théâtre
La lettre du 10 / janvier / février / mars 2003
Le théâtre, de comédie ou de tragédie, porte du sens, qu’on le
veuille ou non, car c’est un moyen d’expression qui n’existe qu’au
regard d’un public. C’est ce regard des autres, qui, avant tout
autre chose, justifie et nourrit la pratique théâtrale. En cela, le
théâtre est politique. Vouloir réunir le plus grand nombre de
personnes dans un même lieu, pour exprimer devant elles le
propos d’un auteur que l’on a fait sien est une ambition
merveilleuse, mais qui nécessite un minimum de discernement :
dans le choix du public que l’on privilégie (des habitués ou des
inconnus, des jeunes ou des moins jeunes), dans le choix du
sujet (léger ou grave, particulier ou universel), dans le choix de
l’auteur (reconnu ou méconnu), dans les moyens que l’on se
donne pour être compris (travailler vite et d’instinct ou réfléchir
longuement), comme dans ce que l’on doit retenir de la critique
(celle de ses enfants, ou celle du maire, celle de ses amis, celle
de la troupe voisine)…
Le discernement n’est-il pas, d’ailleurs, d’abord une grande quali
de metteur en scène.
Bon… Au travail.
Bertrand Chauveau
LA LETTRE DU THÉÂTRE AMATEUR DE LA MAISON DE LA CULTURE DE LOIRE-
ÉDITORIAL
Nous, le public, le théâtre
et le discernement…
AMATEUR
Nous, le public, le théâtre
et le discernement…...................................................... p 1
A rideaux ouverts
sur le théâtre de boulevard ...................................... p 2
Commentaires dramaturgiques
sur Le Voyage de monsieur Perrichon ............... p 4
Animaton & culture de Derval................................ p 5
Amateurs d’Avignon..................................................... p 6
Agenda.................................................................................. p 8
SOMMAIRE
Voilà : la machine tourne à nouveau à plein régime : ici on joue
Agnès Jaoui, Jean-Noël Fenwick, partout Georges Feydeau.
C’est le “run» d’automne… après la trêve des confiseurs on repart
pour le “run» d’hiver… jusqu’en avril-mai et les festivals, puis
juin et les présentations des travaux des ateliers.
Car, à l’instar des troupes, les ateliers théâtre” fleurissent (nous en
connaissons 60 sur le département). Hebdomadaires ou mensuels,
débutants ou initiés, ados ou adultes, on se retrouve pour faire
du théâtre, sous les méchants néons d’une salle polyvalente ou
les cintres obscurs d’un théâtre endormi.
On bouge, on se relaxe, on parle, on se regarde… Sur le dépar-
tement 1000 à 1 500 personnes (sans doute… un jour nous
prendrons le temps de compter) participent à ces ateliers, portées
par des motivations très variées :
Rencontrer du monde, vaincre sa timidité, agir, maîtriser des
techniquesoui, le théâtre amateur permet çacomme le foot,
la vannerie, les langues étrangères ou le syndicalisme…
Ouvrir les yeux, cultiver ses talents, son esprit, son bon goût,
exprimer les richesses enfouies au plus profond de nous… oui,
le théâtre amateur permet ça… comme la peinture, le chant
choral, la littérature ou l’art floral…
Mais le théâtre, lui, activité collective et cérébrale, qui sert
les hommes, leur intelligence et leur bonheur, ne peut être
cantonné à la seule satisfaction des envies ou des
besoins propres à ceux qui le pratiquent.
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10 ■La lettre du théâtre amateur janvier / février / mars 2003
Le théâtre de boulevard
Avec six pièces de Georges Feydeau et deux d’Eugène Labiche à l’affiche, le “boulevard” des origines
tient cet hiver la dragée haute au boulevard contemporain chez les troupes amateurs du département.
