A l`heure de la mondialisation, quelle place pour l`Afrique

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Conférence sur l'Afrique Subsaharienne
Le 21/11/2012 de 13h30 à 16h00
Par Richard Banégas, au Lycée François 1er
A l’heure de la mondialisation,
quelle place pour l’Afrique subsaharienne ?
Après un bref rappel de ses travaux passés (sur la démocratisation au Bénin et Ouganda,
enjeux de citoyenneté et la violence en Côte d'Ivoire…), notre intervenant principal Richard
Banégas (professeur à Sciences Po et directeur de recherches au CERI) évoque d'emblée un constat
de marginalisation croissante de l'Afrique subsaharienne en politique, économie et stratégie
militaire, thèmes qui constitueront les 3 points de notre compte-rendu.
Cette région semblerait incapable de s'inscrire dans des flux mondiaux ou dans ce que l'on
appelle le « temps mondial de la démocratie » ou encore dans la modernité, point sensible abordé
par l'ex-président français Nicolas Sarkozy lors d'un discours à Dakar en 2007 par cette phrase
« l'Homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire ». Nous étudierons donc successivement la
place stratégique actuelle qu'occupe l'Afrique subsaharienne avant d'aborder son rôle économique
dans la mondialisation avant de conclure sur son intégration politique vis à vis des autres pays...
I- L'Afrique subsaharienne, une région tenue à l'écart des grandes décisions stratégiques.
Il apparaît d'abord clair que l'Afrique subsaharienne a perdu la place privilégiée qu'elle
occupait durant la Guerre Froide et l'opposition bipolaire entre l'URSS et les Etats-Unis.
Car si le mouvement des Non-alignés a peu pesé dans la balance, les gouvernements
africains avaient su jouer de cette opposition pour l'instrumentaliser à des fin politiques. Bien que
ces motivations puissent être contestables pour l'intérêt des habitants, les chefs d'Etats africains ont
ainsi pu se créer des partenaires puissants et fiables leur assurant un confort de vie et de puissance
important : ce fut par exemple le cas au Mozambique et en Angola où les guerres par factions
interposées ont permis des profits politiques pour le régime en place. Idem au Congo où le président
Mobutu (en échange d'uranium) a su gagner une place stratégique dans les relations avec les ÉtatsUnis.
Cette rivalité bipolaire a bien amené des contraintes pour ces pays mais c'était leur seule
chance pour gagner en intérêt militaire aux yeux des puissances militaires dominantes. Les régimes
en place, sous prétexte de défendre leur peuple contre d'éventuelles invasions par les deux blocs, ont
pu s'assurer un mandat pérenne tout en concluant des pactes commerciaux avec certaines de ces
puissances !
La Guerre froide fut ainsi synonyme d'obtention de pouvoir stratégique pour certains pays
d'Afrique subsaharienne et le tournant de 1989 marque ainsi un déclassement stratégique de
l'Afrique.
Ils sont brusquement livrés à eux-mêmes alors que tous les pays tournent leur regard vers les
États-Unis qui contemplent la chute de l'URSS au mépris des accords stratégiques passés avec
l'Afrique subsaharienne...
Or, cette marginalisation stratégique pourrait s'arrêter suite à l'intérêt progressif porté aux
« nouvelles menaces » dont AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique), les pirates en Somalie où les
pays instables dû à la ferme dictature (Swaziland…) et ainsi l'Europe ou les Etats-Unis concluraient
des pactes de stratégies militaires avec les pays africains « stables » afin de bénéficier d'un allié
local et/ou d'un rempart contre ces « nouvelles menaces ».
L'Afrique subsaharienne y trouverait quelque débouché intéressant pour des pays souhaitant
être intégré à la stratégie mondiale et qui pourrait par la suite bénéficier d'aides économiques,
politiques de la part des pays avec lesquels il avait déjà passé des contrats stratégiques !
Derrière l'impression d'un déclassement militaire mondial de l'Afrique subsaharienne, n'y
aurait-il pas un reclassement stratégique pour les meilleurs élèves de la région suite au nouvel
intérêt militaire des Etats-Unis surtout pour la région ? (Exemple pourrait être donné de la PanSahel Initiative menée par les USA visant à promouvoir les mesures de sécurité dans les pays
proches des « nouvelles menaces », l'Afrique subsaharienne pourrait-elle y trouver son compte en
terme de rayonnement stratégique mondial ?)
Mais l'avenir de l'Afrique subsaharienne n'en est pas moins indécis dans le domaine
économique où le terme « mondialisation » est au cœur des débats…
II- L'Afrique subsaharienne, de l'intégration régionale économique à la mondialisation ?
