le nouage de ces trois
acceptions: usage, destruction et somme. Visage instable, en mutation continue, à la
mesure de cet ouragan perpétuel qui, selon Schumpeter, définit le capitalisme -mais
sans doute également à la mesure de l’être. Ce qu’il nous faut comprendre, c’est le
rapport entre cette instabilité et le forçage de l’être. Car les étants consommables
doivent leur statut à la façon qu’a le dispositif éco-technique de les forcer au-delà de
leur fin -de leur possibilité essentielle.
Voici une denrée alimentaire quelconque. Vous avez faim, vous faites usage de cette
chose en vue de satisfaire un besoin, vous la consommez. Supposons la question
Quelle est cette chose? La réponse qui ne se fera pas attendre est que cette chose a pour
fin de vous nourrir. Vous avez ainsi identifié la chose à partir de sa cause finale, soit
l’une des quatre causes que, depuis Aristote, la tradition philosophique repère. Mais
vous avez répondu vite, et par avance. Vite, parce qu’il est difficilement soutenable
d’affirmer que la pomme du pommier avait pour fin de vous nourrir. Sauf à placer
l’homme au centre de la création.
Le problème, c’est que l’histoire a montré un étrange double mouvement: plus
l’homme a été délogé du centre (de l’univers, des espèces, de lui-même), plus il a
aspiré ce centre dans sa propre périphérie. La question n’est ainsi pas tellement de
considérer la pomme en tant que telle, mais que l’on produit des pommiers en vue de
nourrir l’homme, qu’on les cultive à cet effet. Et nous savons bien ce que signifie la
culture intensive, l’intensification de la culture pour l’homme. Si l’on peut dire que la
pomme est faite pour que je la mange, ce n’est pas de l’anthropocentrisme, mais du
réalisme ordinaire qui laisse dans l’oubli la question de la production naturelle au
profit de la production technique parce que cet oubli est un effet même de la production à
but de consommation.
Ce qui est évident, c’est que la disponibilité de la matière pour la forme a pris un tour
extrême dans le cadre du dispositif éco-technique parvenu à son accomplissement.
La modernité techno-capitaliste repose sur l’impossibilité absolue de penser la
matière indépendamment de la forme qui la sollicite. L’époque moderne opère la
réduction des matières à la généralité amorphe. Extinction de la matière comme
finitude dans l’infinité du matériau amorphe au nom d’une mobilisation totale.
Mais qu’est-ce qu’une forme qui peut être n’importe quelle forme?
Pour répondre à cette question, il nous faut visualiser la boucle du Capital et de la
Technique. Cette dernière, nous dit Heidegger, ne doit pas être pensée en termes
d’outils, mais à partir du Gestell, d’un Dispositif Global intégrant les machines, les
êtres vivants comme les créations hybrides. Le Gestell définit l’époque dans laquelle
l’on ne fait pas que produire les choses, mais où on les provoque. La provocation met
la nature en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être accumulée.
C’est ce caractère d’accumulation qui distingue la machine traditionnelle d’une
centrale nucléaire. Le fonds accumulé n’est plus simple objet, mais stock en
puissance d’actualisation: l’avion est toujours et d’abord prêt à s’envoler. L’objet
commis perd son statut d’objet parce qu’il est débordé par sa fonction. L’avion, par
exemple, se définit d’abord par le fait qu’il est commis à assurer la possibilité d’un
transport ... La provocation technique est ainsi la forme par laquelle la volonté de
volonté apparaît, en imposant calcul et organisation de toutes choses. À l’ère du
Gestell, rien n’échappe à cette provocation, pas même la vie soumise à un processus
d’intensification ...
La production d’ersatz est le processus qui a pour effet de combler le vide de l’être en
tant qu’oublié. Seulement, l’ersatz n’est pas à la mesure du vide constitué par l’oubli
de l’être, qui est impossible à combler: la volonté qui se veut elle-même, la volonté de
volonté ne peut avoir de cesse; ça manquera toujours. La Technique est par
conséquent l’organisation de la pénurie, et se place d’elle-même dans un manque
abyssal. Le remplacement d’un étant par un autre devient pour le coup une nécessité.
Cette activité de remplacement n’est pas un effet secondaire, mais relève de part en
part d’une véritable organisation: le cercle de l’usure pour la consommation
(Kreisbewegung der Vernutzung um des Verbrauchs) est l’unique processus qui
caractérise l’histoire d’un monde devenu non-monde, immonde.