Et la MCLA n’est pas en reste avec LAffaire de la rue de Lourcine et Le Voyage de monsieur Perrichon, de Labiche,
présentés à l’Espace 44 en janvier et septembre derniers. Fort heureusement, les metteurs en scène n’ont pas que
cela à se mettre dans l’esprit, mais, devant cet engouement, qui ne se dément pas, il nous a semblé bon de consacrer
quelques pages de notre “lettre” à ce genre théâtral au public infatigable : “Le théâtre de boulevard».
Nous empruntons d’abord une présentation générale à Michel Corvin, rédacteur du Dictionnaire encyclopédique du
théâtre Larousse. Puis nous reproduisons les “Commentaires dramaturgiques sur Le Voyage de monsieur Perrichon
rédigés par Yannick Mancel pour le second carnet de la MCLAconsacré à Labiche.
A rideaux ouverts
sur le théâtre de boulevard
Perçu aujourd’hui comme une entre-
prise de pur divertissement teinté
d’érotisme le canisme élémen-
taire de la chasse au plaisir est pimenté
de surprises (coups de théâtre) et de jeux
de langage (mots d’auteur), le théâtre de
boulevard a connu pendant sa période
de plus grande vitalité (avant la Seconde
Guerre Mondiale) une dimension satirique,
voir politique qui faisait de lui une forme
dramatique à part entière.
L’âge d’or
Le boulevard, comme esthétique, est issu
des boulevards de l’ancien Paris (du Temple
dit Boulevard du Crime) se jouaient
pour un public populaire pantomimes
et mélodrames. Les bouleversements
sociaux, les clivages géographiques et la
spécialisation des publics ont laissé au
boulevard, tel qu’il est conçu à partir du
second Empire, la part du divertissement
représentée par le vaudeville et la comédie
d’intrigue. Plus tard encore, sous la IIIe
république, vaudeville et boulevard se
distingueront sans que jamais d’ailleurs
les cloisons soient étanches. En revanche,
le boulevard élargit alors sa juridiction du
côté du drame avec les Bataille, Brieux,
Hervieu, Capus et surtout Bernstein :
ils font du boulevard sérieux, issu de
la tradition bien française de l’analyse
psychologique. Mais il n’y a pas de dif-
férence de nature entre les deux formes
de boulevard : l’un et l’autre recourent aux
moyens de la rhétorique, pour provoquer,
l’un l’émotion par l’emphase et le pathos,
et l’autre emporter la conviction par le
rire. Des deux côtés on a affaire à une
dramaturgie démonstrative qui ne saurait
se satisfaire d’une simple intrigue, qu’elle
soit plaisante ou dramatique. Encore que
le théâtre d’intrigue soit la tentation du
boulevard gai comme le mélodrame est
la tentation du boulevard sérieux. Mais
le naturalisme dont l’influence, sourde ou
directe, a marqué tous les écrivains nés à
la littérature avant 1900 sert d’antidote au
mélodrame comme au vaudeville.
Mélange de gratuité et de sérieux allant
du vaudeville et de la comédie d’intrigue
(T. Bernard, de Flers et Caillavet, Verneuil) à
la satire sociale (Courteline, Renard, Deval)
en passant par l’analyse psychosociale de
cas dramatiques (Bernstein, Bataille), le
théâtre de boulevard a connu jusqu’aux
années trente une période de faste : la
production est intense (une cinquantaine
de pièces sont montées chaque saison à
Paris), les directeurs de théâtre sont des
brasseurs d’affaires et de célébrités mon-
daines, les vedettes (C. Boyer, V. Boucher,
Y. Printemps) sont adulées et imposent leur
loi. Le public est infatigable. Le théâtre
de boulevard est une fête.