D'un point de vue factuel, les statistiques excluent froidement cette région du monde du
gotha économique mondial : alors que l'Afrique contient près de 10% de la population de la planète,
sa richesse produite n'excède pourtant pas les 1% du PIB mondial ! Son poids dans le commerce
international semblant négligeable, on est en droit de se demander si l'Afrique est réellement
intégrée dans le commerce mondial à l'heure où la mondialisation devient la norme pour la majeure
partie des pays développés…
L'Afrique subsaharienne attire en effet peu d'IDE (Investissements directs à l'étranger) et de
convoitises et il y a bien eu d'abord des tentatives d'intégration régionale pour développer un
marché intérieur mais les échecs furent plus nombreux que les réussites car les entreprises
étrangères étaient réticentes et frileuses, la spéculation défavorable (la bourse de Johannesburg est
la seule place financière d'Afrique subsaharienne) et des obstacles juridiques et politiques (régimes
dictatoriaux…) s'opposait à la bonne mise en place d'un marché intérieur.
On compte aussi plusieurs anciens dispositifs d'insertion économique de l'Afrique à l'échelle
mondiale, notamment l'AGOA (African Growth and Opportunity Act) qui fut une loi votée en 2000
par les États-Unis visant à favoriser les exportations vers l'Afrique subsaharienne or cela ne fut
valable que pour les pays pétroliers (Nigeria, Angola), seuls bénéficiaires de cette aide commerciale
à l'Afrique.
Les rapports économiques sont donc biaisés puisque l'Afrique subsaharienne en est réduite à
son intérêt pétrolier et concernant donc uniquement certaines régions pétrolifères…
L'Europe aussi tenta des partenariats économiques avec l'Afrique subsaharienne afin de lui
permettre d'émerger pour plus tard participer à la mondialisation :
La Convention de Lomé, signée en 1975 à Bruxelles, était censée créer des liens
économiques (import/export) entre les pays de la CEE (pas encore Union européenne à l'époque) et
les pays de l'ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), majoritairement d'anciennes colonies françaises ou
belges (Congo, Tchad, Mali, Bénin…).
La visée première de cette convention était de favoriser les échanges vers l'Europe de la part
de ces pays, le libre-marché ne leur permettant pas d'avoir un partenaire économique pérenne et
donc d'émerger, l'Europe se propose de devenir leur premier partenaire commercial en échange
d'aides économiques (priorité d'échange donnée aux denrées agricoles et minières provenant de
l'Afrique subsaharienne) et sanitaires.
L'aide au développement par un commerce intra-continental puis à long terme mondial était
le but de cette convention. Mais l'Europe a brûlé l'étape de l'intégration économique régionale et à
partir de Lomé 4, signée en 1990, les échanges ralentirent et les progrès furent mineurs de part et
d'autre à cause de plaintes déposées par d'autres pays (Pays d'Amérique du Sud, États-Unis,
Canada…) selon lesquelles ces partenariats iraient à l'encontre des accords du GATT (General
Agreement on Tarifs and Trade = Libre-échange soit la possibilité et le droit de commercer avec
n'importe quel pays étranger) et d'organisations supranationales économiques (comme l'OMC créée
en 1994 à Marrakech).
La convention de Lomé fut ainsi affaiblie et renommée en 2000 ,à son expiration, Accords
de Cotonou (Capitale du Bénin), bien moins ambitieux en terme d'insertion économique de
l'Afrique à l'échelle mondiale ; le libre-échange ayant été bafoué par des focalisations exclusives sur
quelques produits (cacao, arachide, café… privilégiés par l'Europe) et des échanges inégaux rendant
l'Afrique subsaharienne dépendante de ses partenaires alors que le but initial devait aboutir au
contraire ! (L'Europe exporte surtout des produits agricoles vers l'Afrique qui exporte des matières
premières à destination de l'Europe : ce n'est pas une source de revenu suffisante pour l'Afrique
subsaharienne qui est alors en retard sur la mondialisation car elle est uniquement spécialisée dans
un type de production).
En 2000, l'Europe tente une intégration économique régionale de l'Afrique avec la signature
des Accord de partenariats régionaux (APE) en complément des Accords de Cotonou : les pays ACP
se retrouvent groupés en 6 zones régionales de libre-échange avec une spécialité productive pour
chacune… Ce système perdurera jusqu'en 2008, date du constat d'échec de ces projets qui n'ont pas
réussi à développer le commerce africain à l'échelle régionale.
