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Islam in Indonesia: Religion and Public Life
in the World’s Largest Muslim Nation State
Compte-rendu de la conférence du Prof. Carool Kersten, du 22 février 2017
à la Fondation Universitaire de Bruxelles, réalisé par Abdessamad Belhaj
Le Conférencier
Carool Kersten est un historien spécialisé dans l’histoire intellectuelle de l’Indonésie,
et, occasionnellement, il mène aussi des recherches sur la pensée arabe contemporaine. Il est
professeur de l’islam et du monde musulman au King's College London et chercheur à la
SOAS (School of Oriental and African Studies). Le Prof. Kersten a publié deux ouvrages sur
l’histoire intellectuelle et religieuse en Indonésie : A History of Islam in Indonesia: Unity in
Diversity (Edinburgh University Press and Oxford University Press, 2017) et Islam in
Indonesia: The Contest for Society, Ideas and Values (Hurst and Oxford University Press,
2015).
Le contexte, en guise d’introduction du thème
La conférence Islam in Indonesia: Religion and Public Life in the World’s Largest
Muslim Nation State par Carool Kersten s’inscrit dans un cycle de grandes conférences 2016-
2017 intitulé "Islams et champs politiques" (ainsi que dans le cycle UCL SSH2020 Pensées,
Rationalités, cultures et sociétés d’islam). Ce cycle explore, dans des régions différentes, les
diverses logiques d’interaction entre les États, les mouvements politiques et l’islam.
Auparavant, le cycle a permis de saisir les usages, les constructions et les enjeux de l’islam en
Tunisie, en Turquie et en Algérie. Dans la perspective de diversifier notre compréhension du
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religieux et du politique en islam, le CISMOC a organisé cette grande conférence sur le cas
indonésien, menant la réflexion sur l’Asie du Sud-est, qui vue d’Europe, paraît lointaine.
Dans sa conférence Carool Kersten a d’abord fait la géo-histoire de l’islam en
Indonésie, et des rapports religion et État dans ce pays, depuis les premiers sultans musulmans
au 13ème siècle jusqu’à nos jours. Il y apparaît que des facteurs comme le commerce, la
position périphérique et la structure d’îles dispersées, sans pouvoir central comme sur le
continent asiatique, et le soufisme ont joué des rôles décisifs dans la lente, mais profonde,
islamisation de l’Indonésie. Une autre force a marqué l’histoire moderne de l’Indonésie, celle
du colonialisme hollandais entre 1602 et 1945. Au moment de la lutte anti-coloniale, des
groupes et des organisations islamiques émergent comme acteurs majeurs de la scène
politique aussi bien que de l’autorité religieuse en Indonésie. L’arrivée tardive et lente de
l’islam ainsi que la longue riode du colonialisme, de caractère mercantile, font de l’histoire
religieuse et politique de l’Indonésie une odyssée complexe et profonde. Malgré des
mouvements islamiques violents, la lutte anti-coloniale a été dominée par le nationalisme
sécularisé. Cela pose la question de savoir si cela n’a pas épargné la fragmentation à
l’Indonésie, pourtant très variée géographiquement, religieusement et ethniquement au point
de prendre le nom officiel des Etats-Unis d’Indonésie en 1949, n’ayant pas connu un
colonialisme extrême et une réaction religieuse extrême comme au Moyen-Orient.
L’État indonésien et l’islam, entre endiguement et alliance
Carool Kersten a distingué deux moments dans la relation de l’État indépendant
indonésien (1945) à l’islam et aux acteurs politiques qui s’y revendiquent: un moment
d’endiguement et un moment d’alliance. Sukarno (1945 1967), le premier président de
l’Indonésie a plutôt choisi la sécularisation et la marginalisation des groupes islamiques, par
l’endiguement de leur influence. Sukarno a réussi à unifier les Indonésiens autour d’éléments
qui sont sécularisés, mais suffisamment flexibles pour contenir les principes religieux. Sa
doctrine politique, la Pancasila consiste en cinq principes communs que Sukarno voyait
comme permettant la diversité dans l’unité ; le document connu sous le nom de la Charte de
Jakarta les cite ainsi : la Croyance en un seul et unique Dieu Tout-Puissant, Humanité
civilisée et juste, Unité de l'Indonésie, la démocratie par la sagesse intérieure et la recherche
de consensus, la justice sociale pour tous les Indonésiens.