Les anes trente marquent un tournant
la personnalité de nouveaux dramaturges
se conjugue avec l’évolution des mœurs
pour amener le boulevard à couvrir un
champ si vaste que les catégories drama-
turgiques et thématiques précédemment
inventoriées se révèlent largement ino-
pérantes. Les Pagnol et les Bourdet sont
plus mordants, plus amers, plus lucides
que leurs aînés, moins soucieux d’aller
au-devant des désirs du public : les futi-
lités d’avant-guerre ne leur suffisent plus,
dautant qu’un certain nombre de thèmes, à
cause précisément de la guerre, s’épuisent
et, perdant toute valeur de scandale, per-
dent tout intérêt dramatique : par exemple
les relations sexuelles pré ou para-conju-
gales, les conflits d’autori interfamiliale.
La crise économique de 1930 fait éclater
les vieilles structures et Bourdet n’est pas
3La lettre du théâtre amateur ■ 10janvier / février / mars 2003
faisant s’interpénétrer, jusqu’à la
perte de leurs différences, le rêve
et le cu, le scénique et l’objectif.
Achard ouvre encore une autre
voie au boulevard : celle de la fan-
taisie poussée jusqu’au fantasme.
C’est de ce côté-là que s’orientera
M. Aymé, sans rien renoncer de
sa virulence polémique et de son
anarchisme latent.
A partir de quoi, comparativement,
l’évolution récente du boulevard
paraît plutôt une régression : les
dramaturges tantôt exploitent
avec adresse des thèmes, actuels
dans l’anecdote, mais dépourvus
de force du fait d’un humanisme
édulcoré et souvent grognon,
quand ils ne se contentent pas de
débrouiller pour le simple plaisir
du jeu une intrigue reposant sur
quelques données indifremment,
psychiques ou sociales (Barillet et Grédy,
Sauvajon, Camoletti). Seule F. Dorin fait
preuve de réelle subtiliet d’un sens aigu
du théâtre en renvoyant au boulevard sa
propre image aussi bien dans ses thèmes
que dans ses formes. Jeu très intellec-
tuel, bien propre à éveiller la méfiance
du public, si Dorin n’avait l’habileté de
recourir à des vedettes fêtées et d’enrober
ses hardiesses de quelques concessions.
Une dramaturgie de l’effet
Aussi le boulevard ne saurait-il être qu’une
forme hybride dont le territoire mal déli-
mité a l’avantage d’accueillir aussi bien
la comédie (de mœurs, légère, satirique
ou de caractère) que le drame (social et
psychologique). Leurs caractéristiques
communes, malgré la différence de ton,
sont thématiques d’abord : le boulevard ne
s’intéresse aux hommes que sous l’angle
de leur vie privée ; le domaine exploité est
celui de l’amour, du couple, de la famille,
soit du social quotidien. Le particulier seul
mobilise le boulevard mais le particulier à
l’usage du plus grand nombre. réside le
didactisme : dans un constant désir de tirer
de l’anecdote une perspective d’ensemble
sur l’état de la société ou des leçons de
conduite pour la vie de tout un chacun.
Attitude doublement paradoxale puisque,
à première vue, le boulevard comique ne
songe qu’à faire rire et le boulevard
sérieux qu’à présenter des études de cas,
intéressants à proportion de leur caractère
exceptionnel.
Que le boulevard fasse rire ou pleurer, la
pièce est réussie si elle est “bien faite».
Formule un peu magique, comme d’une
recette dont on ignorerait le secret et qui
relève de critères moins dramaturgiques
que sociologiques : une pièce est “bien
faite» si elle va au-devant du spectateur
par ses procédures insistantes d’étroite
rationalité (tout doit s’expliquer et s’ex-
pliciter au boulevard), de progressivi(le
conflit linéaire une fois posé en termes
nets et simples est emporté dans un
mouvement, régulier ou accéléré mais
toujours perceptible et qui achemine les
personnages vers une fin imparable), de
clarté : les personnages sont des types
aux traits marqués sinon génériques qui
permettent de savoir immédiatement “à
qui on a affaire». Le tout est surindiqué
à coups de redondance et de procédés
rhétoriques (gradation et concentration des
effets, antithèses et hyperboles). Le clou»
résidant dans la (ou les) scène(s) à faire,
sorte de climax” de la tension dramatique
ou de l’explosion comique.
