Jean-Louis Guigou
2
rÉiat-nation
est
Irop
petit
pour
les
grands
problèmes
el
trop grand
pour
les
petits
problèmes
»
Daniel
Bel!
Au
cours
des
XIXe
et XXe
siècles,
se
sont
édifiées
et
confondues
en
Europe
les
notions
d'État,
de
nation
et de
territoire. Mais, aujourd'hui,
les
États
s'affaiblissent,
pris
en
ciseau entre d'une
part
la
mondialisa-
tion
de
l'économie
et la
construction
de
grandes régions,
d'autre
part
les
exigences croissantes
de
décentralisation.
Les
nations
se
disloquent,
faute d'être unies contre
un
ennemi
commun
et du
fait
d'un
processus
simultané
d'uniformisation
et de
revendications identitaires.
Les
terri-
toires
eux-mêmes
se
fragmentent sous
l'effet
de
divisions fonctionnelles
et
de
segmentations
sociales.
Faut-il
en
déduire
que
cette
fin de
siècle sera marquée
par la fin
des
États-nations
et le
déclin
du
pouvoir souverain
qu'ils
exercent
s
ut-
leur territoire
? Par
l'émergence
de
villes-États
«
branchées
» sur
!'économie-monde,
détachées
de
leur arrière-pays, relégué
à
l'état
de
banlieues
ou de
désert
?
Tel
n'est
pas
l'avis
Jean-Louis Guigou
qui
plaide pour
un
État
rénové,
garant
de
Vunité
et de la
cohésion
de la
nation, animé d'un
dessein
unificateur.
Par
contre,
en
effet,
le
rôle
et
les
modalités
de
fonctionnement
de cet
État
devront
être profondément
modifiés
en
tenant compte
d'une
part
du
développement nécessaire
de
grands
ensembles
pluri-nationaux
au
sein desquels devront être
mutualisés
les
risques liés
à la
mondialisation,
d'autre part
de
l'indispensable
décen-
1.
Texte
tiré d'une conférence donnée
par
J.L. Guigou
à
l'Université
de
Rabat (Maroc)
le
18
avril
1996.
2.
Professeur
agrégé
des
Universités.
Directeur
à la
Délégation
à
l'Aménagement
du
Territoire
et
à
l'Action Régionale (DATAR), France.
Les
réflexions
prospectives n'engagent
pas la
DATAR.
21
futuribies
septembre
1996
tralisation
ei
déconcentration
eut
profit
d'instances
régionales
recom-
posées.
Le
directeur
à
la
DATAR
plaide
ici
pour
lu
constitution
en
France
de
cinq
à
sept
grandes
régions
et la
constitution
de «
pays
»
dotés
de
véritables
pouvoirs
politiques.
Il
revendique
aussi,
au
profit
de sa
propre
administration,
un
pouvoir
régulateur
et
d'animation
renforcé.
H.J.
La
définition
des
termes
importe
;
celles-ci
sont
extraites
du
Grand
Larousse
universel.
État:
Société
politique
résultant
de la
fixation,
sur un
territoire
délimité
par des
frontières, d'un groupe humain
présentant
des
caractères plus
ou
moins marqués d'homogénéité
culturelle
et
régi
par un
pouvoir
institutionna-
lisé.
Éléments centraux
de
l'administration
;
forme
de
gouvernement
;
ensemble
des
pouvoirs
publics
par
opposition
aux
citoyens.
Tous
les
Etats
ont
le
même
attribut
: la
souveraineté.
Nation
:
Ensemble
des
êtres humains
vivant
dans
un
même
territoire,
ayant
une
communauté d'origine, d'histoire,
de
culture
et de
traditions, par-
fois
de
langue
et
constituant
une
communauté
politique.
Entité abstraite,
col-
lective
et
indéniable, distincte
des
individus
qui la
composent
et
titulaire
de
la
souveraineté.
« La
Nation,
c'est
un
vouloir
vivre
collectif
»
(Ernest Renan).
•—
Territoire
:
Étendue
de
terre
qui
ressortit
à une
autorité
et à
l'histoire d'une
communauté humaine
(j'ai
rajouté
ce
dernier membre
de
phrase).
Plusieurs
questions
se
posent
:
Quelles relations
y
a-t-il
entre
les
trois éléments
l'État,
le
Territoire
et la
Nation
: la
Nation
se
confond-elle avec l'État
et
avec
son
territoire
? Y
a-t-il
confusion
? Y
a-t-il
disjonction
'?
L'État-nation
constitue-t-il
une
catégorie
à
part
? Y
a-t-il
des
États avec
plusieurs Nations
? Y
a-t-il
des
nations sans État
?
-—L'équilibre
État-nation-territoire
dans
un
rapport harmonieux
1/1/1
serait-
il
rompu
avec
la
mondialisation
de
l'économie
et
l'abaissement
des
fron-
tières
?
Dans
un jeu
ouvert
à la
compétition globale,
faut-il
espérer
que le
rôle
des
États-nations reste
inchangé
?