L’équilibre indonésien que Sukarno croyait atteindre allait s’écrouler car des intérêts
particuliers n’ont pas été satisfaits. L’armée indonésienne ne se sentait pas en sécurité, du fait
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que Sukarno a permis aux communistes indonésiens de se renforcer. Les organisations
islamiques indonésiennes de masse n’appréciaient guère le sécularisme de Sukarno et son
nationalisme qui donnaient peu d’opportunités aux nouvelles couches sociales islamisées
indonésiennes. Ces considérations expliquent la montée au pouvoir de Suharto (1967), qui a
incarné l’alliance entre l’armée et les grandes organisations islamiques du pays (Nahdlatul
Ulama, etc). Cette alliance a facilité largement l’islamisation de l’Indonésie. La chute de
Suharto en 1998 et la démocratisation du pays n’ont pas trop changé ces rapports entre l’État
et l’islam, l’alliance armée-organisations islamiques continue à régner, bien qu’elle soit
plus discrète et plus ouverte à de nouveaux acteurs de l’islam. Cela se passe, en parallèle, à
des moments de crise et des tentatives de radicalisation au sein de certains groupuscules
islamiques.
Les organisations islamiques de masse
Une particularité bien indonésienne est la domination du champ de l’action islamique
par des organisations de masse plutôt que par des mouvements politiques ou des organes
officiels ou semi-officiels, comme c’est le cas dans le reste du monde musulman. Ces
organisations islamiques de masse sont des fédérations de théologiens et d’activistes
implantées sur tout le territoire et qui ont une longue histoire religieuse et politique, qui tantôt
agissent dans les coulisses de la politique, tantôt soutiennent ouvertement des partis politiques
particuliers, tout en restant, au moins dans le discours, des organisations religieuses et
sociales. On notera le poids religieux et politique que représentent l’organisation de la
Nahdlatul Ulama qui compte 40 millions de membres en 2013 et l’organisation
Muhammadiyah qui compte 29 millions de membres. Rien que par leur nombre, ces
organisations sont incontournables dans l’équilibre politique en Indonésie.
La Muhammadiyah a été fondée en 1912, par le fameux théologien indonésien Ahmad
Dahlan. Il s’agit d’une organisation qui adhère au réformisme musulman du mouvement islah,
porté entre autres par Muhammad ʻAbduh. L’organisation s’investit dans les écoles, les
cliniques et les universités ; elle remet en cause les bases de l’islam traditionniste, prônant un
nouvel ijithad, et une rupture avec l’héritage culturel indonésien non-islamique.
Nahdlatul Ulama est le concurrent direct de la Muhammadiyah. Elle a été établie en
1926 contre la ligne réformiste de la Muhammadiyah, jugée trop rationaliste. Nahdlatul
Ulama n’est pas salafiste mais traditionniste, reprenant une idéologie comparable à celle
qu’on retrouve dans l’islam officiel et semi-officiel au Maroc, à al-Azhar et dans les madrasas
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yéménites, avec le maintien de l’école shaféite dans le droit, la théologie Asharite-Maturidite
dans le dogme, et le soufisme sunnite modéré. Nahdlatul Ulama dispose d’un réseau social
important d’écoles, d’hôpitaux et d’universités.
Ces organisations de masse oscillent entre extension et détresse selon la force du
régime. Dans les années 1950, elles ont créé un bloc islamique qui a obtenu 44.8% des voix
avec le slogan de faire de l’Indonésie un État islamique. Sukarno a annulé les résultats de ce
scrutin. Dans les années 1980, au pic du pouvoir de Suharto, ces organisations se sont retirées
pour s’occuper « uniquement » des affaires sociales et religieuses. Avec la faiblesse du régime
dans les années 1990, les deux organisations ont été à la pointe de la protestation qui a mené à
la chute de Suharto en 1998. Le président de la Nahdlatul Ulama Abdurrahman Wahid a été
élu président de l’Indonésie en 1999.