Mais le grand boulevard ne serait rien sans
son langage, et dans son langage, sans
ses “mots d’auteur «, mots qui témoignent
de la présence diffuse mais permanente
de l’écrivain, assez habile pour mener
constamment un double jeu de langue,
le second étant évidemment le plus impor-
tant, à la fois par sa charge érotique et par
la connivence qu’il établit avec le public.
Ces mots, il y en a de toutes sortes : des
calembours, des à-peu-près, des glisse-
ments du sens propre au sens figuré, des
détournements de formules toutes faites
ou proverbiales, des effets de rime, des
symétries rythmiques et syntaxiques, en
somme tous les procédés propres à pro-
voquer un dédoublement du sens ou, par
recours à la forme maxime, ramassée et
sentencieuse, à transmettre la “sagesse»,
généralement paradoxale et coquine, de
l’auteur (Guitry y est passé maître).
Largement déconsidéré comme contenu
depuis que le théâtre a élargi sa juridic-
tion jusqu’au métaphysique (théâtre de
l’absurde) et comme forme depuis que le
langage a cessé d’être le moteur privilég
de l’action scénique, le boulevard n’a de
chance de renouvellement que s’il accen-
tue, grâce à de grands acteurs comme J.
Poiret, J. Lefebvre, J. Maillan, J. Villeret,
J. Dufilho, sa dimension de jeu et de
gratuité ironique.
Le théâtre de boulevard
BIBLIOGRAPHIE
Le théâtre de boulevard
Ciel mon mari !
d’Olivier Barrot
Gallimard
Le théâtre de boulevard
de Michel Corvin
PUF - Que sais-je
Les cités du théâtre d’art
de Stanislavski à Strehler
Editions théâtrales
le seul (il sera relayé par Anouilh, Aymé
et Marceau) à dénoncer la fragilité d’une
sociéqui suinte le mensonge et les faux-
semblants, alors qu’une éthique de retour
à la nature et aux vertus simples est en
train de naître avec le Front Populaire. Le
théâtre de boulevard rit jaune et la plaisan-
terie gaillarde fait place au sarcasme (A.
Savoir, Steve Passeur). Du coup, il devient
difficile d’enrégimenter dans le bataillon
du boulevard les nouveaux écrivains, tout
autant qu’il devient difficile pour le public
de retrouver son paysage culturel familier.
Menacé par le cinéma, le boulevard s’in-
quiète mais la vraie raison de sa défaveur
(qui se fera sentir surtout après la Seconde
Guerre Mondiale) tient au divorce, entre les
dramaturges et les spectateurs qui, restés
files à leurs anciens “patron (un Guitry
traversera vaillamment toute la période
de l’entre-deux-guerres), s’étonnent et
désertent.
Un nouveau boulevard ?
Le concept de boulevard se dilue au
bénéfice d’individualités fortes qui n’ont
de compte à rendre à personne même
si, pour une part, leur écriture reste
tributaire d’une dramaturgie de l’effet.
Cest le cas d’Anouilh et d’Achard :
les contenus changent, la forme reste,
pourrait-on dire. Ce n’est vrai que par-
tiellement car, en estompant les frontières
entre l’imaginaire et le réel, en rendant
suspecte l’illusion scénique et du coup
impossible la prise sur le monde connaissa-
ble, psychologique et social, Achard attire
le boulevard dans une voie qu’empruntera
avec talent A. Roussin : celle de l’interro-
gation du théâtre sur lui-même, sur son
aptitude diabolique à brouiller le jeu de la
vérité en faisant quelque chose de rien, en
Cela dit, n’en déplaise à Boileau, nous sommes en présence d’une pièce
extrêmement bien construite et, pour attirer une dernière fois l’attention
de notre lecteur sur cet aspect mésestimé du théâtre de Labiche, nous
reproduirons, avec son aimable autorisation, le schéma actantiel proposé
par Richard Monod :
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10 ■La lettre du théâtre amateur janvier / février / mars 2003
Répliques
En matière de règles d’écriture, Le Voyage de monsieur Perrichon
reflète tout l’hybridité formelle du genre comique en France au
XIXe siècle. L’exclamation de Flaubert « C’est du Molière ! » nous
inciterait effectivement à rattacher le théâtre de Labiche, en dépit des
deux siècles d’écart, à certaines conventions de la dramaturgie classique.