Il s’agit de produire des objets remplaçables, dont la remplaçabilité soit l’essence.
Être remplaçable, cela signifie être déjà remplacé, pensé au préalable dans son
remplacement à venir. Ce n’est pas simplement l’objet qui sera remplacé par un autre,
c’est la forme de l’objet qui intègre déjà la remplaçabilité, non comme quelque chose à
venir, mais dans sa constitution même, dans son passé. Cette intégration du passé
dans l’objet distingue l’étant consommable d’un objet ayant pour finalité, usage
futur, la consommation: celle-ci devient partie prenante non pas simplement de
l’utilisation que je puis en faire, mais de l’être de l’objet -la destination de l’objet est
branchée dans le processus de production. En bref, l’étant consommable est l’application
d’une forme auto-destructrice sur un matériau amorphe. C’est en ce sens que l’étant
consommable est déjà consommé. D’un objet déjà consommé, on n’attend aucune
réparation (ontologie de l’obsolescence programmée …).
Pourtant quelque chose subsiste: non l’objet, non ce qui pourrait se transmettre, mais
le toujours-nouveau du changement permanent. La volonté de changement fait
partie d’un dispositif global où l’être lui-même ne trouve son essence que dans la
volonté de changement. Le temps de l’objet est celui de l’actualité, dont le propre est
d’être déjà passée, déjà remplacée par l’actualité suivante. C’est en ce sens qu’il faut
entendre que la consommation est le visage actuel de l’être: le visage de l’être en tant qu’il
n’est plus qu’une actualité.
Heidegger note que le terme d’espace vert tend à se substituer à celui de forêt.
Espace et non plus objet. Flux dont l’objet remplaçable n’est que le point local, mais
flux ayant perdu sa part énergétique pour devenir forme dématérialisée. Les robots
domestiques qui peuplent notre confort moderne ont certes une tendance lourde à la
détérioration rapide. N’envisager ce phénomène qu’à partir de la marchandise, soit
de l’avantage pour l’entreprise à ce que nous renouvelions notre acte d’achat, fait
l’impasse sur la facture des objets ainsi constitués. Que vend-on aujourd’hui? Pas des
vêtements, mais une attitude (Calvin Klein). Un logo, une image et, en prime, en
plus, un objet (un objet comme reste, queue de la comète publicitaire). Ou plutôt un
flux d’images qui double par avance un flux d’objets. On vend de la publicité. On
vend des expériences, des services. Changement de régime de la propriété selon les
analyses de Jeremy Rifkin: il ne s’agit plus d’acquérir et de posséder un objet, mais de
pouvoir accéder aux biens et aux services (ce qui compte n’est pas le portable, mais
l’abonnement au portable; pas l’ordinateur, mais la location et l’abonnement internet;
pas le produit, mais les moyens en logiciels pour le réactualiser sans cesse). L’objet
est ici le porteur d’une expérience nouvelle auquel les gens veulent avoir accès afin
d’y participer. Perpétuel leasing; c’est pour faire l’expérience de vivre sa propre vie
qu’on va devoir payer.
*
Voici posée la boucle du Capital et de la Technique -mais qu’en est-il de l’homme,
immergé dans la boucle, fondu dans le court-circuit de la consommation?
Nous sommes contraints d’élaborer un nouvel humanisme, au-delà du dualisme
proprement mortel entre culture et nature. Cet humanisme serait moderne, pas
technophobe. C’est seulement au moment où la terre peut être vue de l’espace, donc
grâce à la technologie -Heidegger aime à citer Hölderlin: là où croît le danger, croît
aussi ce qui sauve- qu’on peut s’aviser qu’elle une Arche. Le succès d’un film par
ailleurs médiocre, Gravity, est peut-être dû à ce qu’il raconte cette nouvelle
renaissance (les cosmonautes sont des fœtus qui naissent à la terre).
Texte 2
Une morale postdarwinienne
Pour une morale anthropocentrée, l'homme est la mesure de toute chose, c'est-à-dire
que toutes les valeurs sont obtenues par dérivation à partir des intérêts qui sont ceux
des hommes. Une morale anthropocentrée ne reconnaît de valeur aux entités du
monde naturel qu'en relation aux êtres humains et aux buts qu'ils s'assignent.