Comment évoluent
les
États
dans
une
période
de
paix mondiale
? Les
États
et la
nation
ne
sont-ils
puissants
qu'en
période
de
menace
de
guerre
?
Sont-ils contestés
par les
règles
de
l'économie libérale
mondiale
?
Après
les
États-nations
du XXe
siècle,
verrons-nous
surgir
de la
fragmen-
tation
des
nations
et des
groupes sociaux,
des
régions-États
et
même
des
villes-États
?
22
"
Etat,
nation,
territoire
: la
recomposition
Faut-il
parler
de la «
fin
» des
territoires
(B.
Badie)
3
? De la «
fin
» des
États-nations
(K.
Ohmae)
4
?
Afin
de
répondre
à ces
questions complexes, nous gagnerions
à
éliminer
en
premier
lieu
les
modes qui,
en
cette
fin
de
siècle,
consistent
à
voir
des
«
fins
»
partout
et des
commencements
nulle
part.
La
«fin
» de
l'histoire
et
le
dernier homme (Francis
Fukuyama).
la
«fin
» du
Travail
(Jeremy
Rifkin),
la
«fin
» des
territoires
(Bertrand Badie),
la
«fin
» des
États-nations
(Kenichi Ohmae), sont
des
expressions
qui
recherchent souvent
le
sensation-
nalisme plus
que la
précision.
Néanmoins,
on
peut
penser
que la
mondialisation
de
l'économie,
associée
au
renouvellement
des
technologies
de
communication (NTIC)
et de
trans-
ports
à
grande vitesse modifient fondamentalement
les
relations qu'établis-
sent
les
États, leurs peuples
et
leurs territoires dans
un
contexte
de
paix
prolongée.
s
lors, pour
se
maintenir,
les
États
ont
certainement
à se
trans-
former
en
profondeur pour
s'adapter
à des
nouvelles
réalités.
De la
convergence
à la
divergence
entre
Etat-nation
et
territoire
Bertrand
Badie
montre
très
bien
comment nous avons
assisté
au
cours
des
XIXe
et XXe
siècles,
à une
convergence très forte entre
la
Nation
et la
conception politique
de
gestion
du
territoire conçu comme
le
support
exclu-
sif
de
l'autorité
de
l'Etat
État-nation
et
territoire
ont de
fait
été
longtemps superposés l'un
à
l'autre.
A
une
nation
correspondait
un
territoire
et un
État
;
c'était
l'harmonie
du
module 1/1/1.
Les
États
qui
regroupaient
plusieurs
nations
sur
leur
territoire
comme
par
exemple l'URSS
-
furent
l'exception.
Or,
désormais, sous
l'effet
de la
mondialisation
de
l'économie, sous l'effet
de la
mobilité généralisée,
des
hommes,
des
capitaux,
des
marchandises
et des
informations, sous
l'effet,
aussi,
des
revendications ethniques
de
plus
petits groupes
en
quête
de
leur
identité,
des
distorsions
s'opèrent
au
sein
du
triptyque
État/nation/territoire.
La
fragmentation
est à
l'œuvre
et
prospère dans
un
contexte
de
paix retrou-
vée.
L'URSS
s'est
disloquée,
la
Tchécoslovaquie
et la
Belgique
se
sont frag-
mentées, l'Espagne
et le
Royaume-Uni sont menacés dans leur unité.
3.
BADIE
Bertrand.
La fin des
territoires.
Essai
sur le
désordre
international
ei
sur
l'utilité
sociale
du
respect.
Paris
:
Fayard,
1995.
4.
OHMAE
Kenichi.
The End
ofthe
Nation
Srate
: The
Rise
of
Régional
Economies.
New
York
:
The
Free
Press.
1995.
23
...
, .
futttribles
septembre 1996
Les
États
s'affaiblissent,
pris
en
tenaille
entre
la
constitution
de
grands
ensembles
économiques comme
l'Union
européenne
ou
l'AELE
et les
exi-
gences croissantes
de
décentralisation.
L'État
ne
peut
plus,
au nom de
l'inté-
t
général,
faire
ce
qu'il
veut,
où il
veut,
quand
il
veut, comme
il
veut.
Sa
souveraineté
devient
limitée
devant
des
politiques
supranationales
et
infra-
nationales
qui
émergent
et
s'ordonnent.
Le
prospectiviste
japonais
Kenichi
Ohniae
considère
que
quatre
forces
se
combinent
pour
usurper
le
pouvoir
économique
des
États
: le
capital,
les
entre-
prises
multinationales,
les
consommateurs
et la
communication.
Ne
contrôlant
plus
les
flux
qui
traversent
leurs
frontières,
difficilement
leur
monnaie
et
les
facteurs
immatériels
de la
concurrence,
les
Etats contrôlent
de
moins
en
moins
l'activité
économique
alors
qu'ils
ont de
plus
en
plus
de
régulation
sociale
à
réaliser.
La
question
se
pose
de
fait
de
savoir
si les
États souverains
résiduels
ne
sont
pas en
voie
de
devenir
des
caisses
de
compensation
et de
mutualisation.