Le Voyage de monsieur Perrichon n’y échappe pas, qui tire son ressort
initial de deux situations traditionnelles concomitantes, très enracinées
dans le fonds comique hérité du XVIIe siècle :
1. L’égarement d’un chef de famille dont le principal travers moral, en
l’occurrence la vanité, dégénère en une obsession pouvant aller jusqu’à
l’aveuglement absolu, à la dénégation de toute réalité objective et
concrète, au point de gravement compromettre l’ordre et la sécurité
de la cellule familiale.
2. Un projet matrimonial, précisément contrecarpar cette folie galopante
du chef de famille, qui divise pour un temps l’harmonie du couple
parental et introduit un grand désordre dans le confort routinier de
la vie bourgeoise.
La dernière des péripéties, en l’occurrence l’imprudent aveu surpris par
Perrichon (IV, 8), ramène le malheureux égaà la sagesse et au bon sens :
cependant que s’opère un spectaculaire retour à l’ordre, l’amour et la
jeunesse, comme chez Molière, finissent donc par triompher des caprices
dangereux et malsains d’un père abusif.
Toutefois, la révolution romantique des années trente a considérablement
ébranlé les modèles séculaires de la dramaturgie classique. On sait, d’après
sa lettre du 12 février 1835 à son ami Alphonse Leveaux, combien Eugène
Labiche avait été bouleversé par la première représentation de Chatterton,
le drame d’Alfred de Vigny, à la Comédie Française. Le Voyage de mon-
sieur Perrichon conserve la trace de ces libertés revendiquées au nom de
Shakespeare par Stendhal ou Victor Hugo. L’unité de lieu, la première,
est pulvérisée : à quatre actes, correspondent quatre décors différents
(une gare, une auberge, un salon, un jardin). Un intervalle d’au moins
huit jours, correspondant à un séjour chez des amis grenoblois sur le
chemin du retour, sépare l’acte III de l’acte II (III, 2).
Quant à l’unité d’action, elle est, elle aussi, bien malmenée ; on aurait
plutôt affaire ici à deux lignes narratives distinctes qui se chevauchent,
se recoupent et s’entrelacent :
1. La compétition matrimoniale engagée dès le premier acte entre les
deux prétendants (1, 9),
2. Les aventures parallèles, d’abord tout à fait indépendantes, du comman-
dant qui, à partir de l’incident du registre et de la rencontre d’Armand
(II, 8), rejoignent l’intrigue principale et lui réinsufflent une seconde
série de péripéties…
L’enchevêtrement de ces deux lignes qui, au premier abord, peut apparaître
comme tout à fait gratuit, va cependant, selon un procédé très caracté-
ristique du vaudeville, servir le développement de la pièce en lui four-
nissant des rebondissements imprévus et cocasses dont l’imbroglio ne
cessera qu’avec le dénouement. On notera aussi avec intérêt l’acuité du
parallélisme thématique entre les deux actions puisque, comme par un
phénomène de miroir inversé, tandis que les deux jeunes gens courent
après l’amour dans l’intrigue principale, le commandant, quant à lui,
tente de le fuir dans l’intrigue secondaire ; dans le même ordre d’idées, on
peut ajouter qu’à la “lutte loyale et amicale», toute “platonique» engagée
entre Daniel et Armand dans l’action 1, répond dans l’action 2 la
menace d’un duel authentique dont la vocation dramaturgique première
est d’abord de développer à l’acte IV les fanfaronnades bouffonnes et la
poltronnerie du personnage principal. N’oublions pas en effet que dans
la comédie de mœurs, l’intrigue, même si elle fait encore l’objet du plus
grand soin, doit avant tout rester au service de ce qui demeure l’objec-
tif premier, à savoir la densidu portrait, du tableau, de la caricature,
dont la réussite doit être la plus achevée et la plus percutante possible.