Dire d'une chose qu'elle a une valeur instrumentale signifie exactement qu'elle n'a que
la valeur que lui confère l'usage que les êtres humains peuvent en avoir. À usage
équivalent, rien ne distingue une chose d'une autre, elles sont essentiellement
interchangeables et ne possèdent aucune propriété qui leur conférerait une valeur
incomparable - une valeur intrinsèque.
En son projet inaugural, l'éthique environnementale se propose précisément de
mettre fin à l'anthropocentrisme des valeurs, en travaillant à élaborer une morale qui
prenne soin de ne pas succomber à la tentation anthropocentrique, parce qu'elle
estime que l'anthropocentrisme est, dans une large mesure, à l'origine des problèmes
environnementaux que nous rencontrons.
Dans ces conditions, l'on comprend aisément pour quelles raisons l'éthique
environnementale n'est pas et ne pouvait pas être une forme d'éthique appliquée au
domaine particulier de l'environnement, prenant place à côté de l'éthique appliquée
des affaires, de l'éthique appliquée d'entreprise, et autres éthiques
d'accompagnement du développement industriel. Le propre d'une éthique de ce
genre est qu'elle se contente, à l'instar de la bioéthique, d'appliquer le modèle de l'une
des morales normatives disponibles (d'inspiration utilitariste, déontologique, etc.)
aux problèmes éthiques inédits suscités par le développement technologique, en
soulevant la question des normes et des règles qui doivent lui servir de limites. Une
éthique appliquée cherche à résoudre des problèmes nouveaux en l'examinant dans
le cadre ancien de l'une des morales déjà existantes. Or l'ambition d'une éthique
environnementale est tout autre, puisqu'il s'agit pour elle d'interroger explicitement
les modalités générales du rapport à la nature tel qu'il a été pensé par la tradition
philosophique, morale, scientifique et religieuse pré-ptoléméenne et pré-
darwinienne, si bien qu'il ne nous soit plus possible de puiser sereinement dans cette
tradition les éléments permettant de fournir une solution aux problèmes écologiques
auxquels nous sommes confrontés, dans la mesure où cette tradition fait elle-même
partie du problème.
Une morale non anthropocentrée soucieuse d'apporter des solutions à la crise
écologique - une éthique environnementale- devra, par voie de conséquence, se
donner pour tâche prioritaire de rompre avec cette représentation de l'homme
consistant à le situer au sein d'une hiérarchie de l'être comprise comme ordre de
perfection.
Il est nécessaire d'apprendre à percevoir l'homme, non plus comme le rejeton choyé
de la création, mais bien plutôt comme un compagnon voyageur des autres espèces
dans l'odyssée de l'évolution, dans une perspective darwinienne, où la théorie de la
descendance avec modification et l'image de l'arbre phylogénétique sont appelées à
jouer un rôle décisif pour extirper des consciences l'idée d'une échelle des êtres.
Dès lors qu'on en vient à se considérer soi-même comme membre d'une communauté
de vie avec laquelle nous avons co-évolué, le tracé des frontières de ladite
communauté demande à être réexaminé. L'éthique environnementale tient sa
spécificité du fait qu'elle prend au sérieux la possibilité de concevoir les êtres vivants
non humains, ainsi que les composantes abiotiques du milieu naturel, comme des
patients moraux, c'est-à-dire comme des êtres susceptibles d'être présentés comme
des objets de préoccupation morale pour eux-mêmes.
Il ne s'agit donc pas de promouvoir des comportements normatifs vis-à-vis de
l'environnement non humain en fonction de la prospérité et du bien-être humain,
puisque cela revient à n'attribuer de valeur à la nature qu'en fonction des hommes
(donc une valeur instrumentale). Il ne s'agit pas davantage de promouvoir un usage
pondéré, un usage durable des ressources naturelles pour garantir la survie de
l'humanité. Ce que l'éthique environnementale revendique bien plutôt, c'est la prise
en compte morale de l'environnement non humain pour lui-même. Elle s'oppose à la
réduction des éléments composant l'environnement à de seules et uniques
ressources, et entend mettre au jour la nature comme lieu de valeurs intrinsèques
dont l’existence commande un certain nombre d’obligations morales.
Stéphane Afeissa, la communauté des êtres de nature
*
Mais tel a toujours été le propos de l’humanisme
Descartes n’était pas dualiste, ni le rationalisme auquel renvoie justement l’adjectif
cartésien, pour lequel l’homme n’a jamais été un empire dans un empire (Spinoza).
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