«
Les
États-nations sont-ils
devenus
des
dinosaures
en
train
de
mourir
? »
s'interroge
K.
Ohmae
?
D'une
part
Joseph
Le
Bihan5 observe
la
montée
des
petites
nations
dans
la
hiérarchie
des
territoires prospères parce
qu'ils
font
preuve d'une
meilleure
réactivité
et
d'une
plus
grande vigilance
que les
grands États-nations
et
dis-
posent
des
mêmes avantages d'accès
aux
grands marchés.
D'autre part, Kenichi Ohmae conclut
au
dépérissement
des
grands
États-
nations économiques
et à
l'émergence
de
régions économiques ouvertes
à la
compétition mondiale,
en
particulier
les
régions
frontalières
et
littorales.
Des
Régions-États émergeraient comme
Taïwan,
le
Nord Mexique,
le
nord-ouest
des
États-Unis,
la
Lombardie
et
même
des
villes-États
comme Singapour,
Hong
Kong...
La
paix
retrouvée,
et
prolongée n'est
pas
bonne pour
les
États
qui
ne
peuvent
que
constater
que le
consommateur devient roi.
Cette vision manichéenne
-
l'économie,
la
concurrence
et
l'abondance
disloquent
les
nations,
la
guerre
et la
pénurie vivifient
les
nations
doit
certes
être nuancée.
Pour l'essentiel
c'est
la
prétention
des
États centraux
unitaires
ou
fédé-
raux
à
réguler
l'ensemble
des
rapports économiques
et
sociaux
ce
saint-
simonisme
du
second
XXe
siècle
dont parlait
F.
Perroux
qui
doit être revu
à
la
baisse.
Faut-il
pour autant tirer
du
constat
que les
États
ne
peuvent plus prétendre
avoir
la
même emprise dirigiste
sur
l'économie,
la
conclusion qu'ils
sont
pour
autant
condamnés
par
l'histoire
?
C'est aller
un peu
vite
: les
États
peuvent
et
savent
s'adapter
mais
la
menace
d'affaiblissement
est à
prendre
au
sérieux.
5.
LE
BIHAN Joseph.
Entretien
:
1995.
24
Vers
la fin des
Étals-nations
? ».
Enjeux
les
Échos,
décembre
Etat,
nation,
territoire
: la
recomposition
Changements
optimaux
dans
le
processus
de
décision opérationnelle
au fur et à
mesure
que
nous passons
de
l'ère
industrielle
à l'ère de
l'information
AVANT
La
montée
de
la
région/État
DE
NOS
JOURS
L'ère
industrielle
Epoque
XIXe
et XXe
siècles
Description
Impulsé
par
gouvernements
nation/État
Souveraineté nationale
Dirigisme
par
forces
centrales
Sensibilité
frontalière
Préférence pour
le
capital
domestique
et
protection
des
sociétés
domestiques
Vise
la
prospérité
uni-étatique
via Se
développement
des
exportations
et la
croissance
économique
par la
production
manufacturière
Initiatives gouvernementales
Un
gouvernement efficace
renforce
les
industries prioritaires
Tout changement
se
fait
graduellement
à
travers
les
décennies
Les
gagnants
L'Allemagne
Le
Japon/les
«
nouveaux Japons
Le
Royaume-Uni
Les
États-Unis
L'ère
de
l'information
Fin
du XXe
siècle,
XXIe
siècle
Impulsé
par le
capital
privé
et
l'information
Souveraineté
du
citoyen
Réseaux
autonomes
d'entreprises
privées
interdépendantes
et
d'entités
régionales
Essentiellement
sans frontières
Accueil
du
capital
étranger,
des
sociétés
internationales
et de
leur expertise, création
d'emplois
à
haute valeur ajoutée
Objectif
: une
prospérité régionale harmonieuse
basée
sur des
sociétés interdépendantes liées
par
des
réseaux
qui
créent
des
services
d'échanges
d'information
intensifs pour
tirer
une
plus-value
du
consommateur
Initiatives
entrepreneurs
al
es
Un
bon
gouvernement
encourage
le
développement
régionai
au
lieu
de se
concentrer
sur une
industrie précise
II
se
passe
des
changements
rapidement
en
l'espace
de
quelques années,
voire
mois
Hong
Kong/Shenzhen
Singapour/Johore/Batam
Taïwan/Fujian
Le sud de la
Chine
(le
delta
de ia
rivière
des
perles)
Lesudde!'(nde
(par exemple, Bangaiore)
Le
nord
du
Mexique/Le
sud-ouest
des
États-Unis
La
vallée
du
Silicium (Californie)
La
Nouvelle-Zélande
La
Lombardie
Le
nord-ouest (côte Pacifique)
des
Etats-Unis
La
définition
d'une région-État
: un
territoire
(souvent transfrontalier)
qui se
développe autour d'un centre écono-
mique
régional
et qui a une
population
variant
entre
quelques
millions
et
10
à 20
millions.
Source
:
OHMAE
Kenichi.
Op.
cit.
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