C’est encore ce qui justifie la présence récurrente de Majorin, qui ne se
rattache à l’intrigue que de façon très secondaire, mais dont la fonction
d’observateur sournois et de commentateur mal intentionné parachève
la vision qui nous est proposée de Perrichon.
Commentaires dramaturgiques
sur Le Voyage de monsieur Perrichon
6 Majorin 7 le commandant
1 Monsieur Perrichon
2 Madame Perrichon
3 Henriette
4 Daniel Savary 5 Armand Desroches
Un tel tableau appelle quelques brefs commentaires :
L’amour
4 et 5 courent après l’amour, tandis que 7 tente de le fuir,
1 et 2 s’opposent sur le choix du gendre,
1, qui n’écoute que sa vanité, préfère 4,
2, au nom du bon sens et de l’amour, préfère 5.
L’argent
6 et 7, moins riches, ont des ennuis d’argent,
4 est entrepreneur de transports et 6 est son petit actionnaire,
5 est banquier et 7 est son client à découvert.
Les conflits
Entre 1 et 6, conflit de jalousie et rapports d’argent (6 est le débiteur de 1),
Entre 1 et 7, conflit “orthographique” (culturel ?) et affaire d’honneur,
4 et 5 sont amis et rivaux pour la main de 3.
La rigueur formelle d’un tel schéma suffit à montrer, s’il en était encore besoin,
combien les relations à la fois simples et complexes unissant les personnages
les uns aux autres forment un ensemble équilibré et précis, dans lequel on
pourrait déjà déceler un des aspects essentiels du genre : nous voulons parler
de cette prédilection nettement affirmée par les vaudevillistes du XIXe siècle
pour tous les effets comiques fondés sur des phénomènes de symétrie, d’écho
ou de répétition, prédilection qui trouvera bientôt dans les gags du cinéma
muet un prolongement inattendu.
« Les personnages sont mécanisés par des effets de géométrie, parallélisme ou
symétrie », remarque encore Richard Monod. Citons pour exemple les deux
entrées successives, comme calquées l’une sur l’autre, de Daniel et d’Armand (I, 3
et 4), les deux retours de promenade dans l’affolement général (II, 3 et 10), les
deux récits emphatiques, parodiquement baptisés “de Théramène” (II, 10 et III,
7), les trois réflexions du mari concernant l’humeur de sa femme quand elle n’a
pas bu son café (I, 2, 5 et 6), les trois entrées de Majorin claironnant à chaque
fois sa fierté d’avoir trouvé une nouvelle occasion de s’évader du bureau
(I, 1; III, 5 et IV, 2) ou encore les trois lettres anonymes adressées au préfet
pour l’informer de l’heure et du lieu du duel (III, 11, 12 et 13).
Yannick Mancel
Yannick Mancel, professeur d’histoire du théâtre et
de dramaturgie à l’université de Lille, est connu de certaines
troupes du département pour avoir animé une conférence sur
“Deschamps-Deschiens ou les bricolages de la petite bourgeoisie
ordinaire” à l’occasion de la “rencontre d’artistes” sur
La Cour des grands à l’Espace 44 en avril dernier.
5La lettre du théâtre amateur ■ 10janvier / février / mars 2003
C’est une jeune compagnie,
soucieuse de fidéliser son public
tout en sortant des sentiers
battus du répertoire,
que nous rencontrons
aujourd’hui.
Dans quelles
circonstances votre
troupe a-t-elle vu
le jour ?