Les pertes sont donc conséquentes pour l'Afrique subsaharienne dont les relations avec le
reste du monde furent « forcées » par ces pays or le système économique et juridique africain n'était
pas prêt à supporter de tels changements conjoncturels : ce sont donc des plans d'ajustement
structurels qui furent lancés par la Banque Mondiale et le FMI dans les années 1980 avec comme
but la libéralisation du marché intérieur africain, l'assouplissement des droits de douane et la
réduction du budget de l'Etat alloué à l'économie.
Or ce pari néo-libéral échoua de la même manière car ces mesures furent imposées
violemment et le marché africain, loin d'être renforcé par des mesures de régulation par le marché
car n'étant pas indépendant financièrement et inapte à la concurrence intérieure, connut une crise
sans précédent qui rendit la mondialisation insupportable aux yeux des pays d'Afrique
subsaharienne.
Cela se traduisit par une montée de la contestation politique dans les années 1990 et une
remise en question des élites africaines qui pratiquaient la « politique du ventre » (basée sur des
mécanismes de prédation des ressources et d'un clientélisme patronale où des pactes avec des
grandes entreprises faisaient bénéficier aux élites des avantages injustifiés pour s'assurer leur
soutien politique).
En plus d'une marginalisation économique, s'ajoute alors une crise politique : peut on en
conclure que l'Afrique subsaharienne serait « déconnectée » du reste du continent ?
En réalité, si les projets officiels d'intégration régionale ou mondiale économique de
l'Afrique subsaharienne semblent avoir échoué, cette dernière demeure intégrée à l'échelle régionale
grâce à une multitude d'échanges informels.
Car les statistiques officielles ne prennent pas en compte le commerce informel (ou
économie souterraine avec travail au noir, trafic…) alors que les flux d'échanges entre puissants
contrebandiers contribuent à créer de la richesse pour beaucoup de pays d'Afrique subsaharienne.
C'est une intégration économique régionale par le bas mais non prise en compte par les statistiques !
C'est notamment le cas du Nigeria, Etat-région pétrolifère du globe et sujet de convoitises
étrangères mais qui devient un Etat-entrepôt dont les denrées convoitées sont également importées
et réexportées par des systèmes de contrebande africains. Il y a donc bien des échanges informels et
une économie intérieure propres à l'Afrique subsaharienne ! La dynamique est ainsi à la fois
intérieure (entre les pays d'Afrique subsaharienne) qu'extérieure (avec des pays étrangers : Arabie
Saoudite et ses réseaux souterrains en tête).
Donc, bien que les places financières officielles ne soient pas abondantes en Afrique
(Conakry ou Johannesburg), il existe beaucoup de petits réseaux souterrains organisés qui
contribuent d'abord à l'intégration économique régionale de l'Afrique subsaharienne par le bas.
Néanmoins, l'Afrique subsaharienne semble se diriger doucement vers la mondialisation et
ce par différentes voies : un commerce de « Land Grab » (Cession de terre) semble s'être développé
dans cette région où des pays asiatiques viennent acheter des terres arables pour s'assurer un stock
céréalier conséquent… C'est ainsi l'équivalent du Kenya en terres cultivables qui fut acheté ces
dernières années par Daeu, une compagnie coréenne, serait-ce le début de la mondialisation
économique pour l'Afrique subsaharienne ?
On constate en effet une diversification des partenaires stratégiques et commerciaux de
l'Afrique au fil des années en plus d'une diversité des secteurs dans lesquels l'Afrique subsaharienne
se développe (L'Europe et les Etats-Unis comme partenaires pour les matières premières et produits
miniers, l'Asie du Sud-est [Chine, Corée] et certains pays d'Amérique du Sud [Brésil...] pour les
produits et terrains agricoles…)
Après une déconnexion stratégique, y aurait-il une reconnexion économique de l'Afrique
subsaharienne avec le reste du monde ?
Quoi qu'il en soit, il convient d'étudier les conséquences politiques que ces processus
d'intégration régionale et mondialisation économique ont entraînées en Afrique subsaharienne.
III- L'Afrique subsaharienne , vers un progrès social et une démocratisation ?
Le but ici est de se demander si des transformations sociales et politiques dues aux
modifications stratégiques et économiques de la situation de l'Afrique subsaharienne ont eu lieu et
si elles ont pu améliorer la condition de ses habitants (« politique du ventre » remise en cause dès
les années 1990 comme vu précédemment).