La révolution des intellectuels
Carool Kersten a consacré une part de sa conférence à l’exposition de la pensée
musulmane critique dans le contexte indonésien. Il a eu recours au critère de génération pour
distinguer entre deux types de discours critiques : un discours moderniste porté notamment
par le penseur Nurcholish Madjid (m. en 2005), une figure emblématique de la pensée
religieuse et politique en Indonésie, et dont l’herméneutique coranique a atteint un public
musulman à l’extérieur aussi. Le deuxième discours qu’il a présenté est celui d’une jeune
nération d’intellectuels appelés postra.
Nurcholish Madjid a poussé le discours de la Muhammadiyyah davantage vers
l’examen critique de la pensée traditionniste islamique ; la notion d’ijtihad n’est pas pour
Madjid seulement un effort intellectuel juridique indépendant, mais une lecture nouvelle et
globale de l’islam, basée sur les notions de démocratie, tolérance et liberté. Madjid s’est aussi
fait connaître par sa défense du sécularisme et des minorités en Indonésie.
C. Kersten a notamment exposé les œuvres de quelques jeunes intellectuels
indonésiens qui mènent un travail de dépassement de la pensée réformiste à partir d’une
critique épistémologique. Ces jeunes penseurs intègrent des idées critiques venues du monde
arabe, des outils des sciences humaines en Occident et un héritage intellectuel très riche de
débats entres générations en Indonésie. A l’intersection de ces héritages, ces nouveaux
intellectuels indonésiens critiques mettent en avant une sensibilicosmopolite qui embrasse
la tradition musulmane tout autant que des discours libéraux ouverts sur l’altérité et les droits
de l’homme. Ce courant d’idées est appelé, en Indonésie, le post-traditionalisme musulman.
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Ces jeunes intellectuels indonésiens sont sous l’influence particulière des penseurs arabes tels
le marocain Muhammad ‘Abid al-Jabiri et le franco-algérien Mohammad Arkoun.
Les limites du modèle indonésien
Le conférencier n’a pas manqué de rappeller les limites du modèle indonésien. La
province d’Aceh, qui a mené une longue guerre islamiste contre Jakarta, applique aujourd’hui
la loi islamique et bénéficie d’un statut d’autonomie. Elle n’est pas la seule branche de
l’islamisme radical en Indonesie: il y a aussi la Jemaah Islamiyah, qui a commis les attentats
de Bali en 2002, qui a tué 202 personnes. Même les organisations islamiques dites modérées
telle la Muhammadiyah ont participé aux cotés de l’armée aux massacres entre 1965 à 1966
contre le Parti communiste indonésien, des massacres que ces organisations islamiques ont
nommés djihad. En 1998, les membres de Nahdlatul Ulama ont été tués par des émeutiers à
Banyuwangi, dans l'est de Java. La loi contre le blasphème (article 156) du Code pénal a
permis des procès contre des intellectuels et des émeutes contres des personnalités politiques
comme cela a été le cas contre le gouverneur chrétien de Jakarta en 2016.
Cela dit, certes nous ne sommes pas ici face à un modèle de confrontation entre islam
et politique (comme en Egypte ou en Algérie), d’endiguement total (comme au Maroc), de
mariage (comme en Iran et en Arabie Saoudite), mais dans une logique d’alliance avec des
confrontations violentes, durant les crises. L’alliance entre l’islam politique et un système
politique démocratique et sécularisé pose la question de la pénétration des organisations
islamiques de masse du système. Une des questions que la conférence de C. Kersten suggère
consiste à se demander où se situe, au-delà de l’islamisme, le seuil de tolérance possible pour
l’islam politique, sans que ce dernier ne remette en question le sécularisme d’un État? Est-ce
que la présence d’organisations islamiques de masse dans les secteurs sociaux, économiques
et éducatifs, n’engendre pas un capital politique inévitable prêt à s’exprimer dès que le
système politique traverse une crise?
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