Pascal Lehec : En 94-95,
autour d’envies de théâtre
d’une bande d’amis qui pour
certains avaient déjà joué,
notamment dans la troupe
dervalaise disparue La Noisille.
Nous avons commencé modeste-
ment, en interprétant des sketches
devant un public d’invités, dans
les salles à manger spacieuses de
certains, ou dans des hangars
d’entreprises !
Et comment votre travail
a-t-il évolué ?
Toujours au gré de coups de cœur : à la
lecture de pièces ou lors de représentations
amateurs ou professionnelles auxquelles
nous nous rendons dans les quelques théâ-
tres du nord du département. Le choix
final est toujours collectif, et nous nous
entendons généralement bien pour retenir
des textes abordant des sujets de société,
qui nous parlent et qui sont susceptibles
de parler à notre public. Nous alternons
les pièces plus ou moins grinçantes,
pour faire réfléchir, réagir… Cela nous
vaut d’être parfois alpagués par la partie
de notre public qui vient toujours avant
tout pour se détendre. Ainsi nous avons
joué Portrait de famille de Denise Bonal,
puis Vol en piqué dans la salle de Karl
Valentin, Ne coupez pas mes arbres de
William Douglas Home, Du vent dans les
branches de Sassafras de René de Obaldia,
Minuit chrétien de Tilly, et enfin cette
année une pièce policière de Frédéric Dard
Les Brumes de Manchester.
Comment travaillez-vous ?
Nos deux premières mise en scène étaient
collectives, mais nous avons vite atteint
les limites de cette méthode. Nous avons
alors cherché un metteur en sne que nous
avons trouchez les Saltimbanques, nos
voisins de la Grigonnais, en la personne
d’Yvonnick Audion, qui accompagne
maintenant notre travail depuis cinq ans.
Nous jouons en novembre, et commençons
à répéter en mars, d’abord une fois pas
semaine, puis deux fois à partir de juin et
avant une coupure estivale. Nous sommes
une quinzaine de comédiens à tourner sur
les distributions. Il peut aussi nous arriver
de faire appel à des comédiens de troupes
voisines et amies.
De quels moyens disposez-vous ?
Presque rien : quelques costumes et un
lecteur mini-disc. Notre budget est très
étriqué, car si nous disposons d’une
petite subvention municipale et d’une
salle pour nos répétitions, nous jouons
dans la salle des fêtes toute neuve dont
la location absorbe la plus grande partie
de nos recettes. C’est une belle salle, avec
une bonne acoustique et une grande scène
agable, mais peu équipée pour le théâtre.
Nous louons projecteurs et jeu d’orgue,
et le système D prévaut pour les décors,
conçus par nos deux techniciens, mais à
la réalisation desquels chacun peut s’as-
socier. Faute de local propre à la troupe
les décors sont entreposés chez les uns
les autres.
Avez-vous des projets en cours ?
Oui, notamment celui de pérenniser les
différents ateliers de formation mis en
place pour les jeunes il y a trois ans.
Mais cette pérennisation souffre de notre
incertitude budgétaire. Nous réfléchissons
aussi à l’éventualité de monter en 2003 un
spectacle plus léger, afin de pouvoir le
tourner dans les salles voisines, ce qui pré-
senterait de nombreux avantages : moins
de frais de création, le plaisir de tourner
et de rencontrer un nouveau public, moins
de frais de location de salle.
Malgré ces difficultés, quelles
réussites motivent la troupe ?
Outre le plaisir permanent de se retrou-
ver, de travailler ensemble et de jouer, le
fait d’accueillir 5 à 600 spectateurs, dont
des jeunes, avec un répertoire sortant du
théâtre de boulevard ou du vaudeville, est
Animation & culture
de Derval
En compagnie de…
ANIMATION & CULTURE
Mairie - 44590 DERVAL
Contact : Pascal Lehec 06 74 49 11 22
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