L'émergence de revendications sociales de la part des plus pauvres a trouvé ses sources dans
ces modifications et elles ont contribué à un mouvement irrépressible de démocratisation en Afrique
subsaharienne : dès les années 1980-90, le Bénin avait amorcé une transition politique pacifique
vers la démocratie. L'Afrique du Sud, le Kenya ou encore le Ghana ont suivi ce mouvement et
abouti (pas toujours de manière pacifique ; Exemple : l'apartheid en Afrique du Sud fut un obstacle
violent au processus de démocratisation) à une république démocratique établissant un droit de vote
égalitaire pour les citoyens.
Mais tels des arbres cachant la forêt, ces pays masquent l'échec de la démocratisation dans la
plupart des pays d'Afrique subsaharienne qui conduit même dès fois à un renforcement des
dictatures ou à la restauration de régimes autoritaires (Guinée équatoriale, monarchie au Swaziland,
régime semi-présidentiel au Niger…). L'Afrique subsaharienne s'en retrouverait encore
marginalisée mais sur le plan politique cette fois-ci, or il faut nuancer ce constat car si les
mouvements de démocratisation ont souvent abouti à des mesures satisfaisantes, leur application fur
contrastée selon le pays...
L'ouverture au multipartisme fut un grand pas dans la plupart des pays de cette région mais
elle n'a souvent pas modifié la structure des élites qui continuent d'être privilégiés pour les études,
l'accès à l'information… et maintiennent ainsi un ordre inégalitaire contre lequel la jeunesse
africaine commence justement à se soulever.
Pour contrer un des avantages des élites, la modernisation des communications aurait du
desservir la population dans sa quête d'informations (réseaux sociaux , médias en ligne etc.) et bien
que la vision populaire de la politique ait complètement changé grâce au multipartisme (induisant
une concurrence politique, rarement connue auparavant) et à la démocratie locale accompagnée
d'une conscience civique et d'une responsabilité liée au vote, l'abstention reste importante car
certaines populations (malgré leur vote) se sentent manipulées et boycottent ainsi les votes locaux.
Mais ce phénomène reste quelque peu isolé car de manière générale, les pratiques de la
souveraineté nationale furent bouleversées par un nouveau processus de démocratisation mais se
pose alors un dilemme pour les nouvelles démocraties africaines : le pays est-il assez mûr
(indépendant de toutes influences étrangères) pour instaurer la démocratie ou la culture propre doitelle rester prédominante dans la société ? (ce qui implique certaines limitations au niveau des
échanges, des modes de vie… qui peuvent être en inadéquation avec les attentes de l'étranger par le
biais de la mondialisation : comme l'a dit Jacques Chirac dans les années 1990, « L'Afrique n'est pas
prête pour la démocratie ! »)
Il est vrai que les habitants d'Afrique subsaharienne accordent de l'importance aux traditions,
coutumes et leur système de valeur peut dès fois se heurter aux principes fondamentaux de la
démocratie (égalité devant la loi selon sexe, religion, origine sociale…) or, on retrouve partout une
volonté de modernité politique chez les habitants des pays d'Afrique subsaharienne …
Ces contradictions nous amènent à notre conclusion sur l'Afrique subsaharienne et son
avenir dans la mondialisation actuelle…
Conclusion : L'Afrique subsaharienne présente donc d'évidents atouts historiques en faveur de son
intégration mondiale car elle est, d'une certaine manière, mondialisée depuis les débuts de la
colonisation et le drame de la traite des noirs fut une sorte de premier pas vers l'échange avec le
reste du monde.
Mais au fil de l'Histoire, c'est la construction politique de ces sociétés qui a déterminé leur
rapport avec l'étranger. La stratégie africaine fut celle de la décentralisation du pouvoir : les
dirigeants d'Afrique subsaharienne se servaient des événements extérieurs (Guerre froide,
croissance ou crise des autres pays…) pour renforcer leur pouvoir intérieur. Or cette dynamique
intérieur/extérieur n'était bénéfique que pour une minorité d'Africains (les futures élites, pouvant
faire de longues études) et leur rapport d'abord privilégié avec le monde s'est vite dégradé en
égocentrisme africain qui freina leur innovation et invention et gaspilla leur atout de mobilité (vaste
continent) et leur hub démographique majeur pour l'économie (+ mines d'or en Afrique du Sud et
pétrole eu Nigéria longtemps inexploité par ces pays).
De nos jours, c'est l'imaginaire de réussite qui prédomine chez la plupart des (jeunes)
habitants des pays d'Afrique subsaharienne : faire ses études à l'étranger, faire fortune en Occident
puis revenir pour vivre aisément au pays d'origine est le but premier de ces sociétés.
Désormais, cela pourrait dépendre du bon vouloir de pays développés pour diffuser les
nouvelles technologies en Afrique subsaharienne et enfin permettre leur émergence économique et
une intégration politique, économique et stratégique mondiale !
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